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Gestion durable des déchets
et de l'assainissement urbain

Synthèse des acquis du programme

SYNTHÈSE ET ANALYSE DES ACTIONS RELATIVES AUX DÉCHETS

De l’amont vers l’aval : l’émergence d’une filière de gestion des déchets adaptée aux villes africaines

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Synthèse réalisée par Francis Chalot

Sommaire

1. Des réalités urbaines et foncières qui s’imposent à la gestion des déchets
1.1. Des contraintes urbaines fortes 
1.2. Des dispositifs adaptés de pré-collecte par conséquent incontournables

1.3. Accorder le temps nécessaire au changement

2. Une méconnaissance encore tenace des gisements de déchets
2.1. Approfondir, de manière rigoureuse et critique, la terminologie, les mesures et leur analyse
2.2. La présence importante de sable dans les déchets ménagers collectés : une question majeure dans l’ensemble des agglomérations africaines.
2.3. Les autres résidus urbains encore largement ignorés
2.4. Pour une approche « rudologique » à l’africaine

3. Consolider les dispositifs de pré-collecte
3.1. La formalisation de démarches méthodologiques
3.2. Aller vers une professionnalisation des petits opérateurs
3.3. La planification spatiale des interventions
3.4. La conception d’un matériel adapté aux spécificités locales

4. La complémentarité entre maillons
4.1. Éviter que les points de regroupement ne constituent un nœud de blocage
4.2. Penser de manière simple, mais systémique, la conception et l’exploitation des points de regroupement et de transfert
4.3. Une approche raisonnée de l’implantation des points de regroupement et de transfert

5. Le traitement final
5.1. Plus ou moins élaboré et organisé, l’enfouissement reste aujourd’hui la solution largement prépondérante
5.2. Pour une évolution pragmatique et progressive vers des décharges soutenables

6. La coordination entre les acteurs : des rôles clarifiés et assumés
6.1. Dépasser la simple phraséologie sur la « gestion partagée »
6.2. Des autorités locales assumant leur rôle
6.3. Coordonner l’intervention des différents prestataires privés
6.4. Favoriser l’intervention de structures relais issues du terrain

7. Construire progressivement le puzzle du financement
7.1. Un financement différencié selon les maillons successifs
7.2. Les limites d’une redevance payée par l’usager
7.3. Ne pas attendre du recyclage une contribution au financement de l’élimination

8. L’évacuation pure et simple comme mode hégémonique, voire exclusif, d’élimination mérite d’être questionnée

Études citées dans cette synthèse

 

 

 

De tous temps et en tous lieux, la production de déchets est inhérente aux activités humaines, qu’elles soient domestiques, agricoles, industrielles – au sens large – ou commerciales. Mais, en Afrique comme partout, ce n’est qu’avec le fait urbain qu’elle devient véritablement une problématique publique.

N’oublions pas que les pays du Nord ont aussi connu en leur temps (et sans doute encore aujourd’hui, sous d’autres formes) des crises liées aux distorsions entre l’état du développement urbain et l’aptitude à répondre correctement aux nécessités sanitaires et environnementales ainsi qu’aux attentes de la société en matière de déchets.

A cet égard, les lourdes difficultés rencontrées aujourd’hui par les agglomérations africaines dans ce domaine s’expliquent, au-delà de spécificités climatiques, culturelles ou d’organisation politico-administrative, par le rythme et le mode de développement démographique et urbanistique qu’elles connaissent et qui sont liés aux handicaps économiques de ces pays et de la plupart de leurs habitants.

Il s’agit ici d’une approche délibérément « technicienne et gestionnaire » – amplement questionnée par ailleurs, à juste titre – de la gestion des déchets dans les contextes urbains qui ont fait l’objet du programme, et ceci à partir des rapports et résultats produits. Selon une logique de « progressivité » du déploiement de la filière d’élimination à partir des espaces de production des résidus urbains, la collecte auprès des habitants/ producteurs eux-mêmes est apparue au Comité scientifique comme l’élément primordial.

En effet, cette « pré-collecte » se confirme comme l’enjeu essentiel et tout à fait spécifique de ces grandes agglomérations africaines, et ceci de manière croissante compte tenu de leur rythme et de leur mode de développement démographique et urbanistique. Précisons d’emblée que l’examen de ce « maillon » est indissociable de celui du « nœud » qui le relie au suivant (cf. Figure 1 page précédente), c’est-à-dire des conditions de regroupement et de transfert à une collecte et un transport plus classiques dans leur organisation et leurs moyens.

 

1. Des réalités urbaines et foncières qui s’imposent à la gestion des déchets

Dans la mesure où l’on s’en tient à l’objectif opérationnel communément admis du service public d’élimination des déchets (assurer un enlèvement auprès de l’ensemble de la population, puis l’évacuation hors de l’agglomération en vue du stockage et d’un traitement et/ou d’une utilisation/valorisation), force est de constater que les grandes agglomérations sub-sahariennes sont encore loin du compte (cf. Tableau 1).

 

 

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1.1. Des contraintes urbaines fortes

Avant même de rechercher des explications à cette situation en termes de manque de moyens financiers, déficits d’organisation, carences des puissances publiques, errements des dispositifs induits par les bailleurs de fonds ou autres raisons, c’est sur les formes d’évolution de ces agglomérations elles-mêmes qu’il faut porter l’analyse. Elles présentent une typologie contrastée selon deux types de quartiers :

– une ville planifiée, héritière notamment de la période coloniale, où se situent un habitat de moyen et haut standing et les couches sociales correspondantes ;

– mais aussi, de plus en plus, une ville spontanée aux populations moins favorisées.

Encore faut-il bien préciser que ces « deux villes » sont assez souvent imbriquées l’une à l’autre, dans leurs différentes dimensions (sociales, architecturales, etc.). Il ne faudrait pas simplement raisonner en termes de centre et de périphérie. Globalement non maîtrisé, le développement de cette dernière présente, sous la pression de la démographie tant interne que migratoire, une série de caractéristiques étroitement interdépendantes :

1) une urbanisation extensive. « La forte croissance démographique de Yaoundé s’accompagne d’une augmentation de sa superficie qui est passée de 1 200 ha en 1961 à 18 000 ha [x15] en 2000 » (Era-D05);

2) une densité néanmoins élevée de la population dans les nouveaux quartiers constitués : 3 à 6 fois plus importante que celle des quartiers « planifiés » (cf. Tableau 2) ;

3) des changements de la configuration urbaine qui connaissent un rythme accéléré ;

4) une absence de viabilité des voiries (des voies étroites, accidentées, en terre battue, a fortiori soumises aux aléas climatiques, etc.).

 

 « Yaoundé ne dispose que de 800 km de routes toutes catégories confondues [soit] une densité de desserte de 4,4 km/km2 [...] inférieure à la moyenne de 15 à 20 km/km2 requise en matière d’urbanisme. (...) Seuls 30 % sont bitumés et en plus ou moins bon état. Sur les 800 km de voirie, 560 km sont ainsi en terre et impraticables à plus de 70 %. L’accès est impossible en véhicule pour 57 % des habitations des quartiers Melen, (...) même les chemins piétons pouvant servir de voie d’évacuation sont entrecoupés d’escaliers pour gravir des pentes raides, de caniveaux et d’autres obstacles artificiels ou naturels (...). » (Source : Era-D05)

La description de ces contraintes à Yaoundé vaut tout autant pour les autres villes de la région : Lomé, Nouakchott, N’Djaména ou Cotonou, etc.

L’absence de prise en compte de la gestion des déchets dans la planification urbaine est régulièrement dénoncée dans les rapports. Pour être exacte, la critique ainsi formulée reste un peu vaine et incantatoire. C’est plus globalement l’absence de planification urbaine tout court qui est en cause. Or, ce développement spontané et extensif tel qu’il existe actuellement semble devoir être une tendance lourde (IRD-D08), même si une restructuration des quartiers précaires est dans certains cas annoncée, avec optimisme, par les autorités (dès 2010 à Nouakchott, selon Tenmiya-D07).

La question est donc d’adapter davantage les solutions d’élimination des déchets à la réalité urbaine d’aujourd’hui, quitte à en tirer des enseignements interactifs, par exemple sur la place à réserver aux points de regroupement, qui puissent progressivement orienter des aménagements partiels de la cité. « Il faut adapter le service à chaque situation de zone ou d’espace à collecter » (Tenmiya-D07).

