Synthèse

Axe n°2 : Modes de gestion partagés pour le service de l’eau potable et participation des habitants

Synthèse des acquis du programme pour l’axe 2 réalisée par Bernard Collignon (HydroConseil) et Xavier Crépin (ISTED), avec les contributions de Denis Dakouré (DRH Bobo Dioulasso), Ahmed Ould Weddady (DH Nouakchott) et de l'équipe de recherche n°2


  1. Les acteurs du service de l’eau dans les petits centres et les quartiers périubains
    1. Un paysage en évolution rapide
    2. Les collectivités locales
    3. Les associations de base
    4. Les comités de gestion de réseaux de distribution d’eau
    5. Les exploitants délégués
    6. Les organismes d’intermédiation
  2. Analyse comparative des performances de divers systèmes de gestion déléguée des points d’eau collectifs
    1. Des espaces "intermédiaires" longtemps ignorés
    2. L'échec gestionnaire des premières générations de projet et la diffusion des dispositifs de gestion déléguée
    3. Du modèle rural au "modèle" de gestion communautaire
    4. Du modèle urbain au "modèle" de distribution déléguée
    5. Dysfonctionnements et rapprochement des deux "modèles"
    6. Un éventail d'acteurs et d'initiatives élargi, mais des fonctions souvent mal définies
    7. Des usagers-payeurs... et quelques incertitudes
  3. Evolution des politiques nationales, mise en œuvre de ces politiques et logiques des projets
    1. Les conséquences des politiques de décentralisation
    2. Vers une privatisation des entreprises publiques
    3. Le développement des opérateurs privés locaux
    4. Les contraintes d’une urbanisation mal contrôlée
    5. Transcender la logique de "projet"
  4. Légitimité et stratégie des nouveaux acteurs du domaine de l’eau se réclamant d’une représentativité collective
    1. Quelle légitimité ?
    2. Les stratégies pour gagner la légitimité
    3. L’importance accordée à la contractualisation
    4. Stratégies préférentielles pour divers types d’acteurs

     » Rapports cités dans cette synthèse



1.    Les acteurs du service de l’eau dans les petits centres et les quartiers périubains

1.1    Un paysage en évolution rapide

Le paysage institutionnel du secteur de l'eau potable dans les villes africaines s'est notablement enrichi depuis dix ans. à la fin des années 80, il se résumait à la toute puissance des entreprises publiques de distribution d'eau, échappant au contrôle des municipalités et ne se préoccupant pas sérieusement de répondre à la demande des familles à revenus modérés.

Le désengagement de l'État aidant, de nouveaux acteurs sont apparus dans le champ des services urbains (associations d'usagers, ONG, petites entreprises...) ou bien des acteurs existants ont développé une autonomie accrue (collectivités locales). Ils ont alors cherché à étendre leur activité et se sont naturellement heurtés aux situations de monopole un peu rigides héritées des périodes antérieures. Dressons un rapide inventaire de ces nouveaux acteurs.

1.2    Les collectivités locales

Les collectivités locales ont longtemps été cantonnées au rôle de "courroie de transmission" du pouvoir central. Cette situation était particulièrement frappante dans des pays comme le Mali, le Burundi ou le Togo, où les élus locaux ne semblaient avoir aucune prise sur les services publics comme l'eau potable. Dans les pays d'Afrique francophone, il n'y avait guère qu'au Rwanda que les communes (via les régies communales) disposaient de véritables pouvoirs en matière de service de l'eau. Depuis six ans, de nombreux pays sont engagés dans un processus de décentralisation qui attribue aux collectivités locales des prérogatives importantes (sinon des moyens) pour assurer le service public de l'eau potable.

1.3    Les associations de base

Dans les quartiers défavorisés des grandes villes (comme à Port-au-Prince, Bamako ou Dakar), pour compenser la faiblesse et l'inefficacité des structures municipales, la société civile s'organise en de multiples associations (églises ; associations de jeunes, de femmes, de quartier...). La grande majorité de ces associations sont tentées d'investir le champ des grands services publics (eau potable, éducation, santé, voirie...) pour donner un sens à leur engagement, bien que ce type de prestation ne fasse pas vraiment partie de leur objet social.

1.4    Les comités de gestion de réseaux de distribution d’eau

A l'issue de nombreux projets de construction de systèmes d'alimentation en eau potable, les promoteurs du projet mettent en place une structure nouvelle, à laquelle l'exploitation du système est confiée. Cette structure est souvent choisie à l'issue d'un processus de cooptation, qui mobilise parfois une partie très importante de la population concernée. Elle dispose donc d'une réelle légitimité " élective ", renforcée par la présence fréquente des notables traditionnels. Ceci a des avantages (une influence réelle sur les usagers du réseaux de distribution), mais aussi des inconvénients (un certain conservatisme et la mise à l'écart de certains groupes sociaux : captifs, femmes, jeunes, étrangers...).
Le rôle de ces comités ad hoc (c'est-à-dire créés par les projets, avant tout pour servir les objectifs de pérennité définis par les projets - cf. Tanawa, AR 8) est particulièrement important dans les petits centres, où les liens coutumiers et le poids des alliances familiales l'emportent sur toute autre considération. Ces liens jouent encore un rôle important dans une ville de 50 000 habitants, comme Mopti (cf. Bouju, AR 10) mais tendent à s'estomper dans les grandes métropoles comme Dakar (cf. Champetier et Durand, AR 9).

