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Action pilote n°6 : Mise en place d’une instance de concertation locale sur l’eau et l’assainissement à Bamenda

[ Rapport ] [ Contacts et fiche technique ]

Bamenda est une ville d’environ 200 000 habitants, chef-lieu de la province du Nord-Ouest qui dispose de nombreux atouts, notamment économiques. En revanche, elle connaît des problèmes aigus en matière d’eau et d’assainissement. La voirie est fortement et périodiquement dégradée par les eaux de pluie, des crues fréquentes en bloquent l’accès. Dans le même temps, des quartiers populaires périphériques souffrent d’une desserte en eau déficiente. Les habitants font preuve de dynamisme face à ces difficultés mais ne peuvent résoudre l’ensemble des problèmes par leurs seuls investissements. Cette situation est à l’origine de l’idée d’une concertation locale sur l’eau et l’assainissement qui permette aux différentes énergies de se conjuguer, et aux efforts de chacun d’être mis en cohérence au service d’une meilleure efficacité de ce service public.

L’importance de cet enjeu nous a amenés à faire l’hypothèse d’un renouvellement possible des modes de gestion locale, en particulier de l’amélioration des services urbains concernant l’eau et l’assainissement, grâce à une meilleure mise en cohérence des actions et une utilisation plus rationnelle des ressources.

Cette action de terrain visait également des objectifs plus cognitifs sur les " façons de faire " en matière de concertation. Le suivi des différentes étapes de la démarche devait permettre de formuler avec plus de précision le cheminement adéquat pour promouvoir une concertation locale autour de questions concernant le bien commun et le service public.

Déroulement de l’action

La méthodologie de l’intervention avait été prévue à l’origine par une succession d’étapes. Une phase initiale de diagnostic de la situation a permis de mettre en perspective l’ensemble des problèmes vécus quotidiennement par les habitants afin que les différents protagonistes concernés puissent débattre des priorités d’actions. Cependant, le déroulement concret des activités nous a permis de nous rendre compte qu’un diagnostic émanant de l’extérieur, en l’occurrence d’IDF et du GRET, ne peut être un facteur décisif de mobilisation. Il fallait que cette prise de conscience émane des acteurs eux-mêmes. Cela nous a conduits à programmer un temps fort qui a pris la forme d’un " Forum eau et assainissement ". Cet événement a permis l’appropriation d’une vision de la situation par les acteurs à travers leur propre expression de la situation, suivie d’un engagement dans la prise en charge en commun des problèmes d’environnement urbain.

La principale difficulté rencontrée au cours de l’action fut d’ordre documentaire dans la mesure où il n’existait pratiquement aucun fonds de plans actualisés. Cela nous a obligés à nous doter d’une base cartographique grâce à la collaboration avec l’ENSP. En revanche, nous avons bénéficié d’un atout essentiel pour le développement de cette action-pilote en nous articulant au programme Fourmi, dont le fonds mis à la disposition des habitants permet un débouché concret à leurs initiatives. Cela nous a permis de mettre en évidence le fait qu’une ambition, en termes de processus de concertation, implique un investissement financier conséquent et durable.

Résultats de l'action

Réflexion sur le " bien commun "

Dès lors que l’on s’interroge sur l’arrière-plan auquel renvoie le développement local, la notion de " bien commun " surgit comme son fondement. Pour éclairer de manière plus précise les enjeux opérationnels sous-jacents à l’action-pilote en cours à Bamenda, nous avons été amenés à approfondir cette question. Les travaux de recherche sont encore peu nombreux sur ce sujet. Ils concernent essentiellement les questions environnementales faisant apparaître un mode d’appropriation intégré, en opposition avec la simplification public/privé pourtant dominante dans le mode de gestion des services urbains dans les États libéraux, et en particulier en France. L’intérêt de ces recherches est d’avoir mis en valeur de nombreux cas européens où cette voie intermédiaire, à laquelle sont liées les dimensions communautaires et solidaires au niveau d’un territoire donné, perdurent et prouvent leur efficacité. Le cas des " biens communaux "et des agences de l’eau est particulièrement éclairant pour mettre en valeur les limites d’une opposition manichéenne entre le public et le privé et tout à la fois l’intérêt ou tout simplement l’existence d’alternatives.

Les approches historiques et anthropologiques montrent que cette notion recouvre des réalités fort différentes selon les cas. La mise en valeur de la complexité de la question du bien commun dans notre propre société devrait nous éviter de projeter un modèle de développement univoque, enfermé dans la dichotomie public/privé et une répartition formelle des rôles. Une redistribution des compétences entre les uns et les autres est nécessaire. Elle est même indispensable pour envisager des solutions durables. Mais l’institutionnalisation des rôles ne doit pas être créée de toutes pièces ou en référence à un modèle ou une " instance suprême " qui serait représentée par l’Etat. Elle doit au contraire émaner de la réflexion des acteurs locaux. La confrontation individuelle et collective autour des problèmes vitaux, tels que peuvent l’être les questions d’eau et d’assainissement à Bamenda, peut permettre la production de normes locales, seules capables de perdurer et d’être efficaces.