 

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1.2. Des dispositifs adaptés de pré-collecte par conséquent incontournables

Pour le service public d’élimination des ordures ménagères, les conséquences des contraintes énumérées cidessus sont en effet doubles :

1) les quartiers « spontanés » restent globalement inaccessibles aux véhicules classiques d’enlèvement des ordures ménagères (bennes) ;

2) mais en même temps, les distances y sont trop importantes pour envisager un apport volontaire des ordures par l’ensemble de leurs habitants jusqu’aux axes viabilisés où il redevient possible d’assurer un tel enlèvement.

Dans ces grandes agglomérations sub-sahariennes, les dispositifs de pré-collecte à forte intensité de maind’œuvre, utilisant des moyens rustiques (charrettes, etc.) et opérés par des micro-entreprises privées (au sens large), émanant des quartiers spontanés eux-mêmes, semblent ainsi être les seuls en mesure de combler le fossé entre lesdits quartiers et ce qui existe actuellement de trame de voirie cohérente et en bon état, et donc d’assurer la généralisation du service à cette partie de l’espace urbain. « Peut-on continuer, dans le contexte des villes africaines, à parler de techniques modernes et artisanales en termes d’alternatives ou faudrait-il plutôt parler de complémentarité ? » (Era-D05).

En effet, durant la précédente décennie, cette option de pré-collecte a fait l’objet de maintes expérimentations dispersées et chaotiques dans la plupart des villes d’Afrique sub-saharienne, selon des logiques de différenciation, de concurrence et de rupture techniques (et non spatiales) avec d’autres modalités plus « conventionnelles ». Un des acquis majeurs du programme, au travers des actions Era-D05 (Yaoundé), Tenmiya-D07 (Nouakchott) et TechDev-D09 (Cotonou) en particulier, est de justifier aujourd’hui pleinement la place qui revient à cette pré-collecte et de montrer comment elle est en passe d’y accéder à une certaine maturité. Car la question qui se pose véritablement désormais est celle de sa consolidation, à partir de l’expérience acquise et partagée et notamment grâce à une articulation institutionnelle, financière et technique au sein de l’ensemble du dispositif de gestion des résidus urbains.

 

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1.3. Accorder le temps nécessaire au changement

En complément de la dimension spatiale, la dimension temporelle est aussi fondamentale.

L’amont de la gestion des déchets ménagers repose en effet sur une intense mobilisation des acteurs du terrain ainsi que sur des évolutions essentielles dans les pratiques domestiques quotidiennes et les comportements individuels et collectifs. Accorder le temps nécessaire à ces évolutions apparaît donc crucial. Il faut penser à la manière dont cette dimension a été prise en compte dans les politiques publiques de gestion des déchets au Nord : délais accordés par les Directives communautaires, échéance à dix ans de la loi française de 1992, calendriers de développement et d’apprentissage des nouvelles pratiques de collecte séparative, etc.

Or, il est assez surprenant de constater que le manque flagrant de temps accordé ici aux expériences passées et en cours pour faire leurs preuves est, finalement, assez peu pointé comme un handicap essentiel.

Les rétrospectives regorgent pourtant d’exemples édifiants à cet égard : programmes souvent abandonnés au bout de 6 à 18 mois seulement, 2 à 4 ans dans le meilleur des cas ; contrats public/privé sur des durées trop courtes (4 ans, voire moins). Le nombre de solutions tentées à Yaoundé entre 1990 et 1998, recensées dans le rapport Era-D05, est à lui seul ahurissant ! A cet égard, cette étude met en avant une condition essentielle et révélatrice de réussite : la stabilité sur une durée suffisante de l’un des maillons du système « il n’y aura plus d’interruption du service de collecte dans les dix prochaines années ». Et dans ses conclusions, les auteurs proposent même un échéancier à vingt ans pour intégrer « une progression des performances du service » et parce que « cette échelle de temps est appropriée pour permettre un changement des comportements ».

 

 

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2. Une méconnaissance encore tenace des gisements de déchets

2.1. Approfondir, de manière rigoureuse et critique, la terminologie, les mesures et leur analyse

« L’absence de données fiables sur la production des déchets dans la plupart des villes du pays constitue encore l’un des blocages majeurs pour les ministères techniques » (Era-D05).

La lecture des rapports montre pourtant une volonté générale de s’appuyer sur des données chiffrées relatives à la production et à la composition des déchets ménagers, issues essentiellement de la bibliographie disponible dans ce domaine. Les principaux éléments clés pour fonder, à ce stade, des démarches opérationnelles valides, semblent ressortir des données recueillies : un ordre de grandeur du poids d’ordures à évacuer par habitant, selon les grandes catégories de quartiers, globalement corroboré sur l’ensemble de la zone ; des indicateurs de densité et de teneur en eau ; la mise en évidence des fractions prépondérantes, comme le sable (cf. § suivant) ou les fermentescibles.

Ce souci ainsi que l’apparente précision « scientifique » de certains des tableaux produits dans les rapports ne masquent pas pour autant un déficit encore profond de connaissance des gisements de déchets, au plein sens du terme.

Le statut et la nature exacte de ce que recouvrent les données avancées, le stade auquel l’analyse a été réalisée et dans quelles conditions, parfois même l’unité de référence sont autant d’éléments qui, en regard de la nécessité et de l’ambition de disposer d’un socle sérieux dans ce domaine, restent encore d’une précision inégale selon les travaux, voire au sein de ceux d’une même équipe. Le poids des déchets par exemple : se réfère-t-il à des ordures brutes humides ou à des analyses en matière sèche ? Quant à leur nature, parle-t-on des déchets tels qu’ils sortent de l’espace domestique ou d’une analyse après collecte où ils incluent ceux d’autres producteurs (marchés, etc.) ? Les pourcentages de répartition indiquent-ils des fractions en poids ou en volume ? L’imprécision se trouve aussi dans la terminologie employée, où l’on dénote souvent l’influence des tendances rudologiques du Nord. Quel sens y a-t-il à croiser ici le terme « déchets verts », si essentiellement lié à un contexte d’entretien intensif d’espaces verts d’agrément, en climat tempéré, avec exportation systématique des résidus (tontes de pelouses, etc.)?

La connaissance – la reconnaissance même – des flux masqués, détournés, souffre d’autant plus de ce flou. Les matériaux écrémés à la source par la récupération familiale et informelle apparaissent ainsi cruellement absents de tous les tableaux présentés, même si cette absence est généralement mentionnée à titre de commentaire accessoire.

L’interprétation de ces données par les acteurs concernés n’est donc pas facilitée, sans compter les risques, avec un matériau aussi faible (données incomplètes, peu fiables ou mal référencées), de déperdition et/ou de déformation de l’information dans le temps et dans l’espace.

A cet égard, le constat dressé par Eamau-D10 à Lomé est significatif : « La Mairie de Lomé ne dispose pas de données qualitatives et quantitatives sur le volume des ordures ménagères, [ni] par conséquent de base de calcul pour la maîtrise du coût d’enlèvement et de gestion des dépotoirs intermédiaires […]. Les chiffres avancés pour le poids volumique des O.M. (ordures ménagères) et la quantité d’O.M. produites par jour en kg/hab. sont en réalité des moyennes sous-régionales. Les données réelles concernant le Togo ne sont pas connues ».

La démarche de mesure, très pragmatique, entreprise dans cette recherche pour remédier à un tel constat apparaît tout à fait méritoire et productive, faisant apparaître in fine une surestimation « d’au moins 170 % » des productions d’ordures prises en compte dans les dispositions contractuelles...

D’autres exemples méritent d’être relevés. Ainsi, le taux atypique de plastiques (comparé aux autres villes africaines, mais aussi aux ordures des pays du Nord) dans la composition pondérale des déchets de Nouakchott, reprise dans le Tableau 3 ci-dessous, ne suscite étrangement ni interrogation ni commentaire. C’est aussi le cas de certaines différences tout à fait surprenantes, et pour le moins contradictoires, qui ressortent de la comparaison des compositions des ordures selon le profil socio-économique des quartiers (du « haut standing » aux quartiers spontanés) et sur d’autres sites.

L’un des rapports (TechDev-D09) avance pour le cas de Cotonou un supposé « doublement de la production de déchets par habitant entre 1980 et 1996 » – par référence à un rapport du bureau d’études Dessau – et le juge « plausible en considérant l’évolution des habitudes de consommation de la population ». A l’appui est présenté un tableau de la composition de ces déchets, qui montre une prépondérance écrasante du sable (36 %) et des matières organiques (53 %). Or, on peut légitimement s’interroger sur l’impact effectif de l’évolution des modes de consommation sur ces fractions-là, qui représentent à elles deux 89 % des ordures, et par conséquent sur la réalité de ce doublement.

