|
1.
Introduction : urbanisation et accès à l'eau potable en
Afrique
1.2 L'ampleur du phénomène
démographique urbain en Afrique
L'urbanisation est globalement récente en
Afrique sub-saharienne : environ 15% de la population vivaient dans
des villes en 1960 et 30% en 1990 (les proportions des mêmes années
étaient de 61% et 73% dans les pays industrialisés).
Elle est galopante depuis les Indépendances et continue de l'être.
Quelques chiffres issus des villes regardées par le programme
pS-Eau :
- Kindia (Guinée) est passée de 55 000
habitants en 1987 à 100 000 en 1996 ;
- Port-au-Prince (Haïti) est passée de
500 000 habitants en 1970 à près de 2 millions
aujourd'hui ;
- Les communes périphériques de Pikine
et Guédiawaye, au sein de la Communauté urbaine de
Dakar (Sénégal), sont passées de 130 000
habitants en 1970 à 900 000 en 1995 et surpassent aujourd'hui
la commune centre de Dakar ;
- Nouakchott (Mauritanie) est passée de 140
000 habitants en 1977 à 700 000 en 1997.
Cette urbanisation se caractérise par son
extrême disparité entre une capitale tentaculaire
(approchant ou dépassant le million d'habitants) et un réseau
de villes nettement plus petites (quelques dizaines, au plus la
centaine, de milliers d'habitants).
Elle se caractérise aussi par l'importance de l'habitat
spontané et illégal, la faible densité des
espaces urbanisés et leur grande hétérogénéité.
Autour d'un centre repérable par ses équipements datant
de l'époque coloniale, les quartiers étendent des formes
d'habitat de faible hauteur, souvent entrecoupé de zones
naturelles ou maraîchères importantes ou encore de
bas-fonds insalubres. Ces formes urbaines peu denses expliquent en
partie la difficulté de les équiper en services
collectifs. Néanmoins, ce mélange de vies, urbaine et
rurale, sur le même espace, facilite la survie des populations déshéritées.
D'autres chiffres issus du programme illustrent l'étalement
urbain en Afrique :
- Nouakchott est passée de 1 800 ha en 1970 à plus de
8 500 ha en 1992 ;
- à Yaoundé, le taux de croissance démographique
est de 5% et le taux de développement spatial de 3%.
Outre l'évolution démographique des
capitales et des villes moyennes, l'autre phénomène
important est l'évolution démographique des campagnes
vers l'augmentation numérique des centres semi-ruraux (2 à
20 000 habitants), où se produit le basculement progressif des
comportements ruraux vers des comportements plus urbains de demande en
service d'eau potable. Par exemple, une étude prospective dans
l'ouest du Burkina Faso montre que le nombre de centres semi-ruraux (déjà
de 200, pratiquement non équipés de mini-adductions
d'eau aujourd'hui) pourrait y croître de 50% dans les dix
prochaines années.
1.2 Bref historique de la maîtrise
municipale du service d'eau potable
Il est intéressant de regarder en parallèle
l'évolution de la maîtrise municipale du service d'eau
potable (cf Collignon, AR 9).
Entre 1950 et 1970, alors que de nombreuses villes africaines
prenaient leur premier essor, les municipalités ont d'abord joué
un rôle direct dans la distribution d'eau (régie
municipale) en assurant elles-mêmes l'exploitation du réseau
et la facturation aux abonnés.
Par la suite, confrontées à une situation de déficit
chronique, la plupart des municipalités ont rétrocédé
le service de l'eau à une entreprise publique nationale, tout
en gardant dans la plupart des pays la gestion des bornes fontaines,
par l'intermédiaire desquelles elles assuraient un service
public minimal, non payant, à destination des couches
populaires de la population. Leur équilibre financier reposait
sur la perception de taxes municipales.
Depuis une dizaine d'années, les municipalités
abandonnent l'exploitation directe des bornes fontaines, car le faible
niveau de leurs recettes fiscales ne leur permet plus d'assurer le
financement du service "bornes fontaines". Elles laissent
alors les entreprises concessionnaires fermer petit à petit les
bornes fontaines publiques.
Dans la plupart des pays (comme le Mali, le Sénégal, la
Mauritanie...), certaines bornes fontaines ont été
rouvertes et concédées à des gérants privés.
Les municipalités ne jouent actuellement pratiquement plus
aucun rôle, même pas dans la définition des tarifs
ou dans la planification des équipements.
