Synthèse

Note de synthèse : Cette note reprend en grande partie le compte rendu de l'atelier 4 des journées de synthèse de Ouagadougou. L'équipe chargée de la coordination de la publication a estimé que ce texte présentait, au-delà du compte rendu strict de l'atelier, une synthèse représentative de l'ensemble des débats des journées de synthèse de Ouagadougou

Par Jean-Pierre Elong Mbassi (Programme de Développement Municipal)



Les trois éléments de contexte qui semblent avoir le plus d'influence sur l'alimentation des quartiers périurbains et des petits centres sont l'urbanisation, les difficultés économiques des États, et les mutations institutionnelles qui en résultent. La croissance urbaine reste très rapide, entraînant partout un doublement des populations urbaines et des superficies urbanisées tous les dix à quinze ans. Cette croissance urbaine concourt à l'émergence de petits centres urbains de plus en plus nombreux, et à l'augmentation incontrôlée des quartiers spontanés dans la périphérie des grandes villes. On estime que plus de la moitié du croît urbain sera localisée dans de telles zones. Ceci rend illusoire tout pari sur le rattrapage à court ou moyen terme du retard pris dans la fourniture de l'eau potable par réseau centralisé avec un opérateur unique.

Presque partout, la population ayant accès à l'eau potable ne représente pas la majorité ; dans certains cas, on assiste même à une baisse de la population desservie par le réseau d'eau potable : à Yaoundé par exemple, la population desservie était de 80 % en 1976 (56 % par bornes-fontaines) ; en 1994, elle n'est plus que de 64 % (10 % par bornes-fontaines). En d'autres termes, la multiplicité des systèmes d'approvisionnement en eau potable sera désormais la règle et non l'exception.

Les difficultés économiques des États leur font progressivement abandonner la politique de la gratuité de l'eau, entraînant souvent la recherche de solutions alternatives qui tendent toutes à une plus grande responsabilisation du bénéficiaire du service. Par conséquence, les États sont amenés à développer des politiques sectorielles décentralisées dans le domaine de l'eau, s'inspirant en cela de l'expérience de l'hydraulique villageoise dont on pense que les montages institutionnels peuvent s'adapter aux petits centres, et même aux périphéries des grandes agglomérations. Cette décentralisation sectorielle se met en place au moment même où sont définies et mises en oeuvre presque partout des politiques institutionnelles de décentralisation.

Cette orientation générale à la décentralisation tend à promouvoir la prise en charge du service au plus près des populations, appelant un rôle accru des acteurs locaux dans la gestion de la filière de l'eau. Ceci peut du reste être vu comme un juste retournement de la situation, puisque jusque vers les années 1970, le service d'eau potable était une prérogative des municipalités qui opéraient alors en régie directe. Et même lorsque confrontées à des difficultés financières elles ont dû concéder le service à une entreprise nationale, elles ont gardé la gestion des bornes-fontaines, assurant ainsi un service public minimum, non payant, à destination des populations les plus démunies. La faiblesse des ressources locales à même de permettre aux municipalités d'assurer le financement régulier de ce service minimum les a amenées depuis une dizaine d'années à abandonner progressivement ce service, sans pour autant qu'elles se positionnent différemment dans la filière, même pas dans la tarification ou dans la planification des équipements.

Aujourd'hui, on assiste donc à un foisonnement des initiatives et des acteurs pour coller à la demande d'eau potable des quartiers périphériques et des petits centres. Certains y voient le reflet des capacités d'adaptation et de réponses locales que recèlent les populations des villes africaines. D'autres y voient un abandon dangereux de la notion de service public de l'eau, dont on s'accorde à reconnaître le caractère de bien essentiel, qui de ce fait est de l'ordre des droits de l'homme.

Dès lors, les participants n'ont pas échappé au débat récurrent entre ceux qui considèrent l'eau comme un bien marchand, ou ceux qui la considèrent comme un bien public. Bien marchand, l'eau l'est assurément, surtout dans les quartiers périurbains ou les petits centres non desservis par le système formel d'approvisionnement en eau. Bruno Valfrey (AR 9) a montré qu'à Port-au-Prince ce marché compte pas moins de 2 000 opérateurs. Partout il représente des trois quarts aux quatre cinquièmes de la valeur ajoutée de l'ensemble de la filière, fournit trois à quinze fois plus d'emplois que les sociétés concessionnaires, soit 1 à 3 % des emplois urbains permanents. Le problème que pose ce marché est celui du contrôle de la qualité, du niveau et du coût du service. La question de la régulation et de la solvabilité est donc centrale.