La manière dont est survolée la question des déchets spéciaux à Yaoundé (Era-D05) relève un peu du même registre. Objectif initialement retenu mais sans justification forte, la piste d’une expérimentation de la collecte séparée de ces déchets spéciaux est finalement abandonnée à bon escient, mais au prix d’une pirouette explicative étonnante : « Les déchets à caractère dangereux produits par les ménages sont très marginaux [c’est sans doute vrai, mais le tableau figurant au-dessus de cette affirmation n’en fait aucunement état] ; les activités artisanales sont concentrées uniquement le long de la voie bitumée et les déchets produits par ces artisans sont déversés directement dans les bacs. Il n’est donc plus utile de mettre en œuvre des activités pour le tri des déchets dangereux [sic] ».

 

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2.2. La présence importante de sable dans les déchets ménagers collectés : une question majeure dans l’ensemble des agglomérations africaines.

Comme le montre le Tableau 3, le sable est systématiquement la première ou la seconde « fraction » des ordures en importance pondérale, en alternance avec les fermentescibles (avec des variations selon la latitude de la ville concernée). Cette présence de sable, essentiellement liée au balayage des espaces privés, participe de manière essentielle à la charge pondérale des ordures et, en conséquence, à la pénibilité de leur transport, a fortiori lorsque celui-ci est réalisé en pré-collecte par des femmes ou des enfants, comme c’est le plus souvent le cas, ou avec un matériel à traction humaine.

Le « tri à la source » du sable apparaît donc ici comme une véritable priorité technique de la gestion des déchets, par rapport à celui d’hypothétiques matériaux recyclables ou déchets dangereux évoqués ci-dessus. C’est sans doute un axe majeur d’une réflexion sur la préservation ou le développement de pratiques préventives d’évitement ou de valorisation in situ des déchets, comme alternative ou complément à la logique d’évacuation (cf. § 8. L’évacuation pure et simple comme mode hégémonique, voire exclusif, d’élimination mérite d’être questionnée).

Des innovations assez « rustiques » ont fait, dans le cadre du programme, l’objet d’expérimentations permettant d’éviter le transport inutile du sable, selon deux grandes options :

1) des pratiques de balayage ou des outils de ramassage (pelle ajourée) évitant de ramasser trop de sable ;

2) l’adaptation des poubelles (transformation du fond en tamis grâce à des orifices) afin que le sable s’écoule.

Dans les deux cas, les résultats obtenus semblent significatifs sans toutefois résoudre totalement le problème (27 à 30 % du sable évité à Lomé selon le rapport Eamau-D10 ; 30 à 35 % à Cotonou selon TechDev-D09). La simple combinaison, à chaque fois que c’est possible, des deux types d’action serait peut-être un facteur simple d’amélioration, à l’instar de ce que semble finalement envisager le PGDSM (Projet de gestion des déchets solides ménagers) à Cotonou. Mais elle n’est quasiment pas évoquée dans les rapports.

 

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2.3. Les autres résidus urbains encore largement ignorés

Les travaux du programme ne mentionnent presque jamais non plus l’existence et le sort d’éventuels « déchets volumineux » des ménages (pour éviter les termes de « monstres » ou « d’encombrants », usuels dans les pays du Nord, mais trop connotés), sauf au détour de l’expérience de Nouakchott (Tenmiya-D07) où ils émergent comme une carence et un facteur d’insatisfaction de certains habitants à l’encontre du service assuré par les petits opérateurs de pré-collecte.

Plus encore, les déchets banals des entreprises (et des administrations !) sont relativement peu évoqués dans les investigations engagées. Seules, peut-être, l’étude Era-D05 s’avance à formuler courageusement une quantité de déchets d’entreprises ramenée à l’habitant de Yaoundé, tandis que celles de N’Djaména-D01 et de Burgeap-D06 (Sénégal) soulignent le rôle, potentiel ou déjà acquis de fait, du gisement des DIB (déchets industriels banaux) dans l’approvisionnement des filières de recyclage.

La question des marchés apparaît, elle, plusieurs fois, mais les rapports n’analysent pratiquement pas les interférences ou synergies éventuelles entre la gestion de ces déchets des marchés et celle des déchets domestiques. L’analyse très fine menée par Tenmiya-D07 montre pourtant la place centrale jouée par ces marchés dans la pluri-activité des charretiers de Nouakchott, qui utilisent leur instrument de travail tant pour la collecte des ordures que le transport de personnes vers ces lieux très fréquentés.

Cela n’a en soi rien d’étonnant si l’on observe que même dans certains pays du Nord, et en tout cas en France, persiste aussi cette difficulté à prendre en compte l’ensemble des résidus urbains au sein d’une gestion territoriale intégrée.

Les autorités locales, opérateurs et équipes de recherche qui continueront à les accompagner sur le terrain gagneraient donc à s’intéresser désormais de manière plus systématique et approfondie aux synergies possibles entre déchets strictement ménagers et déchets industriels et commerciaux, tant pour l’optimisation des matériels ou des circuits que pour l’émergence de véritables filières de valorisation ou le financement des services.

 

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2.4. Pour une approche « rudologique » à l’africaine

D’une façon générale, n’est-il pas temps qu’émerge une véritable rudologie africaine adaptée aux spécificités et aux enjeux propres à ce continent, s’appuyant sur davantage de rigueur et d’approfondissement, de recul et de sens critique ?

Pour ce faire, l’important travail socio-anthropologique déjà disponible sur les perceptions et les attitudes locales face au déchet pourrait être plus étroitement combiné, dans une perspective opérationnelle, à des approches métrologiques (caractérisations des déchets plus systématiques, aux deux sens du terme) ou géographiques, tant l’utilisation des outils cartographiques apparaît encore limitée dans les travaux actuels.

 

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3. Consolider les dispositifs de pré-collecte

Etant admis le caractère incontournable du maillon de pré-collecte dans une logique de généralisation du service d’évacuation, la question des conditions de pérennisation des dispositifs qui l’assurent reste ouverte, compte tenu de la précarité des structures opératrices et au vu des aléas et des échecs observés antérieurement.

 

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3.1. La formalisation de démarches méthodologiques

Trois recherches du programme en particulier (Era-D05, Tenmiya-D07 et TechDev-D09) fournissent un matériel foisonnant et extrêmement profitable en termes d’analyse des expériences antérieures et d’expérimentation de démarches et d’outils innovants, éventuellement reproductibles, pour répondre à la question de la pérennisation des dispositifs de pré-collecte. Selon des approches diversifiées mais complémentaires, elles se sont en effet chacune appliquées à développer un appui organisationnel et méthodologique à ces structures. L’étude détaillée de leurs activités constitue l’un des principaux produits des travaux en question.

L’action conduite à Yaoundé (Era-D05) a abouti à l’élaboration d’une grille d’analyse des opérations de précollecte. Sans doute perfectible, car elle a un côté strictement « gestionnaire », détaché du contexte sociologique et urbanistique, elle offre néanmoins une base pour une approche comparative formalisée entre des expériences dont la mémoire et la présentation restaient, jusqu’à présent, extrêmement diffuses et hétérogènes.

Le travail mené sur le quartier de Basra à Nouakchott (Tenmiya-D07) constate la pluri-activité de fait – indispensable sur le plan économique – des petits opérateurs : transport de biens, de personnes, etc. Ce constat est corroboré par TechDev-D09 à Cotonou avec un autre profil de complémentarité, plutôt axé sur l’assainissement et la propreté. Evaluant la rentabilité interne de chacune des activités (chiffre d’affaires par rapport au temps consacré, phases inactives et autres facteurs d’inefficacité), la recherche Tenmiya-D07 met en évi- dence les déséquilibres structurels actuels dus à une pratique d’opportunisme « nomade » vis-à-vis de la clientèle potentielle, qui se traduit notamment par des parcours techniques non optimisés (distances parcourues trop élevées, répartition de l’occupation du temps non rationnelle, etc.)

Une approche comparable dans ces différentes recherches contribue utilement à faire émerger un faisceau de paramètres et de ratios d’efficacité : seuils de rentabilité (en nombre d’abonnements par rapport au montant de l’abonnement à Cotonou, en nombre de charrettes en service à Nouakchott) ; rayon d’action optimal pour la pré-collecte ; critères d’amélioration des circuits ; etc. Ces éléments pourraient être mis à profit pour une « modélisation de la pré-collecte dans des contextes similaires » (Tenmiya-D07).

