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1.
Introduction
Cette question récurrente est fondée
sur l'hypothétique relation étroite entre la fourniture
d'eau potable et l'amélioration de la santé. Mises à
part quelques études qui corrèlent certains aspects spécifiques
comme la régression de la dracunculose et la fourniture d'eau
saine, peu d'études, en situation réelle, ont pu
scientifiquement démontrer cette relation et en particulier
mesurer précisément les effets de l'une sur l'autre.
Trois remarques peuvent être faites :
-
La proposition inverse, c'est-à-dire : "
la détérioration de l'état de santé liée
à une rupture de l'approvisionnement en eau potable "
est, elle, hélas souvent illustrée. La réalité
brutale de certaines situations exceptionnelles, d'origine écologique
ou humaine, qui rend impossible l'accès à une eau
potable est en faveur de cette relation (le Bangladesh qui connaît
périodiquement des inondations catastrophiques ou le Sud de
l'Irak victime de la guerre).
Tant les nombreux reportages que les données cliniques
rassemblées ont fait la preuve de la dégradation de
l'état de santé des populations concernées et
tout particulièrement de ses composantes les plus fragiles
: les enfants et les vieillards. Les maladies hydriques ont pris,
alors, une part importante dans l'augmentation de la mortalité
qu'ont connue ces populations.
Cet aphorisme : " la pollution de l'eau a des conséquences
sérieuses sur l'état de santé " est donc
démontré et admis de tous.
-
L'inversion de cette proposition, sous la forme
: " la santé dépend de la fourniture d'eau
potable ", est très souvent pratiquée. Même
si elle est utilisée avec les meilleures intentions du
monde, elle apparaît bien comme un sophisme. Il s'agit d'une
extension du sens dont le fondement scientifique est,
effectivement, rarement établi. Même si Snow dès
1885 a démontré que la modification du traitement de
l'eau à Londres était corrélé à
une diminution des décès dû au choléra,
il reste à préciser, avant de généraliser
ce constat, ce qu'était cette corrélation et en quoi
elle pourrait être répliquée dans d'autres
contextes. Quand on sait que l'absence d'eau potable est généralement
assez bien corrélée avec la pauvreté, il est
aisé de comprendre la difficulté d'une démonstration
du lien eau-santé.
Alors que les spécialistes s'accordent sur le grand nombre
de facteurs qui interviennent dans l'état de santé
d'une population et la complexité de leurs interrelations,
la nécessité du comparatif a imposé des
outils de mesure relativement " grossiers " que sont les
indicateurs de santé tels que l'espérance de vie, la
mortalité infantile, etc. Or, ils sont la mesure d'un bilan
à un moment donné. Les épidémiologistes
différencient des indicateurs de l'état de santé
(par exemple la prévalence qui mesure le nombre de malades
atteints par une maladie à un moment donné) et les déterminants
de l'état de santé (par exemple l'environnement
physique lié à des agents chimiques et/ou
biologiques). L'association entre indicateurs de l'état de
santé et ses déterminants permet d'approcher les
risques qui sont la probabilité d'apparition d'un événement
fâcheux (maladie entre autres) lié à des
facteurs de risque, dont le risque hydrique dans notre cas.
-
L'aphorisme premier contient deux termes : "
pollution de l'eau " et " état de santé ".
Se posent alors des problèmes touchant à la définition
des termes et aux outils de mesure. Si la définition de la
pollution de l'eau ne pose plus de problème sémantique,
il n'en va pas de même pour la définition de "
l'état de santé ".
Aujourd'hui, les méthodologies pour l'analyse
des eaux sont solidement établies, même si le raffinement
des méthodes actuelles exige des équipements qui ne sont
pas toujours à la portée des collectivités des
PED. Quelques pistes de définition d'analyses simples et peu coûteuses
à mettre en oeuvre tout en restant fiables sont d'ailleurs
fournies par les rapports. Le débat porte autant sur la nécessité
et les modalités de la mesure que sur l'intérêt et
l'utilisation de l'information. La fiabilité des résultats
ne saurait être un objectif unique. L'efficience de cette
information reste une question ouverte. Cela montre bien dans l'élaboration
de la recherche l'importance de bien préciser au départ
quelles sont les questions auxquelles devra répondre l'enquête,
avec qui elle sera conduite et pour qui.La définition de l'état
de santé d'une population s'apparente, elle, à la
quadrature du cercle. Ainsi, la définition de l'OMS : " la
santé est un état complet de bien-être physique,
mental et social et non seulement l'absence de maladie " paraît
peu opératoire ; elle ne définit pas des normes mais un
objectif à atteindre. Cette définition reprend
d'ailleurs le constat, fait antérieurement, des limites d'une définition
" inverse " : l'absence de maladie. Les problèmes de
santé latents non diagnostiqués, non ressentis ou ne
faisant pas l'objet de demande, l'accumulation des pathologies, etc.,
rendent l'exercice particulièrement difficile.
Si la définition " en soi " d'une eau potable est
possible, l'état de santé d'une population est approché,
lui, en termes de comparaison : d'un groupe à l'autre, d'une
population à une autre. Il n'y a ni mètre étalon,
ni norme dans ce domaine.
Ces outils de comparaison ont, certes, l'avantage d'être
simples à établir, à condition bien sûr de
disposer de statistiques de population et de santé fiables.
Mortalité, mortalité infantile, espérance de vie,
pyramide des âges, etc., concourent à présenter l'état
d'une population. Mais, nous l'avons vu, la mesure du bilan ne
renseigne pas sur les raisons de ce bilan.
A ce titre, les indicateurs les plus intéressants nécessitent
une série de mesures au cours d'un temps long. Dès lors,
la mesure des effets d'une AEP (adduction d'eau potable) ne peut être
obtenue par ces indicateurs qu'à très long terme et il
apparaît très difficile de l'isoler des autres facteurs
d'amélioration de l'état de santé.
