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Bamenda est une ville denviron 200 000
habitants, chef-lieu de la province du Nord-Ouest qui dispose de
nombreux atouts, notamment économiques. En revanche, elle connaît
des problèmes aigus en matière deau et dassainissement.
La voirie est fortement et périodiquement dégradée
par les eaux de pluie, des crues fréquentes en bloquent laccès.
Dans le même temps, des quartiers populaires périphériques
souffrent dune desserte en eau déficiente. Les habitants
font preuve de dynamisme face à ces difficultés mais ne
peuvent résoudre lensemble des problèmes par leurs
seuls investissements. Cette situation est à lorigine de
lidée dune concertation locale sur leau et lassainissement
qui permette aux différentes énergies de se conjuguer,
et aux efforts de chacun dêtre mis en cohérence au
service dune meilleure efficacité de ce service public.
Limportance de cet enjeu nous a amenés à faire lhypothèse
dun renouvellement possible des modes de gestion locale, en
particulier de lamélioration des services urbains
concernant leau et lassainissement, grâce à
une meilleure mise en cohérence des actions et une utilisation
plus rationnelle des ressources.
Cette action de terrain visait également des objectifs plus
cognitifs sur les " façons de faire " en matière
de concertation. Le suivi des différentes étapes de la démarche
devait permettre de formuler avec plus de précision le
cheminement adéquat pour promouvoir une concertation locale
autour de questions concernant le bien commun et le service public.
Déroulement de laction
La méthodologie de lintervention avait été
prévue à lorigine par une succession détapes.
Une phase initiale de diagnostic de la situation a permis de mettre en
perspective lensemble des problèmes vécus
quotidiennement par les habitants afin que les différents
protagonistes concernés puissent débattre des priorités
dactions. Cependant, le déroulement concret des activités
nous a permis de nous rendre compte quun diagnostic émanant
de lextérieur, en loccurrence dIDF et du
GRET, ne peut être un facteur décisif de mobilisation. Il
fallait que cette prise de conscience émane des acteurs eux-mêmes.
Cela nous a conduits à programmer un temps fort qui a pris la
forme dun " Forum eau et assainissement ". Cet événement
a permis lappropriation dune vision de la situation par
les acteurs à travers leur propre expression de la situation,
suivie dun engagement dans la prise en charge en commun des
problèmes denvironnement urbain.
La principale difficulté rencontrée au cours de laction
fut dordre documentaire dans la mesure où il nexistait
pratiquement aucun fonds de plans actualisés. Cela nous a obligés
à nous doter dune base cartographique grâce à
la collaboration avec lENSP. En revanche, nous avons bénéficié
dun atout essentiel pour le développement de cette
action-pilote en nous articulant au programme Fourmi, dont le fonds
mis à la disposition des habitants permet un débouché
concret à leurs initiatives. Cela nous a permis de mettre en évidence
le fait quune ambition, en termes de processus de concertation,
implique un investissement financier conséquent et durable.
Résultats de l'action
Réflexion sur le " bien commun "
Dès lors que lon sinterroge sur larrière-plan
auquel renvoie le développement local, la notion de " bien
commun " surgit comme son fondement. Pour éclairer de manière
plus précise les enjeux opérationnels sous-jacents à
laction-pilote en cours à Bamenda, nous avons été
amenés à approfondir cette question. Les travaux de
recherche sont encore peu nombreux sur ce sujet. Ils concernent
essentiellement les questions environnementales faisant apparaître
un mode dappropriation intégré, en opposition avec
la simplification public/privé pourtant dominante dans le mode
de gestion des services urbains dans les États libéraux,
et en particulier en France. Lintérêt de ces
recherches est davoir mis en valeur de nombreux cas européens
où cette voie intermédiaire, à laquelle sont liées
les dimensions communautaires et solidaires au niveau dun
territoire donné, perdurent et prouvent leur efficacité.