1.5    Les exploitants délégués

Il s'agit des entreprises ou des particuliers qui négocient avec l'État ou des collectivités locales la concession, l'affermage ou la délégation de gestion d'un système de distribution d'eau. Ce type d'opérateur n'a pas la prétention de représenter les usagers ou de parler en leur nom, mais de leur fournir un service de qualité, bien adapté à leur demande.
En Mauritanie, Tidiane Koita (AR 9) a interviewé ces concessionnaires et son rapport d'étude dresse un portrait très fin de leur activité, de leurs attentes et de leurs revendications. Il montre bien leur frustration de ne bénéficier d'aucune légitimité juridique, tant auprès de l'administration centrale que par les collectivités locales, alors qu'ils assurent l'essentiel des tâches qui permettent de fournir de l'eau à la population.

1.6    Les organismes d’intermédiation

Ce sont des nouveaux venus dans le secteur de la distribution d'eau potable. Confrontés au manque de communication et de négociation entre les représentants de l'État et ceux des usagers, des ONG et des bureaux d'études prennent une place centrale dans la négociation de nouveaux modes de gestion des services publics dans les grandes villes, comme Bamenda (cf. De Boismenu, AP 6) ou Port-au-Prince (cf. synthèse de l'étude pilotée par HydroConseil, AR 9).


2.    Analyse comparative des performances de divers systèmes de gestion déléguée des points d’eau collectifs

Les études de cas et les enquêtes réalisées en première phase de l'action de recherche pilotée par le Burgeap (AR 2) ont mis en lumière la grande diversité des solutions institutionnelles retenues dans les différents contextes (la synthèse de la recherche pilotée par le Burgeap a largement inspiré les paragraphes suivants). Face à cette diversité, l'équipe de recherche s'est attachée avec succès à structurer une approche cohérente concernant l'organisation du service, le rôle des usagers, la prise en charge des différents coûts, l'organisation du service et son rapport avec les structures locales, les rapports entre projets et politique nationale, et enfin les rapports entre les différents intervenants.

2.1 Des espaces "intermédiaires" longtemps ignorés

Dans la plupart des pays étudiés, l'organisation des services d'eau potable distingue les milieux urbains et ruraux. Les petits centres et les quartiers périurbains ont la particularité d'être des espaces intermédiaires au regard des catégories précédemment définies, négligés par les organigrammes institutionnels et, ce faisant, relevant tantôt des instances de gestion urbaines, tantôt des administrations en charge des zones rurales.

2.2 L'échec gestionnaire des premières générations de projet et la diffusion des dispositifs de gestion déléguée

Les résultats gestionnaires de la première génération de projets d'hydraulique villageoise furent médiocres, soit que la défaillance rapide des pompes ait provoqué le retour des utilisateurs aux points d'eau traditionnels, soit que les conditions de fonctionnement des nouvelles installations n'aient pas permis de détourner les habitants de leurs pratiques d'approvisionnement antérieures. On connaît par ailleurs le bilan désastreux de nombreux réseaux municipaux de bornes-fontaines, dont beaucoup ont été abandonnés dans les années 70 ou fermés dans les années 80 en raison d'importants arriérés de paiement dûs par les municipalités aux sociétés d'eau, et de la détérioration de nombreuses installations locales faute d'entretien.
La diffusion de la gestion déléguée en milieu périurbain a, quant à elle, deux causes principales : les recommandations des bailleurs concernant le paiement de l'eau (conformes aux recommandations faites dans le cadre des programmes d'ajustement structurel) et la reconnaissance des pratiques de revente de l'eau par les abonnés privés qui se généralisent dans la décennie 70.

2.3 Du modèle rural au "modèle" de gestion communautaire

Le modèle communautaire est surtout répandu en milieu rural et dans les petits centres (moins de 10 000 habitants), où les solidarités et les pouvoirs traditionnels sont encore forts. Un collectif d'habitants, représenté par un comité ou une association, est responsable de la fourniture du service de production/distribution de l'eau, à partir d'installations souvent financées dans le cadre d'un projet, et presque toujours propriété de l'État. La vente de l'eau est confiée à des fontainiers, salariés ou rémunérés à la marge, tandis que le comité ou l'association est parfois lié à un prestataire de service pour l'entretien. Les relations entre les différents acteurs sont rarement explicitées dans le cadre d'un document (contrat) écrit. Ce modèle est le plus répandu et il atteint une importance particulière au Sénégal, où plus de 800 adductions sont ainsi gérées.
Les avantages théoriques de ce modèle sont d'assurer la " participation " des populations, c'est-à-dire leur responsabilisation et leur représentation, et la pérennité du dispositif en prévoyant explicitement les modalités de financement du fonctionnement et de la maintenance (tarifs et modalités de recouvrement) et parfois celles du renouvellement partiel des installations (avec des procédures d'épargne plus ou moins forcée). Ce système d'exploitation a également l'intérêt de limiter les charges de gestion (assurées par des délégués souvent bénévoles), mais cela risque de se faire au détriment des performances du système. La professionnalisation des membres des comités de gestion constitue donc un enjeu important, qui a été très largement abordé dans le cadre de l'action-pilote de l'AFVP et ISF au Sénégal (AP 2).