1.3 Le décalage de l'accès
à l'eau potable des populations urbaines
Si le branchement des ménages urbains au réseau
d'eau potable est très inégal selon les villes, il est
aujourd'hui partout très insuffisant : 17% à
Port-au-Prince, 25% à Nouakchott, 54% à Dakar.
Mais surtout, il est parfois dépassé par la croissance
urbaine : par exemple, la population desservie par la SNEC à
Yaoundé était de 80% en 1976 (dont 56% par bornes
fontaines) et n'est plus que de 64% en 1994 (dont 10% par bornes
fontaines) (cf Adeline, AP 1).
1.4 Constat et interrogation
Les chiffres de la démographie urbaine
situent le défi qui se présente aux responsables
africains : d'une civilisation essentielle rurale au moment des Indépendances,
ils doivent faire face à des concentrations urbaines qui
rattrapent les métropoles mondiales. Avec un rythme global de
croissance urbaine estimé à 5%, les études de
prospective à long terme pour l'Afrique de l'Ouest annoncent
que les 80 millions d'urbains actuels seront aux alentours de 250
millions dans les vingt-cinq prochaines années.
Que de mutations et d'apprentissages en une génération,
que de mutations et d'apprentissages en perspective pour la prochaine
génération !
L'histoire des régies municipales africaines de distribution
d'eau et de leur disparition progressive, ainsi que les insuffisances
actuelles (et certainement encore plus à venir) des entreprises
publiques d'eau potable, montrent moins l'échec de ces systèmes
de gestion que leurs limites pour suivre ou rattraper la croissance démographique
des villes africaines. Et bien évidemment, il est encore moins
question de l'anticiper.
Ces limites ne sont-elles pas tout simplement celles des systèmes
centralisés de décision, d'investissement et de gestion à
répondre au défi urbain africain, systèmes
centralisés au niveau municipal, ou pire encore, centralisés
au niveau national ?
2.
Des tentatives de réponses aux nouveaux besoins des populations
urbaines en matière d'accès à l'eau
On peut repérer au moins quatre origines de réponses
très différentes aux besoins d'accès à
l'eau générés par les populations urbaines sans
cesse croissantes :
- les réponses tentées par les pouvoirs
publics ;
- les réponses tentées sur le terrain
par diverses formes d'organisations (notamment communautaires ou
caritatives) ;
- les réponses défrichées par
les opérateurs privés, le plus souvent informels ;
- et les réponses issues de la débrouillardise
des populations elles-mêmes.
2.1 Les réponses tentées
par les pouvoirs publics
Nous n'aborderons ici qu'une des formes de réponse
des pouvoirs publics, celle qui concerne les politiques générales.
Dans pratiquement tous les pays, les politiques nationales en matière
d'approvisionnement en eau potable sont en cours de révision en
vue de mieux responsabiliser les populations dans le financement des
services d'eau, et en vue d'augmenter le nombre des intervenants dans
la proposition de nouveaux services (par exemple, à travers la
délégation d'un certain nombre de fonctions dans le
service d'eau à rendre).
Or, un des traits majeurs de ces révisions en cours, qui
ressort globalement dans tous les pays, est le paradoxe entre ces
nouvelles politiques de l'eau et les politiques de décentralisation,
également en cours d'élaboration pratiquement partout.
(cf Etienne, AR 2)
Ce paradoxe brouille actuellement les repères des responsables
municipaux dans bien des pays (cf Séminaire de
Ségou, AP 5), et mérite une discussion des causes
de ces situations et des handicaps qu'elles engendrent.
2.2 Les réponses tentées
sur le terrain par diverses formes d'organisations
Le programme piloté par le pS-Eau a repéré
diverses formes de montage de projet d'approvisionnement en eau
potable (initiatives de particuliers, d'associations de quartier ou de
comités locaux de développement, d'ONG et de confessions
religieuses, initiatives de l'Etat avec gestion des ouvrages confiée
aux communautés...).
Leur analyse dans le cas concret du Cameroun (cf
Tanawa, AR 8) a montré leurs performances très inégales
dans la conception du projet et des ouvrages (études
techniques), dans la mobilisation des fonds d'investissement (auprès
des bailleurs de fonds, auprès des populations bénéficiaires),
dans la qualité de réalisation des ouvrages, et dans la
gestion des ouvrages (implication des populations, mobilisation des
contributions, transparence dans la gestion des fonds, arbitrage des
conflits).
2.3 Les réponses défrichées
par les opérateurs privés informels
Plusieurs actions du programme ont étudié
en détail les formes, l'ampleur et les dynamiques des
intervenants privés.
