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Gestion durable des déchets
et de l'assainissement urbain

 

Synthèse des acquis du programme

Demande sociale et assainissement liquide
et solide

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Synthèse réalisée par Janique Etienne (AfD)

Sommaire

1. Représentations populaires de la propreté et de l’hygiène

2. La gêne occasionnée par le non-assainissement

3. La gêne occasionnée par les rejets d’eaux usées et les excreta est fonction la densité de population

4. Satisfaction des ménages vis-à-vis des systèmes existants

5. Un consentement à payer général mais relativement faible

6. Principaux enseignements

Études citées dans cette synthèse

 

Le nombre de latrines inutilisées ou mal entretenues, qu’elles soient publiques ou privées, et l’accumulation des déchets liquides et solides dans les rues, aussi bien en milieu rural qu’en milieu urbain, suscitent bien des interrogations.

Partant de ces constats, beaucoup de campagnes de sensibilisation[1] destinées à promouvoir l’assainissement auprès des ménages ont longtemps été fondées sur une double croyance : d’une part l’assainissement ne serait pas une priorité pour les ménages, d’autre part ces mêmes ménages ne feraient pas le lien entre le manque d’hygiène et d’installations sanitaires et la santé publique.

Ces méthodes ont évolué, avec comme point de départ l’intuition que l’intimité, la commodité et le statut des installations étaient des facteurs importants de motivation pour la construction d’installation sanitaires. C’est sur la base de ces facteurs relevant des pratiques locales, culturelles et sociales que se construisent aujourd’hui les stratégies d’intervention en matière de promotion de l’hygiène, ciblées sur les individus et sur la collectivité.

En amont de ces actions de « promotion de l’assainissement », au moment de la conception et de la planification d’un programme d’équipement, l’analyse de la demande des ménages vise à :

– dimensionner des « offres » techniques par segment de population ;

– améliorer le niveau d’équipement et les pratiques des ménages engendrant de réelles améliorations des conditions de vie, dont la santé ;

– évaluer le degré de contribution des usagers au financement de tout ou partie des investissements et de l’entretien des équipements.

Elle est ainsi essentielle pour l’atteinte des objectifs du projet ou programme.

Nous nous proposons dans cette synthèse d’aborder « la demande sociale pour un dispositif d’assainissement amélioré[2] », à travers différentes approches adoptées par quelques équipes du programme : les représentations populaires de la propreté et de l’hygiène, la gêne occasionnée par l’absence de dispositifs d’assainissement, le niveau de satisfaction des ménages vis-à-vis des équipements existants et leur consentement à payer pour une amélioration de leur système d’assainissement.

Basée sur les apports du programme, à travers les travaux qualitatifs des anthropologues sur les déterminants culturels de cette demande et les travaux quantitatifs (enquêtes-ménages) des socio-économistes, cette synthèse ne propose pas un traitement exhaustif de la question. Il s’agit plutôt de rendre compte de la complexité de cette demande, de son caractère évolutif, de l’impact de certains facteurs et des tendances généralisables.

La demande sociale est entendue ici au sens de la demande des ménages pris individuellement, par opposition à la demande institutionnelle, qui est celle des représentants de l’Etat ou des collectivités locales. Cette seconde dimension ne sera pas traitée.

Certains paragraphes sont volontairement empruntés aux auteurs cités.

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1. Représentations populaires de la propreté et de l’hygiène

Comme l’explique l’équipe du Lasdel-A03, la propreté est très valorisée dans les discours, soit en termes de bienséance (valeur centrale attachée à l’apparence, à l’ordre et à l’odeur des gens et des lieux), soit en termes de pureté (en particulier en référence à l’Islam et aux ablutions rituelles), soit en termes de santé (on retrouve là beaucoup de thèmes développés par les services de santé et passés dans le langage courant).

Parmi ces différentes valeurs qui renvoient aux croyances culturelles, scientifiques ou religieuses, il semble que la honte vis-à-vis du voisinage soit un facteur important dans les motivations et les stratégies d’équipement des ménages en infrastructure d’assainissement autonome. L’enquête menée dans le cadre de la recherche Shadyc- A04 a mis en évidence le fait que les gens étaient très attentifs à ne montrer de leurs propres ordures que ce qui est « montrable ». La logique sociale (la réputation d’honneur) ou morale (la honte) prime sur la logique d’hygiène (la crainte de la pollution ou de la contamination).

