Synthèse

Axe n°3 : Impact des conditions d’alimentation en eau potable et d’assainissement sur la santé publique

Synthèse des acquis du programme pour l’axe 3 réalisée par Jean-Paul Duchemin (IFU) et Marie-France Couillot (Médecine, Paris VIII), avec les contributions de Cheikh Touré (CREPA) et Pascal Revault (GRDR)


  1. Introduction
  2. Le rapport à l’eau : un élément fondamental des cultures
  3. L’eau du réseau : une acquisition récente des cultures africaines
  4. L’hygiène : une lente capitalisation croisée des discours et des modèles
  5. L’assainissement : le petit cousin pauvre invité à la fontaine
  6. La discontinuité : une permanence ?
  7. Le double débat de la mesure
    1. Des analyses de l’eau : pourquoi faire ?
    2. La piste difficile des états de santé

    » Rapports concernés par cette synthèse



1.    Introduction

Cette question récurrente est fondée sur l'hypothétique relation étroite entre la fourniture d'eau potable et l'amélioration de la santé. Mises à part quelques études qui corrèlent certains aspects spécifiques comme la régression de la dracunculose et la fourniture d'eau saine, peu d'études, en situation réelle, ont pu scientifiquement démontrer cette relation et en particulier mesurer précisément les effets de l'une sur l'autre.

Trois remarques peuvent être faites :

  1. La proposition inverse, c'est-à-dire : " la détérioration de l'état de santé liée à une rupture de l'approvisionnement en eau potable " est, elle, hélas souvent illustrée. La réalité brutale de certaines situations exceptionnelles, d'origine écologique ou humaine, qui rend impossible l'accès à une eau potable est en faveur de cette relation (le Bangladesh qui connaît périodiquement des inondations catastrophiques ou le Sud de l'Irak victime de la guerre).
    Tant les nombreux reportages que les données cliniques rassemblées ont fait la preuve de la dégradation de l'état de santé des populations concernées et tout particulièrement de ses composantes les plus fragiles : les enfants et les vieillards. Les maladies hydriques ont pris, alors, une part importante dans l'augmentation de la mortalité qu'ont connue ces populations.
    Cet aphorisme : " la pollution de l'eau a des conséquences sérieuses sur l'état de santé " est donc démontré et admis de tous.

  2. L'inversion de cette proposition, sous la forme : " la santé dépend de la fourniture d'eau potable ", est très souvent pratiquée. Même si elle est utilisée avec les meilleures intentions du monde, elle apparaît bien comme un sophisme. Il s'agit d'une extension du sens dont le fondement scientifique est, effectivement, rarement établi. Même si Snow dès 1885 a démontré que la modification du traitement de l'eau à Londres était corrélé à une diminution des décès dû au choléra, il reste à préciser, avant de généraliser ce constat, ce qu'était cette corrélation et en quoi elle pourrait être répliquée dans d'autres contextes. Quand on sait que l'absence d'eau potable est généralement assez bien corrélée avec la pauvreté, il est aisé de comprendre la difficulté d'une démonstration du lien eau-santé.
    Alors que les spécialistes s'accordent sur le grand nombre de facteurs qui interviennent dans l'état de santé d'une population et la complexité de leurs interrelations, la nécessité du comparatif a imposé des outils de mesure relativement " grossiers " que sont les indicateurs de santé tels que l'espérance de vie, la mortalité infantile, etc. Or, ils sont la mesure d'un bilan à un moment donné. Les épidémiologistes différencient des indicateurs de l'état de santé (par exemple la prévalence qui mesure le nombre de malades atteints par une maladie à un moment donné) et les déterminants de l'état de santé (par exemple l'environnement physique lié à des agents chimiques et/ou biologiques). L'association entre indicateurs de l'état de santé et ses déterminants permet d'approcher les risques qui sont la probabilité d'apparition d'un événement fâcheux (maladie entre autres) lié à des facteurs de risque, dont le risque hydrique dans notre cas.

  3. L'aphorisme premier contient deux termes : " pollution de l'eau " et " état de santé ".
    Se posent alors des problèmes touchant à la définition des termes et aux outils de mesure. Si la définition de la pollution de l'eau ne pose plus de problème sémantique, il n'en va pas de même pour la définition de " l'état de santé ".

Aujourd'hui, les méthodologies pour l'analyse des eaux sont solidement établies, même si le raffinement des méthodes actuelles exige des équipements qui ne sont pas toujours à la portée des collectivités des PED. Quelques pistes de définition d'analyses simples et peu coûteuses à mettre en oeuvre tout en restant fiables sont d'ailleurs fournies par les rapports. Le débat porte autant sur la nécessité et les modalités de la mesure que sur l'intérêt et l'utilisation de l'information. La fiabilité des résultats ne saurait être un objectif unique. L'efficience de cette information reste une question ouverte. Cela montre bien dans l'élaboration de la recherche l'importance de bien préciser au départ quelles sont les questions auxquelles devra répondre l'enquête, avec qui elle sera conduite et pour qui.La définition de l'état de santé d'une population s'apparente, elle, à la quadrature du cercle. Ainsi, la définition de l'OMS : " la santé est un état complet de bien-être physique, mental et social et non seulement l'absence de maladie " paraît peu opératoire ; elle ne définit pas des normes mais un objectif à atteindre. Cette définition reprend d'ailleurs le constat, fait antérieurement, des limites d'une définition " inverse " : l'absence de maladie. Les problèmes de santé latents non diagnostiqués, non ressentis ou ne faisant pas l'objet de demande, l'accumulation des pathologies, etc., rendent l'exercice particulièrement difficile.
Si la définition " en soi " d'une eau potable est possible, l'état de santé d'une population est approché, lui, en termes de comparaison : d'un groupe à l'autre, d'une population à une autre. Il n'y a ni mètre étalon, ni norme dans ce domaine.
Ces outils de comparaison ont, certes, l'avantage d'être simples à établir, à condition bien sûr de disposer de statistiques de population et de santé fiables. Mortalité, mortalité infantile, espérance de vie, pyramide des âges, etc., concourent à présenter l'état d'une population. Mais, nous l'avons vu, la mesure du bilan ne renseigne pas sur les raisons de ce bilan.
A ce titre, les indicateurs les plus intéressants nécessitent une série de mesures au cours d'un temps long. Dès lors, la mesure des effets d'une AEP (adduction d'eau potable) ne peut être obtenue par ces indicateurs qu'à très long terme et il apparaît très difficile de l'isoler des autres facteurs d'amélioration de l'état de santé.