Le débat porte également sur
l'importance d'associer les acteurs et responsables locaux pour la définition
des niveaux d'intervention de chacun au sein d'une cellule de suivi et
même d'un conseil scientifique. Le rôle de cette cellule
de suivi serait :
- de chercher à résoudre les difficultés
posées par la recherche ;
- de discuter des modifications éventuelles ;
- d'interpréter les résultats ;
- de passer à la phase opérationnelle :
utilisation pratique des résultats (décision quant à
l'utilisation de l'eau, modification des comportements).
Les acquis qui ressortent sont plus souvent une
confirmation raisonnée de connaissances antérieures que
des apports vraiment originaux. Quelques acquis émergent
toutefois et font l'objet des chapitres suivants.
2. Le
rapport à leau : un élément fondamental
des cultures
Plusieurs des rapports mettent en évidence à
quel point l'eau n'est pas un objet neutre. La place, le rôle de
l'eau, ses usages, sont des éléments constitutifs des
cultures.
Les " dires " relevés par les chercheurs prennent la
forme d'allégations, d'affirmations, de jugements. Presque
toujours, il est fait référence non pas tant à
une connaissance empirique (qui est une forme de connaissance
scientifique : " il est connu que telle eau rend malade "),
qu'à une donnée inscrite dans un passé plus ou
moins lointain. S'ils sont énoncés, ces éléments
de discours " populaire " ne connaissent que rarement une
justification réellement scientifique. En effet, ils relèvent
d'une autre légitimité : celle d'une culture héritée
de l'histoire. Partie intégrante et importante du stock de
savoirs et de significations de la collectivité, profondément
enfoui dans le substrat culturel, ce savoir ne peut être analysé
et décodé que par la mise en oeuvre d'un regard extérieur
(ici l'anthropologue).
Une analyse fine de la place de l'eau dans la culture donnée
importe moins que la bonne compréhension des résultantes
de ce savoir dans les usages de l'eau et des " contraintes "
qui pèsent sur le consommateur mais, inversement aussi, des
libertés dont il disposera vis-à-vis d'une AEP. Quand
cela est possible les ressources en eau sont utilisées en
fonction des propriétés qui leur sont attribuées.
Ce savoir se traduit surtout par deux discours : les propriétés
de l'eau et son goût. Les propriétés attribuées
à l'eau sont de trois ordres : le " guérir ",
le " laver ", le " boire ". Des distinctions
internes précisent, souvent très finement, l'usage de la
ressource.
1. Toutes les eaux n'agissent pas, ne "
soignent " pas et celles qui " soignent " ne soignent
pas tout. L'usage en est donc bien spécifique. Même s'il
serait judicieux de s'assurer, pour le moins, de l'innocuité de
cette eau, la consommation, pour cet objectif de guérison, est
de faible ampleur. Sauf exception d'un usage exclusif, ou très
fortement prioritaire, en tant qu'eau de boisson, cette consommation
est négligeable face au projet d'AEP.
2. Lavage des corps, des aliments, des ustensiles de
cuisine, du linge, des sols, tous usages différents pouvant se
satisfaire, ou exiger, des qualités spécifiques. Selon
le plus ou moins grand éventail des sources
d'approvisionnement, leur usage va se différencier.
La consommation importante générée par ces
activités conduit à la recherche d'un accès de
proximité et de la gratuité. L'eau du réseau se
trouve souvent disqualifiée autant par son coût que par
ses qualités ou plutôt son absence de qualité : "
elle ne mousse pas en présence de savon et une eau qui ne
mousse pas ne lave pas ". En revanche, curieusement, elle sera
utilisée pour le lavage des ustensiles de cuisine plus que pour
celui des aliments.
3. Faire boire le sol, les animaux ou les hommes, là
aussi, ne demande pas les mêmes propriétés.
Pour irriguer, il est rarement, ou jamais, exigé une qualité
particulière ; les eaux les plus " déconsidérées
" peuvent être utilisées. Déjà pour
l'abreuvement du bétail, l'exigence est différente et
proportionnelle à l'importance symbolique et/ou économique
du troupeau. Dans les régions de pastoralisme, face à la
ressource, les populations d'éleveurs ont leurs échelles
de qualité. Certains points d'abreuvement, dits " modernes
", se sont ainsi trouvés disqualifiés.
Pour l'alimentation humaine, certaines eaux sont connotées
comme " bonnes à boire ", d'autres sont non buvables.
Ces " labels de qualité " n'ont que rarement à
voir avec une détermination scientifique de la potabilité
de l'eau. La référence est à l'histoire de la
ressource. Cette " qualité " n'est d'ailleurs pas un
acquis éternel. Un accident, un événement, un
acte, réel ou imaginaire d'ailleurs, peuvent se traduire par
une souillure, qui, elle aussi, peut être réelle ou
imaginaire. Lorsque cette souillure survient, la ressource peut être
alors déclassée, elle devient impropre à la
consommation humaine.
Les qualités attendues d'une eau " bonne à boire "
sont rarement explicitées à l'exception peut-être
de la clarté et de la fraîcheur. Une eau trouble est
regardée avec méfiance comme si la potabilité était
reconnue par transparence. Dans la plupart des civilisations dont la nôtre,
l'ingestion représente le passage de la dernière barrière,
celle du corps, entre " le dehors " lieu de tous les dangers
et des agressions éventuelles et " le dedans " lieu
du moi dont l'intégrité est à protéger. Il
faut voir ce que l'on mange ou l'on boit. La volonté de
supprimer la turbidité se traduit par des procédures de
filtrage. C'est bien l'indice que le contenu doit être "
visible ".
Ces thèmes : " filtrer ", "
apurer " devraient pouvoir être des substrats à des
messages de santé.
Une bonne connaissance des pratiques et la volonté de
s'appuyer sur elles doit constituer le discours hygiéniste. Il
faut mieux appréhender les difficultés sociales qui
peuvent être générées par les nouveaux aménagements
des points d'eau. Dans des civilisations où la maladie est
souvent interprétée comme le résultat d'une
agression de l'ordre de l'invisible, la destruction de cet invisible
dans l'eau pourrait être utilisée dans un message
d'animation sanitaire. Ceci est déjà expérimenté
avec des succès pour le moins mitigés, mais est-ce la référence
à l'invisible ou d'autres facteurs qui rend si difficile la
modification de l'appréhension de la qualité de l'eau ?