Paradoxalement, il est commun d’observer le déversement des eaux usées dans la rue devant les parcelles et le remblai des creux dans les cours ou les rues par des déchets, des caniveaux à ciel ouvert où l’on jette tout, etc. Les seuls endroits propres de façon régulière sont généralement les mosquées où règne une autodiscipline à base religieuse et, dans une moindre mesure, les écoles où s’impose une discipline collective institutionnalisée (Lasdel-A03).

Deux réponses sont apportées par les équipes du programme :

 

La dispersion et la dilution sont les meilleurs moyens de faire disparaître les eaux usées et les excreta

Quand il n’y a pas d’eau et qu’on ne peut pas diluer, on essaye de disperser les eaux usées en les jetant à la rue tout en espérant que les roues des véhicules et les semelles des gens emporteront petit à petit les traces de la fange au loin. C’est à la fois le moyen le plus ancien et le plus économique de se débarrasser personnellement de l’ordure et en particulier de sa vue et de son odeur (Shadyc-A04).

Une perception différenciée de la propreté et de l’hygiène en fonction de la nature de l’espace

L’espace privé de la cour d’habitation

« L’impression dominante qu’on retire de l’ensemble des discours est que les citadins se font une idée très étroite de leur cadre de vie. Le seul lieu qui leur importe vraiment, c’est la cour d’habitation construite sur la parcelle possédée » (Shadyc-A04).

Mais même dans cet espace privilégié, les différentes activités qui se succèdent engendrent des proximités paradoxales qui posent de sérieux problèmes d’hygiène.

A cela s’ajoute le fait que l’environnement ne se prête pas au maintien de la propreté : sols non cimentés, poussière et sable omniprésents, circulation des animaux, etc. : on tolère de fait largement la saleté entre deux « coup de nettoyage ».

 

L’importance de l’« espace limitrophe », cet extérieur immédiat de la cour

Cet espace est occupé par les activités de lavage (lessive, vaisselle), parfois de commerce (tablier) ou de coupe du bois. Il est aussi le lieu de certaines activités des hommes, telles que prendre le thé, jouer aux dames ou à l’awalé.

Les ménages s’approprient ainsi cet espace limitrophe de la concession qui, entre le domaine privé et le domaine public, illustre la richesse de la sociabilité africaine de proximité (Shadyc-A04).

C’est aussi traditionnellement le lieu du dépotoir d’ordures et parfois un lieu de défécation. A l’origine, c’est ainsi qu’était marquée la limite entre le domaine familial et l’extérieur, mais aussi la limite entre le monde des hommes et le monde invisible. En milieu Mossi, le dépotoir d’ordures domestique tampuure est également un symbole de richesse et de puissance. Le paradoxe n’est qu’apparent : ce dépotoir sert à la fumure des champs de case dont il marque en même temps la limite.

 

La souillure systématique de l’espace public, exacerbée en ville

Face à l’accumulation de flaques nauséabondes des eaux usées ménagères, de douche comme de lessive, de toilette ou de cuisine, sur la chaussée ou dans les caniveaux mal drainés, force est de constater l’indifférence relative des citadins. Plusieurs interprétations sont proposées.

Cette indifférence traduit la dégradation du rapport entre les hommes mais surtout du rapport entre les citoyens et les élus. Cette thèse va même jusqu’à évoquer une « souillure volontaire » de l’espace public.

On peut aussi la comprendre comme une relation à l’espace public marquée par une conception rurale de la propreté. Les endroits vacants au sein des villes sont traités dans les faits comme des dépotoirs « naturels », c’est-à-dire comme s’ils représentaient en ville ce que reste encore « la brousse » pour les villages, le lieu « naturel » d’évacuation (Lasdel-A03).

Enfin, elle traduit la conception d’une cité sans espaces publics partagés. La plupart des études sur la propreté urbaine confirment a contrario que les attitudes positives des citadins sont liées à un sentiment d’attachement à « leur » ville, souvent associé à la conscience d’un intérêt collectif vis-à-vis du territoire urbain.

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2. La gêne occasionnée par le non-assainissement

« On ne peut pas marcher la nuit dans le quartier : on risque d’être noyé dans les eaux usées et dans les eaux de WC[3]

Interrogés sur la gêne occasionnée par les eaux usées, les excreta et la stagnation des eaux pluviales, les ménages de Bobo-Dioulasso (Burkina Faso) et de Moshi (Tanzanie), semblent se préoccuper davantage de l’assainissement défectueux de leur quartier que de celui de leur parcelle (Cereve-A05a).

Alors que l’assainissement défectueux des quartiers est ressenti comme le principal facteur de gêne, plus des deux tiers des enquêtés ne font état d’aucun problème majeur au niveau de leur parcelle. Seuls 17 % y évoquent une gêne due aux eaux usées et aux excreta et 10 % mentionnent comme problème la stagnation des eaux pluviales.