Le débat porte également sur l'importance d'associer les acteurs et responsables locaux pour la définition des niveaux d'intervention de chacun au sein d'une cellule de suivi et même d'un conseil scientifique. Le rôle de cette cellule de suivi serait :

  • de chercher à résoudre les difficultés posées par la recherche ;
  • de discuter des modifications éventuelles ;
  • d'interpréter les résultats ;
  • de passer à la phase opérationnelle : utilisation pratique des résultats (décision quant à l'utilisation de l'eau, modification des comportements).

Les acquis qui ressortent sont plus souvent une confirmation raisonnée de connaissances antérieures que des apports vraiment originaux. Quelques acquis émergent toutefois et font l'objet des chapitres suivants.


2.    Le rapport à l’eau : un élément fondamental des cultures

Plusieurs des rapports mettent en évidence à quel point l'eau n'est pas un objet neutre. La place, le rôle de l'eau, ses usages, sont des éléments constitutifs des cultures.
Les " dires " relevés par les chercheurs prennent la forme d'allégations, d'affirmations, de jugements. Presque toujours, il est fait référence non pas tant à une connaissance empirique (qui est une forme de connaissance scientifique : " il est connu que telle eau rend malade "), qu'à une donnée inscrite dans un passé plus ou moins lointain. S'ils sont énoncés, ces éléments de discours " populaire " ne connaissent que rarement une justification réellement scientifique. En effet, ils relèvent d'une autre légitimité : celle d'une culture héritée de l'histoire. Partie intégrante et importante du stock de savoirs et de significations de la collectivité, profondément enfoui dans le substrat culturel, ce savoir ne peut être analysé et décodé que par la mise en oeuvre d'un regard extérieur (ici l'anthropologue).
Une analyse fine de la place de l'eau dans la culture donnée importe moins que la bonne compréhension des résultantes de ce savoir dans les usages de l'eau et des " contraintes " qui pèsent sur le consommateur mais, inversement aussi, des libertés dont il disposera vis-à-vis d'une AEP. Quand cela est possible les ressources en eau sont utilisées en fonction des propriétés qui leur sont attribuées.
Ce savoir se traduit surtout par deux discours : les propriétés de l'eau et son goût. Les propriétés attribuées à l'eau sont de trois ordres : le " guérir ", le " laver ", le " boire ". Des distinctions internes précisent, souvent très finement, l'usage de la ressource.

1. Toutes les eaux n'agissent pas, ne " soignent " pas et celles qui " soignent " ne soignent pas tout. L'usage en est donc bien spécifique. Même s'il serait judicieux de s'assurer, pour le moins, de l'innocuité de cette eau, la consommation, pour cet objectif de guérison, est de faible ampleur. Sauf exception d'un usage exclusif, ou très fortement prioritaire, en tant qu'eau de boisson, cette consommation est négligeable face au projet d'AEP.

2. Lavage des corps, des aliments, des ustensiles de cuisine, du linge, des sols, tous usages différents pouvant se satisfaire, ou exiger, des qualités spécifiques. Selon le plus ou moins grand éventail des sources d'approvisionnement, leur usage va se différencier.
La consommation importante générée par ces activités conduit à la recherche d'un accès de proximité et de la gratuité. L'eau du réseau se trouve souvent disqualifiée autant par son coût que par ses qualités ou plutôt son absence de qualité : " elle ne mousse pas en présence de savon et une eau qui ne mousse pas ne lave pas ". En revanche, curieusement, elle sera utilisée pour le lavage des ustensiles de cuisine plus que pour celui des aliments.

3. Faire boire le sol, les animaux ou les hommes, là aussi, ne demande pas les mêmes propriétés.
Pour irriguer, il est rarement, ou jamais, exigé une qualité particulière ; les eaux les plus " déconsidérées " peuvent être utilisées. Déjà pour l'abreuvement du bétail, l'exigence est différente et proportionnelle à l'importance symbolique et/ou économique du troupeau. Dans les régions de pastoralisme, face à la ressource, les populations d'éleveurs ont leurs échelles de qualité. Certains points d'abreuvement, dits " modernes ", se sont ainsi trouvés disqualifiés.
Pour l'alimentation humaine, certaines eaux sont connotées comme " bonnes à boire ", d'autres sont non buvables. Ces " labels de qualité " n'ont que rarement à voir avec une détermination scientifique de la potabilité de l'eau. La référence est à l'histoire de la ressource. Cette " qualité " n'est d'ailleurs pas un acquis éternel. Un accident, un événement, un acte, réel ou imaginaire d'ailleurs, peuvent se traduire par une souillure, qui, elle aussi, peut être réelle ou imaginaire. Lorsque cette souillure survient, la ressource peut être alors déclassée, elle devient impropre à la consommation humaine.
Les qualités attendues d'une eau " bonne à boire " sont rarement explicitées à l'exception peut-être de la clarté et de la fraîcheur. Une eau trouble est regardée avec méfiance comme si la potabilité était reconnue par transparence. Dans la plupart des civilisations dont la nôtre, l'ingestion représente le passage de la dernière barrière, celle du corps, entre " le dehors " lieu de tous les dangers et des agressions éventuelles et " le dedans " lieu du moi dont l'intégrité est à protéger. Il faut voir ce que l'on mange ou l'on boit. La volonté de supprimer la turbidité se traduit par des procédures de filtrage. C'est bien l'indice que le contenu doit être " visible ".