2.4 Du modèle urbain au "modèle" de distribution déléguée

La délégation de la distribution aux bornes-fontaines à des gérants privés tend à se généraliser dans les milieux urbains et périurbains d'Afrique noire, où les liens traditionnels sont moins forts, les habitants plus individualistes, et donc les actions communautaires plus difficiles à mettre en oeuvre (cf. Tanawa, AR 8). L'entreprise concessionnaire du service de l'eau à l'échelle nationale (qu'elle soit publique ou privée), intègre les fonctions de production, transport et distribution, mais elle externalise le segment aval de la filière.
Les responsabilités liées à la vente au détail de l'eau et à l'entretien des points de distribution sont déléguées à un exploitant généralement privé (parfois associatif). Elles sont généralement consignées dans un contrat écrit plus ou moins détaillé. Imposé au fermier, ou au gérant, par le concédant, ce contrat est plus destiné à préserver les intérêts de ce dernier qu'à assurer la qualité du service aux usagers. Ce service est d'ailleurs souvent assuré par un fontainier, recruté par le gérant, rémunéré par lui (au forfait ou à la marge) et, de fait, exclu de la relation contractuelle formalisée.
Les principaux apports de ce dispositif sont doubles : améliorer le service de proximité en responsabilisant un tiers proche des usagers et potentiellement soumis à leur pression ; alléger les coûts de gestion de l'autorité concédante en délocalisant l'aléa d'exploitation.
Exclues de la contractualisation, les normes de qualité du service de distribution ne sont pas régulées : aucune instance n'est officiellement chargée de définir le niveau des prestations, de les transcrire dans un cahier des charges et de surveiller le respect de ce dernier. Le déficit de cette fonction de régulation est d'ailleurs l'un des traits marquants qui ressort de très nombreuses études de cas. En revanche, la sûreté procurée par le transfert du risque d'exploitation est réelle, toute une série d'outils (caution, rachat de caution, fermeture du compteur) permettant à l'autorité concédante d'encadrer l'activité marchande du délégataire (ceci est bien illustré par les résultats de l'action-pilote menée par les villes jumelées au Mali, AP 5).

2.5 Dysfonctionnements et rapprochement des deux "modèles"

Les principaux dysfonctionnements identifiés peuvent être classés en trois grands groupes :
— ceux issus de défauts de conception des systèmes de desserte ;
— ceux qui résultent de pratiques antérieures à l'organisation de la gestion déléguée qui, en persistant, viennent en parasiter le fonctionnement ;
— ceux issus d'un fréquent décalage entre la définition formelle des rôles et des fonctions d'une part, les responsabilités et les usages empiriquement construits sur le terrain d'autre part.

Face à ces difficultés, la tendance actuelle semble de tenter de tirer " le meilleur " de chacun des deux " modèles ", sans aller jusqu'à une " standardisation " des modèles de gestion des points d'eau collectifs, urbains et ruraux, car les contraintes qui s'y imposent sont trop différentes.
S'inspirant de l'affermage, ces modes d'exploitation nouveaux reposent sur une " désintégration " de la chaîne gestionnaire (plusieurs opérateurs se partagent les rôles), une contractualisation croissante des fonctions (parfois sous la forme d'une cascade de contrats : affermage, vente au détail, entretien) et la recherche de relations triangulaires stables favorisant l'intervention d'un tiers dans la régulation du service.

2.6 Un éventail d'acteurs et d'initiatives élargi, mais des fonctions souvent mal définies

Les fonctions à assumer sont schématiquement au nombre de cinq : la maîtrise d'ouvrage, la fonction de tutelle et de régulation, l'exploitation, la vente au détail et la maintenance. Une caractéristique majeure de la gestion déléguée des points d'eau collectifs est ainsi la parcellisation des responsabilités, confiées à des acteurs de nature et de statut très divers - administrations centrales et locales, entreprises privées, collectifs de nature associative (comités et associations d'usagers), individus (fontainiers, gérants privés sous contrat) - et aux logiques potentiellement divergentes voire antagoniques. Elle n'est toutefois pas sans comporter des risques, puisque l'efficacité et la fiabilité du dispositif dépendent de la qualité des fonctions de coordination et de régulation de l'ensemble, ainsi que des coûts de transaction induits, difficiles à maîtriser, qui peuvent être aussi élevés que les anciens frais de structure. En outre, les études de cas révèlent que la ventilation apparemment claire des fonctions est constamment " brouillée ". Plusieurs causes à l'origine de cette confusion doivent être soulignées :

  • Les conditions de l'investissement perturbent durablement la distribution des rôles, la responsabilité de maître d'ouvrage semblant souvent partiellement vacante. En réponse à ces difficultés, de nombreux pays ont prévu des modalités de transfert, total ou partiel, de la maîtrise d'ouvrage à des instances locales. 
  • La modicité des moyens des administrations publiques rend caduque la fonction de tutelle/régulation qu'elles sont censées exercer, l’encadrement très lâche de l'administration laissant le champ libre à d'autres pouvoirs de contrôle "informels".
  • La place et le rôle du comité de point d'eau, dans le modèle de gestion "communautaire", sont grevés d'incertitudes, le principe du bénévolat, imposé par les projets, posant problème, dans un contexte de décentralisation,
  • De manière générale, l'enchevêtrement de réformes inégalement abouties et partiellement contradictoires entretient la confusion.

Les limites à l'intervention publique ouvrent la voie à une intervention renforcée des opérateurs privés, et renforcent la nécessité de structurer leurs relations avec les autres intervenants dans le cadre d'accords opérationnels.

2.7 Des usagers-payeurs… et quelques incertitudes

Dans tous les exemples étudiés, le paiement de l'eau par les usagers finaux a été intégré mais ses modalités de calcul et de recouvrement varient considérablement.