De ce fait même, l'approvisionnement en eau des quartiers périurbains et des petits centres ne peut être traité en ayant exclusivement recours aux mécanismes du secteur privé. L'eau potable est aussi un bien public, qui demande pour sa fourniture régulière et efficace, l'intervention d'un acteur de droit public.

Les participants ont naturellement estimé que cet acteur public pouvait être la collectivité publique locale, dans la mesure où la décentralisation lui reconnaît un rôle éminent dans la gestion des affaires locales, et où comme on l'a dit plus haut, ce ne serait qu'un juste retour des choses. Toutefois, l'attention a été attirée sur le fait que la collectivité publique locale n'avait pas encore la légitimité, la crédibilité et la compétence requises pour jouer pleinement ce rôle de régulation et de mise en cohérence.

Tout d'abord, les autorités publiques locales ne sont pas les seuls pouvoirs qui structurent l'espace social local. Elles apparaissent même souvent comme des " cadets " institutionnels, appelés à composer avec des pouvoirs plus anciens, plus enracinés, et dont l'antériorité donne comme un droit immanent essentiel sur une multitude de ressources (en eau et foncière notamment) pour la problématique traitée, et dont dépend la vie des populations.

De plus, la décentralisation institutionnelle n'a pas toujours donné aux collectivités locales les moyens de leur action, si bien que ces dernières ne semblent pas pouvoir apporter grand chose dans la transaction sociale locale. Le faible niveau des ressources locales et de la fiscalité locale est autant le signe de cette décentralisation inachevée que celui de l'incapacité des élus à inspirer confiance dans un espace où les références des populations sont plus souvent ethniques et verticales que horizontales et citoyennes. La sur-communautarisation de la société civile freine les possibilités d'émergence d'un système de normes communes partagées au-delà de celles issues des réseaux familiaux ou extra-familiaux. Tout se négocie entre têtes de réseaux, et le Maire est invité à participer à de telles négociations " non démocratiques " sous peine d'être complètement isolé. La loi est souvent ignorée dans ce contexte, au profit de compromis locaux plus ou moins efficaces.

La tentation est donc forte, face à cette faiblesse constatée des municipalités, de s'en remettre avant tout à l'État, pour ce rôle de régulation. De fait, de nombreux États s'attellent actuellement à définir les modalités d'intervention dans le secteur de l'eau. Les réflexions actuelles sont plus avancées pour les petits centres de 2 000 à 20 000 habitants que pour les villes moyennes ou les quartiers périurbains des grandes villes. à part le Bénin, la Mauritanie et le Mali qui prévoient explicitement un rôle pour les collectivités locales dans la gestion de la filière de l'eau, partout ailleurs, l'acteur-clé privilégié par l'État semble être l'association des usagers de l'eau et le comité de gestion des points d'eau.

L'établissement d'un contrat entre partenaires devient la règle. L'examen de tels contrats a toutefois montré que les clauses n'étaient pas toujours respectées, mais que la culture du contrat avait apporté de réelles avancées en ce que les droits et obligations étaient clairement établis.

Une des voies d'amélioration des contrats est de les faire non pas entre deux parties, mais entre trois parties, le représentant de la puissance publique (le plus possible local) devant être le garant de l'exécution des engagements pris. Le rôle de l'État doit rester important pour garantir une politique cohérente en matière de gestion de la ressource et de répartition nationale des ouvrages de production et de distribution. Mais la volonté des États est de ne plus intervenir directement dans la filière.

Le choix fait en faveur de la privatisation pose en termes nouveaux le problème du service public de l'eau. Le principe de la péréquation, notamment au bénéfice des petits centres et quartiers périurbains, et des populations pauvres, est désormais une question critique, dont on ne voit guère comment elle peut être résolue en dehors d'une maîtrise d'ouvrage locale de l'eau.