Ces thèmes : " filtrer ", " apurer " devraient pouvoir être des substrats à des messages de santé.
Une bonne connaissance des pratiques et la volonté de s'appuyer sur elles doit constituer le discours hygiéniste. Il faut mieux appréhender les difficultés sociales qui peuvent être générées par les nouveaux aménagements des points d'eau. Dans des civilisations où la maladie est souvent interprétée comme le résultat d'une agression de l'ordre de l'invisible, la destruction de cet invisible dans l'eau pourrait être utilisée dans un message d'animation sanitaire. Ceci est déjà expérimenté avec des succès pour le moins mitigés, mais est-ce la référence à l'invisible ou d'autres facteurs qui rend si difficile la modification de l'appréhension de la qualité de l'eau ?

De même pour la fraîcheur, les pratiques que sa recherche induit : mise à l'ombre, couverture du réceptacle, réceptacle particulier réservé à l'eau de boisson, canaris de terre, gargoulette ailleurs, renouvellement rapide, peuvent être le support d'un discours visant à l'amélioration de la conservation dans le cadre des conditions locales.

Enfin, dans les eaux " bonnes à boire " le goût intervient alors. L'exemple est bien connu où, comme eau de boisson, l'eau du marigot proche est préférée à l'eau du puits creusé au village par le projet de développement pour fournir de l'eau potable.

ENSEIGNEMENTS :

Que ce soit lors d'un projet d'AEP ou dans le cadre d'une opération de réhabilitation de points d'eau, l'ensemble des considérations précédentes nous conduit à insister sur :
— la multiplicité des sources d'approvisionnement, à la fois source de contraintes et de liberté de choix ;
— la connaissance des représentations, des attitudes et des pratiques autour de l'eau ;
— la connaissance des usages des différentes ressources et des contraintes qui en découlent ;
— la construction d'un discours de santé en s'appuyant sur les pratiques, en les valorisant et en les faisant évoluer ;
— l'usage des représentations et des attentes pour asseoir les messages de santé autour de la distribution d'eau potable.

Le recours à l'anthropologie ne doit pas conduire à imaginer que la modernité arrivant avec l'eau du réseau, celle-ci deviendra un objet dont l'ingestion sera neutre. En France, il n'y a pas encore si longtemps, l'eau de la fontaine ou de la source faisait l'objet d'un déplacement car préférée comme eau de boisson à celle du robinet. On connaît le poids du lobby des établissements de cures thermales, " l'eau qui soigne " y doit être ingérée dans un rituel précis et quasi religieux. L'importante consommation en France d'eau dite minérale ou de source réfère aux mêmes archétypes de représentation. Là aussi, la science n'a pas sa part, ni dans les raisons du choix du consommateur, ni dans les arguments de vente du producteur. Un regard porté sur les clips publicitaires de ces eaux est éclairant : du filtre naturel des granits d'Auvergne à la nature inviolée des montagnes des Alpes. Ceci ne va pas sans une certaine " déconsidération " à l'égard de l'eau du réseau quelle que soit d'ailleurs son origine.
Mais les cultures sont en perpétuel mouvement, s'appropriant de nouveaux comportements, de nouvelles représentations venus d'ailleurs. C'est le second acquis dont il faut souligner l'importance.


3.    L’eau du réseau : une acquisition récente des cultures africaines

L'eau du réseau est intégrée aujourd'hui dans les représentations et les comportements.
Elle bénéficie d'un plus, remarquable, qui dénote un changement fondamental dans l'appréciation de la qualité de l'eau : elle n'est plus seulement " bonne à boire ", elle est " potable ". L'irruption dans le champ sémantique de ce terme apparaît comme un atout maître pour les actions de santé publique. D'une appréciation négative : une eau " bonne à boire " n'est pas dangereuse, on est passé, pour l'eau du réseau, à une appréciation positive. Dans les représentations, elle est beaucoup plus qu'une eau dépourvue de germes dangereux, elle est l'eau qui empêche la maladie : " si on en boit, on n'est pas malade ".
Si cette nouvelle ressource s'insère dans l'éventail des sources d'approvisionnement, elle bénéficie d'un statut tout à fait à part. C'est cette " aura " qui, plus que d'autres raisons, conduit au départ les habitants à accepter de la payer. Même si le détenteur d'un point d'eau naturel (puits, source, rivière, lac, etc.) émet des règles de puisement (quantité, modalités) - qui, non respectées, peuvent se traduire par une exclusion - il ne peut décemment refuser une demande.
Le détenteur d'un branchement sur le réseau peut en revanche s'en réserver l'usage, l'ouvrir à ses proches et plus largement sa clientèle patricienne ou même s'instituer revendeur de l'eau du réseau, sans que la légitimité de son comportement soit mise en cause. Il y a bien appropriation de la ressource, appropriation liée à sa " qualité " plus subjective que mesurée.

ENSEIGNEMENTS :

C'est la potabilité de l'eau qui lui donne sa valeur marchande, mais, plus encore, c'est sa valeur pour la vie qui entraîne compétition entre les acteurs pour la maîtrise de sa gestion.
Le maintien de la " qualité " de l'eau du réseau apparaît comme primordial. La potabilité est, certes, l'élément incontournable à maintenir dans une optique de santé publique ; mais, au niveau des représentations populaires, d'autres caractéristiques concourent au maintien de cette aura : la limpidité, la fraîcheur.
Plusieurs exemples sont donnés de déconsidération de l'eau du réseau, présence de débris végétaux, de terre, de particules de rouille, ou de turbidité. Les caractéristiques " annexes ", la fraîcheur mais surtout la limpidité, ont donc toute leur importance.


