Les Recherches

Recherches n°10 : Approche anthropologique des stratégies d’acteurs et des jeux de pouvoirs locaux autour des services de l’eau à Bandiagara, Koro et Mopti

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Tel qu’il avait été initialement défini, l’objectif général de la recherche consistait à " l’approfondissement des connaissances sur les aspects fondamentaux de la gestion de l’eau " à partir d’une " Analyse anthropologique des questions institutionnelles et relationnelles que pose la distribution de l’eau dans trois petits centres maliens ".


Problématique

L'hypothèse justifiant cet axe de recherche était que dans ces régions soudano-sahéliennes, au-delà des considérations techniques et économiques, l'eau potable était une ressource stratégique pour les populations urbaines et que, de ce fait, le contrôle de sa distribution pouvait constituer un enjeu de pouvoir local majeur.

Nous avons donc tenté d'investiguer les jeux de pouvoirs locaux et les stratégies des acteurs impliqués de près ou de loin dans le service de l'eau potable (à Bandiagara et à Koro) et de l'assainissement (à Mopti où pour des raisons géographiques spécifiques à cette ville, l'assainissement est un enjeu local plus important que l'adduction d'eau). Dans les trois petits centres urbains étudiés, nous nous trouvions en face d'une population urbaine dont l'immense majorité obéit à des traditions d’origine rurale, dispose de très faibles revenus monétaires tout en étant soumise à l’affaiblissement des liens de solidarité communautaire. Cette situation particulière pose un problème d’adéquation des conduites - qu’on peut qualifier de néo-traditionnelles - concernant leurs pratiques d’approvisionnement en eau et d’assainissement puisque ces " citadins " continuent de gérer la relation entre leur espace domestique (la " cour ") et l’extérieur (le passage, la rue ou le chemin) en fonction d’un habitus culturel paysan.


Méthodologie scientifique : l’approche anthropologique

La méthode anthropologique présentait comme intérêts spécifiques, d’une part, de contribuer à l’objectif d’approfondissement des connaissances à partir d’une analyse contextualisée des problèmes et, d’autre part, d’être particulièrement adaptée à l’étude qualitative des phénomènes sociaux. Elle s’est appuyée sur les techniques de l’Enquête anthropologique rapide (EAR) qui avait déjà été testée et validée par nous sur le terrain (cf. bibliographie) et qui consiste à observer sur le terrain les pratiques sociales réelles et à analyser les conceptions développées par les acteurs stratégiques locaux à propos de ces mêmes pratiques. L’enquête anthropologique met en œuvre des procédures :

  1. entretiens avec les divers acteurs locaux le plus souvent dans leur langue ;
  2. observation directe de leurs pratiques effectives (descriptions in situ) ;
  3. observation indirecte des activités stratégiques (recensions, narrations, dénombrements).

Par ailleurs, les chercheurs impliqués ayant déjà une longue expérience de recherche dans les sites proposés, l’Action de recherche n°10 pouvait bénéficier des savoirs préalablement acquis dont on pouvait escompter une optimisation des connaissances et un gain de temps dans la durée de l’enquête.


Résultats obtenus

Axe 1 du rapport final " Le service de l’eau à Bandiagara et à Koro : description "

Les enquêtes ont permis de répondre en grande partie à la question de la " cohabitation pérenne et négociée de systèmes multiples sur le même territoire urbain (4.2) ". Dans un premier temps nous avons donc procédé à la description puis à l’analyse des modalités de coexistence des différents systèmes d'approvisionnement en eau sur le territoire communal qui ont permis de constater que l’adaptation au milieu induisait la mise en œuvre de pratiques renvoyant à des savoirs, à des règles sociales et à des logiques symboliques qui donnent tout leur sens à la sélection par les usagers de l’une ou l’autre des sources d’eau (mares, puits, " robinets ") disponibles. On a ainsi pu identifier les facteurs locaux qui permettent de rendre compte des logiques concurrentielles et complémentaires simultanément à l’œuvre (la localisation dans l’espace urbain, le goût de l’eau, le facteur saisonnier, les usages domestiques de l’eau, etc.).


Axe 2 du rapport final " Les usages domestiques de l’eau : pratiques sociales et conceptions culturelles "

Ensuite, nous avons essayé de relever des indicateurs de transition ou de rupture entre les conceptions culturelles et les pratiques effectives qui animent le milieu urbain et celles qui prévalent encore en milieu rural. L’investigation dans le champ des " conceptions religieuses et des représentations culturelles de l’eau " a permis de constater l’existence simultanée d’une grande diversité de conceptions qui renvoie à des cultures microlocales différentes.