  • Il est partout acquis que les tarifs doivent couvrir au minimum les coûts de fonctionnement et de maintenance
  • Compte tenu du coût des infrastructures dans les périmètres habités à faible densité (villages, petits centres et périphéries urbaines) et du faible pouvoir d'achat moyen de leurs habitants, l'idée prévaut que les investissements de base doivent être assumés par les États, ou une entité territoriale disposant de l'assise financière suffisante, avec l'aide de bailleurs extérieurs (prêts ou dons)
  • Ce partage des coûts ne doit cependant pas masquer les dépendances croisées. Ainsi les choix techniques, qui déterminent le montant de l'investissement initial, influencent les coûts de fonctionnement : un investissement "bon marché" pouvant par exemple induire d'importants coûts récurrents. Une consultation précoce des différents partenaires, dans le but de concilier des intérêts potentiellement divergents entre bailleur, propriétaire, exploitant et usagers, semble ainsi nécessaire à la bonne gestion ultérieure du dispositif.
  • Les plus grandes incertitudes concernent le financement des coûts de renouvellement et d'extension et la question de l'évolution de l'ouvrage (possibilités de branchements individuels par exemple) et de son extension physique pour desservir de nouveaux périmètres urbanisés est rarement explicitement posée.

L'efficacité du service rendu est étroitement liée à une prise en compte de la demande réelle, l'usager se comportant comme un consommateur devant arbitrer le coût du service/offre, mais également comme un exploitant pour ce qui concerne les dépenses de maintenance et de renouvellement dans le cadre des associations d'usagers, de comités de gestion ou de comités de points d'eau.


3.    Evolution des politiques nationales, mise en œuvre de ces politiques et logiques des projets

3.1    Les conséquences des politiques de décentralisation

La plupart des pays d'Afrique se sont lancés dans une décentralisation relativement forte du service de l'eau, avec transfert de certaines compétences des services de l'État vers les communes. Celles-ci n'ont pas pour autant été dotées de ressources supplémentaires (notamment fiscales) et ce transfert ressemble donc parfois à un " lâchage " par l'État d'un service dont il ne pouvait plus supporter le coût.

3.2    Vers une privatisation des entreprises publiques

La plupart des pays africains sont engagés dans la privatisation de l'entreprise publique qui disposait du monopole de la distribution de l'eau dans les grandes villes. Ce processus s'inscrit parfaitement dans les politiques d'ajustement structurel et il bénéficie de la sollicitude de tous les bailleurs de fonds. Ce transfert ne s'accompagne pas nécessairement d'une extension du service de l'eau (vers de plus petits centres) ou d'une restriction de ce service aux usagers " bons payeurs ", comme pourrait le faire craindre la doctrine " libérale " qui sous-tend ces processus.
Ce qui est observé sur le terrain semble plutôt une privatisation " à périmètre constant ", qui s'explique par le poids énorme des investissements à consentir pour installer de nouveaux réseaux, un poids que les nouvelles entreprises privatisées se refusent à supporter elles-mêmes. La privatisation ne porte donc que sur l'exploitation des réseaux existants, qui restent souvent propriété de l'État, dont les intérêts sont parfois représentés par une société de patrimoine. Les extensions éventuelles sont laissées à la charge de l'État.

3.3    Le développement des opérateurs privés locaux

A côté des entreprises d'envergure nationale, on constate l'apparition et le développement rapide d'autres entreprises privées, qui assurent une partie précise du service de l'eau (réparateurs, gérants de bornes-fontaines, concessionnaires de petits réseaux, charretiers, camionneurs...). Ces acteurs ont été particulièrement étudiés dans le cadre de l'action de recherche pilotée par HydroConseil (AR 9), et apparaissent dans pratiquement toutes les études comme étant particulièrement importants, bien que mal pris en compte par les politiques nationales.
Le développement de ces acteurs semble participer de la même philosophie que celle qui soutient la privatisation des entreprises nationales, mais elle se heurte encore à de nombreux obstacles :

  • un cadre juridique (fiscal et social) mal adapté aux petits entreprises,
  • l'absence de juridiction du commerce performante,
  • l'abus de position dominante des entreprises publiques récemment privatisées,
  • la jalousie des fonctionnaires à l’égard des opérateurs privés,
  • l'absence d'organismes de régulation à l'autorité universellement reconnue, qui définiraient et feraient respecter " les règles du jeu ".

3.4    Les contraintes d’une urbanisation mal contrôlée

Dans les grandes villes, l'urbanisation échappe très largement au contrôle des pouvoirs publics, car la plupart des maisons sont construites sans titres fonciers et sans permis de construire (cf. Tanawa, AR 8 et Valfrey, AR 9). Les quartiers populaires, souvent dépourvus de voies de desserte, sont difficiles à approvisionner en eau selon les normes habituelles en milieu urbain, d'autant plus que leurs habitants ont un niveau de vie qui ne leur permet pas d'accéder au service à domicile classique.
Il devient donc urgent de mettre en oeuvre des politiques de service public plus réalistes, qui prennent en compte l'ensemble des besoins des usagers (y compris les plus pauvres), et l'ensemble des points d'eau qu'ils utilisent (y compris les plus vulnérables, comme les puits et les sources). Ce thème encore très peu défriché a été étudié dans le cadre d'actions-pilotes à Yaoundé (cf. Adeline, AP 1) et à Kindia (cf. Romann, AR 1).

3.5    Transcender la logique de "projet"

Les projets présentent souvent un caractère introverti. Pour éviter les imprévus et satisfaire les donneurs d'ordre (bailleurs de fonds et administrations centrales), ils restent peu perméables à leur environnement et à la demande des populations :

  • l'addition de projets non coordonnés accroît les risques d'inégalités entre les régions ou les villes ;
  • l’absence de coordination entrave aussi la création d'une politique nationale cohérente en matière de service de l’eau ;
  • le projet tend à enfermer le raisonnement dans "son" territoire d'intervention, qui n'est pas nécessairement le plus pertinent au regard des dynamiques gestionnaires qu'il tente de promouvoir ;
  • le maître d’œuvre d’un projet est tenu à une exigence de résultat quantitatif qui le pousse à " sauter " des étapes importantes (comme le cofinancement du système par les utilisateurs) pour satisfaire son client (Tanawa, AR 8) ;
  • le maître d’œuvre du projet tend à pérenniser son existence, au travers de structures artificielles, constituées pour l’occasion et à la viabilité douteuse.