4.    L’hygiène : une lente capitalisation croisée des discours et des modèles

L'animation sanitaire, même si elle manque souvent de perspective à long terme, est une des activités permanentes des services de santé. Elle développe des thèmes divers : propreté du point d'eau, évacuation des ordures ménagères, des eaux usées, latrines, usage de l'eau dans la concession, conservation de l'eau à boire, etc. Les publics auxquels elle s'adresse sont, eux-mêmes, multiples : enfants à travers l'école, femmes dans les associations, populations entières lors des grandes campagnes, etc. Elle est déclinée sous toutes les formes : éducation à l'école, dans les PMI et les structures sanitaires, accompagnement de projets d'AEP ou d'assainissement, grandes campagnes, etc. à l'issue de longues années, la prise de conscience des dangers liés au manque d'hygiène est réelle, en particulier chez les femmes.
En matière de santé, même si elle est peu souvent construite sur une culture scientifique maîtrisée (mais où l'est-elle ?), la relation entre le " sale " et la maladie, ou tout au moins le risque, est faite. Ce " savoir " s'est construit à partir de l'accumulation des messages mais aussi des observations empiriques. Aujourd'hui, c'est de " savoir-faire " que les populations ont le plus besoin. Contrairement aux " savoirs " qui s'enseignent, les " savoir-faire " supposent expérimentation et démonstration.
Même si l'animation sanitaire, parent pauvre, sert souvent paradoxalement à justifier de l'intérêt d'un projet, la modeste taille des actions qui en relèvent et leur lisibilité incertaine les inscrivent mal dans les grands financements nationaux et internationaux. Ces actions, impérativement au plus près de populations, trouvent actuellement le relais des associations.
On a assisté en une génération, en Europe, à un changement. Le nouveau modèle de vie et de valeurs ainsi que l'image du corps et de sa santé qui ont émergé par l'intermédiaire des médias (valorisation de la jeunesse, corps sain, sports de loisirs de la nature et de la mer, etc.) a eu autant d'importance, sinon plus, que les très nombreuses campagnes anti-tabac ou celles visant à limiter la consommation d'alcool. Ne parle-t-on pas d'ailleurs " d'hygiène de vie " ?
Il apparaît bien difficile de mesurer l'impact réel d'une campagne d'animation sanitaire. Qu'est-ce qui est dû à la campagne ? Aux changements de comportements liés à des modèles dont on voit dans un grand nombre de cas qu'ils sont parentaux et/ou liés à une acquisition de revenus et de biens culturels ? Est-ce que l'abandon dans notre pays de cet enseignement tient à ce que l'hygiène est considérée comme définitivement acquise ? Ou bien, plutôt, qu'il appartient à la sphère familiale d'en imposer les pratiques ?
Bien plus que des savoirs, il faudrait mesurer l'impact des savoir-faire sous l'angle des pratiques réelles et ceci de façon continue. Le lavage des mains est un exemple : les enfants en connaissent ou en ont connu l’intérêt, mais combien le pratiquent d'eux-mêmes couramment ? Toutefois, des animations sanitaires plus ponctuelles mais qui cherchent, de façon très pragmatique, à modifier les comportements, en particulier en développant des outils ou des objets porteurs de changement, peuvent être évaluées par le degré d'extension de ces pratiques et outils.

ENSEIGNEMENTS :

L'animation sanitaire doit être menée en permanence vers les cibles les plus susceptibles d'intégrer ses messages. Elle doit faire appel à des analyses transactionnelles et être menée différemment pour chaque groupe-cible considéré tout en s'inscrivant dans une stratégie d'ensemble.
L'impact de cette animation ne peut se mesurer que sur le long terme par les pratiques acquises et mises en oeuvre en continu, la modification des demandes d'accès à une eau saine, et non sur l'acquisition des connaissances.


5.    L’assainissement : le petit cousin pauvre invité à la fontaine

L'assainissement est bien le parent pauvre à un double titre :
— sur l'ensemble des réponses à l'appel à recherches retenues, seule l'une d'entre elles s'est focalisée sur ce sujet ;
— comme l'éducation sanitaire, l'assainissement est une annexe des projets. On insistera sur la propreté autour des points d'eau, en particulier lors des projets de réhabilitation. On indiquera le nécessaire éloignement des latrines, etc.

Or, toute les analyses réalisées démontrent que la contamination fécale est le problème rencontré. Les autres pollutions, de nature chimique, paraissent a priori peu présentes.
Les analyses de selles pratiquées apportent une série d'enseignements :
— des contaminations essentiellement d'origine fécale semblent responsables d'un certain nombre de symptômes pathologiques, notamment chez les enfants ;
— la contamination humaine peut subvenir de multiples façons : non seulement par ingestion d'eau contaminée mais aussi ingestion d'aliments souillés, directement ou lors de la préparation, notamment par l'eau de lavage, mais aussi hors de la chaîne alimentaire ;
— dès lors, il est quasiment impossible d'établir un lien direct entre l'approvisionnement en eau et les manifestations morbides et, a fortiori, de mesurer la part due à l'eau face aux multiples autres modes de contamination.

Ces considérations démontrent, s'il en était besoin, qu'en termes de santé publique, ce sont les actions visant l'assainissement des lieux de vie qui sont la première urgence. Comme pour l'éducation sanitaire, l'action doit être continue. Là aussi, c'est une culture de la propreté à faire naître et elle se construit par une sédimentation des messages et surtout des actions.
Toute politique d'assainissement demande aussi des moyens. Or, il y a en général peu de financements consacrés à ce thème. Comme si les bailleurs de fonds hésitaient à financer des actions forcément peu visibles car souvent de petite taille, dont la mesure de l'impact sur la santé est particulièrement difficile et dont le retour sur investissement est nul.
La demande en matière d'assainissement est forte, les populations sont prêtes à y consacrer des moyens, y compris monétaires, pour peu que le résultat soit tangible et durable. Cet impératif impose une étroite participation des populations, méfiantes car trop souvent déçues.