" L’eau " est l’objet de diverses sortes de représentations symboliques qui renvoient tout à la fois à des profondeurs historiques différentes et à des conceptions religieuses et culturelles variées. Par contre, ces conceptions culturelles locales ne constituent, en aucune manière, un obstacle au développement du service de l’eau potable.


Axe 3 du rapport final " Jeux de pouvoirs locaux autour de l’approvisionnement en eau potable à Bandiagara, Koro et Mopti "

Ce troisième axe de recherche, qui était plus précisément orienté vers les perspectives de gouvernance des collectivités locales dans le cadre de la décentralisation administrative, a consisté à investiguer les conditions de possibilité d’une forme " d’intérêt général " pour un service communal de l’eau et de l’assainissement.

Cette question du service de l’eau et de l’assainissement considéré comme un " service public communal " dans l’espace politique communal à Bandiagara et Mopti a fourni les résultats les plus remarquables et les plus riches de cette étude. Que ce soit à travers le contrôle du système d’AEP des villes de Bandiagara et de Koro ou à travers la maîtrise religieuse des puits sacrés à l’est de Koro, on a pu montrer que le contrôle de l’eau a toujours conféré du pouvoir. En 1997 ce pouvoir était investi dans des logiques clientélistes qui se traduisaient en pratique par diverses formes de petite corruption (Koro) ou de moyenne corruption (Mopti, Bandiagara).

L’enquête a aussi montré qu’il existe une confusion permanente entre la notion " d’intérêt commun " telle qu’elle est formulée par les notables issus des familles fondatrices de la ville (qui, à ce titre, s’en considèrent les " propriétaires ") et celle " d’intérêt général " (il existe des écarts importants entre le sens voulu par les textes réglementaires et les conceptions populaires prévalentes). En effet, cet " intérêt commun " est en réalité " particulier " aux familles fondatrices et exclusif des intérêts des citadins d’origine " allochtone ". L’intérêt " commun " des autochtones n’a donc rien à voir de près ou de loin avec " l’intérêt général " qui, par définition, est public c’est-à-dire " commun à tous " dans la commune.

Cette confusion liée à l’interprétation abusive des notions d’intérêt général et de service public évoquées de manière " incantatoire " par les notables locaux engendre une incertitude générale et l’insécurisation des usagers. Elle permet surtout la perpétuation d’une pratique généralisée du clientélisme politique qui rend difficile l’émergence d’un espace de décision démocratique et d’information citoyenne dans le cadre des nouvelles formes de gouvernance locale.


Conclusions et recommandations

En résumé nous avons constaté :

  • la quasi-inexistence de la notion " d’espace public " et a fortiori de " service public " ;
  • le fonctionnement entièrement clientéliste des pouvoirs locaux ;
  • la généralisation d’une conception " minière " de l’exploitation des ressources ;
  • une prolifération normative qui entretient la confusion au plan de l’organisation et de la gestion et qui fait le lit de la petite corruption ;
  • l’extrême importance des procédures locales de négociation et d’arrangement informel.

A la lumière de ces résultats nous avons recommandé aux bailleurs de fonds :

  • que l’on procède à un renforcement des capacités de la fonction publique locale à normer, réguler et contrôler le service de l’eau et l’assainissement, afin de réduire l’incertitude normative (il ne faut pas " moins d’Etat " il faut " mieux d’Etat ") ;
  • que l’on procède à une intensification de l’assistance technique en direction des communes françaises impliquées dans des programmes de coopération décentralisée afin d’améliorer leur capacité d’expertise technique ;
  • que l’on favorise l’émergence d’organisations locales de gestion du service de l’eau et de l’assainissement qui soient horizontales, contractuelles et associatives.

L’analyse des " questions institutionnelles et relationnelles que pose la distribution de l’eau " a permis d’actualiser et de compléter les connaissances factuelles sur les problèmes spécifiques de gestion et de décision, de mettre en évidence des facteurs susceptibles de favoriser ou d’entraver l’appropriation publique et la cogestion responsable des solutions techniques de desserte en eau et d’assainissement dans le cadre rénové des futures instances de gouvernance locale et de prendre la mesure des défis à venir.


» Contacts et fiche technique

Responsable de Recherche

Jacky Bouju, SHADYC - Centre de la Vieille Charité - 2, rue de la Charité
13001 Marseille - France
Tél. : (33) (0)4 91 14 07 64 - Fax : (33) (0)4 91 91 34 01
E-mail :

Partenaires

Sidiki Tinta et Binet Poudiougo

Pays concerné(s) : Bandiagara, Koro et Mopti, Mali
Axe(s) de recherche concerné(s) : 4.1 ; 4.2 ; 4.3
Milieu(x) concerné(s) : petits centres et centre secondaire
Durée : 15 mois (24/12/96 – 23/03/98)
Coût : 150 000 FF



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