Constitution d’une base de données

Le déroulement de l’action a permis l’acquisition de données qualitatives et quantitatives qui constituent autant d’outils stratégiques pour mener une démarche globale sur un territoire donné. Parmi celles qui ont été recueillies, on peut citer l’enquête ménages qui apporte des éléments fiables sur la situation vécue par les habitants, mais aussi la cartographie qui a permis de synthétiser progressivement les données collectées sous une forme facilement utilisable. Une telle restitution, quasiment inaccessible jusqu’à aujourd’hui, s’est avérée un fort enjeu pour les décideurs mais aussi les associations, ou les chefs de quartiers (Fons). Cette constitution progressive de références sur la ville a permis d’enrichir et surtout de problématiser le diagnostic initial. C’est-à-dire de faire ressortir les potentialités et les difficultés mais aussi d’en extraire quelques messages importants. Ceux-ci ont été présentés lors du forum, notamment dans le cadre du " chemin de l’eau ".

Acquisition de qualifications et d’outils méthodologiques

Au-delà des résultats tangibles, cette action-pilote a permis d’acquérir des compétences dans l’administration d’une enquête ménage et la rigueur qu’elle suppose à chacune de ses étapes pour déboucher sur des données fiables, la conduite d’entretiens non directifs et la construction progressive d’un réseau ou l’organisation d’un " événement " à l’échelle locale.

Par ailleurs, nous avons acquis, au cours du cheminement, quelques convictions opérationnelles et mis en valeur des conditions de réussite d’une démarche de concertation. Il s’agit notamment de la constitution et de la pérennité d’un réseau, de l’objet d’une concertation et des moyens propres à la dynamiser.

Mise en route d’un processus

A l’issue du forum, la décision de créer un comité de consultation sur les questions d’eau et d’assainissement a été prise. Il est un fait que l’instance est vivante. Il y a incontestablement une volonté, des attentes pour chacun des membres et un intérêt à participer à ce comité. En son sein, des idées surgissent et sont traitées, une meilleure information se diffuse et les positionnements des uns et des autres se précisent. En outre ces personnes, très motivées et appartenant à diverses organisations ou structures, sont devenues à leur niveau, des facilitateurs dans la réalisation d’actions. La seule existence de ce comité est un acquis essentiel qui ouvre de nombreuses possibilités, en commençant par l’amélioration des relations de travail au quotidien et la réalisation d’actions communes sur la ville de Bamenda.

Modification du rapport des forces

L’organisation du forum a été l’occasion de voir émerger des personnes ressources, au niveau institutionnel. Les groupes de quartiers, de leur côté, ont marqué de leur présence le contenu même des messages par la présentation des sketches ou de la pièce de théâtre qu’ils ont. Leur présence active, voire parfois leurs exigences vis-à-vis des intervenants au cours des ateliers a également montré leur niveau de réflexion et surtout d’engagement sur ces questions. Les uns et les autres sont aujourd’hui membres du comité et jouent des rôles de leaders dont l’apport est reconnu.


Points faibles et recommandations

La réalité, voire le caractère inédit des changements advenus rend indispensable la pleine conscience de leur fragilité s’ils ne sont pas soutenus et appuyés. L’existence même de ce comité marque un changement par rapport à la situation précédente où des questions fondamentales pour la vie quotidienne des gens ne trouvaient pas de lieu d’expression, mais cette instance ne va pas résoudre d’emblée tous les problèmes. Les risques qui pèsent sur son développement et sa durabilité concernent essentiellement les aptitudes de ses membres à développer cette démarche ambitieuse et à faire fonctionner une telle assemblée.

La représentativité de chacun des membres peut constituer un second handicap car ceux-ci appartiennent à des institutions publiques, mais restent isolés dans leurs administrations respectives, et surtout ne peuvent s’engager au nom de leurs institutions, où seul le plus haut niveau hiérarchique détient le pouvoir, en particulier financier.

On peut également exprimer des craintes sur les tentatives de récupérations politiques dans un climat où les antagonismes sont forts car si la collaboration est bonne au sein du comité, il ne faut pas oublier les intérêts parfois contradictoires des organismes d’appartenance qui relèvent d’un héritage historique et d’oppositions anciennes.


Perspectives

Il était sûrement présomptueux de penser aboutir à une réelle concertation locale dans un délais si court, même en partant d’une solide base opérationnelle constituée par le programme FOURMI. C’était sous-estimer les blocages contextuels et les difficultés méthodologiques. Cependant le lancement du processus et son appropriation locale sont effectifs. Ceci plaide en faveur d’une continuité du processus dont la seconde étape pourrait se formuler de la façon suivante :

  1. diffuser les grands axes du diagnostic territorial à travers l’animation et l’apprentissage local ;
  2. opérer des choix à partir de l’identification des enjeux essentiels à moyen terme pour le territoire ;
  3. construire et formuler un projet de développement concerté sur le territoire pour une mise en œuvre progressive.

» Contacts et fiche technique

Responsable de l’action pilote

Christophe Hennart, GRET/Cameroun - BP 5288 Yaoundé - Cameroun
Tél./Fax : (237) 20 96 67 - E-mail :
Isabelle de Boismenu, GRET - 211 / 213 rue La Fayette - 75010 Paris - France – Tél. : (33) (0)1 40 05 61 29/36 - Fax : (33) (0)1 40 05 61 10
E-mail :

Partenaires

IDF
M. Mandjeck, géographe chercheur associé
M. Timnou, statisticien, enseignant à l’université de Yaoundé
ENSP, pour la cartographie
M. Acha, conseiller en communication

Localisation : Bamenda, province du Nord-Ouest, Cameroun
Axe(s) de recherche concerné(s) : 4.1 ; 4.2 ; 4.3
Milieu d’intervention : quartiers centraux sous-équipés et périurbains d’une ville secondaire (200 000 habitants)
Durée : 20 mois (29/04/96 – 31/12/97)
Coût : 418 108 FF



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