 

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3.2. Aller vers une professionnalisation des petits opérateurs

Les démarches méthodologiques évoquées précédemment fournissent les bases, ainsi qu’un certain nombre d’outils pratiques, favorables à une professionnalisation des petits opérateurs de pré-collecte, dont la nécessité ressort clairement de ces diverses expérimentations (voir aussi Eamau-D10, à Lomé, en complément des trois actions déjà citées). Dans cet esprit, l’action TechDev-D09 a d’ailleurs développé concrètement, auprès des quelques opérateurs sélectionnés à Cotonou, un accompagnement soutenu en matière de management portant sur le triptyque suivant :

– organisation et gestion du personnel ;

– système comptable et financier simplifié (élaboration d’un compte d’exploitation, etc.) ;

– sécurité des charretiers.

Cette évolution des petits opérateurs vers un profil plus entrepreneurial suscite parfois, a contrario, une inquiétude quant à la perte de leur rôle « communautaire » – elle transparaît notamment dans cette même action TechDev-D09. Une clarification semble utile à ce sujet.

Les besoins de sensibilisation des habitants à la propreté et d’opérations exemplaires non marchandes – comme les nettoyages de dépôts sauvages que l’on retrouve dans pratiquement tous les programmes – sont indéniables. Leur réalisation, surtout quand elle implique des opérateurs de pré-collecte, favorise sans aucun doute l’adhésion des habitants/usagers au service qu’ils proposent. Mais il ne paraît ni sain, ni viable, tant en termes de moyens techniques que de charges financières, que les entreprises de pré-collecte en restent les principaux, voire les seuls, maîtres d’œuvre à l’interface avec la population du quartier. Nous y reviendrons plus loin, mais voilà typiquement un domaine dans lequel d’autres acteurs, notamment la collectivité locale, se doivent d’assumer pleinement leurs responsabilités ou de développer une fonction qui leur sied davantage qu’aux entreprises elles-mêmes. C’est le cas des diverses « structures relais » représentant les habitants/usagers du quartier que l’on retrouve dans presque toutes les expériences, ou des esquisses d’organisation professionnelle que l’on voit aussi émerger sous forme de coordination des opérateurs, par exemple la Cogeda (Coordination des ONG de gestion des déchets solides ménagers et de l’assainissement de la ville) à Cotonou (TechDev-D09).

Quant aux petites structures de pré-collecte, la question immédiate n’est peut-être pas tant de disserter sur le statut formel qui leur conviendrait. Elles se sont emparées de fait des formules, plus ou moins claires et adaptées, que leur offrait le paysage institutionnel et juridique tel qu’il est. Il s’agit plutôt d’affirmer clairement le contenu et le périmètre de leur activité de prestataire, quitte à déterminer tout aussi précisément les registres dans lesquels leur spécificité sociale et communautaire mériterait se manifester (recrutement des agents, politique tarifaire, etc. ainsi qu’une participation, parmi d’autres, aux actions de sensibilisation et d’éducation).

 

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3.3. La planification spatiale des interventions

La définition et l’attribution rationnelles de secteurs d’intervention pour les différentes entreprises de pré-collecte, ainsi que l’optimisation des circuits à l’intérieur de ces secteurs, constituent une seconde condition primordiale pour contrecarrer la précarité de ces petits opérateurs émergents. Indispensable pour en finir avec le caractère erratique de leurs parcours et la concurrence sauvage qui règne parfois entre eux, cette stratégie générale de zonage est commune aux trois expériences citées (Yaoundé Era-D05, Cotonou TechDev-D09 et Nouakchott Tenmiya-D07), qui laissent entrevoir une maturité possible de cette option. Ainsi, à Nouakchott, « Les 4 charretiers se sont répartis entre les 4 secteurs. Leur temps consacré à la collecte est entre 8 heures du matin et 14 heures l’après-midi ; soit une augmentation de 400 % par rapport au rythme d’avant-projet où le temps consacré par charretier à la collecte des déchets ne dépassait pas une heure et demie par journée de collecte » : cela a donc nettement amélioré la rentabilité de leur activité.

Allant au-delà de la simple utilisation des ratios d’efficacité déjà évoqués (en distances à parcourir et en nombre d’abonnés desservis), la recherche Era-D05 présente une méthodologie particulièrement intéressante testée à Yaoundé. Elle repose sur l’utilisation d’une série d’outils cartographiques d’échelles décroissantes et permet :

• d’abord l’identification des « poches de pré-collecte organisée potentielle » à l’intérieur de la trame urbaine (qui servira également à ajuster la complémentarité avec le maillon aval de la collecte dite conventionnelle) ;

• puis l’organisation détaillée des circuits de pré-collecte à l’intérieur de ces poches, en intégrant précisément les contraintes d’accessibilité pour définir l’enchaînement des modes de pré-collecte eux-mêmes (transport manuel ou par brouette, puis par charrette « porte-tout »).

Ce travail, qui fait notamment écho à l’appel à une approche rudologique formulé plus haut, constitue indéniablement un des apports méthodologiques les plus riches concernant la gestion des résidus urbains dans ce programme, dont l’ensemble des équipes pourrait utilement tirer profit.

 

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3.4. La conception d’un matériel adapté aux spécificités locales

Comme le souligne à juste titre Tenmiya-D07, « la dotation en équipements adéquats pour la collecte primaire, seule, ne peut favoriser l’essor des petits opérateurs ».

Toutefois, plusieurs travaux du programme (N’Djaména-D01, Tenmiya-D07, TechDev-D09, Lasdel-A03, etc.) montrent combien, à défaut d’être suffisante, l’amélioration des « charrettes » est non seulement nécessaire mais surtout désormais possible en capitalisant, avec un réel souci d’analyse et d’approfondissement, les expériences acquises sur ce point technique.

Augmenter l’efficacité des tournées de pré-collecte, celle du transport puis du transfert aux points de regroupement, réduire la pénibilité pour les charretiers, rehausser l’image de leur activité – à leurs yeux comme à ceux des usagers – sont autant d’objectifs à traduire de manière plus systématique en paramètres simples (rapports poids/volume, hauteurs, modes de remplissage et de vidange, etc.) afin de dépasser la simple improvisation, d’éviter de répéter les mêmes erreurs ou de réinventer les mêmes demi-solutions.

 

On a le sentiment qu’en consolidant les travaux déjà menés par divers partenaires (le réseau Crepa particulièrement) et les données bibliographiques rassemblées et commentées par les recherches du présent programme (notamment Tenmiya-D07), et en formalisant les démarches d’amélioration expérimentées par certaines équipes (Eamau- D10), il serait aujourd’hui possible de concevoir et de mettre à disposition des acteurs concernés un catalogue actualisé des matériels déjà utilisés dans les différents pays de la zone. Assorti d’une analyse critique de leurs caractéristiques et de leurs évolutions ainsi que des éléments méthodologiques (critères d’analyse, logique et déroulement dans le temps de la démarche, etc.), il leur permettrait de poursuivre utilement pour leur compte le processus d’innovation.

En effet, s’il s’agit de ne pas oblitérer la nécessaire adaptation aux spécificités de chaque contexte géo-climatique et urbain, le processus de participation des acteurs eux-mêmes à cette innovation doit aussi rester, pour une bonne appropriation de l’équipement, un élément central de la démarche.

Plus en amont, la question des récipients de présentation des déchets ménagers à la pré-collecte apparaît dans les expériences du programme, mais de manière plus diffuse et sans qu’il paraisse possible d’en tirer véritablement, à ce stade, des conclusions synthétiques, pertinentes et valorisables. Au-delà du constat d’évidence poubelienne d’un « déficit sur le conditionnement initial » (Tenmiya-D07), cette question ne reste-t-elle pas pour l’instant secondaire et non décisive dans l’installation de la pré-collecte ?

On note, ici et là, des expériences de dotation ou des tentatives de commercialisation de poubelles « normalisées » (y compris sélectives, dénotant plus d’un mimétisme intempestif avec les modes observées au Nord…), le recours de bon sens à des options de réutilisation (demi-fûts) ou de recyclage des métaux par l’artisanat local, ou la recherche de certaines améliorations comme les récipients à fond percé pour l’évitement du sable. Dans son rapport final, la recherche TechDev-D09 finit même par faire état d’un « engouement des ménages [de Cotonou] […], le prix auquel l’action pilote a fait fabriquer les poubelles [étant] jugé tout à fait compétitif ».