De même pour la fraîcheur, les pratiques
que sa recherche induit : mise à l'ombre, couverture du réceptacle,
réceptacle particulier réservé à l'eau de
boisson, canaris de terre, gargoulette ailleurs, renouvellement
rapide, peuvent être le support d'un discours visant à
l'amélioration de la conservation dans le cadre des conditions
locales.
Enfin, dans les eaux " bonnes à boire "
le goût intervient alors. L'exemple est bien connu où,
comme eau de boisson, l'eau du marigot proche est préférée
à l'eau du puits creusé au village par le projet de développement
pour fournir de l'eau potable.
ENSEIGNEMENTS :
Que ce soit lors d'un projet d'AEP ou dans le cadre
d'une opération de réhabilitation de points d'eau,
l'ensemble des considérations précédentes nous
conduit à insister sur :
la multiplicité des sources d'approvisionnement, à
la fois source de contraintes et de liberté de choix ;
la connaissance des représentations, des attitudes et
des pratiques autour de l'eau ;
la connaissance des usages des différentes ressources
et des contraintes qui en découlent ;
la construction d'un discours de santé en s'appuyant
sur les pratiques, en les valorisant et en les faisant évoluer
;
l'usage des représentations et des attentes pour
asseoir les messages de santé autour de la distribution d'eau
potable.
Le recours à l'anthropologie ne doit pas
conduire à imaginer que la modernité arrivant avec l'eau
du réseau, celle-ci deviendra un objet dont l'ingestion sera
neutre. En France, il n'y a pas encore si longtemps, l'eau de la
fontaine ou de la source faisait l'objet d'un déplacement car
préférée comme eau de boisson à celle du
robinet. On connaît le poids du lobby des établissements
de cures thermales, " l'eau qui soigne " y doit être
ingérée dans un rituel précis et quasi religieux.
L'importante consommation en France d'eau dite minérale ou de
source réfère aux mêmes archétypes de représentation.
Là aussi, la science n'a pas sa part, ni dans les raisons du
choix du consommateur, ni dans les arguments de vente du producteur.
Un regard porté sur les clips publicitaires de ces eaux est éclairant
: du filtre naturel des granits d'Auvergne à la nature inviolée
des montagnes des Alpes. Ceci ne va pas sans une certaine " déconsidération
" à l'égard de l'eau du réseau quelle que
soit d'ailleurs son origine.
Mais les cultures sont en perpétuel mouvement, s'appropriant
de nouveaux comportements, de nouvelles représentations venus
d'ailleurs. C'est le second acquis dont il faut souligner
l'importance.
3. Leau
du réseau : une acquisition récente des cultures
africaines
L'eau du réseau est intégrée
aujourd'hui dans les représentations et les comportements.
Elle bénéficie d'un plus, remarquable, qui dénote
un changement fondamental dans l'appréciation de la qualité
de l'eau : elle n'est plus seulement " bonne à boire ",
elle est " potable ". L'irruption dans le champ sémantique
de ce terme apparaît comme un atout maître pour les
actions de santé publique. D'une appréciation négative
: une eau " bonne à boire " n'est pas dangereuse, on
est passé, pour l'eau du réseau, à une appréciation
positive. Dans les représentations, elle est beaucoup plus
qu'une eau dépourvue de germes dangereux, elle est l'eau qui
empêche la maladie : " si on en boit, on n'est pas malade ".
Si cette nouvelle ressource s'insère dans l'éventail
des sources d'approvisionnement, elle bénéficie d'un
statut tout à fait à part. C'est cette " aura "
qui, plus que d'autres raisons, conduit au départ les habitants
à accepter de la payer. Même si le détenteur d'un
point d'eau naturel (puits, source, rivière, lac, etc.) émet
des règles de puisement (quantité, modalités) -
qui, non respectées, peuvent se traduire par une exclusion - il
ne peut décemment refuser une demande.
Le détenteur d'un branchement sur le réseau peut en
revanche s'en réserver l'usage, l'ouvrir à ses proches
et plus largement sa clientèle patricienne ou même
s'instituer revendeur de l'eau du réseau, sans que la légitimité
de son comportement soit mise en cause. Il y a bien appropriation de
la ressource, appropriation liée à sa " qualité
" plus subjective que mesurée.
ENSEIGNEMENTS :
C'est la potabilité de l'eau qui lui donne sa
valeur marchande, mais, plus encore, c'est sa valeur pour la vie qui
entraîne compétition entre les acteurs pour la maîtrise
de sa gestion.
Le maintien de la " qualité " de l'eau du réseau
apparaît comme primordial. La potabilité est, certes, l'élément
incontournable à maintenir dans une optique de santé
publique ; mais, au niveau des représentations populaires,
d'autres caractéristiques concourent au maintien de cette aura
: la limpidité, la fraîcheur.
Plusieurs exemples sont donnés de déconsidération
de l'eau du réseau, présence de débris végétaux,
de terre, de particules de rouille, ou de turbidité. Les caractéristiques
" annexes ", la fraîcheur mais surtout la limpidité,
ont donc toute leur importance.
4. Lhygiène :
une lente capitalisation croisée des discours et des modèles
L'animation sanitaire, même si elle manque
souvent de perspective à long terme, est une des activités
permanentes des services de santé. Elle développe des thèmes
divers : propreté du point d'eau, évacuation des ordures
ménagères, des eaux usées, latrines, usage de
l'eau dans la concession, conservation de l'eau à boire, etc.