Dans un domaine en évolution aussi rapide que celui de l'AEP des petits centres et des quartiers périurbains, l'un des enjeux importants pour les États et les bailleurs de fonds sera donc d'arriver à " transcender " les approches " projet ". Cela implique trois choses :

  • inscrire toutes les actions financées par les différents bailleurs de fonds dans des politiques nationales cohérentes, appuyées par un important travail législatif et institutionnel ;
  • imposer aux maîtres d’oeuvre des projets des objectifs moins rigides, mais exiger d’eux une réelle prise en compte de la demande et des acteurs locaux ;
  • limiter les risques d’introversion, favoriser les montages de projet qui associent contractuellement de multiples acteurs locaux, en évitant de créer des structures nouvelles, dont la survie soit directement liée à celle du projet.

4.    Légitimité et stratégie des nouveaux acteurs du domaine de l’eau se réclamant d’une représentativité collective

4.1    Quelle légitimité ?

Une légitimité ? Pour en faire quoi ?
Pourquoi doit-on se poser la question de la légitimité des nouveaux acteurs du domaine de l'eau potable ? Malgré leur influence sur la vie sociale, on ne se pose pas la question de la légitimité des marchands de grain ou des griots.
La légitimité des acteurs du domaine de l’eau est une question sensible car :

  • il s’agit de l’un des services publics de base, autour desquels beaucoup de sociétés humaines se sont structurées ;
  • la qualité de ce service a un impact important sur la santé publique ;
  • ce service génère un volume d’activité important, en termes de chiffre d’affaire et de nombres d’emplois et il constitue donc un enjeu de pouvoir économique ;
  • la maîtrise du développement urbain passe par celle des services structurants comme celui de l’eau potable et ce service constitue donc un enjeu de pouvoir politique.

Cette question ne se posait guère tant que ce service était assuré par l'État et les municipalités, et tant que la légitimité de celles-ci n'était remise en cause par personne (faute d'opposition, ou à cause de la répression de toute opposition). Mais depuis une dizaine d'années, le paysage politique et institutionnel s'est largement étoffé en Afrique et de nouveaux acteurs, revendiquant un rôle croissant dans la gestion des services publics, sont apparus. Plusieurs acteurs se réclamant de différentes sources de légitimité peuvent même se retrouver en situation de concurrence.

La légitimité élective
Il est extrêmement difficile d'organiser des élections dans des villes où la population est peu alphabétisée, mal recensée, mal informée.
L'élection au suffrage universel direct des structures représentant les usagers est donc aussi rare en Afrique qu'en Europe. Les rares exemples concernent généralement de petites communautés de quelques dizaines de familles. Dans les villes, où l'effectif de la population est trop élevé, on procède plutôt à des scrutins partiels (ne votent que ceux qui veulent participer à l'assemblée générale) et indirects (délégués de borne-fontaine, comité, bureau permanent).

La légitimité traditionnelle
L'accord des anciens (cf. Bouju, AR 10, qui a étudié le cas de Mopti) ou des dignitaires religieux constitue souvent un moyen très efficace d'acquérir une certaine légitimité. Ces notables sont donc souvent courtisés par les projets et par les comités ad hoc, sans toujours être trop regardant sur les éventuelles contradictions d'intérêts entre ces notables (qui possèdent des terres, des sources...) et le service public.

La légitimité officielle
Pendant longtemps, la légitimité des entreprises qui géraient l'eau n'a reposé que sur le soutien indéfectible que leur apportait l'État, en leur garantissant une situation de monopole. L'accord de l'administration est d'ailleurs toujours considéré comme une source importante de légitimité, et c'est ce qui explique le rôle prépondérant que celle-ci peut jouer lors de l'attribution des concessions de bornes-fontaines (cf. Champetier et Durand, AR 9, pour l'exemple de Dakar ou Morel à l'Huissier et Verdeil, AP 5, pour celui des villes maliennes).
Enfin, et c'est un peu paradoxal, le soutien des bailleurs de fonds internationaux est un moyen efficace d'accéder à une certaine légitimité locale, bien que ces bailleurs n'en disposent pas par eux-mêmes dans les pays où ils financent des projets. Par exemple, l'entreprise qui a gagné un affermage après un appel d'offres validé par un bailleur de fonds international jouit d'une position solide, garantie par le contrôle de l'appel d'offres effectué par les experts du bailleur de fonds.

4.2    Les stratégies pour gagner la légitimité

Fournir un service de qualité
Contrairement à ce que l'on a parfois tendance à dire, les habitants des quartiers populaires ne sont pas de simples marionnettes entre les mains d'acteurs plus ou moins démagogues. Ce sont d'abord des usagers, des chefs de familles confrontés quotidiennement aux difficultés de l'approvisionnement en eau. Celui qui fournit un service de qualité, à un prix abordable, bénéficiera donc toujours auprès d'eux d'une indéniable légitimité. Les concessionnaires privés des petits réseaux de distribution d'eau en Mauritanie, qui ne bénéficient d'aucune protection juridique, s'appuient largement sur ce type de soutien pour garantir leur emploi et, en pratique, aucun concessionnaire sérieux n'a jamais été évincé de son poste jusqu'à présent. Le soutien des usagers satisfaits constitue donc une source de légitimité extrêmement forte.