Pour ne parler que de leur poids économique, dans les villes étudiées
en détail dans le programme (cf Collignon, AR
9), les opérateurs privés réalisent
aujourd'hui entre 21% et 84% de la valeur ajoutée de la filière
de l'eau, bien qu'ils se situent pour la plupart dans le secteur
informel.
2.4 Les réponses issues
de la débrouillardise des populations elles-mêmes : la
complémentarité des accès à l'eau
Face au manque crucial de prestations organisées
(publiques et privées) pour répondre à leurs
besoins en eau sous toutes leurs formes, dans les villes ayant la
chance de bénéficier d'une pluviométrie et d'une
hydrologie adéquates, les populations urbaines ont spontanément
utilisé toutes les ressources en eau disponibles : rivières,
puits, sources, etc.
Plusieurs actions du programme ont mis en évidence que les
populations n'utilisaient pas au hasard les diverses ressources à
leur disposition, mais témoignaient de véritables stratégies
individuelles, à la fois économiques, sanitaires et
culturelles dans l'utilisation complémentaire de ces ressources
(cf Bouju, AR 10 - Adeline, AP 1 - Romann, AR 1).
2.5 Constat général
vis-à-vis de ces tentatives de réponses : l'absence de cohérence
à l'échelle de la ville
Les réponses qui impliquent des acteurs
nationaux et locaux de façon cohérente, imaginative et
volontariste, sont encore rares. Le programme a repéré
les tentatives actuellement développées au Sénégal.
En revanche, de façon générale, la plupart des
actions du programme ont relevé l'absence de vision globale des
problèmes d'eau et d'assainissement dans une ville, ainsi que labsence
de vision globale dans les actions conduites dans ces secteurs sur une
ville.
Certaines actions ont analysé les conséquences néfastes
engendrées par cette absence de lieu de mise en cohérence,
et ont appelé de leurs vux une implication plus forte des
responsables municipaux. Notamment, il a parfois été
relevé l'absence de relations entre les comités locaux
de points d'eau et les responsables municipaux, entre les documents
d'urbanisme et le montage de projets dans le secteur urbain de l'eau
potable.
Certaines actions ont tenté de construire les prémisses
d'une gouvernance locale en matière d'eau et parfois
d'assainissement (cf Estienne, AP 2 - Réseau
de trois villes du Mali, AP 5 - de Boismenu, AP 6).
3.
Interrogations sur les bases d'une maîtrise d'ouvrage locale ou
d'une régulation locale
3.1 Rôles possibles des
maîtrises d'ouvrage locales et des municipalités
Si les modes centralisés de décision,
d'investissement et de gestion des services publics urbains ont montré
leurs limites pour suivre la croissance démographique et
spatiale des villes africaines, l'émergence de modes décentralisés
et délocalisés pose d'autres problèmes, souvent
de nature nouvelle, qu'il s'agit de cerner et de maîtriser.
Le maître d'ouvrage est la personne physique ou morale qui
manifeste sa volonté de faire un ouvrage, qui exprime ce
qu'elle veut, en termes d'objectifs et de contraintes, et qui décide
et fait réaliser l'ouvrage par d'autres. A l'échelle
locale, les municipalités, mais également les comités
de gestion de points d'eau dans les quartiers, peuvent être de véritables
maîtres d'ouvrage de projets, dont ils assument l'entière
responsabilité vis-à-vis de l'ensemble de la collectivité
et des partenaires impliqués dans leurs réalisations. On
parle alors de maîtrise d'ouvrage locale (cf
Estienne, AP 2 ).
Ces transferts d'autorité qui vont s'accompagner de ressources
propres, c'est-à-dire soit des moyens financiers adéquats,
soit des capacités de contrôler ces moyens financiers,
constituent de nouveaux enjeux pour les réseaux de pouvoir
locaux et les réseaux clientélistes (cf
Bouju, AR 10).
D'autre part, si les dynamiques de décentralisation visent à
mettre un terme au monopole de compétences au niveau national,
ce n'est pas pour le reconstruire au niveau municipal : il est souhaité
que les municipalités comptent avec l'émergence d'autres
acteurs (secteur privé, société civile,
institutions communautaires, institutions de coopération, de développement
),
quelles s'engagent dans une dynamique de partage, dans un cadre
institutionnel bien défini et avec des outils juridiques de
clarification, des outils de formalisation de la contractualisation (cf
Séminaire de Ségou, AP 5).
Un maximum dacteurs devrait être associés aux compétences
des collectivités locales.