Les publics auxquels elle s'adresse sont, eux-mêmes, multiples :
enfants à travers l'école, femmes dans les associations,
populations entières lors des grandes campagnes, etc. Elle est
déclinée sous toutes les formes : éducation à
l'école, dans les PMI et les structures sanitaires,
accompagnement de projets d'AEP ou d'assainissement, grandes
campagnes, etc. à l'issue de longues années, la prise de
conscience des dangers liés au manque d'hygiène est réelle,
en particulier chez les femmes.
En matière de santé, même si elle est peu souvent
construite sur une culture scientifique maîtrisée (mais où
l'est-elle ?), la relation entre le " sale " et la maladie,
ou tout au moins le risque, est faite. Ce " savoir " s'est
construit à partir de l'accumulation des messages mais aussi
des observations empiriques. Aujourd'hui, c'est de " savoir-faire
" que les populations ont le plus besoin. Contrairement aux "
savoirs " qui s'enseignent, les " savoir-faire "
supposent expérimentation et démonstration.
Même si l'animation sanitaire, parent pauvre, sert souvent
paradoxalement à justifier de l'intérêt d'un
projet, la modeste taille des actions qui en relèvent et leur
lisibilité incertaine les inscrivent mal dans les grands
financements nationaux et internationaux. Ces actions, impérativement
au plus près de populations, trouvent actuellement le relais
des associations.
On a assisté en une génération, en Europe, à
un changement. Le nouveau modèle de vie et de valeurs ainsi que
l'image du corps et de sa santé qui ont émergé
par l'intermédiaire des médias (valorisation de la
jeunesse, corps sain, sports de loisirs de la nature et de la mer,
etc.) a eu autant d'importance, sinon plus, que les très
nombreuses campagnes anti-tabac ou celles visant à limiter la
consommation d'alcool. Ne parle-t-on pas d'ailleurs " d'hygiène
de vie " ?
Il apparaît bien difficile de mesurer l'impact réel
d'une campagne d'animation sanitaire. Qu'est-ce qui est dû à
la campagne ? Aux changements de comportements liés à
des modèles dont on voit dans un grand nombre de cas qu'ils
sont parentaux et/ou liés à une acquisition de revenus
et de biens culturels ? Est-ce que l'abandon dans notre pays de cet
enseignement tient à ce que l'hygiène est considérée
comme définitivement acquise ? Ou bien, plutôt, qu'il
appartient à la sphère familiale d'en imposer les
pratiques ?
Bien plus que des savoirs, il faudrait mesurer l'impact des
savoir-faire sous l'angle des pratiques réelles et ceci de façon
continue. Le lavage des mains est un exemple : les enfants en
connaissent ou en ont connu lintérêt, mais combien
le pratiquent d'eux-mêmes couramment ? Toutefois, des animations
sanitaires plus ponctuelles mais qui cherchent, de façon très
pragmatique, à modifier les comportements, en particulier en développant
des outils ou des objets porteurs de changement, peuvent être évaluées
par le degré d'extension de ces pratiques et outils.
ENSEIGNEMENTS :
L'animation sanitaire doit être menée
en permanence vers les cibles les plus susceptibles d'intégrer
ses messages. Elle doit faire appel à des analyses
transactionnelles et être menée différemment pour
chaque groupe-cible considéré tout en s'inscrivant dans
une stratégie d'ensemble.
L'impact de cette animation ne peut se mesurer que sur le long terme
par les pratiques acquises et mises en oeuvre en continu, la
modification des demandes d'accès à une eau saine, et
non sur l'acquisition des connaissances.
5.
Lassainissement : le petit cousin pauvre invité à
la fontaine
L'assainissement est bien le parent pauvre à
un double titre :
sur l'ensemble des réponses à l'appel à
recherches retenues, seule l'une d'entre elles s'est focalisée
sur ce sujet ;
comme l'éducation sanitaire, l'assainissement est une
annexe des projets. On insistera sur la propreté autour des
points d'eau, en particulier lors des projets de réhabilitation.
On indiquera le nécessaire éloignement des latrines,
etc.
Or, toute les analyses réalisées démontrent
que la contamination fécale est le problème rencontré.
Les autres pollutions, de nature chimique, paraissent a priori peu présentes.
Les analyses de selles pratiquées apportent une série
d'enseignements :
des contaminations essentiellement d'origine fécale
semblent responsables d'un certain nombre de symptômes
pathologiques, notamment chez les enfants ;
la contamination humaine peut subvenir de multiples façons
: non seulement par ingestion d'eau contaminée mais aussi
ingestion d'aliments souillés, directement ou lors de la préparation,
notamment par l'eau de lavage, mais aussi hors de la chaîne
alimentaire ;
dès lors, il est quasiment impossible d'établir
un lien direct entre l'approvisionnement en eau et les manifestations
morbides et, a fortiori, de mesurer la part due à l'eau face
aux multiples autres modes de contamination.
Ces considérations démontrent, s'il en
était besoin, qu'en termes de santé publique, ce sont
les actions visant l'assainissement des lieux de vie qui sont la première
urgence. Comme pour l'éducation sanitaire, l'action doit être
continue. Là aussi, c'est une culture de la propreté à
faire naître et elle se construit par une sédimentation
des messages et surtout des actions.
Toute politique d'assainissement demande aussi des moyens. Or, il y a
en général peu de financements consacrés à
ce thème. Comme si les bailleurs de fonds hésitaient à
financer des actions forcément peu visibles car souvent de
petite taille, dont la mesure de l'impact sur la santé est
particulièrement difficile et dont le retour sur investissement
est nul.
La demande en matière d'assainissement est forte, les
populations sont prêtes à y consacrer des moyens, y
compris monétaires, pour peu que le résultat soit
tangible et durable. Cet impératif impose une étroite
participation des populations, méfiantes car trop souvent déçues.
ENSEIGNEMENTS :
L'assainissement est de toute première
importance pour la santé publique. Comme l'éducation
sanitaire, cette action doit être menée avec constance,
permanence et avec des moyens.