Fournir un service à coût modéré
Au lieu de jouer sur la qualité du service, certains opérateurs du secteur de l'eau tentent parfois de jouer sur le prix du service. Moyennant quelques entorses aux règles qui garantissent la qualité de l'eau, on peut en effet réduire son coût de production. Ils acquièrent ainsi une légitimité réelle (ce sont ceux qui fournissent le service le moins coûteux) mais peu compatible avec la santé publique.

Mobiliser les usagers
Pour un nouvel arrivant dans le paysage institutionnel, la manière la plus " légitime " d'acquérir de la légitimité est de mobiliser les usagers autour de son programme ou de ses actions. Les opérateurs de type " associations d'usagers, comités de gestion... " ont donc tendance à organiser beaucoup de réunions et d'assemblées générales de la population (cf. Tanawa, AR 8) et il n'est pas rare que les nouveaux leaders fassent ensuite une carrière politique.
Il y a toujours un certain risque de dérive " populiste " dans ce genre d'exercice, mais, réciproquement, celui qui organise une assemblée générale s'expose à la critique, et de nombreuses études ont montré que ce sont les acteurs les moins efficaces (et les moins scrupuleux) qui évitent ce risque, tant dans les grandes villes (comme à Port-au-Prince, où certains comités de l'eau hésitent à présenter leurs comptes en assemblée générale) que dans les petits centres.

Subventionner le service de l’eau ou en reporter la charge sur d’autres
Pour un homme politique, un bon moyen d'asseoir sa popularité a toujours été de fournir un service public gratuit ou largement subventionné, tout en reportant le poids des charges à couvrir sur d'autres (l'État, les générations futures...). Ce type de stratégie est fréquemment adopté par quelques hommes politiques pour se faire élire, constituant alors une difficulté majeure pour la mise en place de politiques de recouvrement des coûts efficaces. Ainsi, dans certains pays, des considérations de politique interne peuvent ruiner les efforts de rationalisation entrepris par les sociétés distributrices.

Incorporer les leaders politiques locaux
On retrouve des élus locaux (maires, députés, etc.) dans de nombreux comités de gestion de systèmes de distribution d'eau. Cette participation est évidemment un atout quand le comité doit négocier avec l'État une subvention, un nouvel équipement, un raccordement au réseau électrique, etc. Mais il est généralement bien difficile de savoir qui profite le plus de la légitimité de l'autre : le comité qui bénéficie des réseaux d'influence d'un leader politique, ou ce dernier qui revendique le soutien populaire d'associations d'usagers qu'il a plus ou moins infiltrées.

Négocier la reconnaissance des autres acteurs
Faute d'une légitimité directe (c'est-à-dire apportée par la population concernée), certains acteurs concentrent leurs efforts sur la reconnaissance de leur importance par d'autres acteurs puissants du même secteur. Ce processus de " légitimation réciproque " est extrêmement pervers, car il permet à des acteurs dépourvus de toute légitimité de se renforcer mutuellement jusqu'à " occuper le paysage ".
Ce type de procédé est assez répandu dans les villes où la situation est tellement conflictuelle qu'elle semble durablement figée. Plusieurs acteurs rivaux peuvent alors trouver un intérêt réciproque à se reconnaître une certaine légitimité, en échange d'un partage du pouvoir.
C'est une pratique courante à Port-au-Prince, entre les organisations de base, affiliées à des partis politiques aux rapports très conflictuels (cf. Mathieusand, AR 5, et Valfrey, AR 9). Cela semble également l'un des processus qui a permis le démarrage de la concertation à Bamenda (cf. de Boismenu).

S’imposer par la force
Sur le plan de la morale, le puissant qui impose sa prééminence par la violence semble dépourvu de toute légitimité. Il serait cependant naïf d'oublier que la légitimité de nombreux régimes s'est construite par la violence. Ensuite, si ces régimes veulent atteindre une certaine stabilité, il leur faut évidemment assurer une certaine qualité de service public. Mais une certaine dose de violence n'est pas inefficace et des régimes notoirement inefficaces (comme celui de Mobutu au Zaïre ou de Duvalier en Haïti) ont pu durer plusieurs dizaines d'années, en asseyant leur légitimité sur un savant dosage de corruption et de violence physique.
La violence physique est également un moyen très utilisé par certains opérateurs privés qui veulent se préserver les avantages d'un marché captif. Ainsi, à Port-au-Prince, les gérants de bornes-fontaines ont-ils longtemps été des " tontons-macoutes ". Et on peut imaginer les luttes que se livrent les bandes armées autour des stations de pompage de Mogadiscio ou de Freetown.

4.3    L’importance accordée à la contractualisation

La contractualisation entre les différents acteurs est un thème traité de plus en plus sérieusement dans le cadre des programmes d'approvisionnement en eau potable. Ce n'est d'ailleurs pas une spécificité des services de l'eau. Les actions de recherche et les actions-pilotes menées dans le cadre de ce programme ont donc très souvent débouché sur la négociation de contrats.
Cette grande importance accordée au processus de contractualisation est une chose relativement nouvelle. Par exemple, les projets de contrats élaborés par la DEM (Direction de l’exploitation et de la maintenance) au Sénégal (dès 1984) pour la délégation de gestion des stations de pompage motorisées, n'ont jamais été mis en application sans que cela semble gêner grand monde.
La contractualisation est aussi un processus de légitimation réciproque entre les diverses parties au contrat. Chacun reconnaît explicitement l'importance de l'autre et accepte de partager le pouvoir avec lui. Il serait innocent de penser que ce n'est jamais sans arrière-pensées. De plus, l'impression prévaut que le contrat est surtout fait pour encadrer l'activité du maillon le plus faible de la chaîne, et que l'opérateur dominant s'arroge à la fois les fonctions de conception, de contrôle et de sanction (cf. Jaglin, AR 2).
La signature de contrats, comme toute formalisation, tend à figer la situation existante, au détriment de la souplesse nécessaire pour s'adapter à un contexte économique et social très mouvant. Il est donc souhaitable de considérer la contractualisation comme un processus de négociation permanente, et d'éviter l'utilisation de contrats-types, " prêts à l'emploi ". Comme l'a souligné Henri Coing (AR 2) au cours de l'atelier, le processus de négociation entre les parties au contrat semble d'ailleurs aussi important que le contrat lui-même.