Paradoxalement, personne ne s’occupe de la salubrité des espaces publics. Les eaux usées ménagères de douche, de lessive, de toilette ou de cuisine sont évacuées d’une façon ou d’une autre de la parcelle et s’accumulent en flaques nauséabondes sur la chaussée. Pourtant, alors que tous souffrent des pratiques de chacun, ils en attribuent la responsabilité aux lacunes du service public plutôt qu’aux comportement des voisins (Cereve-A05a).

Les déchets plastiques (sachets usagés et plus encore débris de sachets) ont un statut particulier selon les interlocuteurs. Parfois considérés comme la principale nuisance sanitaire (les plastiques sont considérés comme des réceptacles de saletés) et productive (ils empêchent l’infiltration de l’eau dans les champs ; les animaux qui les ingèrent meurent), ils ont pour d’autres le statut du déchet « moderne », déchet propre par opposition aux ordures domestiques, organiques et odorantes (Lasdel-A03).

 

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3. La gêne occasionnée par les rejets d’eaux usées et les excreta est fonction la densité de population

« L’accumulation des eaux de vaisselle est source de conflit entre voisins.»[4]

C’est surtout dans les parcelles multi-familiales des anciens quartiers denses que se pose le problème du rejet des eaux usées. Il est parfois tellement aigu que les habitants doivent restreindre les quantités d’eau utilisées ou accomplir de nombreuses activités à l’extérieur de la cour : lessive, vaisselle, toilette des enfants et quelquefois des adultes. La saturation du bâti permet difficilement de déverser ces eaux dans la cour et les puisards d’eaux usées ou la fosse des WC débordent vite si les femmes se permettent d’y déverser les eaux usées de la lessive ou de la vaisselle. Il arrive alors que le responsable de la concession interdise l’utilisation de la douche tant que la vidange n’a pas été faite.

Les enquêtes menées dans le cadre de l’action de recherche Cereve-A05a ont montré qu’il existe des degrés de gêne différenciés en fonction de la densité d’occupation de la parcelle. En deçà d’un premier seuil de densité, de l’ordre de 30 personnes par parcelle, soit environ 400 à 450 habitants à l’hectare, les nuisances demeurent supportables à l’échelle du quartier car la densité du bâti reste suffisamment faible pour que les eaux usées soient rejetées en partie dans l’espace des cours d’habitation sans y causer de gêne. Lorsque la densité est plus élevée mais demeure inférieure à un second seuil (plus de 50 personnes par parcelle, soit 600 à 750 personnes à l’hectare), les habitants ne peuvent plus faire autrement que de rejeter leurs eaux usées sur les espaces publics : la gêne devient importante au niveau du quartier. Enfin, au-delà de ce second seuil, la densité est si forte que la gêne devient inévitable même à l’intérieur des parcelles.

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4. Satisfaction des ménages vis-à-vis des systèmes existants

« Il existe un seul WC pour les 15 ménages qui habitent la concession : quand il est rempli et qu’il n’y a pas les moyens de faire appel aux services de vidange, le WC est fermé jusqu’à ce que les boues se tassent ; pendant ce temps chacun se débrouille comme il peut.»[5]

Les caractéristiques des dispositifs sont très différentes d’une ville à l’autre. Suivant le type et les caractéristiques du WC utilisé, le taux de satisfaction varie considérablement (de 30 % à 84 % entre Port Bouet, Bobo-Dioulasso et Conakry). A Conakry, les WC reliés à l’égout entraînent une insatisfaction élevée, expliquée par la forte proportion de canalisations d’assainissement obstruées et hors d’état de fonctionnement dans les quartiers qui en sont équipés. La même enquête (Cereve-A05a) met en évidence que les principaux motifs de plainte résident partout dans les odeurs dégagées par les fosses, le pullulement des mouches et la prolifération des cafards. Il faut aussi noter les problèmes liés au manque d’eau pour l’entretien des latrines.

Il semble que les latrines publiques à la périphérie du quartier soient parfois sous-utilisées en raison de leur coût élevé, qui les rend inaccessibles pour une utilisation courante (Hydroconseil-A01).

Par ailleurs, les terrains vagues, les abords des koris (cours d’eau temporaires) ou du fleuve, les parcelles inoccupées ou les champs à la limite de la ville restent encore pour nombre de personnes des alternatives préférables à l’usage de latrines (Lasdel-A03), ce qui démontre l’importance de la défécation en plein air comme pratique populaire.