L'assainissement doit être conduit en symbiose étroite
avec la demande et les attentes des populations, même si elles
ne sont pas toujours clairement formulées. Les travaux
d'anthropologie sur les thèmes du " propre " et du "
sale " en Afrique, s'ils existent (Alain Epelbouin chez les pygmées
par exemple), sont encore rares et devraient être encouragés.
Les associations, proches des populations, sont capables de les
mobiliser et sont aptes à mettre en oeuvre des projets visibles
et modestes. Les bailleurs de fonds doivent accepter de confier des
fonds à des associations, mais aussi accepter le " risque "
de l'échec ou de l'inefficacité.
Plus encore que les projets d'AEP, les actions d'assainissement
doivent être accompagnées d'éducation sanitaire,
leur impact conjoint ne peut se mesurer que sur le long terme.
Faire la part des impacts des actions d'assainissement et de celles
d'animation sanitaire est difficile. Il serait utile que les bailleurs
de fonds admettent que les multiples cofacteurs qui interviennent dans
le cas d'une amélioration constatée de l'état de
santé, interdisent, en fait, de mesurer la part de telle ou
telle action. Cela devrait les conduire à renoncer à
l'exigence des analyses coûts/bénéfices ou à
la mesure des impacts directs sur la santé publique d'actions
sectorielles d'AEP, d'assainissement ou encore d'éducation
sanitaire.
Toutefois, il ne s'agit pas de nier toute possibilité d'évaluation
des actions menées. Pour ce faire, il serait judicieux de
chercher à construire un système de mesures, fiables, de
l'évolution sur le long terme de l'état de santé
d'une population et de ses pratiques.
Plutôt que de chercher à mesurer l'impact de chacun de
leurs projets, les bailleurs de fonds pourraient financer ensemble un
système de mesures de type " à passages répétés
" permettant à échéances régulières
de mesurer les évolutions.
En fait, l'exigence de la permanence de l'action et de la constance
dans l'effort, la nécessité de créer et de
maintenir un processus d'accumulation des savoirs et des savoir-faire
conduisent à remettre en cause " le projet " comme
mode de financement privilégié des bailleurs de fonds.
Le projet, par essence de courte durée et " évaluable
", est l'antipode de ce qui devrait être fait.
Sur ces thèmes, assainissement/éducation sanitaire/AEP,
le financement de politiques sur le long terme (Plans d'action
nationaux), sur la base d'objectifs à atteindre et accompagné
par des évaluations périodiques, devrait être le
mode unique de financement.
Le rôle central de l'état doit
être rappelé
La gestion de la ressource au plan national
appartient à lÉtat. Ce bien commun peut se révéler
rare. Sa mise en oeuvre, même déléguée,
peut être fort coûteuse. La coordination des actions, le
contrôle de leur mise en oeuvre et de la qualité de l'eau
produite, la protection de la ressource et la régulation de son
utilisation, la dynamique d'éducation à l'usage de l'eau
et les impératifs d'assainissement sont de sa responsabilité.
Il doit l'exercer, certainement pas en en étant le seul opérateur,
mais en exerçant pleinement ses prérogatives
d'animation, de pilotage, de coordination et de contrôle.
Les instances sanitaires, peu présentes, doivent être
impliquées comme instances indépendantes de suivi et de
contrôle et recevoir les moyens de cette indépendance.
Face aux bailleurs de fonds, il faut insister pour que la trilogie "
alimentation en eau potable, assainissement et éducation
sanitaire " soit rééquilibrée au profit des
deux derniers impératifs. Certains ont préconisé
que 30 % au minimum des ressources futures consacrées aux AEP
soient affectés à l'assainissement et à l'éducation
pour la santé.
Les acteurs locaux (individus, ONG, collectivités locales)
sont les relais incontournables de cette politique nationale, au plus
près des populations. Dotées des mêmes fonctions
de coordination, de pilotage, de contrôle et de régulation
que l'État, les collectivités locales doivent être
associées étroitement à la définition de
la politique nationale puisqu'elles en sont les maîtres d'oeuvre
au plan local. Une grande liberté doit être laissée
à ces acteurs locaux pour s'organiser et trouver les meilleurs
canaux de la concertation. C'est à eux que reviennent les rôles
si importants de sensibilisation, d'information, de formation et d'échanges.
6.
La discontinuité : une permanence ?
L'accès à l'eau en Afrique se traduit,
dans le quotidien du consommateur, par une série de ruptures :
ruptures dans l'approvisionnement et ruptures de charge.
Le réseau n'y échappe pas, les coupures d'eau sont régulièrement
dénoncées. Elles sont souvent le fait de la société
distributrice : faiblesse de l'approvisionnement, en particulier lors
des saisons sèches, pannes dans les stations de pompage et les
usines de traitement, ruptures de canalisations, ruptures dans la
fourniture de l'énergie nécessaire au pompage, au
traitement, à la distribution, etc. La contrainte du prix peut
entraîner aussi l'arrêt du service. L'incapacité du
client à payer la facture au moment de sa présentation
ou l'incapacité, souvent temporaire, de rassembler l'ensemble
de la somme due, entraînent ipso facto l'arrêt du service.
Ces coupures sont un des principaux arguments pour justifier l'intérêt
de la multiplication des sources d'approvisionnement et toutes les opérations
de réhabilitation. Or, en matière de santé
publique, il est avéré que chacune de ces ruptures est
potentiellement un facteur de risque de contamination : report sur une
autre source d'approvisionnement dont la qualité est mal connue
ou inconnue, manipulations au moment du prélèvement, du
transport, de la livraison, etc.
Il est peu vraisemblable que dans les années qui viennent, le
service de l'eau, quelles qu'en soient les modalités, acquière
cette continuité qui assure le maintien de la qualité de
départ, du producteur jusqu'au consommateur. Dans ces
conditions, en termes de santé, et puisque ces ruptures ne sont
pas à moyen terme évitables, il est essentiel que l'eau
de boisson soit potable au moment de l'ingestion.