4.4    Stratégies préférentielles pour divers types d’acteurs

Les entreprises publiques de distribution d’eau
La principale stratégie adoptée par les entreprises publiques concessionnaires du service de l'eau consiste à se faire attribuer une situation de monopole, via le Code de l'Eau ou leur contrat de concession. Cette légitimité juridique a des limites très nettes auprès de la clientèle, que rien n'empêchera d'aller chercher ailleurs le service qui lui convient, au moment où cela lui convient, et au prix qu'elle est prête à payer. C'est la raison pour laquelle la " chasse aux revendeurs clandestins " n'a guère de succès dans aucun pays.
Les cadres de l'administration ont naturellement tendance à s'appuyer sur la légitimité de l'État (" c'est nous qui sommes les représentants de l'État, qui a le monopole sur l'exploitation de l'eau "). C'est sur cette base que certains cadres de la Snec (cf. Adeline et al., AP 1) proposent de taxer les puits privés et les utilisateurs de source, au nom d'un prétendu " monopole " de l'eau potable. Cette prétention est d'autant plus choquante que ces mêmes entreprises revendiquent une plus grande autonomie de gestion, de tarification... qui les éloigne de plus en plus de leur objectif de desserte en eau de toutes les familles, y compris les plus pauvres.

Les entreprises privées, concessionnaires du service de l’eau
La situation des entreprises concessionnaires évolue rapidement depuis quelques années dans le contexte général de privatisation des entreprises publiques. La légitimité qu'elles pouvaient tirer de leur monopole naturel (en tant que représentantes de l'État) se réduit. Ces entreprises tendent alors à compenser cette perte de légitimité formelle par une meilleure image auprès de la clientèle (en améliorant la desserte, la qualité de l'eau, les relations avec les clients), comme le prouve l'expérience réussie de la Sodeci en Côte d'Ivoire.
Ce processus de privatisation donne lieu généralement à des appels d'offres internationaux, ce qui apporte quelques gages de transparence et peut donner une certaine légitimité à celui qui gagne l'appel d'offres. Cependant, la situation de monopole privé à l'échelle de tout un pays ainsi acquise est par essence " illégitime ", puisqu'une entreprise privée devrait être en situation de concurrence. Ce manque de légitimité est d'ailleurs renforcé par le fait que ce sont généralement des entreprises étrangères qui sont les actionnaires principaux des nouveaux concessionnaires.
Le monopole qu'elles acquièrent peut donner lieu à des abus, surtout dans des pays où l'État ne dispose pas de moyens très performants pour contrôler l'activité des grandes entreprises, surtout si elles ont une envergure internationale (rappelons que le chiffre d'affaires des trois principales entreprises engagées dans ces processus de privatisation - la Lyonnaise des Eaux, le groupe Vivendi et le groupe Bouygues - représente cinq fois le PNB de l'ensemble des pays du Sahel).

Les municipalités
Les municipalités (et les députés qui représentent leurs intérêts au niveau national) défendent depuis plusieurs années l'adoption de nouveaux codes des collectivités locales (lois portant sur la décentralisation) qui leur confèrent des responsabilités et des pouvoirs accrus en matière de service de l'eau et de recettes municipales assises sur la vente de l'eau (vente directe, patentes, taxes au m3, etc.). Il s'agit là d'une légitimité très " légale ", mais qui constitue un outil de prise de pouvoir important dans la mesure où le principal rival pour ces municipalités reste l'administration centrale elle-même, et particulièrement les directions de l'Hydraulique, concentrées dans les capitales, qui ont, jusqu'à tout récemment, rassemblé tous les leviers de pouvoir en ce domaine (cf. Hinojosa, AP 5).
L'expérience des années 60 (quand beaucoup de municipalités géraient le service de l'eau en régie directe) fut pourtant décevante, tant pour les usagers (mal desservis) que pour les communes (déficitaires - cf. Tanawa, AR 8). Leur situation politique, économique et institutionnelle nouvelle leur permettra-t-elle de mieux assurer le service de l'eau ? Rien ne permet de l'affirmer, mais il est assez compréhensible qu'elles revendiquent la gestion de ce service, tant pour des raisons financières (l'eau potable est maintenant considérée par tous comme un service payant, ce qui n'était pas le cas en 1960) que pour des raisons de légitimité (quelle meilleure image pour une municipalité que l'amélioration des services publics ?).

Les associations d’usagers
Les associations d'usagers peuvent obtenir une reconnaissance juridique (la personnalité morale) pour pouvoir posséder des biens (comme les installations de pompage), des comptes en banque et intenter des actions en justice. Ce souci de reconnaissance légale est cependant bien timide et il ne se fait le plus souvent qu’à l’instigation des projets eux-mêmes (Valfrey, 1997, Collignon, 1998, Estienne, 1997). Les associations craignent en effet d’être soumises à des contraintes administratives ou fiscales trop lourdes. Elles recherchent donc des statuts défiscalisés et simplifiés :

  • coopératives en Mauritanie, comme les coopératives membres de la fédération NASSIM (Koita, 1997, Carlier, 1997, Collignon, 1997 - AR 9)
  • GIE au Sénégal (Valfrey, 1995)
  • associations d’usagers (en projet dans le cadre de la réforme de la gestion des forages motorisés au Sénégal)
  • associations sans buts lucratifs (plutôt que coopérative) à Port-au-Prince.