ENSEIGNEMENTS :

L'assainissement est de toute première importance pour la santé publique. Comme l'éducation sanitaire, cette action doit être menée avec constance, permanence et avec des moyens.
L'assainissement doit être conduit en symbiose étroite avec la demande et les attentes des populations, même si elles ne sont pas toujours clairement formulées. Les travaux d'anthropologie sur les thèmes du " propre " et du " sale " en Afrique, s'ils existent (Alain Epelbouin chez les pygmées par exemple), sont encore rares et devraient être encouragés.
Les associations, proches des populations, sont capables de les mobiliser et sont aptes à mettre en oeuvre des projets visibles et modestes. Les bailleurs de fonds doivent accepter de confier des fonds à des associations, mais aussi accepter le " risque " de l'échec ou de l'inefficacité.
Plus encore que les projets d'AEP, les actions d'assainissement doivent être accompagnées d'éducation sanitaire, leur impact conjoint ne peut se mesurer que sur le long terme.
Faire la part des impacts des actions d'assainissement et de celles d'animation sanitaire est difficile. Il serait utile que les bailleurs de fonds admettent que les multiples cofacteurs qui interviennent dans le cas d'une amélioration constatée de l'état de santé, interdisent, en fait, de mesurer la part de telle ou telle action. Cela devrait les conduire à renoncer à l'exigence des analyses coûts/bénéfices ou à la mesure des impacts directs sur la santé publique d'actions sectorielles d'AEP, d'assainissement ou encore d'éducation sanitaire.
Toutefois, il ne s'agit pas de nier toute possibilité d'évaluation des actions menées. Pour ce faire, il serait judicieux de chercher à construire un système de mesures, fiables, de l'évolution sur le long terme de l'état de santé d'une population et de ses pratiques.
Plutôt que de chercher à mesurer l'impact de chacun de leurs projets, les bailleurs de fonds pourraient financer ensemble un système de mesures de type " à passages répétés " permettant à échéances régulières de mesurer les évolutions.
En fait, l'exigence de la permanence de l'action et de la constance dans l'effort, la nécessité de créer et de maintenir un processus d'accumulation des savoirs et des savoir-faire conduisent à remettre en cause " le projet " comme mode de financement privilégié des bailleurs de fonds. Le projet, par essence de courte durée et " évaluable ", est l'antipode de ce qui devrait être fait.
Sur ces thèmes, assainissement/éducation sanitaire/AEP, le financement de politiques sur le long terme (Plans d'action nationaux), sur la base d'objectifs à atteindre et accompagné par des évaluations périodiques, devrait être le mode unique de financement.

Le rôle central de l'état doit être rappelé

La gestion de la ressource au plan national appartient à l’État. Ce bien commun peut se révéler rare. Sa mise en oeuvre, même déléguée, peut être fort coûteuse. La coordination des actions, le contrôle de leur mise en oeuvre et de la qualité de l'eau produite, la protection de la ressource et la régulation de son utilisation, la dynamique d'éducation à l'usage de l'eau et les impératifs d'assainissement sont de sa responsabilité. Il doit l'exercer, certainement pas en en étant le seul opérateur, mais en exerçant pleinement ses prérogatives d'animation, de pilotage, de coordination et de contrôle.
Les instances sanitaires, peu présentes, doivent être impliquées comme instances indépendantes de suivi et de contrôle et recevoir les moyens de cette indépendance.
Face aux bailleurs de fonds, il faut insister pour que la trilogie " alimentation en eau potable, assainissement et éducation sanitaire " soit rééquilibrée au profit des deux derniers impératifs. Certains ont préconisé que 30 % au minimum des ressources futures consacrées aux AEP soient affectés à l'assainissement et à l'éducation pour la santé.
Les acteurs locaux (individus, ONG, collectivités locales) sont les relais incontournables de cette politique nationale, au plus près des populations. Dotées des mêmes fonctions de coordination, de pilotage, de contrôle et de régulation que l'État, les collectivités locales doivent être associées étroitement à la définition de la politique nationale puisqu'elles en sont les maîtres d'oeuvre au plan local. Une grande liberté doit être laissée à ces acteurs locaux pour s'organiser et trouver les meilleurs canaux de la concertation. C'est à eux que reviennent les rôles si importants de sensibilisation, d'information, de formation et d'échanges.


6.    La discontinuité : une permanence ?

L'accès à l'eau en Afrique se traduit, dans le quotidien du consommateur, par une série de ruptures : ruptures dans l'approvisionnement et ruptures de charge.
Le réseau n'y échappe pas, les coupures d'eau sont régulièrement dénoncées. Elles sont souvent le fait de la société distributrice : faiblesse de l'approvisionnement, en particulier lors des saisons sèches, pannes dans les stations de pompage et les usines de traitement, ruptures de canalisations, ruptures dans la fourniture de l'énergie nécessaire au pompage, au traitement, à la distribution, etc. La contrainte du prix peut entraîner aussi l'arrêt du service. L'incapacité du client à payer la facture au moment de sa présentation ou l'incapacité, souvent temporaire, de rassembler l'ensemble de la somme due, entraînent ipso facto l'arrêt du service.
Ces coupures sont un des principaux arguments pour justifier l'intérêt de la multiplication des sources d'approvisionnement et toutes les opérations de réhabilitation. Or, en matière de santé publique, il est avéré que chacune de ces ruptures est potentiellement un facteur de risque de contamination : report sur une autre source d'approvisionnement dont la qualité est mal connue ou inconnue, manipulations au moment du prélèvement, du transport, de la livraison, etc.
Il est peu vraisemblable que dans les années qui viennent, le service de l'eau, quelles qu'en soient les modalités, acquière cette continuité qui assure le maintien de la qualité de départ, du producteur jusqu'au consommateur. Dans ces conditions, en termes de santé, et puisque ces ruptures ne sont pas à moyen terme évitables, il est essentiel que l'eau de boisson soit potable au moment de l'ingestion.
A l'exception de l'utilisation directe du robinet dans le cas d'une distribution à domicile par réseau, c'est l'eau conservée pour la boisson qui doit être protégée ou traitée, même s'il reste un risque non négligeable de contamination au moment du prélèvement. Des moyens simples de stérilisation ou de potabilisation de l'eau à domicile existent, ils sont encore peu répandus en Afrique. Il est à noter que la chloration de l'eau, qui est un système efficace et qui a été prônée à certains moments, ne reçoit pas l'attention et l'aide qui permettraient l'extension de son usage encore trop peu répandu.

