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Gestion durable des déchets
et de l'assainissement urbain

Synthèse des acquis du programme

Le financement de l’assainissement solide et liquide en Afrique. Considérations générales.

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Alain Mathys (Suez-Environnement)

Sommaire

1. Introduction

2. Les besoins en financements – les investissements

3. Les besoins en financement – les frais d’exploitation et d’entretien

4. Mécanismes de recouvrement des coûts

5. Conclusions

 

Cette note vient en complément des deux synthèses « Assainissement » et « Déchets » ci-avant, ainsi que de celle sur « Quel rôle pour la commune ? » ci-après, qui abordent également la question du financement de l’assainissement solide et liquide en Afrique. Son objet est de resituer cette question dans une approche plus globale (macro-économique), restituant la réflexion en cours dans de nombreuses enceintes internationales, et d’illustrer par des cas, y compris d’autres régions du monde (Bolivie), les modalités de financement au niveau local qui ont pu être mises en œuvre.

 

1. Introduction

Dans le cadre des objectifs de développement du millénaire, le financement de l’assainissement liquide et solide en Afrique représente un défi particulièrement difficile à relever dans la mesure où les niveaux d’accès à ces services sont particulièrement bas :

• on estime qu’au moins 45 % de la population de l’Afrique sub-saharienne, soit 300 millions d’habitants, n’ont pas accès aux services d’assainissement des eaux usées à ces services[1] ;

• il n’existe pas de données globalisées sur la gestion des ordures ménagères : il est donc difficile d’avoir une vision générale des niveaux de services. La collecte et le traitement des déchets solides sont d’abord un problème urbain, qui doit être au moins aussi important que celui des déchets liquides. Comme près de 300 millions d’Africains vivent en ville, on peut estimer en première approximation que 150 millions ne disposent pas de systèmes acceptables d’évacuation des déchets.

 

Le financement de l’assainissement, liquide et solide, se pose à deux niveaux :

• le financement des dépenses en infrastructures (équipements des foyers, réseaux de collecte, installations de traitement pour les eaux usées ; centres de collecte, de tri et de transfert, décharges pour les ordures ménagères) ;

• le financement des dépenses récurrentes d’entretien, d’exploitation et de renouvellement.

 

Les sources de financement se situent à quatre niveaux :

• les usagers, de manière directe (tarifs et redevances) ou indirecte (impôts et taxes alimentant les budgets nationaux et locaux) ;

• les prêts des institutions de financement internationales ;

• les subventions publiques constituées le plus souvent de dons des organismes de coopération bilatérale;

• l’investissement privé apporté par des investisseurs nationaux ou étrangers dans le cadre de la mise en concession ou de la privatisation des services publics.

 

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2. Les besoins en financements – les investissements

Les investissements requis pour les dépenses en capital afin d’atteindre des objectifs du millénaire en matière d’assainissement (réduire de moitié la proportion de la population non couverte par ces services), étendus au domaine des déchets solides, ont été estimé à un peu plus de 8 milliards USD en se basant sur les hypothèses suivantes :

– déficit actuel de couverture en assainissement (eaux usées, excreta) : 45 % (urbain et rural) ;

– pourcentage des eaux usées collectées non-traitées avant rejet : 95 % ;

– déficit actuel de couverture en collecte des déchets solides : 45 % ;

– pourcentage des déchets solides collectés non-mis en décharge : 95 % ;

– utilisation de technologies appropriées à faible coût ;

– non-prise en compte des coûts fonciers pour les décharges et les stations de traitement ;

– investissement lié au domaine privé (latrines ou WC raccordé à un réseau) à la charge des usagers.

Réparti sur dix ans, l’investissement dédié à l’assainissement solide et liquide serait donc d’environ 1 milliard USD par an (si l’on ajoute les frais d’études et les imprévus). Rapporté aux 150 millions de personnes qui pourraient bénéficier de services améliorés d’ici 2015, cela représente un investissement de 60 USD par personne bénéficiaire. Ce sont donc des chiffres abordables, si l’on pense aux impacts économiques induits par l’amélioration de l’assainissement sur la santé publique et l’environnement.

On ne peut toutefois attendre de manière réaliste que la communauté internationale finance ces investissements sous forme de dons comme on ne peut attendre que les gouvernements africains, voire la population elle-même, s’en chargent intégralement sur la base de leurs propres ressources.

La solution réaliste en matière de financement des infrastructures (le hardware) est un appui des institutions internationales sous forme de prêts concessionnels, sans intérêt et à longue période de maturation, dans la mesure où l’on peut admettre un recouvrement, partiel ou total, des coûts par les usagers. Le software, c’est- 80 à-dire les actions de promotion et d’éducation qui ne sont pas financièrement rentables mais génératrices de bénéfices indirects sur la santé et l’économie, serait financé sous forme de dons.