Les municipalités doivent devenir un lieu de convergence de
tous les partenaires et de toutes les initiatives des autres acteurs,
un espace de négociation et d'accords explicites faisant
l'objet d'une information publique auprès de toute la
population (exigence de transparence).
3.2 Espace public, service
public, solidarités communes et intérêts personnels
L'histoire récente des pays africains et de
leur contexte international, notamment avec l'ingérence des
institutions internationales et des bailleurs de fonds, a engendré
un environnement instable pour l'émergence des responsabilités
publiques locales et des maîtrises d'ouvrage locales, que l'on
peut caractériser par (cf Bouju, AR 10)
:
- une " prolifération
institutionnelle " et normative qui génère
l'incertitude ;
- une crise des notions " d'intérêt
général " et de " service public "
qui traduit l'absence d'une conception citoyenne de l'espace public,
et qui se traduit par l' " exploitation minière "
des ressources ;
- la banalisation de la petite corruption à
tous les niveaux de la société.
L'enjeu et la difficulté majeure sont de
faire émerger un " espace local public ",
c'est-à-dire qui soit partagé par tous dans l'intérêt
de tous, et sortant des logiques privées et étroitement
communautaires qui prévalent actuellement.
3.3 L'apprentissage de la régulation
entre acteurs sociaux : l'outil de la contractualisation
La nécessité de solutions évolutives
a été mise en évidence dans ses dimensions
techniques et économiques, elle doit l'être tout autant
dans ses aspects institutionnels et organisationnels. Ce qui est visé
est la construction progressive de véritables opérateurs
locaux au comportement professionnel, qu'ils soient publics ou privés.
L'enjeu de la contractualisation dans le service local de l'eau en
Afrique n'est pas le maintien de l'équilibre d'un système,
mais sa création. C'est le développement, et l'invention
collective, progressive, d'un cadre et d'un outil de gestion des
services urbains, et de règles du jeu reconnues par tous. C'est
en même temps la création d'acteurs sociaux capables de
jouer leur rôle.
Le contrat doit s'inscrire dans un processus dynamique
d'apprentissage, s'adaptant au fur et à mesure non seulement
aux changements de situations, mais surtout aux nouveaux
positionnements des acteurs à mesure qu'ils comprennent mieux
leur rôle et les enjeux.
La question n'est donc probablement pas de savoir d'abord si la
municipalité peut ou doit assumer la gestion d'installations,
mais de l'aider à construire sa responsabilité première,
celle de garantir le service et le respect de règles du jeu négociées.
Peuvent alors s'élaborer des quasi-contrats locaux,
multi-partenaires, dont la véritable nature est moins juridique
que politique, et qui permettent ensuite des contrats plus spécifiques
et plus précis (cf Coing, AR 2).
3.4 Réflexions financières
sur la maîtrise d'ouvrage locale
Le maître d'ouvrage est généralement
responsable du montage financier de l'investissement, quand il ne
finance pas lui-même l'ouvrage, et doit s'assurer de la préservation
du patrimoine construit en se garantissant de sa bonne exploitation et
de sa bonne maintenance.
Dans les réflexions à conduire pour la durabilité
des installations et du service de l'eau, le partage des fonctions à
assurer pour permettre le bon fonctionnement du service et surtout le
partage clair des coûts sont des éléments
centraux.
Avec le transfert des responsabilités et des maîtrises
d'ouvrage du niveau étatique au niveau local, ce partage a
complètement évolué et est actuellement loin d'être
clair et stabilisé. Notamment, la question de la propriété
des installations de production ainsi que de distribution d'eau
potable est rarement résolue de façon sereine.
Ce qui fait que, si certaines certitudes apparaissent dans le partage
de certains coûts, des incertitudes subsistent pour la prise en
charge de coûts " intermédiaires "
(renouvellement du matériel, extensions importantes, etc.). Par
ailleurs, s'est-on assuré que chaque acteur, au-delà de
son positionnement par rapport au fonctionnement de l'ensemble du système,
est en mesure de faire face aux frais qui lui incomberaient ?
C'est tout le sens d'une réflexion conduite sur le " qui
fait quoi ? qui paie quoi ? qui peut payer quoi ? "
(cf Conan, AR 2).
4.
Faire émerger la conscience d'une cohérence urbaine
4.1 Cycle de l'eau et développement
urbain : construire une compréhension globale des questions d'eau
sur l'ensemble d'un territoire urbain
L'hydrologie et l'hydrogéologie d'un site en
cours d'urbanisation sont rarement connues des responsables municipaux
et des populations, elles sont même parfois à peine
connues des urbanistes et des aménageurs urbains. Pourtant, que
d'interférences ensuite entre le cycle de l'eau et les
conditions de vie quotidienne des populations urbaines : possibilités
d'approvisionnement en eau (pas toujours potable), pollution des eaux
et risque sanitaire, inondations et risque d'enclavement des
quartiers, etc. !