A l’intersection avec la sphère domestique de la gestion des ordures, peut-on imaginer des progrès obtenus peu à peu par la sensibilisation, la mobilisation sociale et des approches contractuelles entre usagers et opérateurs, ou cette question de la poubelle ne sera-t-elle résolue que par une intervention prescriptive forte de l’autorité municipale, à l’image de ce qui s’est passé au Nord depuis un peu plus d’un siècle ?

 

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4. La complémentarité entre maillons

La focalisation sur la mise en œuvre d’une pré-collecte adaptée aux difficultés d’accès des quartiers spontanés n’a de sens que si cette pré-collecte dispose ensuite d’un exutoire accessible et fiable dans le temps.

A cet égard, la logique qui sous-tend les schémas de principe de l’élimination des déchets dans toutes les villes du programme est à peu près la même (cf. Figure 1 page 45). Elle postule que la collecte mécanisée conventionnelle qui ne peut pénétrer dans ces quartiers redevient théoriquement opérante à partir des axes de circulation viabilisés et dans la partie planifiée de l’agglomération. De fait, c’est sur cet espace que subsistent aujourd’hui, avec plus ou moins de bonheur, les derniers avatars des tentatives successives d’organisation d’un service d’élimination pour l’ensemble de cette agglomération.

A Nouakchott par exemple (Tenmiya-D07), « l’inexistence ou l’éloignement des dépôts de transit oblige les petits opérateurs à vider le long de leurs circuits. Quand ils existent [...] la mauvaise gestion des sites de transit (retard, enlèvement partiel, etc.) engendre bien souvent des nuisances et des plaintes des riverains ». En regard de ces réalités, la stratégie de gestion des déchets solides (SGDS) énoncée par la Communauté Urbaine, courant 2002, semble encore bien superficielle et formelle, n’apportant guère de précision sur l’implantation des « nouvelles infrastructures » envisagées en termes de dépôts de transit, leur conception ou leur exploitation (hormis l’évocation d’un matériel de type Ampliroll). Ceci laisse, du même coup, songeur quant à la pérennité de la pré-collecte, malgré le travail d’analyse en profondeur et d’appui potentiel dont elle a fait l’objet, et que nous avons salué plus haut. L’état des lieux n’est guère différent à Cotonou au départ de l’action TechDev-D09.

 

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4.1. Éviter que les points de regroupement ne constituent un nœud de blocage

Il est essentiel d’assurer une articulation efficiente entre le maillon de la pré-collecte et celui de la collecte secondaire et du transport par :

– la mise en œuvre de points de regroupement et de transfert convenablement : 1) implantés, 2) conçus, 3) équipés et 4) exploités ;

– l’assurance d’une évacuation régulière des déchets qui y sont regroupés.

Ce dernier point apparaît sans conteste comme prépondérant et prioritaire pour garantir un « déblocage » de l’ensemble du dispositif par l’aval : « les dépotoirs intermédiaires resteront sommairement aménagés tant que l’enlèvement des ordures ne sera pas assuré » (Eamau-D10). A Yaoundé (Era-D05), c’est la présence même d’un opérateur fiable (Hysacam) sur une période suffisamment longue qui permet d’envisager une organisation durable et généralisée de la pré-collecte par les petits opérateurs, ainsi qu’une véritable stratégie relative aux points de regroupement. Avec des caractéristiques par ailleurs sensiblement différentes des villes subsahariennes, le cas de Fès et l’opportunité d’intervention d’Onyx (Cittal-D02) confirment cette conclusion. L’évolution récente de la situation à Cotonou (à la faveur des premières élections municipales ?) telle que la rapportent les compléments adressés par TechDev-D09 peut laisser espérer une avancée comparable : « La CUC (Communauté urbaine de Cotonou) a octroyé des contrats de concession à 16 entreprises, regroupées dans un collectif Collect-DSM, pour la collecte aux points de regroupement et le transport jusqu’à la décharge. Ce nouveau découpage doit permettre de mobiliser davantage de véhicules et d’assurer un meilleur service. L’enquête réalisée [...] confirme une amélioration sensible de l’enlèvement au niveau des bacs ». Les ambitions affichées de la CUC pour une implantation et un aménagement sérieux des points de regroupements pourraient y gagner en crédibilité.

La Figure 2 page suivante s’efforce de présenter de façon synthétique les paramètres déterminants pour la mise en œuvre de tels points de regroupement et de transfert. Comme toute infrastructure charnière de ce type, seule une approche analytique prenant en compte, de façon véritablement approfondie et combinée, les contraintes et les besoins amont (ici, relatives aux petits opérateurs) et aval (entreprises d’élimination) sera de nature à assurer correctement cette mise en œuvre. Celle-ci peut et doit être adaptée aux conditions locales, aussi rudimentaires soient-elles.

 

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4.2. Penser de manière simple, mais systémique, la conception et l’exploitation des points de regroupement et de transfert

Se donnant comme objectif que « le dépotoir intermédiaire [soit perçu] comme un équipement urbain qui a besoin d’une gestion (aménagement - exploitation - entretien - maintenance) », le travail mené à Lomé par Eamau-D10 démontre qu’une telle ambition est tout à fait réalisable et produit pour ce faire un certain nombre de prescriptions simples mais pertinentes, portant notamment sur :

– un gabarit adéquat pour l’entrée du point de regroupement et de transfert ;

– une gestion du dépotage par casiers (dont les bénéfices tirés en termes de propreté, de nuisances olfactives, d’amélioration des conditions de travail des différents intervenants et d’optimisation économique sont assez clairement évalués) ;

– la détermination de paramètres clés pour l’exploitation (volumes de stockage, d’enlèvement, temps de séjour optimal, etc.) ;

– mais aussi le rôle qui devrait revenir aux petits opérateurs de pré-collecte dans la maintenance de ces sites de transfert.

L’autre leçon intéressante de cette action est de mettre en évidence les surcharges financières flagrantes occasionnées jusque-là par les dysfonctionnements du dispositif de transfert, principalement la surestimation des quantités réellement évacuées conduisant à des surfacturations. Le dépotage plus méthodique, optimisant les volumes et fréquences d’enlèvement, donne une meilleure maîtrise des coûts effectifs. L’équipe Eamau-D10 poursuit judicieusement cette analyse technico-économique sur le maillon suivant du transport à la décharge. Un tel constat n’offre t-il pas un autre éclairage à la sempiternelle question butoir du financement ? (cf. § 7. Construire progressivement le puzzle du financement).

On peut toutefois s’interroger sur les recommandations sensiblement discordantes de la nouvelle « stratégie de gestion des dépotoirs intermédiaires » conçue par la Commune de Lomé fin 2002, pourtant supposée mettre à profit les résultats de l’expérimentation. En effet, il y est finalement proposé de passer d’emblée à une solution requérant davantage d’équipements et de mécanisation (transfert via des bennes de 12 à 15 m3, reprise par camion poly-bennes) et de confier l’entretien des dépotoirs aux entreprises aval. Des arguments sont esquissés (optimisation pratique et financière de la rupture de charge) mais il reste à espérer que la faisabilité d’une telle stratégie se confirme effectivement.

 

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4.3. Une approche raisonnée de l’implantation des points de regroupement et de transfert

Les différentes recherches sur la pré-collecte déjà évoquées font ressortir, du point de vue amont des petits opérateurs, un certain nombre de paramètres relatifs aux distances supportables :

         pour l’apport volontaire direct par les riverains ; 

         pour les opérateurs de pré-collecte compte tenu des contraintes d’accessibilité auxquelles ils sont soumis et des moyens humains et matériels qu’ils peuvent mettre en œuvre.;

 

Là aussi, certaines données directement tirées de la bibliographie méritent un suivi pour évaluation et ajustement éventuel : ainsi à Nouakchott « les charretiers se plaignent de l’éloignement du dépôt de transit, malgré le fait qu’il se trouve dans un rayon inférieur à 2 km qui est la distance maximale recommandée pour le transport par charrette » (Tenmiya-D07).

On perçoit implicitement, à la lecture des rapports, qu’une démarche d’analyse spatiale et participative commence à prendre corps pour aboutir enfin à une implantation judicieuse des points de regroupement et de transfert : recensement par l’autorité locale des conteneurs déjà installés, mais aussi des dépotoirs spontanés (dont on peut présumer que leur localisation recèle de fait une certaine logique) ; concertation avec les opérateurs amont et aval pour ajuster ces localisations, etc. Il semble toutefois encore y manquer un recours plus systématique et appliqué à des outils cartographiques, ce qui renvoie à nouveau à l’exemplarité, sur ce sujet, de la méthode expérimentée par Era-D05 à Yaoundé.