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5. Un consentement à payer général mais relativement faible

Comme le montre l’enquête conduite dans le cadre de l’action Cereve-A05a, la plupart des ménages acceptent le principe d’investir dans l’amélioration de leur système d’assainissement. A Bobo-Dioulasso (Burkina Faso), plus de 70 % des ménages acceptent de payer pour obtenir toutes les améliorations proposées, y compris pour bénéficier d’un système d’assainissement hors site (type réseau).

Par ailleurs, deux tiers des ménages locataires accepteraient une augmentation de loyer correspondant à l’une des améliorations proposées si elle était financée par leur propriétaire. Cette proportion ne varie pas en fonction de la nature de l’amélioration.

Les facteurs susceptibles d’avoir une influence sur le consentement à payer ont été étudiés et ont permis de mettre en évidence différentes catégories de ménages vis-à-vis de la demande en dispositif amélioré, en fonction de l’âge, du niveau de ressources et d’éducation, ainsi que du statut d’occupation de l’habitation (propriétaire, locataire, hébergé gratuitement).

Cette même étude a permis de montrer que l’effort financier que les ménages sont disposés à consentir pour bénéficier d’un assainissement amélioré est remarquablement homogène : le montant que les ménages sont prêts à payer correspond dans la grande majorité des cas à moins de six mois d’épargne.

Ce résultat confirme aussi les observations faites à l’occasion de la mise en œuvre du PSAO (Plan Stratégique d’Assainissement de Ouagadougou), à savoir que les ménages s’engagent effectivement dans le chantier d’amélioration de leur assainissement après une phase préalable d’épargne de six mois environ.

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6. Principaux enseignements

Les travaux des anthropologues ont montré la variabilité des perceptions de l’hygiène et de la propreté selon les croyances culturelles, religieuses et scientifiques.

Le visible, l’apparence (les odeurs, etc.) semblent être les valeurs dominantes qui occasionnent la gêne et l’insatisfaction et motivent les changements. La densité de population détermine aussi largement le niveau d’insatisfaction des ménages.

La souillure de l’espace public par toutes sortes de déchets liquides et solides est un constat quasi général. La stratégie la plus courante consiste ainsi à se débarrasser des déchets, de la maison vers la cour, de la cour vers la rue, et du centre-ville vers la périphérie. Il existe véritablement une perception différenciée de l’hygiène et de la propreté en fonction du statut de l’espace. S’agissant de la propreté de l’espace urbain, elle présuppose l’existence d’une conception partagée de ce qui relève du domaine public et du domaine privé, du service public et de l’espace public (Shadyc-A04), conception qui semble faire cruellement défaut.

Sur le plan méthodologique, les études citées devraient contribuer à l’évolution :

– des activités d’Information Education Communication (IEC) basées sur la connaissance du milieu, la prise en compte des pratiques existantes et les facteurs motivant les changements de comportement ;

– des études de consentement à payer par une meilleure connaissance des facteurs susceptibles d’avoir une influence sur ce consentement à payer ;

– des offres techniques et gestionnaires (types d’équipements, modalités d’entretien et de gestion associées) grâce à une meilleure compréhension des critères de choix des ménages et de leur rapport à l’espace public.

 

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Études citées dans cette synthèse

Hydroconseil-A01. Les entreprises de vidange mécanique des systèmes d’assainissement autonome dans les grandes villes africaines (Mauritanie, Burkina Faso, Sénégal, Bénin, Tanzanie, Ouganda)

Lasdel-A03. La question des déchets et de l’assainissement dans deux villes moyennes (Niger)

Shadyc-A04. Une anthropologie politique de la fange : conceptions culturelles, pratiques sociales et enjeux institutionnels de la propreté urbaine (Burkina Faso)

Cereve-A05a. Gestion domestique des eaux usées et des excreta : étude des pratiques et comportements, des fonctions de demande, de leur mesure en situation contingente et de leur opérationnalisation (Guinée, Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Niger, Tanzanie)

Ceda-D03. Recherche d’espaces pour le dialogue, la prise de conscience et l’organisation en vue de l’action dans la commune urbaine (Bénin)

 



[1] Campagnes réalisées en accompagnant des projets d’équipement.

[2] Il s’agira ici essentiellement de la collecte et de l’évacuation des excreta et des eaux usées ménagères sur place, et dans une moindre mesure la collecte et l’évacuation des déchets solides.

[3] Propos recueilli par Morel à l’Huissier, quartier Carrière, Conakry (Cereve-A05a)

[4] Propos recueilli par Morel à l’Huissier (Cereve-A05a).

[5] Propos recueilli par Morel à l’Huissier, Conakry quartier Dixin Mosquée (Cereve-A05a).

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