La compréhension globale des questions d'eau sur l'ensemble
d'un territoire urbain signifie autant des connaissances de nature
scientifique (quantité et qualité des eaux disponibles,
nature des écoulements), que de nature socio-économique
(perceptions et usages de l'eau, par les populations et les activités
économiques).
Plusieurs actions du programme ont défriché le chemin à
suivre pour acquérir cette compréhension globale
(cf Romann, AR 1 - Adeline, AP 1 - Tanawa, AR 8 - de
Boismenu, AP 6).
La cartographie de toutes les connaissances progressivement acquises
sur une ville se révèle également un atout
important pour faciliter la diffusion des connaissances et des
messages. Une des actions a même expérimenté
l'impact de cette connaissance cartographiée sur la prise de
conscience des pouvoirs locaux.
Certaines actions sont allées jusqu'à compléter
les connaissances sur le cycle de l'eau avec des mesures de la qualité
(qualité de l'eau du réseau d'eau potable autant que
qualité de l'eau des modes alternatifs d'approvisionnement tels
que les sources et les puits).
4.2 L'impact de cette
connaissance globale sur le comportement des acteurs locaux
Les actions du programme mentionnées
ci-dessus ont surtout montré l'impact considérable que
cette compréhension globale, rigoureuse et détaillée
- diffusée largement auprès des populations et des
diverses composantes de la société civile, comme auprès
des responsables locaux et de leurs bailleurs de fonds - pouvait avoir
sur l'évolution des comportements à la fois vis-à-vis
des ressources en eau et vis-à-vis de la prise de responsabilité.
Cette connaissance a été la base et le démarrage
d'un processus de concertation particulièrement mobilisateur
dans une ville du Cameroun (cf de Boismenu, AP 6).
Cette connaissance - enfin acquise et correctement restituée -
est parfois en train de remettre en cause des projets en cours de
montage. Elle permet de mieux (et plus) mobiliser les aides extérieures
(coopération décentralisée par exemple) en leur
apportant un argumentaire sérieux pour le cadrage de leur
contribution (cf Romann, AR 1).
Des interrogations ont souvent accompagné les connaissances
acquises sur la qualité de l'eau d'origines diverses, en ce qui
concerne la pertinence de leur divulgation trop large et les impacts
incontrôlables sur les populations (cf Tanawa,
AR 8).
5. Des
outils opérationnels au service des savoirs et savoir-faire des
acteurs locaux
Pour répondre au défi de
l'urbanisation croissante et aux limites des réponses centralisées
et uniformes (branchements des ménages à un réseau
public de distribution d'eau), il est incontournable de diversifier
les réponses sous toutes leurs formes : réponses
techniques, réponses financières, réponses
institutionnelles et organisationnelles...
Pour cela, il faut rééquilibrer le niveau des savoirs
techniques concernant toutes les technologies possibles (amélioration
des bornes fontaines, amélioration des sources, amélioration
de l'aménagement et de l'utilisation des puits...), il faut rééquilibrer
le niveau de savoir et de savoir-faire des nouveaux opérateurs
locaux dans le secteur de l'eau (maîtrise d'ouvrage locale en émergence,
opérateurs privés informels...).
Le programme piloté par le pS-Eau a défriché
au moins trois formes de rééquilibrage :
- la place des bornes fontaines dans lapproche
globale de laccès à leau des populations
urbaines ;
- lamélioration des modes daccès
à leau complémentaires au réseau deau
potable ;
- les outils spécifiques danimation et
de formation à lattention des acteurs locaux.
5.1 La question et la place des
bornes fontaines dans une approche globale de l'accès à
l'eau potable des populations urbaines
Les bornes fontaines peuvent occuper une place
considérable dans l'accès des populations urbaines à
l'eau potable (46% à Dakar, estimation de 75% de la population
desservie par les réseaux de EDM au Mali). Or, plusieurs
actions du programme ont mis en évidence l'absence, dans
certains pays, de procédures spécifiques et adéquates
pour l'abonné particulier que représente une borne
fontaine (cf Romann, AR 1 - Séminaire de Ségou,
AP 5).
