retour imprimer © Lettre du pS-Eau 86 de May 2018

Madagascar: Faire émerger une gestion professionnelle !


Le château d'eau d'Ambahikily [© Experts-Solidaires]

La mission d'Experts-Solidaires, réseau associatif d'experts basé à Montpellier, est d'appuyer les collectivités et les associations à mettre en place des projets de solidarité internationale dans les domaines de l'eau, l'énergie, l'agriculture, l'habitat et l'environnement.
À Madagascar, depuis 2013, l'association cherche à développer les compétences locales en matière de conception, construction, gestion et régulation des réseaux d'adduction d'eau potable.

Expert-Solidaires a débuté ses activités dans la région Atsimo Andrefana en 2013 avec la conception et la réalisation du réseau d'eau d'Ambahikily (9000 habitants) ainsi que la réhabilitation du réseau d'eau de Saint Augustin (4000 habitants). L'association suit actuellement un projet de réseau d'eau à Ankililoaka (12 000 habitants). Tous ces projets sont financés par le Syndicat des Eaux d'Île-de-France. Experts-Solidaires collabore également avec l'HAMAP (association humanitaire française) depuis 2013, avec notamment la réalisation d'un réseau d'eau à Ambohimavelona (2500 habitants) et à Tanandava (5000 habitants). La région Atsimo Andrefana, située au Sud-Ouest de Madagascar, compte 105 communes pour 1,317 millions d'habitants. La région est difficile d'accès, semi-aride, avec une pluviométrie inférieure à 750 mm. L'économie est essentiellement basée sur l'agriculture, avec des potentialités minières. 50% de la population de la région vit sous le seuil de pauvreté.

Dans la région, comme dans le reste du pays, les communes sont les maîtres d‘ouvrage en charge du service public de l'eau et de l'assainissement. Dans les villes, cette gestion est assurée par la compagnie nationale, la JIRAMA, qui fournit aussi l‘électricité. En milieu rural, les communes disposent encore de peu de moyens humains et financiers pour assurer leur mandat. Le code de l'eau prévoit donc que le ministère de l'Eau, de l'Énergie et des Hydrocarbures (MEEH) agisse temporairement en tant que maître d'ouvrage délégué des communes. C'est donc auprès de la Direction Régionale de ce ministère, la DREEH AA(1), qu'Experts-Solidaires intervient pour appuyer les communes qui sont en partenariat avec le SEDIF ou avec l'HAMAP.
Experts-Solidaires agit principalement dans des communes à forte densité de population où la demande pour un accès à une eau de qualité et en quantité suffisante est forte. Dans les villes et gros bourgs non équipés d'un réseau, les gens se ravitaillaient dans des puits artisanaux (souvent en tôle) de faible profondeur, où l'eau est contaminée par les effluents de surface, sujets à la défécation humaine (dans cette région, la majorité des habitants défèquent à l'air libre).
Dans ces conditions, la réalisation de forages de moyenne à grande profondeur (40 à 160 m), en bordure des zones habitées s'impose. L'eau y est pompée dans des réservoirs de 50 à 100 m3 (une journée de consommation en moyenne) et distribuée dans des réseaux de PVC et PEHD s'étalant sur quelques kilomètres. La diffusion du solaire, l'amélioration de la fiabilité des systèmes et la qualification de prestataires locaux a amené Experts-Solidaires, de même que les autres acteurs du secteur, notamment l'UNICEF, à opter pour des solutions énergétiques photovoltaïques. Actuellement, vingt-deux communes de la région bénéficient de ce type de réseaux et six sont en réhabilitation ou en construction.
La nécessité de faire émerger des professionnels du secteur de l'eau

Experts-Solidaires s'est fixé comme objectif de promouvoir les acteurs locaux dans la conception autant que la construction et la gestion des systèmes. Alors que les précédents réseaux, notamment ceux construits par le PAEAR (Projet étatique financé par la Banque africaine de développement) ou ceux de la JICA (coopération japonaise) faisaient appel à des bureaux d'études et à des entreprises de la capitale, Antananarivo, Experts-Solidaires et la DREEH AA ont cherché dès le début à identifier et former des professionnels régionaux. La démarche a été longue et compliquée mais plus d'une dizaine d'entrepreneurs locaux ont déjà participé à la réalisation, la conception et la gestion des ouvrages.