La question de la maîtrise d'ouvrage locale a divisé les participants : certains ont voulu que le groupe prenne position en faveur de l'interprétation de cette expression comme une compétence des collectivités publiques locales avant tout, à qui il revient démocratiquement d'assurer la cohérence des actions et des acteurs sur leur territoire de compétence. D'autres ont estimé qu'à l'heure actuelle et dans les zones concernées, la crédibilité était du côté des opérateurs sur le terrain et des organisations des bénéficiaires ; c'est donc sur eux qu'il convient d'abord de porter l'effort, ce d'autant que c'est grâce à leur interpellation des pouvoirs publics locaux que l'on peut espérer que ces derniers se préoccupent plus du service aux populations, ce qui n'est pas encore clairement le cas. Les uns et les autres ont toutefois convenu qu'il y avait sans doute place pour tout le monde, et que l'urgence était plutôt à la mise en place d'un cadre de concertation garantissant la participation des différents acteurs.

Ce cadre de concertation devrait être le lieu par excellence du partage des connaissances et de la mise à niveau des acteurs, et une plate-forme de dialogue pour construire des projets communs. Il devrait également permettre d'associer les acteurs à l'élaboration d'un certain nombre d'outils de connaissance, notamment la carte ou les connaissances démographiques, économiques, ou sociologiques, et de diffuser auprès d'eux des éléments de mise en cohérence de leur action, comme ceux portant sur le cycle de l'eau, ou sur celui des déchets par exemple.

Les participants ont affirmé avec force la nécessité d'investissements comme éléments fondateurs de la mobilisation et de la concertation. Mais ils ont également mis en lumière le rôle des organes d'intermédiation et d'appui pour contribuer à la " construction " des acteurs, faire cheminer les négociations entre eux et arriver à leur donner une conscience plus aiguë des enjeux communs, et participer à la mise en place de mécanismes transparents de partage des responsabilités entre acteurs et à la formalisation de leurs relations.

Cette maîtrise d'oeuvre sociale requiert une offre de consultance de proximité qui a du mal à se développer faute d'une demande clairement identifiée et de financements spécifiques pour cette activité reconnue pourtant comme essentielle. Les participants ont suivi avec intérêt les tentatives de réponses apportées à ce propos par les autorités maliennes qui, en préfiguration de la décentralisation, ont mis en place un service d'appui dont le coût, estimé à 20 FCFA le mètre cube d'eau produit, est d'ores et déjà accepté par les bénéficiaires.

En conclusion, les participants ont estimé qu'il fallait avant tout être modeste par rapport aux résultats de la recherche et aux leçons qu'on pouvait en tirer par rapport à l'organisation institutionnelle à mettre en place en matière d'alimentation en eau potable des quartiers périurbains et des petits centres en Afrique.

On commence seulement à se rendre compte que l'approvisionnement en eau des villes africaines ne peut ressortir d'un système unique, et que la pluralité des systèmes et des intervenants et leur complémentarité dans la gestion de la filière seront durablement la règle.

On commence seulement à percevoir l'immense besoin de régulation et de péréquation sociale et spatiale qu'appelle le nouveau courant de la décentralisation et de la privatisation, appelant un nouveau rôle de la puissance publique, et notamment de la puissance publique locale.

On a à peine conscience que l'eau potable, bien local par excellence, peut difficilement être gérée efficacement à un seul niveau de gouvernance, et que les instruments d'articulation entre niveaux de gouvernance restent à inventer dans ce domaine en Afrique.

Les populations des petits centres et des quartiers périurbains commencent seulement à prendre conscience du fait que le paiement de l'eau n'est plus une situation provisoire mais définitive, et que payant pour ce service, elles sont en droit de réclamer en contrepartie de la qualité et de la continuité.

Les municipalités prennent conscience qu'elles ne peuvent plus se désintéresser d'un service de l'eau qui devient une des préoccupations majeures des habitants, mais également une ressource potentielle pour la fiscalité locale.

Bien des ajustements risquent donc de se produire encore dans ce domaine, et il serait utile que l'intérêt soulevé sur ces questions par le programme piloté par le pS-Eau, et la veille qu'il convient d'avoir, se poursuive sous des formes que nous devrions imaginer ensemble.



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