Un financement efficace et durable doit obligatoirement être associé à une gestion optimale, à la fois du développement des infrastructures et de la gestion des services. Là également, des solutions ont été proposées, qui lient le financement des investissements aux résultats obtenus dans un mécanisme que la Banque mondiale a intitulé OBA (output-based aid). Ce mécanisme peut être mis en place aussi bien au niveau des opérateurs des services, publics ou privés, chargés de l’extension des services et de leur gestion ultérieure que des ONG et autres prestataires chargés des actions de promotion et d’éducation.

Comme le souligne le rapport Camdessus[2], la mise en place d’un financement efficace est dépendante de la performance du cadre institutionnel ainsi que de la qualité de la planification et de la gestion des projets d’infrastructures. Il est probable aujourd’hui qu’un nombre limité d’États africains remplissent ces conditions, ce qui implique qu’un appui aux réformes institutionnelles et des actions de formation à la gestion municipale seront un préalable indispensable à la mise en place de financements pour des infrastructures d’assainissement.

 

 

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3. Les besoins en financement – les frais d’exploitation et d’entretien

Un système ne peut fonctionner de manière durable que si ses frais récurrents sont supportés par ses utilisateurs. Ceci n’interdit pas la mise en place de péréquations entre les différentes catégories économiques de consommateurs, à conditions que le système reste performant et soit basé sur une bonne compréhension de la capacité et la volonté des bénéficiaires de payer ces services. Une structure tarifaire appropriée permettant d’équilibrer les charges d’exploitation par les revenus implique également une volonté politique de faire supporter aux utilisateurs (directement ou indirectement) le coût réel des services.

Les frais d’exploitation et d’entretien de l’assainissement, y compris une provision pour le renouvellement des infrastructures, ont été estimés à 8 USD par mois et par famille de type modeste. En rajoutant une consommation d’eau de 4 USD par mois, la charge d’une famille modeste de 5 personnes se situerait aux alentours de 12 USD par mois. Pour une famille très pauvre dont le revenu total est de l’ordre de 150 USD par mois (1 USD par habitant et par jour), la part du budget du ménage consacré à l’eau et à l’assainissement liquide et solide s’élèverait à 8 %. Ce taux s’abaisserait à 4 % pour un ménage un peu moins pauvre, avec un revenu de 2 USD par habitant et par jour.

On voit donc que, même pour des familles considérées comme très pauvres, la charge des services d’eau et d’assainissement (y compris l’évacuation des ordures ménagères) reste supportable. Dans le cas où le consentement à payer serait inférieur à ce coût, les besoins de subventions ne seraient pas si élevés et pourraient être gérés par des mécanismes de péréquations entre classes d’usagers. Si l’on compare en particulier le bénéfice économique induit au niveau du ménage par un accès amélioré à l’eau et l’assainissement, la charge par ménage ne représente pas un fardeau financier insurmontable.

Là encore, le consentement ou la capacité à payer n’est pas suffisant pour assurer une exploitation durable des systèmes d’assainissement. L’efficacité dans la récupération des coûts et, bien entendu, dans l’exploitation et l’entretien des systèmes reste essentielle. L’organisation des services, la répartition des tâches et le partage des responsabilités entre autorités publiques et opérateurs des services (qu’ils soient publics ou privés, grands ou petits) sont des éléments incontournables de réussite.

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4. Mécanismes de recouvrement des coûts

Le moyen le plus simple, et le plus souvent utilisé, pour affecter aux usagers les charges de l’assainissement liquide est d’inclure à la facture une surcharge sur la consommation d’eau potable. Celle-ci peut être proportionnelle au volume d’eau consommée (dans le cas d’un raccordement à un réseau d’égout) ou représenter un montant fixe (en particulier dans le cadre de l’assainissement autonome).

Le mécanisme de recouvrement pour la gestion des déchets à La Paz, Bolivie

Contexte. La ville de La Paz produit environ 450 tonnes de déchet par jour, pour une population de 800 000 habitants. En 1997, la gestion des déchets municipaux fut confiée à une entreprise privée, CLIMA, pour 8 ans.

Description du contrat. Le contrat signé entre la municipalité de La Paz et CLIMA inclut les services suivants :
collecte, nettoiement des rues, transport des déchets collectés, exploitation et entretien de la décharge contrôlée, collecte, transport et élimination des déchets hospitaliers.