Quand un statut contractuel spécifique a été mis
en place, comme au Niger, celui-ci nécessite encore beaucoup
d'améliorations dans le mode d'implantation et d'attribution
des nouvelles bornes fontaines, dans leur conception technique et l'aménagement
de leur assainissement, dans leur gestion financière et leur
mode de facturation, dans leur surveillance et le suivi de leur
gestion, etc.
Sans en assumer ni l'investissement, ni la gestion directe, la
municipalité peut retrouver un rôle important de médiation
et d'amélioration des procédures entre les gestionnaires
privés des bornes fontaines et la société
concessionnaire du réseau d'eau potable (cf
Municipalité de Ségou, AP 5).
5.2 Des savoir-faire techniques
pour améliorer l'accès à des ressources en eau
alternatives au réseau centralisé ainsi que leur
protection
Dans les enquêtes sur les pratiques des
populations en matière d'approvisionnement en eau, une action
du programme a identifié 7 types d'accès : les sources
aménagées communautaires, les sources aménagées
privées, les sources non aménagées, les puits aménagés
communautaires, les puits aménagés privés, les
bornes fontaines payantes communautaires, les bornes fontaines privées
(cf Tanawa, AP 8).
La protection de la ressource en eau est capitale dans les modes
alternatifs d'accès à l'eau. Aussi, cette action s'y est
penchée spécifiquement et propose une stratégie
de protection appuyée sur deux types d'action : d'une part le
choix des sites et la définition de périmètres de
protection, d'autre part les aménagements sur la structure même
des ouvrages.
Pour cerner les formes d'amélioration à apporter aux
ouvrages, cette action a séparé les ouvrages aménagés,
sommairement aménagés et non aménagés. Une
autre action a ensuite étudié en détail les
savoir-faire techniques pour améliorer ces ouvrages
(cf Adeline, AP 1).
Ces nouveaux savoir-faire peuvent d'ailleurs être l'occasion de
faire émerger une filière locale de maîtrise d'uvre
et de réalisation (cf Romann, AR 1).
6.
De nouvelles formes d'action et d'appui aux maîtrises d'ouvrage
locales en émergence : la montée en puissance de la maîtrise
d'uvre sociale
Faire basculer la maîtrise douvrage dans
le domaine de lapprovisionnement en eau potable des populations
urbaines, du niveau étatique vers le niveau local ou municipal,
représente de véritables mutations de comportement à
tous les niveaux. Ces mutations peuvent être accélérées
par un certain nombre de mesures daccompagnement (animation,
formation, appui conseil, etc.).
Pour marquer à quel point cet accompagnement na plus
rien de secondaire, mais quau contraire il devient parfois
central désormais, certains professionnels lui ont donné
le nom générique de maîtrise duvre
sociale.
6.1 Outils spécifiques danimation
et de formation à lattention des acteurs locaux. Lémergence
du marché de lappui conseil et de la maîtrise duvre
sociale
Deux actions pilotes du programme ont visé spécifiquement
à mettre des acteurs locaux en situation de maître
d'ouvrage : l'une concernait des associations de quartiers dans des
zones périurbaines (cf Adeline, AP 1),
l'autre des comités de gestion dans des petits centres urbains
(cf Estienne, AP 2).
Les enseignements qu'elles tirent du vécu réel de
l'animation et de la formation à apporter à ces nouveaux
acteurs locaux sont extrêmement riches et porteurs d'avenir.
A la veille des grandes réformes dans les politiques
nationales en matière d'approvisionnement en eau potable des
populations, un marché potentiel se dessine pour des
consultances locales auprès des futurs maîtres d'ouvrage
que seront les comités de gestion de points d'eau, les
associations d'usagers du service de l'eau, les municipalités.
Or, les actions pilotes du programme ont mis en évidence
l'absence inquiétante de prestataires de services locaux dans
le domaine de la gestion du service de l'eau : formation et
appui-conseil technique, formation et appui-conseil en gestion financière
et organisationnelle, etc. Le développement de l'expertise
locale et la pérennisation du service local de leau
passent par le transfert des savoir-faire acquis en matière de
maîtrise d'uvre sociale à des nationaux
(cf Estienne, AP 2).
6.2 Evolution des services déconcentrés
de l'Etat : de la maîtrise d'ouvrage directe à l'appui aux
maîtrises d'ouvrage locales
Les réflexions sur les insuffisances des
municipalités africaines à assumer leur rôle
(actuel ou à venir) de maître d'ouvrage et de régulateur
local dans le domaine de l'eau ont éclairé sur les
insuffisances propres aux services déconcentrés de
l'Etat, généralement détenteurs du meilleur
savoir-faire technique.