Enfin, les réactions des riverains aujourd’hui négatives à l’encontre des dépotoirs intermédiaires – néanmoins accaparés par ces mêmes riverains pour leur propre usage... – sont souvent mises en avant comme un élément de blocage primordial pour l’implantation de points de regroupement et de transfert dignes de ce nom. Les problèmes de maîtrise foncière des sites d’implantation envisagés méritent, à n’en pas douter, d’être abordés résolument, et au premier chef par l’Autorité locale. On peut aller jusqu’à soutenir la thèse selon laquelle cette hostilité des habitants n’est que la conséquence trop compréhensible du quasi-abandon de ces dépotoirs. Accompagnée d’une concertation assidue avec les riverains, une stratégie d’exemplarité, dont on vient de souligner à quelles conditions techniques elle peut être menée à bien, devrait permettre de dépasser dans une large mesure cet écueil.

 

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5. Le traitement final

Derrière la question première de « l’extraction » des déchets hors du système urbain, largement abordée par les équipes et traitée dans les chapitres précédents, celle de leur traitement ultérieur est relativement peu abordée dans les travaux du programme.

 

5.1. Plus ou moins élaboré et organisé, l’enfouissement reste aujourd’hui la solution largement prépondérante

Dans bon nombre de cas, les déchets finalement rassemblés sont éliminés de façon spontanée et erratique aux marges[1] de la ville, sous forme de dépôts, voire d’utilisation comme remblai ou comme amendement (IRD-D08). Pour des agglomérations moyennes et sous certaines conditions climatiques favorables, ces pratiques ne constituent-elles pas sinon une issue satisfaisante, du moins une solution de fait ? Dans ce cas, la priorité relèverait peut-être davantage d’une prise en compte, à la source, des déchets facteurs de gêne ou de risques (plastiques de plus en plus présents, déchets dangereux issus de certaines activités, etc.).

 

D’une manière générale, il faut sans doute d’emblée souligner que les pratiques ou techniques d’enfouissement, qu’elles soient spontanées ou organisées, passives (simple dépôt) ou à vocation utilitaire, constituent encore l’essentiel des solutions accessibles, en tout cas en Afrique subsaharienne, compte tenu tant de la nature des résidus urbains que de ses capacités techniques et financières à ce stade du développement.

Il serait illusoire aujourd’hui d’y envisager une élimination finale organisée, au travers de dispositifs industriels sophistiqués d’incinération ou de traitements biologiques (usines de compostage ou de méthanisation). Ces derniers ont fait et font, certes, l’objet de réalisations au Nord du continent (Maroc, Egypte), mais avec des résultats mitigés... En tout état de cause, comme les pays du Nord en ont eux-mêmes progressivement pris conscience, la mise en décharge restera un maillon, éventuellement ultime, mais de toute façon incontournable, d’une gestion durable des déchets.

 

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5.2. Pour une évolution pragmatique et progressive vers des décharges soutenables

Dans certains cas et particulièrement dans les plus grandes agglomérations, l’absence de site d’enfouissement technique officiel et organisé constitue toutefois déjà un facteur d’embolie qui se répercute lui-même sur l’amont du service.

On retrouve alors, à une autre échelle, et un maillon plus loin, les mêmes causes et mécanismes de blocage que pour les points de regroupement et de transfert :

– manque de disponibilité foncière pour implanter l’infrastructure ;

– éloignement excessif, occasionnant des détournements et des abandons en cours de route (cf. le projet de décharge de Cotonou) ;

– premières manifestations de rejet des riverains (syndrome Nimby, comme à Porto Novo, IRD-D08).

Quant à la conception de ces sites d’enfouissement, il semble contre-productif de prétendre adopter des normes de décharges modèles correspondant à celles des pays les plus avancés sous la pression des bailleurs de fonds.

Comme on l’a vu pour les points de regroupement et de transfert, il y a certainement place pour une démarche progressive de qualification des centres d’enfouissement, au travers de mesures relativement simples : choisir une implantation adéquate au plan hydro-géologique, clôturer, exploiter en casiers, contrôler les entrées et peser dès que possible2, prévenir les brûlages sauvages, etc. La décharge exploitée par Hysacam près de Yaoundé donne un exemple intéressant dans ce sens (Era-D05).

Dans tous les cas, l’organisation de l’enfouissement doit être menée avec le souci d’une véritable intégration des populations de récupérateurs informels pré-existants dans ce processus évolutif : clôturer le site ne doit pas revenir à exclure les chiffonniers.

 

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6. La coordination entre les acteurs : des rôles clarifiés et assumés

Dressées par la plupart des recherches du programme (en particulier Tenmiya-D07 à Nouakchott et Eamau- D10 à Lomé), les analyses des échecs antérieurs ou des impasses en cours sont sans équivoque sur un certain nombre de carences organisationnelles, qu’il s’agisse d’absence de coordination entre acteurs, de confusion des rôles, de responsabilités non véritablement assumées.

 

6.1. Dépasser la simple phraséologie sur la « gestion partagée »

Leitmotiv systématiquement mis en avant, la notion de « gestion partagée » semble intégrée, depuis la fin de la précédente décennie, par la plupart des programmes officiels d’élimination des déchets. Mais ne s’agit-il pas encore trop souvent pour certains échelons politiques et techniques d’une formule alibi et un peu creuse ? Il semble en être un peu de même de l’appel quasi incantatoire chez certains, mais pas toujours suivi d’effet, à « mettre en place un cadre de concertation ». Pour ce qui est de partager la gestion, il ne s’agit pas tant d’une juxtaposition opérationnelle entre secteurs public et privé que d’une véritable structuration des rôles et prérogatives entre donneur d’ordre public et prestataires privés.

Un des principaux mérites des actions menées dans le cadre de ce programme est de commencer à donner un véritable contenu, concret et formalisé, à ces notions en développant, parfois à profusion, les démarches méthodiques d’identification et de diagnostic des acteurs locaux, puis de concertation et de contractualisation entre ces différents partenaires.

La Figure 3 page suivante s’efforce, sur cette base, de positionner schématiquement les acteurs essentiels et leurs rôles constitutifs d’un dispositif de gestion des déchets potentiellement pérenne dans le contexte de ces villes africaines. Trois éléments clés, développés dans les paragraphes qui suivent, peuvent être identifiés.


 


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6.2. Des autorités locales assumant leur rôle

Il paraît tout d’abord indispensable que les autorités municipales assument pleinement la totalité des fonctions qui leur reviennent dans l’élimination des déchets, qu’il s’agisse de la maîtrise d’ouvrage du service public, de la planification urbaine ou de la police de l’environnement.

Il faut « faire de la municipalisation et du renforcement de la capacité municipale, l’objectif prioritaire et préalable ou au moins parallèle à la multiplication d’initiatives privées. (...) La cohérence générale de la filière, du domicile jusqu’à la décharge finale et le traitement, impose une action publique coercitive de conception, d’arbitrage et d’évaluation à la fois technique et économique » (IRD-D08).

« La fonction de maîtrise d’ouvrage publique par la collectivité [doit être] affichée et reconnue » TechDev-D09)

 

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6.3. Coordonner l’intervention des différents prestataires privés

Une coordination effective entre les différents prestataires privés constitue une seconde condition de la réussite, qu’il s’agisse :

– de distribuer et de coordonner l’intervention des opérateurs agissant sur le même maillon technique à l’intérieur du territoire urbain ;

– d’organiser la coopération entre les opérateurs respectifs des deux maillons : pré-collecte d’une part, collecte secondaire et transport d’autre part.

L’absence de maîtrise d’ouvrage réelle et de précision des missions déléguées, ainsi que la succession accélérée et incohérente des interventions publiques conduisaient souvent, jusque-là, à une concurrence contre-productive entre les initiatives et les acteurs de terrain, voire à des « programmes qui s’excluent et s’étouffent les uns les autres ». Remédier à de tels dysfonctionnements devrait être une priorité pour les municipalités. Les données rassemblées et les expériences menées dans le cadre du programme offrent à cet égard une gamme assez complète et cohérente d’outils : zonage des interventions ; élaboration de cahiers des charges, contrats, conventions ; suivi et contrôle effectifs des services délégués ; méthodes de concertation ; etc.