A l'exception de l'utilisation directe du robinet dans le cas d'une
distribution à domicile par réseau, c'est l'eau conservée
pour la boisson qui doit être protégée ou traitée,
même s'il reste un risque non négligeable de
contamination au moment du prélèvement. Des moyens
simples de stérilisation ou de potabilisation de l'eau à
domicile existent, ils sont encore peu répandus en Afrique. Il
est à noter que la chloration de l'eau, qui est un système
efficace et qui a été prônée à
certains moments, ne reçoit pas l'attention et l'aide qui
permettraient l'extension de son usage encore trop peu répandu.
ENSEIGNEMENTS :
Les discontinuités dans le service doivent être
réduites le plus possible.
Un des thèmes principaux d'éducation sanitaire doit
porter sur le mode de prélèvement et de conservation de
l'eau.
La filtration et/ou la désinfection de l'eau de boisson préservant
sa qualité doivent être recherchées et promues
(cf. les postes d'eau potable développés par East ou les
filtres mis à disposition au Brésil, par exemple).
Tous systèmes de stérilisation de l'eau au stade ultime
avant l'ingestion doivent être encouragés (chloration en
particulier).
7. Le
double débat de la mesure
Deux points sont en débat :
- lintérêt de disposer danalyses des eaux
;
- la nature et les modalités de mise en uvre denquêtes
de santé.
7.1 Des analyses de leau :
pourquoi faire ?
Plusieurs actions en cours se sont dotées
d'analyses des eaux. Cette volonté semble relever d'un triple
souci :
1. Disposer d'éléments scientifiques
incontestables sur la qualité de l'eau des ressources
alternatives pour comprendre sur quels points il faudra agir pour protéger
la ressource et pour améliorer la qualité de l'eau ;
2. Créer la confiance dans le service de
l'eau en jouant d'une totale transparence vis-à-vis des
populations consommatrices. Cet objectif, essentiel pour certains,
s'impose d'autant plus que beaucoup de ces projets d'AEP alternatifs
sont montés à l'initiative d'associations de quartier.
Il faut noter que cette exigence est née, en partie, face à
l'opacité de l'information sur la qualité de l'eau du réseau
;
3. Se doter d'une légitimité.
Lorsqu'il y a projet d'AEP alternatif, la réaction des autorités
est généralement de mettre en doute la qualité de
l'eau distribuée. Une certaine défiance se manifeste
aussi sur la capacité des associations initiatrices à
surveiller en continu cette qualité, et à se doter des
moyens de ce contrôle. Curieusement, on voit peu, dans les
rapports, apparaître les instances sanitaires. Ce sont plutôt
les instances chargées de l'hydraulique (équipement, aménagement)
qui, en symbiose avec les sociétés distributrices,
tiennent ce discours.
Il n'est pas étonnant, alors, qu'un certain
nombre de projets tente de répondre à ce discours de
disqualification par des analyses scientifiques de la qualité
de l'eau produite. Allant plus loin, certains projets font analyser
l'eau du réseau, tentant ainsi de démontrer que l'eau
qu'ils produisent est de qualité au moins égale, sinon
supérieure, à celle du réseau.
Cette légitimation recherchée s'inscrit peut-être,
aussi, au coeur de la question que pose le développement de ces
pratiques alternatives au réseau. Dans l'esprit du plus grand
nombre des responsables, le postulat actuel est bien qu'à long
terme la seule solution, fiable au plan sanitaire, est l'adduction
d'eau par réseau.
Qu'adviendrait-il s'il s'avère qu'à long terme le réseau
ne desservira jamais qu'une partie minoritaire des populations ? S'il
s'avère qu'à long terme les systèmes alternatifs
(promus par ce programme) couvrent l'approvisionnement d'une partie
importante de la population ?
Qui doit, alors, donner son label de qualité à la
ressource quelle que soit son origine ? Aujourd'hui, la lourde tâche
de la " preuve " n'est-elle pas exigée des seules
associations ? La plupart sont fort démunies ; mais on voit
bien aussi, au nombre de projets qui font pratiquer des analyses, que
le message est passé. Certains projets tentent même de se
doter d'un laboratoire d'analyses !
Certes, on pourrait arguer que c'est à ceux qui cherchent à
démontrer l'intérêt des autres sources
d'approvisionnement à apporter la " preuve ", au
moins de leur innocuité. Dans ce domaine comme dans tant
d'autres, la puissance publique connaît là une de ses
plus fortes ambiguïtés. Elle est très liée
aux sociétés distributrices, encore très souvent
publiques ou parapubliques. Elle les soutient tout à la fois :
au nom d'une exigence de service public généralisé,
ou ayant vocation à l'être ; l'État ne se doit-il
pas d'assurer à tous l'accès à l'eau potable ?
au nom de la recherche d'un équilibre financier rendu
des plus difficiles par l'imposition de prix de cession de l'eau, des
lourds investissements à faire, de l'insuffisance des recettes
et de la difficulté à les faire rentrer.
Et c'est ainsi que le monopole de production et de distribution paraît
s'imposer à la puissance publique comme la solution à
ces difficultés. Dès lors, la puissance publique
n'exerce plus sa fonction régalienne de contrôle de la
qualité ou, alors, de façon très partiale en
exigeant des projets alternatifs ce qu'elle n'ose plus exiger de sa
société nationale. Il est significatif que, dans de
nombreux cas, le contrôle de qualité de l'eau produite
soit délégué à la société
distributrice.
Inversement, une disqualification de l'eau du réseau ne présente-t-elle
pas un sérieux risque de déstabilisation de la représentation
acquise ?
Ces questions renvoient aussitôt à deux
séries de débats :
la nature de l'analyse : ce qui est mesuré et son
rapport à la norme ;
l'usage de la mesure : qu'en faire ? En direction de qui ?
Quelles informations ? Sous quelles formes ? Éventuellement,
quelles injonctions ?
Quasiment toutes les analyses portent sur les
indicateurs de contamination que sont les coliformes et les
streptocoques fécaux. Il faut rappeler que ce ne sont que des
indicateurs et qu'il n'y a pas de relation simple entre l'ingestion
d'une eau contaminée et le développement de pathologies.