À Madagascar, la gestion communautaire est longtemps restée la règle en matière de gestion des points d'eau ruraux : puits, pompes, réseaux. Mais force fut de constater que les réseaux ne résistaient pas longtemps à ce mode de gestion et le pays s'est couvert de systèmes en panne, de bornes fontaines abandonnées, de châteaux d'eau vides. Des systèmes dont la construction a coûté de milliards d'ariarys, la monnaie locale, ont ainsi ont cessé de fonctionner quelques mois après avoir été inaugurés en grande pompe. Ce fut ainsi le cas en Atsimo Andrefana, où la DREEH AA réalise vers 2010 que tous ses ouvrages tombent en panne rapidement faute d'une gestion adéquate. La gestion déléguée, par affermage, s'impose alors comme le modèle alternatif à la gestion communautaire. Celle-ci est initiée dans la région en 2013, à Befandriana, dans le cadre d'un réseau réhabilité sur des fonds de la JICA. Sans être parfait, le délégataire réussit rapidement à exploiter le réseau et à couvrir les coûts d'opération. La population s'habitue à un service qui devient régulier et fiable.

Fort de l'expérience de Befandriana, la DREEH décide de poursuivre cette approche de gestion par affermage en se conformant aux textes réglementaires. Actuellement, quatre délégataires gèrent les 15 réseaux en service dans la région, avec un gérant et un technicien sur chaque site (la DREEH AA a lancé en mars 2018 un appel d'offres pour le recrutement de délégataires pour 10 nouveaux réseaux). Les contrats d'affermage courent sur 6 ans avec une obligation de service et de maintenance des équipements. Issus du monde de la construction, les délégataires ont découvert le métier de la gestion des réseaux, avec ses contraintes – fournir un service régulier et se faire payer, et ses avantages – des revenus modestes mais réguliers.

Pour les communes, trouver et engager un délégataire sur la base d'un contrat d'affermage n'est que la première étape. Faire vivre le contrat, s'assurer que le service est correctement rendu, que les tarifs restent réguliers et que le délégataire y trouve son compte est un défi plus conséquent encore. Les délégataires peuvent se décourager au moindre problème technique ou bien renoncer devant la faible demande initiale des populations pour l'eau du réseau, habituées à boire gratuitement l'eau des puits. En effet, même si le tarif de l'eau est en général raisonnable, 2500 Ar/m3 (soit 0,7 €/m3), il reste élevé pour une population dont le revenu moyen est de 125 € par ménage et par mois. Livrés à eux-mêmes, communes et délégataires n'auraient que peu de chances d'entamer une collaboration durable. La nécessité d'un mécanisme d'appui s'imposait: le suivi technique et financier.

Le suivi technique financier, un dispositif de régulation décentralisée
Le Syndicat des eaux d'Île-de-France, partenaire historique de la coopération décentralisée de l'eau à Madagascar, est confronté aux problèmes de la pérennité des ouvrages d'eau dans la majeure partie des régions du monde où il intervient. Le suivi technique et financier (STEFI) est un système de suivi mis en place, la première fois, par la GTZ au Mali en 1992. Depuis lors, dans ce pays ainsi qu'au Sahel, ce sont des centaines de réseaux qui sont suivi par des opérateurs de STEFI, qui se rémunèrent sur une part très minime des recettes de l'eau (5% en général). Les enquêtes montrent que les réseaux suivis par un bon agent de STEFI connaissent non seulement beaucoup moins de pannes mais au contraire s'agrandissent, se modernisent, voire engrangent des réserves de trésorerie, là où les autres réseaux sont toujours en peine de rentabilité.