ENSEIGNEMENTS :

Les discontinuités dans le service doivent être réduites le plus possible.
Un des thèmes principaux d'éducation sanitaire doit porter sur le mode de prélèvement et de conservation de l'eau.
La filtration et/ou la désinfection de l'eau de boisson préservant sa qualité doivent être recherchées et promues (cf. les postes d'eau potable développés par East ou les filtres mis à disposition au Brésil, par exemple).
Tous systèmes de stérilisation de l'eau au stade ultime avant l'ingestion doivent être encouragés (chloration en particulier).


7.    Le double débat de la mesure

Deux points sont en débat :

  1. l’intérêt de disposer d’analyses des eaux ;
  2. la nature et les modalités de mise en œuvre d’enquêtes de santé.

7.1    Des analyses de l’eau : pourquoi faire ?

Plusieurs actions en cours se sont dotées d'analyses des eaux. Cette volonté semble relever d'un triple souci :

1. Disposer d'éléments scientifiques incontestables sur la qualité de l'eau des ressources alternatives pour comprendre sur quels points il faudra agir pour protéger la ressource et pour améliorer la qualité de l'eau ;

2. Créer la confiance dans le service de l'eau en jouant d'une totale transparence vis-à-vis des populations consommatrices. Cet objectif, essentiel pour certains, s'impose d'autant plus que beaucoup de ces projets d'AEP alternatifs sont montés à l'initiative d'associations de quartier. Il faut noter que cette exigence est née, en partie, face à l'opacité de l'information sur la qualité de l'eau du réseau ;

3. Se doter d'une légitimité. Lorsqu'il y a projet d'AEP alternatif, la réaction des autorités est généralement de mettre en doute la qualité de l'eau distribuée. Une certaine défiance se manifeste aussi sur la capacité des associations initiatrices à surveiller en continu cette qualité, et à se doter des moyens de ce contrôle. Curieusement, on voit peu, dans les rapports, apparaître les instances sanitaires. Ce sont plutôt les instances chargées de l'hydraulique (équipement, aménagement) qui, en symbiose avec les sociétés distributrices, tiennent ce discours.

Il n'est pas étonnant, alors, qu'un certain nombre de projets tente de répondre à ce discours de disqualification par des analyses scientifiques de la qualité de l'eau produite. Allant plus loin, certains projets font analyser l'eau du réseau, tentant ainsi de démontrer que l'eau qu'ils produisent est de qualité au moins égale, sinon supérieure, à celle du réseau.
Cette légitimation recherchée s'inscrit peut-être, aussi, au coeur de la question que pose le développement de ces pratiques alternatives au réseau. Dans l'esprit du plus grand nombre des responsables, le postulat actuel est bien qu'à long terme la seule solution, fiable au plan sanitaire, est l'adduction d'eau par réseau.
Qu'adviendrait-il s'il s'avère qu'à long terme le réseau ne desservira jamais qu'une partie minoritaire des populations ? S'il s'avère qu'à long terme les systèmes alternatifs (promus par ce programme) couvrent l'approvisionnement d'une partie importante de la population ?
Qui doit, alors, donner son label de qualité à la ressource quelle que soit son origine ? Aujourd'hui, la lourde tâche de la " preuve " n'est-elle pas exigée des seules associations ? La plupart sont fort démunies ; mais on voit bien aussi, au nombre de projets qui font pratiquer des analyses, que le message est passé. Certains projets tentent même de se doter d'un laboratoire d'analyses !
Certes, on pourrait arguer que c'est à ceux qui cherchent à démontrer l'intérêt des autres sources d'approvisionnement à apporter la " preuve ", au moins de leur innocuité. Dans ce domaine comme dans tant d'autres, la puissance publique connaît là une de ses plus fortes ambiguïtés. Elle est très liée aux sociétés distributrices, encore très souvent publiques ou parapubliques. Elle les soutient tout à la fois :
— au nom d'une exigence de service public généralisé, ou ayant vocation à l'être ; l'État ne se doit-il pas d'assurer à tous l'accès à l'eau potable ?
— au nom de la recherche d'un équilibre financier rendu des plus difficiles par l'imposition de prix de cession de l'eau, des lourds investissements à faire, de l'insuffisance des recettes et de la difficulté à les faire rentrer.
Et c'est ainsi que le monopole de production et de distribution paraît s'imposer à la puissance publique comme la solution à ces difficultés. Dès lors, la puissance publique n'exerce plus sa fonction régalienne de contrôle de la qualité ou, alors, de façon très partiale en exigeant des projets alternatifs ce qu'elle n'ose plus exiger de sa société nationale. Il est significatif que, dans de nombreux cas, le contrôle de qualité de l'eau produite soit délégué à la société distributrice.
Inversement, une disqualification de l'eau du réseau ne présente-t-elle pas un sérieux risque de déstabilisation de la représentation acquise ?

Ces questions renvoient aussitôt à deux séries de débats :
— la nature de l'analyse : ce qui est mesuré et son rapport à la norme ;
— l'usage de la mesure : qu'en faire ? En direction de qui ? Quelles informations ? Sous quelles formes ? Éventuellement, quelles injonctions ?