Dans le double contexte de la décentralisation et de la
privatisation de certains services urbains, tels que le service de leau
potable, lEtat abandonne un certain nombre de ses prérogatives.
Dans le secteur de leau, à fort enjeu socio-politique,
les fonctionnaires nationaux vivent souvent cela comme une perte de
pouvoir qui leur est imposée.
En fait, c'est aussi un véritable apprentissage qui attend ces
services dans le cadre des politiques de décentralisation en
construction, en termes d'appui technique au transfert des compétences
et des savoir-faire. Il s'agit de repositionner les administrations
centrales en rendant l'initiative aux acteurs locaux et en travaillant
au renforcement des capacités d'initiative et d'action de
ceux-ci. Un mouvement dans ce sens semble amorcé dans certains
pays, tels que le Mali ou le Burkina Faso (cf Séminaire
de Ségou, AP 5).
6.3 Conduire la concertation et
la coordination autour de la maîtrise d'ouvrage locale à
construire ou à renforcer
Pratiquement toutes les actions du programme ont mis
en évidence le manque dramatique de coordination et de
concertation entre les acteurs concernés ou intervenant dans le
secteur urbain de l'eau potable, sans toutefois donner de pistes pour
en démarrer la mise en uvre opérationnelle.
Quelques fils conducteurs ont été débrouillés
au cours des échanges conduits entre trois villes maliennes,
autour de la capitalisation de leurs expériences vécues
et mitigées de concertation et autour du concept nouveau de la
planification stratégique concertée (cf
Séminaire de Ségou, AP 5).
Un ensemble d'études de base et de choix stratégiques
peuvent permettre la conception d'un schéma global d'accès
décent à l'eau potable pour tous à l'échelle
d'une ville. Cependant, ce schéma ne sera suivi que s'il est
compris et accepté par tous les intervenants. Pour faciliter
cette acceptation, des actions d'information et de formation peuvent être
proposées. Mais ce qui se révèle le plus porteur
est le processus de concertation conduit tout au long de l'élaboration
de la planification.
Partout dans le monde, l'expérience montre qu'un plan
directeur sans large concertation est d'une faible efficacité
car il est approprié et défendu par très peu
d'acteurs locaux.
A l'inverse, une concertation sans appui sur un fil conducteur solide
et sur une démarche structurée court le risque de dérives
verbales dangereuses et de crispations des conflits.
Il faut les deux piliers simultanément : une concertation
structurée autour d'un processus de planification stratégique
(dite encore planification d'orientation).
Avant d'être un outil de gestion, la planification stratégique
est un outil pédagogique d'information et de réflexion
collective. Son élaboration doit être l'occasion de
concertations et de débats nombreux (souvent houleux au début)
entre tous ceux qui sont concernés par la question de l'eau et
de l'assainissement dans l'agglomération.
Une seule action pilote du programme a défriché
explicitement le chemin de la concertation à l'échelle
d'une ville importante : elle n'a pour l'instant dépassé
que le stade préliminaire du rassemblement des connaissances de
base et de leur diffusion large à travers les premières
manifestations publiques marquant lintérêt
collectif. Mais déjà, cette nouvelle forme d'action a
suscité un intérêt et un engouement considérables
(cf de Boismenu, AP 6).
6.4 Monter des projets spécifiques
d'appui conseil aux maîtres d'ouvrage locaux
Dans l'hypothèse d'un réel désengagement
de l'Etat, le service de l'eau peut-il être pleinement assuré
par des associations d'usagers dans les petits centres urbains ? Une
action pilote du programme a proposé des formations (en gestion
communautaire, gestion comptable et financière, entretien et
maintenance) et un service d'appui-conseil, sans aucun soutien
financier pour l'exploitation, la maintenance, le renouvellement ou
l'extension des réseaux. Le projet n'a consisté qu'en
animation, formation et suivi des comités de gestion, et a
permis l'élaboration et la validation d'outils de gestion
simples, de kits d'animation et de modules de formation adaptables,
susceptibles d'être diffusés largement (cf
Estienne, AP 2).
La réussite et les enseignements tirés de cette action
pilote montrent qu'il est désormais plus que pertinent, de la
part des bailleurs de fonds, de monter des projets spécifiques
d'appui aux maîtres d'ouvrage locaux, sans avoir forcément
l'intention d'investir dans des équipements.
Cette forme d'appui, de pure maîtrise d'uvre sociale,
semble pouvoir jouer un rôle considérable dans l'accélération
des mutations dans l'approvisionnement en eau potable des petits
centres urbains et des zones péri-urbaines.