Face au nombre croissant de réseaux et l'émergence des difficultés de gestion sur certains réseaux, l'introduction d'un dispositif STEFI en Atsimo Andrefana est apparu comme une opportunité pour garantir la survie des systèmes. Experts-Solidaires, avec les conseils de Daniel Faggianelli et Djibrine Ngarmig, respectivement concepteur du STEFI au Mali et agent de STEFI au Tchad, propose en 2015 un système à la DREEH AA, basé sur un consultant local chargé de faire le suivi des indicateurs clés des réseaux d'eau chaque mois. L'agent de STEFI, Téophile Noarijaona, est recruté en juin 2015 sur appel à manifestation d'intérêt, combinant une demande d'expertise technique sur les réseaux d'eau, une présence permanente dans la région et une connaissance en gestion. Appuyé par Experts-Solidaires, l'agent STEFI a acquis des compétences opérationnelles et rédactionnelles. Dès le second semestre 2015, sur la base d'un simple envoi de données par SMS, l'agent STEFI collecte et analyse la situation des réseaux. Ces données permettent de mesurer la performance des réseaux, sur le rendement, le taux de recouvrement… Un rapport mensuel est remis aux délégataires et un rapport semestriel est distribué à tous les acteurs concernés c'est-à-dire les communes, la DREEH, les délégataires et les bailleurs. Une visite sur site complète le processus et permet de donner des conseils précis aux délégataires. C'est de cette manière que certains d'entre eux ont identifié et réparé des fuites majeures, ajusté leurs mécanismes de gestion, etc. Actuellement, le STEFI d'Atsimo Andrefana accompagne 11 réseaux. À terme, une fois tous les travaux terminés et les nouveaux délégataires recrutés, le STEFI devrait englober les 29 réseaux en affermage dans la région.

Premiers bilans et premières leçons
La gestion par affermage accompagnée par le dispositif STEFI permet à la région de connaitre des indicateurs de performance encourageants :
• Le rendement des réseaux, compris entre 79% et 95% est bon. Il illustre la dynamique dans laquelle se trouve le service public de l'eau dans la région.
• L'équilibre financier est garanti pour tous les réseaux en activité avec un taux de recouvrement variant de 80% à 100%.
• Le nombre de branchements augmente, sous l'effet combiné d'un dispositif de subvention partielle (à 50%) et d'une demande croissante pour un service à domicile. Le réseau de Saint Augustin compte le plus grand nombre de branchements privés atteint (124).
• La consommation spécifique, c'est-à-dire la consommation par personne, a elle aussi tendance à grimper, avec 3 litres/pers/jour pour les réseaux récents (ayant une année de fonctionnement) à 10 litres/pers/jour pour le plus ancien réseau, celui de Befandriana.

Institutionnalisation et financement du suivi technique et financier, difficultés et défis
L'agent régional de STEFI a été contractualisé par la DREEH et est financé par le projet jusqu'en juin 2017. Incluse dans tous les contrats d'affermage de la région, une clause spécifie aux délégataires de verser 5% des recettes pour couvrir la charge du STEFI. Cette clause est entrée en vigueur en juillet 2017, sur la base d'un courrier du ministère de l'Eau reconnaissant le caractère nécessaire du suivi technique et financier et demandant aux délégataires de la région de se conformer au règlement du service. Toutefois, la mobilisation de cette redevance pose souci, car les délégataires rechignent encore à la verser sur le compte de l'opérateur privé du STEFI préférant que ce compte soit aussi géré par la DREEH afin de sécuriser les fonds. À ce jour, aucun délégataire n'est totalement à jour de sa cotisation, ce qui pousse la DREEH à entamer une démarche d'information et de régularisation auprès des 4 délégataires.

Les efforts doivent se poursuivre pour faire du STEFI un outil durable et accepté. Former les délégataires, responsabiliser les communes dans leur rôle d'encadrement du service, assurer les flux financiers entre les délégataires, l'agent de STEFI et les communes, garantir la collecte des données financières, équilibrer la relation entre la commune et le délégataire, inscrire le suivi technique des réseaux d‘eau dans le code de l'eau sont autant de défis à relever, tant en Atsimo Andrefana que dans le reste du pays. La DREEH AA, Experts-Solidaires, ses partenaires, font de cela leurs priorités pour les prochaines années, avec le soutien du SEDIF et de l'Agence de l'Eau Seine-Normandie.


(1) Direction Régionale de l'Énergie, de l'Eau et des Hydrocarbures en Atsimo Andrefana


Amandine Gilbert
Experts-Solidaires
Email:
gilbert.amandine@gmail.com
Site internet: www.experts-solidaires.org

Jean-Pierre Mahé
Experts-Solidaires
Email: mahejeanpierre@yahoo.fr

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Le délégataire du réseau de Saint Augustin [© Experts-Solidaires]
 

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