Quasiment toutes les analyses portent sur les indicateurs de contamination que sont les coliformes et les streptocoques fécaux. Il faut rappeler que ce ne sont que des indicateurs et qu'il n'y a pas de relation simple entre l'ingestion d'une eau contaminée et le développement de pathologies. En effet interviennent, notamment, la virulence plus ou moins grande des germes pathogènes associés et la variabilité de résistance des individus.
Le débat a porté alors sur l'attitude à avoir vis-à-vis des directives de l'OMS : une eau potable ne doit contenir aucun coliforme ni streptocoque fécal. L'accord s'est rapidement fait sur l'intangibilité de cette norme. Elle doit être recherchée et obtenue en particulier lors de la mise en service de nouveaux forages ou captations.
La question se pose différemment lorsque l'action vise à réhabiliter des points d'eau (essentiellement des captages de sources) largement utilisés par des populations qui, pour diverses raisons, n'ont pas accès au réseau (zone non desservie, éloignement par rapport au point d'eau du réseau, coût de l'eau du réseau, etc.).
Sans nier l'intérêt et l'importance des directives qui doivent rester la référence, il est proposé, pour évaluer et suivre la qualité des différentes ressources, d'établir une échelle de contamination qui permettrait de définir des plages de qualité décroissante. Pour chaque plage, en fonction de son degré de contamination, est alors recommandé un type de mesures soit de protection, soit de surveillance, soit une intervention de divers types, voire une interdiction.
Cette proposition, toute de pragmatisme, pourrait être comprise comme une tentative (ou une tentation) de relativiser ce qui est considéré comme " la norme ". Ce qu'elle n'est pas dans l'esprit de son auteur puisque au lieu de la nier ou de la relativiser, il s'agit de se donner les moyens de l'atteindre.
Qu'en penser toutefois ? " La norme " ne peut-elle être qu'un objectif lointain ? Une exigence à long terme ? Comment se donner les moyens de cette recherche permanente et continue de la qualité ? Qui, alors, sera le porteur de cette exigence : les seules associations, des sociétés privées incontrôlées, un État démissionnaire ? Dans cet espace où le service public devient privé, quelle instance de contrôle, quels pouvoirs, où sont les moyens de l'indépendance ?
Certains ont rappelé que " la norme " n'est qu'une réponse dite " scientifique " aux inquiétudes d'une population qui accepte que se construise ainsi l'échelle des risques qu'elle admet de côtoyer.
La connaissance du risque, par les résultats des analyses, cette " connaissance scientifique " est-elle le moyen, le " bon " moyen, un des moyens, de créer une conscientisation active ? à quand des associations agissantes de consommateurs ? Et puis, si elle se relativise, quelle " norme " à opposer aux producteurs ? La même quel que soit le producteur : la puissante société nationale, la municipalité sans moyens, l'association qui réhabilite, etc. ? Pour que cette exigence s'impose, peut-on être à la fois producteur et consommateur ? Comment alors gérer cette exigence ?
La plupart des chercheurs et techniciens, partisans de faire connaître les résultats des analyses, sont d'accord pour reconnaître que ces résultats ne peuvent être livrés tels quels. Certains sont partisans d'en réserver la teneur aux responsables du projet, d'autres militent pour une information des consommateurs. Dans l'un comme dans l'autre cas, la nature du commentaire qui paraît toujours devoir accompagner les résultats doit être soigneusement réfléchie : faut-il s'arrêter au simple constat de l'état de la ressource ? Se servir des résultats seulement pour les rendre opposables aux critiques extérieures ?
Quelles réactions peuvent avoir des populations à qui l'on apprend, fût-ce avec précaution, que l'eau qu'elles boivent est contaminée ? Orienter les consommateurs vers certaines ressources peut être utile et même nécessaire, mais cela suffit-il ?
Pour enclencher un processus plus positif, ne se doit-on pas de mettre en place un véritable système de contrôles réguliers de la qualité ? On comprend alors le souci de certains de créer un laboratoire d'analyses.
Un suivi régulier ne permettrait-il pas de mesurer des dynamiques, gratifiantes quand elles justifient les efforts faits pour améliorer la qualité, ou signal d'alerte quand la qualité se dégrade ? Il faudrait alors que les commanditaires et les bailleurs de fonds de ces projets en prévoient le financement de départ, mais aussi à long terme.
Nous retrouvons là le problème déjà évoqué : comment monter un système de contrôle fiable et indépendant des pressions de tous ordres ? Comment en financer son fonctionnement pérenne ? Une fois encore, le mode de financement par projet ne se révèle-t-il pas inadéquat ?

7.2    La piste difficile des états de santé

Nous avons déjà dit à quel point les outils de mesure de l'état de santé d'une population étaient peu opérationnels sur de courtes périodes.