7.
Conclusion. Fournir un accès décent à leau
potable pour tous : une opportunité pour améliorer la
gouvernance locale
7.1 Réarticuler les
nouvelles dynamiques d'AEP avec celles de la décentralisation et
défricher des repères pour les responsables municipaux
Le paradoxe actuel entre les politiques nationales
d'approvisionnement en eau potable, en cours de révision, et
les politiques de décentralisation, en cours d'élaboration,
n'est peut-être pas un hasard. Il illustre peut-être
simplement les difficultés conceptuelles des responsables
nationaux à construire des repères pour l'action
municipale en vue d'offrir un accès décent à
l'eau pour tous.
Les quelques tentatives d'approche globale de ces questions, mises en
relief par le programme, peuvent-elles être interprétées
comme des anticipations sur des préoccupations concrètes
dans la mise en uvre de la décentralisation dans les
villes africaines ?
Comment poursuivre ces anticipations, comment les capitaliser pour pérenniser
les idées et les acquis, et comment concevoir des échanges
et des formations pour les responsables municipaux, pour que les uns évitent
les échecs des autres, pour que les uns bénéficient
d'outils qui ont fait leurs preuves chez les autres ? (cf
Séminaire de Ségou, AP 5)
7.2 Une opportunité pour
la coopération décentralisée
Le programme piloté par le pS-Eau a été
loccasion de mettre en relief les opportunités et les
faiblesses de la coopération décentralisée dans
le domaine de leau, qui est un terrain privilégié
dappui des communes du Nord à leurs communes jumelles
africaines. Les faiblesses se situent souvent dans lidentification
de la demande, la sous-estimation des études nécessaires
davant-projet, lintégration insuffisante des appuis
à léchelle de lensemble de la ville et des
secteurs connexes de leau, lassainissement, la santé
et léducation.
Compte tenu de ce qui vient dêtre dit ci-dessus sur les
bases à construire pour la maîtrise douvrage locale
ou la régulation locale, sur l " espace local
public " qui est souvent à inventer, les collectivités
du Nord ne doivent-elles pas privilégier lappui méthodologique
aux communes partenaires du Sud plutôt que de remplir le rôle
de maître douvrage délégué ?
Au stade encore embryonnaire de la décentralisation, les élus
municipaux, et plus encore les employés municipaux, ont surtout
besoin dune aide à lapprentissage aux métiers
de la gestion urbaine et aux outils de base de cette gestion.
Cest un domaine dexcellence des partenaires du Nord, qui
pourraient en outre ainsi suppléer le déficit de capacités
des administrations centrales africaines à assumer ce rôle
(cf Morel à lHuissier, AP 5).
7.3 De nouvelles approches dans
le montage de projets de distribution d'eau en zone urbaine par les
bailleurs de fonds
Il est temps dintroduire la dimension urbaine
(au sens de la cohérence globale urbaine, développée
plus haut) et la dimension municipale et locale (au sens de la
responsabilité des maîtrises douvrage locales, développée
précédemment) dans les programmes dapprovisionnement
en eau des populations urbaines.
Il est temps daméliorer "toutes" les
opportunités complémentaires qui peuvent permettre de
fournir leau à des populations urbaines en nombre sans
cesse croissant, complémentarités techniques des sources
dapprovisionnement en eau et des modes de distribution, complémentarités
organisationnelles des acteurs publics et privés.
Il est temps de donner aux Etats africains et aux acteurs locaux les
moyens et les méthodes pour conduire les mutations
comportementales à tous les niveaux, et surtout aux niveaux les
plus locaux, indispensables pour passer des réponses centralisées
traditionnelles aux nouvelles réponses décentralisées
et délocalisées, qui sont pour linstant les seules
à même de rattraper un jour lexplosion démographique
urbaine.
Le programme piloté par le pS-Eau a ouvert de multiples pistes
de réflexion et surtout dexpérimentation
comportementale dans ces directions. Un débat est nécessaire
pour valider les premières pistes ouvertes et pour envisager de
quelles manières diffuser ces messages et multiplier ces acquis
auprès des concepteurs et des décideurs des politiques
nationales en Afrique, et auprès de leurs bailleurs de fonds.
Notamment, certains acquis du programme devraient permettre de
reformuler les objectifs des futures assistances au secteur urbain de
leau potable en Afrique, et détablir les termes de
références pour des études préparatoires
qui reflètent mieux les nouvelles exigences, par exemple en
matière de maîtrise duvre sociale et de
vision globale urbaine. |