En effet interviennent, notamment, la virulence plus ou moins grande
des germes pathogènes associés et la variabilité
de résistance des individus.
Le débat a porté alors sur l'attitude à avoir
vis-à-vis des directives de l'OMS : une eau potable ne doit
contenir aucun coliforme ni streptocoque fécal. L'accord s'est
rapidement fait sur l'intangibilité de cette norme. Elle doit être
recherchée et obtenue en particulier lors de la mise en service
de nouveaux forages ou captations.
La question se pose différemment lorsque l'action vise à
réhabiliter des points d'eau (essentiellement des captages de
sources) largement utilisés par des populations qui, pour
diverses raisons, n'ont pas accès au réseau (zone non
desservie, éloignement par rapport au point d'eau du réseau,
coût de l'eau du réseau, etc.).
Sans nier l'intérêt et l'importance des directives qui
doivent rester la référence, il est proposé, pour
évaluer et suivre la qualité des différentes
ressources, d'établir une échelle de contamination qui
permettrait de définir des plages de qualité décroissante.
Pour chaque plage, en fonction de son degré de contamination,
est alors recommandé un type de mesures soit de protection,
soit de surveillance, soit une intervention de divers types, voire une
interdiction.
Cette proposition, toute de pragmatisme, pourrait être comprise
comme une tentative (ou une tentation) de relativiser ce qui est
considéré comme " la norme ". Ce qu'elle n'est
pas dans l'esprit de son auteur puisque au lieu de la nier ou de la
relativiser, il s'agit de se donner les moyens de l'atteindre.
Qu'en penser toutefois ? " La norme " ne peut-elle être
qu'un objectif lointain ? Une exigence à long terme ? Comment
se donner les moyens de cette recherche permanente et continue de la
qualité ? Qui, alors, sera le porteur de cette exigence : les
seules associations, des sociétés privées incontrôlées,
un État démissionnaire ? Dans cet espace où le
service public devient privé, quelle instance de contrôle,
quels pouvoirs, où sont les moyens de l'indépendance ?
Certains ont rappelé que " la norme " n'est qu'une réponse
dite " scientifique " aux inquiétudes d'une
population qui accepte que se construise ainsi l'échelle des
risques qu'elle admet de côtoyer.
La connaissance du risque, par les résultats des analyses,
cette " connaissance scientifique " est-elle le moyen, le "
bon " moyen, un des moyens, de créer une conscientisation
active ? à quand des associations agissantes de consommateurs ?
Et puis, si elle se relativise, quelle " norme " à
opposer aux producteurs ? La même quel que soit le producteur :
la puissante société nationale, la municipalité
sans moyens, l'association qui réhabilite, etc. ? Pour que
cette exigence s'impose, peut-on être à la fois
producteur et consommateur ? Comment alors gérer cette exigence
?
La plupart des chercheurs et techniciens, partisans de faire connaître
les résultats des analyses, sont d'accord pour reconnaître
que ces résultats ne peuvent être livrés tels
quels. Certains sont partisans d'en réserver la teneur aux
responsables du projet, d'autres militent pour une information des
consommateurs. Dans l'un comme dans l'autre cas, la nature du
commentaire qui paraît toujours devoir accompagner les résultats
doit être soigneusement réfléchie : faut-il s'arrêter
au simple constat de l'état de la ressource ? Se servir des résultats
seulement pour les rendre opposables aux critiques extérieures
?
Quelles réactions peuvent avoir des populations à qui
l'on apprend, fût-ce avec précaution, que l'eau qu'elles
boivent est contaminée ? Orienter les consommateurs vers
certaines ressources peut être utile et même nécessaire,
mais cela suffit-il ?
Pour enclencher un processus plus positif, ne se doit-on pas de
mettre en place un véritable système de contrôles
réguliers de la qualité ? On comprend alors le souci de
certains de créer un laboratoire d'analyses.
Un suivi régulier ne permettrait-il pas de mesurer des
dynamiques, gratifiantes quand elles justifient les efforts faits pour
améliorer la qualité, ou signal d'alerte quand la qualité
se dégrade ? Il faudrait alors que les commanditaires et les
bailleurs de fonds de ces projets en prévoient le financement
de départ, mais aussi à long terme.
Nous retrouvons là le problème déjà évoqué
: comment monter un système de contrôle fiable et indépendant
des pressions de tous ordres ? Comment en financer son fonctionnement
pérenne ? Une fois encore, le mode de financement par projet ne
se révèle-t-il pas inadéquat ?
7.2 La piste difficile des états
de santé
Nous avons déjà dit à quel
point les outils de mesure de l'état de santé d'une
population étaient peu opérationnels sur de courtes périodes.
Les enquêtes faites ont été de
deux types : celles portant sur la fréquence de survenue de
symptomatologies de type diarrhéique " affectant " un
individu (maux de ventre, les diarrhées, accompagnées ou
non de nausées, de vomissements et même les dysenteries)
et celles tentant de mettre en relation cet événement et
l'infestation par un agent pathogène.
Dans les enquêtes du premier type, on note l'apparition de
symptômes sans pouvoir en déterminer les causes. Or, ces
symptômes peuvent être déclenchés par un
grand nombre de causes, infectieuses ou non. Si l'eau est un vecteur
de germes infectieux, elle n'est pas la seule, loin de là.
Nous avions déjà signalé l'ingestion d'aliments
souillés, directement ou lors de la préparation, cuisson
insuffisante en particulier, mais aussi, hors de la chaîne
alimentaire, l'atteinte par contact direct avec des sujets infestés,
malades ou porteurs sains, ou par contact accidentel avec leurs déjections,
par autoréinfestation ou par contact et pénétration
transcutanée avec des sols ou de l'eau souillée, etc. Il
semble bien que, chez les jeunes enfants, le mode de contamination
direct soit de loin le plus important.