La reconnaissance légale ne signifie pas pour autant que ces associations soient les plus représentatives de la population. Les élections sont toujours difficiles à organiser et un comité fonctionnel est rarement possible sans l'implication des notables traditionnels (cf. Bouju, AR 10), même si ceux-ci ne sont pas représentatifs de tous les groupes de la population.

La légitimité apportée par la reconnaissance légale est souvent utilisée par les membres des comités de gestion pour justifier le paiement d'indemnités qui peuvent être assez importantes, surtout dans des villages où le salaire agricole ne dépasse pas 5 FF par jour. Mais l'expérience du Sénégal prouve que la reconnaissance légale n'est pas indispensable pour cela.

Les petits concessionnaires
Les concessionnaires des petits réseaux de distribution d'eau (dans les petits centres ou dans les quartiers populaires) savent que leur légitimité dépend surtout du soutien des usagers satisfaits. Ils aimeraient certainement la renforcer par des contrats de concession plus sécurisants, de plus longue durée par exemple (la durée des concessions peut n'être que d'un mois en Mauritanie - cf. Koita, AR 9).

Les organismes d’intermédiation (ONG, bureaux d’études,....)
Certains organismes concentrent leur action sur l'intermédiation entre des acteurs incontournables, mais qui ont du mal à collaborer ou même simplement à dialoguer (les services techniques de l'État et les associations d'usagers par exemple). Leur légitimité passe par leur acceptation par les différents acteurs qu'ils aident à dialoguer. Ils sont donc amenés à faire continuellement de la corde raide entre des positions difficilement conciliables.
L'intervention de ce type d'acteur est par essence temporaire. Il est censé se retirer dès que des mécanismes de négociation entre les acteurs locaux se sont mis en place et son efficacité devrait donc se mesurer à la brièveté de son intervention. Cependant, l'expérience prouve l'intérêt pour tous les acteurs de pouvoir recourir à un arbitre neutre en cas de conflit ; les organismes d'intermédiation sont donc souvent amenés à jouer ce rôle qui dépasse quelque peu leur vocation.




» Rapports concernés par cette synthèse
  • ADELINE T. et al., 1998. Rapport final de l'AP 1.
  • BOUJU J., 1998. Rapport final de l’AR 10.
  • CARLIER R., 1995. Évaluation des réseaux d'AEP du programme Hassir. Audit et propositions.
  • CHAMPETIER S. et DURAND P., 1997. Les opérateurs privés au service de l'eau dans les quartiers irréguliers de Dakar (AR 9).
  • COLLIGNON B. et al., 1997. Les opérateurs privés du service de l'eau dans les petits centres de quatre pays sahéliens. Rapport final de l'AR 9.
  • COLLIGNON B. et al., 1998. Les opérateurs privés du service de l'eau dans les quartiers populaires des grandes métropoles du tiers-monde. Rapport final de l'AR 9.
  • DAKOURE D., 1997. Rôle des opérateurs privés dans la distribution d'eau potable dans les quartiers périurbains et les centres secondaires dans le sud-ouest du Burkina Faso. Rapport à HydroConseil dans le cadre de l'AR 9. 21 p.
  • DE BOISMENU I., 1997. Rapport final AP 6.
  • DE BOISMENU I., 1997. Rapport final AR 5.
  • ESTIENNE C. et al. Rapport final AP 2.
  • ETIENNE J. et al., 1998. Rapport final de l'AR 2.
  • HINOJOSA R., 1998. Rapport final ville de Mopti (dans le cadre de l'AP 5).
  • HYDROCONSEIL, 1998a. Évaluation des programmes d'AEP des quartiers populaires de Port-au-Prince, financés par la CFD et l'Union européenne. 85 p.
  • KOITA T., 1997b. L'exploitation du service de l'eau par des concessionnaires privés dans les petits centres de Mauritanie. Rapport à HydroConseil dans le cadre du programme coordonné par le pS-Eau. 120 p.
  • MATTHIEUSAND S., 1997. Entretiens à Port-au-Prince (dans le cadre de l'AR 5).
  • MOREL à L'HUISSIER A. et VERDEIL V., 1996. Gestion des bornes-fontaines : étude comparative et évaluation de projets réalisés ou en cours de réalisation (villes de Kayes, Ségou, Mopti). Éd. Cergrene. 200 p. (dans le cadre de l’AP 5)
  • PS-EAU, 1997. Actes de la rencontre de concertation des acteurs dans le domaine de l'hydraulique au Sénégal (Dakar, 12/96). 56 p.
  • ROMANN D., 1998. Rapport final de l'AR 1.
  • TAISNE R., 1998. Rapport de la mission de suivi de l'AP 2.
  • TANAWA E. et al., 1998. Gestion de l'eau et protection de la ressource. Rapport final de l'AR 8.
  • VALFREY B., 1997. Les opérateurs privés de la distribution d'eau et de la maintenance des adductions d'eau dans la région de Kayes (Mali). Rapport HydroConseil, dans le cadre du programme coordonné par le pS-Eau. 78 p.
  • VERDEIL V., 1995. Le commerce de l'eau dans les bidonvilles de Port-au-Prince. Étude réalisée pour le Gret. 88 p.
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