Point particulier, l’interface entre les prestataires amont et aval, au niveau de la gestion des points de regroupement et de transfert, est probablement essentielle. Il paraît pour le moins nécessaire de bien préciser contractuellement les règles d’utilisation du site à respecter par chacun, mais aussi leurs rôles respectifs dans son entretien et sa surveillance. Outre l’intérêt pour une bonne exploitation, cela peut constituer un vecteur de partenariat renforcé entre les entreprises d’enlèvement et les petits opérateurs de pré-collecte.

On peut aussi redire ici l’intérêt qu’offre l’émergence d’organisations professionnelles (à l’instar de Cogeda et Collect-DSM à Cotonou) assurant elles-mêmes des fonctions de coordination entre les opérateurs d’un même maillon, d’appui à la professionnalisation (échanges, émulation, capitalisation des expériences), de représentation auprès des autres partenaires et pour des interventions d’intérêt général (campagnes de salubrité, etc.).

 

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6.4. Favoriser l’intervention de structures relais issues du terrain

Enfin, le recours à des structures relais identifiées parmi la population constitue une troisième clé du dispositif.

Comités de quartiers à Nouakchott (Tenmiya-D07), Amicales à Fès (Cittal-D02), structures relais à Yaoundé (Era-D05), comités de responsabilisation et de surveillance à Lomé (Eamau-D10), etc. Elles peuvent préexister ou être constituées spécifiquement autour du projet de généralisation de la pré-collecte et/ou de réhabilitation des points de regroupement et de transfert. Elles doivent être bien distinctes des petits opérateurs de pré-collecte en voie de professionnalisation, même si ceux-ci ont pu être initialement l’émanation de telles associations de quartiers. Dans tous les cas, elles gagnent bien entendu à s’appuyer sur les structures « traditionnelles » présentes dans ces quartiers (chefferies, etc.).

On voit au travers des différentes actions du programme que les formules expérimentées ou envisagées recouvrent, selon le contexte et l’histoire, des champs d’intervention plus ou moins étendus, particulièrement pour ce qui est de l’intermédiation contractuelle et financière assurée par ces structures : à Nouakchott (Tenmiya- D07) le comité de quartier disposerait d’une véritable délégation de service dans le recouvrement des redevances, jouant un rôle d’intermédiaire entre l’autorité communale et les charretiers, là où dans d’autres cas (Yaoundé, Era-D05), son rôle se limite à celui de contrôleur et d’arbitre de proximité en appui de ce bon recouvrement. S’il ne paraît guère possible de trancher de manière générale et définitive, on peut toutefois insister sur la nécessité d’éviter toute formule qui conduirait encore une fois à une confusion des rôles et au désengagement implicite de la puissance publique.

C’est l’occasion d’aborder le cas de Fès (Cittal-D02), relativement spécifique par rapport aux villes sub-sahariennes dont il a surtout été question jusqu’à présent. Le quartier qui y a été étudié, mais c’est loin d’être le cas de l’ensemble de la ville de Fès, ne présente pas le même degré d’inaccessibilité que les quartiers étudiés par les autres équipes sur l’Afrique sub-saharienne, où se justifiait un maillon technique à part entière et, pour le couvrir, le développement de petits opérateurs privés de pré-collecte.

A Fès, même si ces objectifs contractuels ne sont pas tout à fait atteints, il a pu être sérieusement envisagé l’installation de bacs de regroupement « tous les 100 m [...] le trajet demandé à l’usager étant limité à 25 m », ce qui marque bien cette différence. Si pré-collecte il y a, c’est donc de façon beaucoup moins prégnante et autonome, et en grande partie par apport volontaire des habitants eux-mêmes. Ce maillon, raccourci, devient périphérique à une problématique essentiellement recentrée sur l’implantation et la gestion des bacs. Même s’il est question de « confier la pré-collecte » aux Amicales, leur intervention, pour essentielle qu’elle soit, relève bien d’une logique de mobilisation sociale pour assurer la propreté urbaine à l’instar de celle des « structures relais » dont il est question ici.

 

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7. Construire progressivement le puzzle du financement

Par delà les considérations techniques et organisationnelles, la question du financement du service public d’élimination des déchets urbains reste entière pour ces agglomérations africaines, compte tenu à la fois du niveau de vie de la majorité de leurs administrés, particulièrement ceux des quartiers spontanés dont il a été question, et de leurs propres ressources.

Les travaux réalisés dans le cadre du programme recèlent un matériau intéressant, mais assez partiel et hétérogène, sur ces questions financières, qui porte notamment sur :

– l’analyse des coûts actuels des différents maillons du service d’élimination, particulièrement de la pré-collecte par les petits opérateurs (niveaux de rémunération et autres charges) ;

– le consentement à payer ce service de pré-collecte par les populations des quartiers défavorisés (et son évolution sur les premiers mois de développement) ;

– différents scenarios de financement, plus ou moins développés.

Ces éléments mériteraient à eux seuls un travail en profondeur d’analyse comparée et de synthèse. Quelques axes principaux peuvent néanmoins en être extraits.

 

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7.1. Un financement différencié selon les maillons successifs

Si elle n’est pas aujourd’hui assurée de manière certaine, la solution du financement passera sans doute par une complémentarité entre deux modules (cf. Figure 4 page suivante) :

– un financement structurel par les pouvoirs publics de l’ossature de base du dispositif (points de regroupement et de transfert, service d’enlèvement à partir de ces points et transport) ;

– un financement plus ou moins important par l’usager des services qui lui seraient rendus (collecte à domicile).

Le premier de ces deux modules est à rechercher à la fois dans :

– la consolidation progressive du produit de la fiscalité locale : par une augmentation de son assiette mais aussi de son taux de recouvrement, aujourd’hui extrêmement partiel. Pour faire face à cette difficulté, la piste d’une surtaxe destinée au financement de l’élimination mais reposant sur un autre service mieux maîtrisable, comme l’alimentation en électricité, est à nouveau évoquée (par Era-D05 notamment), mais sans être approfondie ;

– l’optimisation et la transparence des charges réelles supportées par les entreprises auxquelles la collectivité délègue l’aval du dispositif. On l’a déjà dit, l’investigation menée par Eamau-D10 à Lomé est plus qu’instructive à cet égard. Les comparaisons, même grossières, s’avèrent également intéressantes lorsqu’elles montrent par exemple que « le coût moyen pour éliminer 1m3 de DSM (déchets solides ménagers) à Cotonou est élevé, comparé à celui d’autres grandes villes africaines » – de fait supérieur à celui de Dakar, et pratiquement le double des autres agglomérations subsahariennes – même si la recherche TechDev-D09 ne va pas au-delà de ce constat.

Plusieurs recherches convergent ici sur la défense d’une notion de service minimal généralisé à l’ensemble de la population, porteur « d’équité » plutôt que « d’égalité ». Ce minimum serait essentiellement constitué par l’ossature aval, à savoir un maillage suffisant et adapté de points de regroupement et de transfert, et un service d’enlèvement et de transport vers la décharge.

« Les occupants de zones d’habitat spontané seront satisfaits si leurs déchets sont régulièrement évacués de leur environnement à partir de points de dépôts vers lesquels ils amèneraient eux-mêmes leurs ordures ou avec l’aide de pré-collecteurs ». Par contre, « on peut s’attendre à ce que les habitants des quartiers résidentiels soient demandeurs d’un niveau de service élevé privilégiant l’enlèvement quotidien à leur domicile de leur poubelle personnelle » (selon Era-D05 à Yaoundé).

En amont, selon ce schéma, et sauf apport volontaire pour les riverains, les services complémentaires de précollecte seraient donc directement financés par la contribution des usagers, sur l’ensemble de l’agglomération, quel que soit le « standing » des quartiers, mais en fonction du service qui leur est assuré (mécanisme de redevance).

En plus d’une différenciation logique par tranches selon la taille des ménages desservis, les « tarifs » expérimentés par les actions sur la base d’enquêtes préalables et de concertations dans les quartiers spontanés ont montré la nécessité de prendre en compte des considérations d’ordre social (tarif différencié selon le degré de pauvreté).

 

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7.2. Les limites d’une redevance payée par l’usager

La question reste en effet de savoir si ce second module de financement, le paiement par l’usager, est de nature à couvrir, ou pas, le coût de la pré-collecte dans tous les cas de figure.

A Lomé, Eamau-D10 pose l’hypothèse qu’il est possible « d’améliorer les recettes des associations de précollecte en vue de leur permettre de participer au financement de l’évacuation du dépotoir ». La pré-collecte serait ainsi suffisamment profitable pour financer une partie de l’aval du dispositif, en complément des économies obtenues par une remise à plat des charges réelles de ce maillon aval. La démonstration n’en est toutefois pas apportée. Mais les études explicitement centrées sur le développement de la pré-collecte dans les quartiers spontanés concluent assez clairement en sens inverse.