La plupart de ces enquêtes sont faites sous la forme d'un
questionnaire administré par un enquêteur. Malgré
le soin apporté par l'enquêteur, de nombreux biais ont pu
intervenir (confusion sur les symptômes, exacte réalité
de l'événement relevé, etc.). Cela souligne la nécessité
de travailler avec des professionnels en épidémiologie
afin de ne pas " bricoler des enquêtes " qui seraient
ensuite inexploitables.
Dans la plupart des cas, les conditions locales ne permettent pas de
mener un travail épidémiologique avec toute la rigueur nécessaire
: manque de moyens, enquêteurs généralement sans
formation médicale, trop faibles effectifs enquêtés,
difficulté de trouver des groupes témoins, etc. Pour
prendre un exemple relevé, les nourrissons (moins de trois ans)
ont été inclus dans le groupe des enfants ; or leurs
diarrhées, les plus graves car pouvant être mortelles, ne
sont que très rarement dues à l'ingestion d'eau (sauf
alimentation au biberon encore peu répandue). Ces enquêtes
présentent, au mieux, les prévalences des infections
diarrhéiques.
Les enquêtes du second type sont déjà plus riches
en informations. Les analyses de selles qui les accompagnent peuvent
permettre de mettre en évidence une contamination d'origine fécale,
voire certains agents infectieux.
Des examens bactériologiques et parasitologiques ont été
menés, mais aucun examen virologique n'a été fait
(protocoles extrêmement lourds pour mener ces trois types de
recherches). En fait, ces recherches sont menées non pour déterminer
un " état de santé ", mais pour établir
un diagnostic de maladie.
En Afrique, peu de laboratoires sont équipés pour mener
ces trois types de recherches, très onéreuses par
ailleurs. D'autre part, ces laboratoires de diagnostic ne peuvent répondre
à la demande d'un grand nombre d'analyses (très grandes
difficultés pour l'équipe de l'AR 6 de mener à
bien ces analyses malgré la présence d'un laboratoire).
Les résultats de l'équipe de l'AR 6 sont toutefois intéressants.
Seul un tiers des échantillons recèle la présence
de bactéries ou de parasites. De très loin, ce sont les
parasitoses qui prédominent (33 % des échantillons
contre 3 % infectés par des bactéries) ; mais nous ne
savons rien sur les infections virales. Une partie importante de ces
parasitoses se transmet aussi par contact direct. C'est même
probablement le mode de transmission essentiel, dans le cas de
populations enfantines.
Les résultats de ces deux types d'enquêtes
ne permettent pas, pas plus que les analyses d'eaux, de mettre en
relation univoque une opération d'adduction d'eau et un " état
de santé " approché, au mieux, par la mise en évidence
d'infections gastro-intestinales pour l'essentiel sur des populations
d'enfants.
Quels indicateurs utiliser alors ?
Dans le contexte étudié, nous avons vu
que c'est le changement des comportements qui semble le plus entraîner
un mieux en terme de santé. Dès lors, ne serait-il pas
utile de chercher à mesurer ce changement des pratiques d'hygiène
? Avons-nous les instruments conceptuels nécessaires ? Les méthodologies
?
Au lieu de rechercher la preuve, introuvable, de l'impact sur la santé
d'une opération d'AEP, ne serait-il pas judicieux au départ
de toute opération, en étroite relation avec les
desiderata de la population, de se fixer un objectif de réduction
d'un risque plutôt qu'un objectif de santé ?
Si nous n'avons pas précisé " opération
d'AEP ", c'est que nous sommes convaincus qu'un objectif d'amélioration
de la santé ne peut être atteint qu'en mettant en oeuvre
le triptyque " assainissement, AEP, éducation sanitaire ".
Le résultat ne sera pas d'ailleurs forcément acquis.
Dans ce laps de temps, d'autres cofacteurs importants pourraient
intervenir dans un sens inverse, par exemple une dégradation de
l'alimentation, en quantité ou en qualité. Pendant cette
période, une campagne de vaccination contre la fièvre
typhoïde aurait, elle, un effet positif. Il faut là se
rappeler que la plus ou moins grande résistance des individus dépend,
aussi, d'autres facteurs que de la seule virulence des germes pathogènes.
Si une opération associant assainissement, AEP et éducation
sanitaire est mise en place, on peut alors se donner les moyens de vérifier
que l'objectif de réduction du risque que l'on s'est fixé
au départ est atteint. Toutefois, ce bilan, en termes de réduction
de risque, ne saurait se substituer au bilan de l'opération
qui, elle, se mesure en termes de comportements et de pratiques définitivement
acquises, de réalisations effectivement faites et utilisées
: latrines, enlèvement des ordures, postes d'eau potable, etc.
Dans les cas d'opérations de tous ordres où un objectif
de santé publique est clairement lobjet de l'opération
(exemple : une campagne vaccinale), les moyens adéquats sont
recherchés pour atteindre l'objectif. Ils dépendent de
l'objectif et non l'inverse, car si l'intention de santé
publique est floue, les moyens ne sont pas " calibrés "
pour l'atteindre, les objectifs sont en réalité autres
et l'adéquation entre les résultats acquis et
l'intention de santé est très difficile, sinon
impossible, à démontrer.
En revanche on pourrait se fixer, en simple accompagnement des
objectifs du projet, un objectif de réduction de risque. Le
risque de contamination fécale pourrait alors effectivement, à
juste titre, être affiché. N'est-ce pas en convaincant la
population de se mobiliser autour de cet objectif de réduction
du risque qu'on met de son côté les meilleures chances de
résultat ?
Les règles strictes de l'enquête épidémiologique
doivent alors être respectées et l'on doit en cela faire
appel à des professionnels. Il va de soi que l'objectif de réduction
du risque devra être défini en fonction du contexte épidémiologique
local. Dès lors, les indicateurs devront être définis
en conséquence. Ces indicateurs devraient être suivis par
une cellule réunissant les différents acteurs locaux et
nationaux afin que ces enquêtes soient pertinentes localement et
incluses dans une stratégie globale d'évaluation. |