Les enquêtes faites ont été de deux types : celles portant sur la fréquence de survenue de symptomatologies de type diarrhéique " affectant " un individu (maux de ventre, les diarrhées, accompagnées ou non de nausées, de vomissements et même les dysenteries) et celles tentant de mettre en relation cet événement et l'infestation par un agent pathogène.
Dans les enquêtes du premier type, on note l'apparition de symptômes sans pouvoir en déterminer les causes. Or, ces symptômes peuvent être déclenchés par un grand nombre de causes, infectieuses ou non. Si l'eau est un vecteur de germes infectieux, elle n'est pas la seule, loin de là.
Nous avions déjà signalé l'ingestion d'aliments souillés, directement ou lors de la préparation, cuisson insuffisante en particulier, mais aussi, hors de la chaîne alimentaire, l'atteinte par contact direct avec des sujets infestés, malades ou porteurs sains, ou par contact accidentel avec leurs déjections, par autoréinfestation ou par contact et pénétration transcutanée avec des sols ou de l'eau souillée, etc. Il semble bien que, chez les jeunes enfants, le mode de contamination direct soit de loin le plus important.
La plupart de ces enquêtes sont faites sous la forme d'un questionnaire administré par un enquêteur. Malgré le soin apporté par l'enquêteur, de nombreux biais ont pu intervenir (confusion sur les symptômes, exacte réalité de l'événement relevé, etc.). Cela souligne la nécessité de travailler avec des professionnels en épidémiologie afin de ne pas " bricoler des enquêtes " qui seraient ensuite inexploitables.
Dans la plupart des cas, les conditions locales ne permettent pas de mener un travail épidémiologique avec toute la rigueur nécessaire : manque de moyens, enquêteurs généralement sans formation médicale, trop faibles effectifs enquêtés, difficulté de trouver des groupes témoins, etc. Pour prendre un exemple relevé, les nourrissons (moins de trois ans) ont été inclus dans le groupe des enfants ; or leurs diarrhées, les plus graves car pouvant être mortelles, ne sont que très rarement dues à l'ingestion d'eau (sauf alimentation au biberon encore peu répandue). Ces enquêtes présentent, au mieux, les prévalences des infections diarrhéiques.
Les enquêtes du second type sont déjà plus riches en informations. Les analyses de selles qui les accompagnent peuvent permettre de mettre en évidence une contamination d'origine fécale, voire certains agents infectieux.
Des examens bactériologiques et parasitologiques ont été menés, mais aucun examen virologique n'a été fait (protocoles extrêmement lourds pour mener ces trois types de recherches). En fait, ces recherches sont menées non pour déterminer un " état de santé ", mais pour établir un diagnostic de maladie.
En Afrique, peu de laboratoires sont équipés pour mener ces trois types de recherches, très onéreuses par ailleurs. D'autre part, ces laboratoires de diagnostic ne peuvent répondre à la demande d'un grand nombre d'analyses (très grandes difficultés pour l'équipe de l'AR 6 de mener à bien ces analyses malgré la présence d'un laboratoire). Les résultats de l'équipe de l'AR 6 sont toutefois intéressants. Seul un tiers des échantillons recèle la présence de bactéries ou de parasites. De très loin, ce sont les parasitoses qui prédominent (33 % des échantillons contre 3 % infectés par des bactéries) ; mais nous ne savons rien sur les infections virales. Une partie importante de ces parasitoses se transmet aussi par contact direct. C'est même probablement le mode de transmission essentiel, dans le cas de populations enfantines.

Les résultats de ces deux types d'enquêtes ne permettent pas, pas plus que les analyses d'eaux, de mettre en relation univoque une opération d'adduction d'eau et un " état de santé " approché, au mieux, par la mise en évidence d'infections gastro-intestinales pour l'essentiel sur des populations d'enfants.

Quels indicateurs utiliser alors ?

Dans le contexte étudié, nous avons vu que c'est le changement des comportements qui semble le plus entraîner un mieux en terme de santé. Dès lors, ne serait-il pas utile de chercher à mesurer ce changement des pratiques d'hygiène ? Avons-nous les instruments conceptuels nécessaires ? Les méthodologies ?
Au lieu de rechercher la preuve, introuvable, de l'impact sur la santé d'une opération d'AEP, ne serait-il pas judicieux au départ de toute opération, en étroite relation avec les desiderata de la population, de se fixer un objectif de réduction d'un risque plutôt qu'un objectif de santé ?
Si nous n'avons pas précisé " opération d'AEP ", c'est que nous sommes convaincus qu'un objectif d'amélioration de la santé ne peut être atteint qu'en mettant en oeuvre le triptyque " assainissement, AEP, éducation sanitaire ". Le résultat ne sera pas d'ailleurs forcément acquis. Dans ce laps de temps, d'autres cofacteurs importants pourraient intervenir dans un sens inverse, par exemple une dégradation de l'alimentation, en quantité ou en qualité. Pendant cette période, une campagne de vaccination contre la fièvre typhoïde aurait, elle, un effet positif. Il faut là se rappeler que la plus ou moins grande résistance des individus dépend, aussi, d'autres facteurs que de la seule virulence des germes pathogènes.
Si une opération associant assainissement, AEP et éducation sanitaire est mise en place, on peut alors se donner les moyens de vérifier que l'objectif de réduction du risque que l'on s'est fixé au départ est atteint. Toutefois, ce bilan, en termes de réduction de risque, ne saurait se substituer au bilan de l'opération qui, elle, se mesure en termes de comportements et de pratiques définitivement acquises, de réalisations effectivement faites et utilisées : latrines, enlèvement des ordures, postes d'eau potable, etc.
Dans les cas d'opérations de tous ordres où un objectif de santé publique est clairement l’objet de l'opération (exemple : une campagne vaccinale), les moyens adéquats sont recherchés pour atteindre l'objectif. Ils dépendent de l'objectif et non l'inverse, car si l'intention de santé publique est floue, les moyens ne sont pas " calibrés " pour l'atteindre, les objectifs sont en réalité autres et l'adéquation entre les résultats acquis et l'intention de santé est très difficile, sinon impossible, à démontrer.
En revanche on pourrait se fixer, en simple accompagnement des objectifs du projet, un objectif de réduction de risque. Le risque de contamination fécale pourrait alors effectivement, à juste titre, être affiché. N'est-ce pas en convaincant la population de se mobiliser autour de cet objectif de réduction du risque qu'on met de son côté les meilleures chances de résultat ?
Les règles strictes de l'enquête épidémiologique doivent alors être respectées et l'on doit en cela faire appel à des professionnels. Il va de soi que l'objectif de réduction du risque devra être défini en fonction du contexte épidémiologique local. Dès lors, les indicateurs devront être définis en conséquence. Ces indicateurs devraient être suivis par une cellule réunissant les différents acteurs locaux et nationaux afin que ces enquêtes soient pertinentes localement et incluses dans une stratégie globale d'évaluation.


» Rapports concernés par cette synthèse
  • ADELINE et al., 1998. Rapport final de l'AP 1.
  • BEMMO et al., 1998. Rapport final de l'AR 4.
  • BACHIMON et al., 1998. Rapport final de l'AR 7.
  • MONJOUR et al., 1998. Rapport final de l'AP 4.
  • MONJOUR et al., 1998. Rapport final de l'AR 6.
  • ROMANN D. et al., 1998. Rapport final de l'AR 1.
  • TANAWA et al., 1998. Rapport final de l'AR 8.
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