Ces actions ont obtenu des résultats incontestables en termes d’adhésion des populations au service proposé et de recouvrement des redevances. Dans le quartier de Basra à Nouakchott (Tenmiya-D07), le nombre d’abonnés a doublé en 4 mois, avec 80 % de recouvrement. A Yaoundé (Era-D05), les enquêtes menées quelques semaines après le démarrage de l’opération montrent une nette amélioration de la volonté du ménage « à confier ses déchets » et « à payer », ce qui se traduit d’ailleurs très concrètement par une augmentation de 30 % du tonnage d’ordures évacuées vers les bacs de regroupement d’Hysacam.

Néanmoins, comme le souligne cette étude à l’issue d’une analyse économique détaillée, « les opérations de pré-collecte ne pourront pas être équilibrées à partir de la cotisation des ménages », notamment parce que dans le même temps, « le montant des factures que les ménages sont prêts à supporter a baissé ». C’est alors une piste totalement symétrique de celle évoquée à Lomé qui est suggérée : l’entreprise aval Hysacam étant rémunérée en fonction du tonnage évacué vers la décharge, les 30 % de déchets supplémentaires « extraits » grâce à la pré-collecte pourraient lui permettre d’intéresser les structures de pré-collecte au bénéfice qui en résulte (et qui est largement à la hauteur des besoins : avec une recette de 692 400 FCFA, il manque 353 000 FCFA par mois aux pré-collecteurs, tandis qu’Hysacam augmente son chiffre d’affaires de 768 000 FCFA !). Retenons en tout cas qu’il convient de privilégier, tout au long de la chaîne, les mécanismes financiers proportionnés au service effectivement assuré sur des bases quantifiables.

Certaines difficultés subsistent néanmoins dans la mise en œuvre détaillée du schéma se revendiquant d’une certaine équité : ainsi la gratuité de l’accès par apport volontaire aux points de regroupement – qui se justifie à plus d’un titre : gage d’acceptation par les riverains, sauvegarde d’un espace ouvert à une démarche autonome, voire citoyenne, par opposition à une marchandisation systématique du service public – n’est pas sans poser des problèmes. Sachant que ce sont généralement les plus démunis qui en sont les plus éloignés, n’y a t-il pas un risque de distorsion ? Ces questions auront besoin d’être approfondies.

 

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7.3. Ne pas attendre du recyclage une contribution au financement de l’élimination

Enfin, il paraît vain de rechercher, comme on en sent encore la tentation dans plusieurs travaux de ce programme, une contribution complémentaire au financement du dispositif d’élimination des résidus urbains dans le tri à la source, la collecte séparée et le recyclage de certains de leurs composants valorisables.

Ce constat n’est d’ailleurs guère différent de celui auquel ont abouti les pays du Nord où, pour faire simple, l’utopie de « l’or dans les poubelles » a fait long feu et conduit à d’autres mécanismes de financement : responsabilité des producteurs initiaux et internalisation dans le prix de vente des produits de consommation. Ici, on l’a vu, les gisements de matériaux effectivement recyclables font déjà logiquement l’objet d’un écrémage de fait par un secteur de récupération qui intègre toute une filière depuis l’informel (y compris dans le cas du compostage pour des besoins de proximité, dans les limites de leur existence) jusqu’au plus « professionnel ». Favoriser la maturation « industrielle » de ce secteur pourra par contre constituer un objectif complémentaire à celui de la consolidation du service public d’élimination (cf. N’Djaména-D01 ou Burgeap-D06 au Sénégal).

 

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8. L’évacuation pure et simple comme mode hégémonique, voire exclusif, d’élimination mérite d’être questionnée

A propos de la logique même d’évacuation des déchets, la recherche IRD-D08 (sur Mopti et Porto Novo) jette indéniablement un pavé dans le marigot, en donnant une perspective renversée de la question des 60 à 80 % de déchets ménagers, dont on dit qu’ils ne sont pas pris en charge dans la plupart des villes africaines.

Au-delà de l’analyse d’économiste critique sur l’existence ou non d’une demande d’évacuation, force est alors de constater qu’il y existe bien des pratiques alternatives d’élimination, dont on peut relever « la puissance, la persistance et l’efficacité ». Sinon comment ces flux, par ailleurs croissants, s’évanouiraient-ils ?

Séparation du sable à la source, réutilisation des objets et recyclages en circuit court et de proximité, autocompostage et utilisation en agriculture urbaine ou périurbaine, brûlages, et surtout remblaiements répondant à de réelles contraintes de l’environnement (topographiques, hydrologiques, etc.) ou à des nécessités foncières d’une ville de fait en développement... On oppose là, au dogme de l’élimination/évacuation, toute une gamme de pratiques de traitement et de valorisation autonomes, in situ.

Dans ce même registre de la sauvegarde souhaitable d’une certaine « autonomie » des pratiques de gestion des déchets, plusieurs travaux soulignent à juste titre ce qu’il y aurait d’inopportun à interdire au citoyen d’apporter lui-même gratuitement ses déchets à des points de regroupement (cf. § 7. Construire progressivement le puzzle du financement).

L’analyse anthropologique (Shadyc-A04 ) apporte sa contribution à ces approches en soulignant avec force l’existence d’une « ingéniosité [qui] se déploie et donne aux objets déchus une seconde chance de survie et de participation à l’économie domestique ».

Comment ne pas relever à quel point ceci rejoint directement des réflexions qui émergent actuellement dans les pays du Nord, compte tenu des limites et des impasses des systèmes en place, y compris collectes sélectives et recyclage. Autour de la prévention des déchets (par réduction à la source, évitement, détournement avant prise en charge par les services d’élimination), elles soulignent notamment la nécessité de préserver en les accompagnant des bonnes pratiques qui évitaient de fait l’apparition d’une partie du flux de déchets en tant que tel. L’exemple le plus significatif, en France, en a été la défense/promotion du compostage individuel comme alternative à la systématisation de collectes séparées de déchets fermentescibles, en province et dans les zones périurbaines.

La recherche IRD-D08 propose ainsi d’ouvrir une réflexion nouvelle vers une « élimination raisonnée [...] par réduction des volumes à évacuer ». Elle souligne le lien étroit avec le contexte urbain qu’il faut prendre en compte, reconnaissant que ces réponses alternatives sont peut-être davantage adaptées à des villes de taille intermédiaire et aux moyens limités, comme Mopti et Porto Novo. Le déséquilibre structurel relevé à Yaoundé (Era-D05) entre le flux de matières fermentescibles de l’agglomération et la capacité d’absorption par l’agriculture urbaine et périurbaine illustre en partie ces réserves.

 

 

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Études citées dans cette synthèse

Lasdel-A03. La question des déchets et de l’assainissement dans deux villes moyennes (Niger)

Shadyc-A04. Une anthropologie politique de la fange : conceptions culturelles, pratiques sociales et enjeux institutionnels de la propreté urbaine (Burkina Faso)

N’Djaména-D01. Tri sélectif et valorisation des déchets urbains de la Ville de N’Djaména (Tchad)

Cittal-D02. Réflexion concertée pour une gestion intégrée de la propreté entre population, puissance publique et opérateur privé : le cas de Fès (Maroc)

Era-D05. Mise en place de structures de pré collecte et de traitement des déchets solides urbains dans une capitale tropicale, Yaoundé (Cameroun)

Burgeap-D06. Analyse des procédés de recyclage des déchets au Vietnam pouvant être transférés vers l’Afrique (Vietnam, Sénégal)

Tenmiya-D07. Projet d’appui aux petits opérateurs “transporteurs des déchets solides” du quartier de BASRA à Nouakchott (Mauritanie)

IRD-D08. Gestion des déchets et aide à la décision municipale : Municipalité de Mopti et Circonscription Urbaine de Porto Novo (Mali, Bénin)

TechDev-D09. Maîtrise de l’amont de la filière déchets solides dans la ville de Cotonou : pré-collecte et valorisation (Bénin)

Eamau-D10. Opportunités et contraintes de la gestion des déchets à Lomé : les dépotoirs intermédiaires (Togo)

Etude-AfD. Revue comparative des modes de gestion des déchets urbains adoptés dans différents pays de la ZSP », réalisée pour l’AfD

 

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[1] Ce qui ne veut pas toujours dire à sa périphérie.