Système de recouvrement des coûts. CLIMA reçoit 48 USD pour chaque tonne de déchets mise en décharge, pour l’ensemble des activités. La rémunération de l’entreprise est mensuelle et obtenue par deux sources : un paiement indirect par les bénéficiaires et un paiement direct par la municipalité.
Le mécanisme de recouvrement des coûts indirects est le plus efficace. Il est également innovant car lié à la facture d’électricité. La moitié des coûts de la gestion des déchets solides municipaux est ainsi couverte par une taxe indexée sur la consommation électrique des ménages et des établissements commerciaux et publics.
Instituée en 1986, cette taxe couvrait initialement la totalité des coûts. Toutefois, avec l’accroissement des coûts et la dévaluation de la monnaie locale, cette taxe ne couvre actuellement que 50 % des coûts du service.

Détail du mécanisme financier. Electropaz, une compagnie privée, recouvre les factures d’électricité à laquelle la taxe de services urbains est indexée. Après une commission couvrant ses frais de gestion, Electropaz verse la somme collectée pour cette taxe sur un compte bancaire de la municipalité qui ne peut être utilisé que pour le paiement du service des déchets. Ce compte sert à payer CLIMA, mais ne couvre que 50 % de ses coûts. La municipalité paie les 50 % restants à CLIMA à partir du budget municipal, dont la disponibilité n’est pas toujours garantie, ce qui implique souvent des retards de paiement. Toutefois le système fonctionne bien et la ville est propre.

Impact pour les usagers. La surcharge pour la collecte et le traitement des déchets ménagers représente environ 5% de la facture électrique. Ce mécanisme institue une subvention croisée de fait, les ménages pauvres ne consommant pas ou peu d’énergie électrique.

 

 
 

Le recouvrement des coûts pour la collecte et le traitement des déchets solides est moins évident. Il est difficilement envisageable de facturer directement les usagers pour ce service, car il n’y a pas de mesures aisément applicables en cas de non-paiement (comme la coupure du service d’eau). Le moyen le plus simple est d’affecter également une surcharge à la facture d’un des services publics. Une surcharge sur la facture d’électricité est préférable à celle sur la facture d’eau car son impact apparaît comme plus faible, proportionnellement au montant relatif à la consommation. Par ailleurs si le paiement se fait sous forme d’un montant proportionnel, sa dimension sociale est plus marquée dans la mesure où la consommation d’électricité est mieux corrélée avec le niveau économique d’un ménage que celle de l’eau. Ce mécanisme de taxation est courant en Amérique du Sud. A La Paz (Bolivie) par exemple, la surcharge pour la collecte et le traitement des déchets ménagers représente environ 5 % de la facture électrique (cf. encadré page précédente).

Ce mécanisme institue une subvention croisée de fait, vers les ménages ne consommant pas ou peu d’énergie électrique, souvent les plus pauvres.

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5. Conclusions

Le coût économique, social et environnemental de l’absence d’assainissement est largement supérieur au coût réel du développement et de la gestion de ces services. L’évaluation empirique des besoins d’investissement montre que, en utilisant des technologies simples et économiques, les montants nécessaires pour atteindre les objectifs de développement du millénaire ne sont pas astronomiques et pourraient être assumés par de nombreux Etats africains avec l’aide des bailleurs de fonds, à condition que ces Etats mettent en place les réformes institutionnelles préalables à une planification et une gestion efficace de ces services.

Par ailleurs, et bien que peu nombreuses, les enquêtes quantitatives menées auprès des ménages démontrent que la gêne causée par le manque d’assainissement est fortement ressentie et qu’il existe une vraie volonté de payer pour éliminer les déchets, pour autant que le service offert soit crédible et adapté aux besoins des usagers. Les coûts d’exploitation de ces services sont compatibles avec les ressources des ménages africains, à la condition que les structures tarifaires incluent des mécanismes de subventions basés sur le consentement et la capacité réelle à payer des foyers. Là encore, la mise en place de systèmes efficaces de gestion impliquant autorités publiques et opérateurs de service est nécessaire.

 

Le préalable à des investissements massifs est, pour de nombreux pays africains, la mise en place de programmes de réformes institutionnelles impliquant le renforcement des capacités municipales dans la gestion des services urbains. Il est également dans une claire affirmation de la priorité donnée à l’assainissement dans l’agenda politique des gouvernements.

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[1] Africa Development Bank, Achieving the Millennium Development Goals in Africa. Progress, Prospects and Policy Implication, 2002.

[2] Report of the World Panel on Financing Water Infrastructure, Financing Water For All, 2003.

[3] Marin Philippe, Output-Based Aid (OBA): Possible Applications for the Design of Water Concessions, International Finance Corporation, 2002.