Le cas des " biens communaux "et des agences de leau
est particulièrement éclairant pour mettre en valeur les
limites dune opposition manichéenne entre le public et le
privé et tout à la fois lintérêt ou
tout simplement lexistence dalternatives.
Les approches historiques et anthropologiques montrent que cette
notion recouvre des réalités fort différentes
selon les cas. La mise en valeur de la complexité de la
question du bien commun dans notre propre société
devrait nous éviter de projeter un modèle de développement
univoque, enfermé dans la dichotomie public/privé et une
répartition formelle des rôles. Une redistribution des
compétences entre les uns et les autres est nécessaire.
Elle est même indispensable pour envisager des solutions
durables. Mais linstitutionnalisation des rôles ne doit
pas être créée de toutes pièces ou en référence
à un modèle ou une " instance suprême "
qui serait représentée par lEtat. Elle doit au
contraire émaner de la réflexion des acteurs locaux. La
confrontation individuelle et collective autour des problèmes
vitaux, tels que peuvent lêtre les questions deau et
dassainissement à Bamenda, peut permettre la production
de normes locales, seules capables de perdurer et dêtre
efficaces.
Constitution dune base de données
Le déroulement de laction a permis lacquisition de
données qualitatives et quantitatives qui constituent autant doutils
stratégiques pour mener une démarche globale sur un
territoire donné. Parmi celles qui ont été
recueillies, on peut citer lenquête ménages qui
apporte des éléments fiables sur la situation vécue
par les habitants, mais aussi la cartographie qui a permis de synthétiser
progressivement les données collectées sous une forme
facilement utilisable. Une telle restitution, quasiment inaccessible
jusquà aujourdhui, sest avérée
un fort enjeu pour les décideurs mais aussi les associations,
ou les chefs de quartiers (Fons). Cette constitution progressive de références
sur la ville a permis denrichir et surtout de problématiser
le diagnostic initial. Cest-à-dire de faire ressortir les
potentialités et les difficultés mais aussi den
extraire quelques messages importants. Ceux-ci ont été
présentés lors du forum, notamment dans le cadre du "
chemin de leau ".
Acquisition de qualifications et doutils méthodologiques
Au-delà des résultats tangibles, cette action-pilote a
permis dacquérir des compétences dans ladministration
dune enquête ménage et la rigueur quelle
suppose à chacune de ses étapes pour déboucher
sur des données fiables, la conduite dentretiens non
directifs et la construction progressive dun réseau ou lorganisation
dun " événement " à léchelle
locale.
Par ailleurs, nous avons acquis, au cours du cheminement, quelques
convictions opérationnelles et mis en valeur des conditions de
réussite dune démarche de concertation. Il sagit
notamment de la constitution et de la pérennité dun
réseau, de lobjet dune concertation et des moyens
propres à la dynamiser.
Mise en route dun processus
A lissue du forum, la décision de créer un comité
de consultation sur les questions deau et dassainissement
a été prise. Il est un fait que linstance est
vivante. Il y a incontestablement une volonté, des attentes
pour chacun des membres et un intérêt à participer
à ce comité. En son sein, des idées surgissent et
sont traitées, une meilleure information se diffuse et les
positionnements des uns et des autres se précisent. En outre
ces personnes, très motivées et appartenant à
diverses organisations ou structures, sont devenues à leur
niveau, des facilitateurs dans la réalisation dactions.
La seule existence de ce comité est un acquis essentiel qui
ouvre de nombreuses possibilités, en commençant par lamélioration
des relations de travail au quotidien et la réalisation dactions
communes sur la ville de Bamenda.
Modification du rapport des forces
Lorganisation du forum a été loccasion de
voir émerger des personnes ressources, au niveau
institutionnel. Les groupes de quartiers, de leur côté,
ont marqué de leur présence le contenu même des
messages par la présentation des sketches ou de la pièce
de théâtre quils ont. Leur présence active,
voire parfois leurs exigences vis-à-vis des intervenants au
cours des ateliers a également montré leur niveau de réflexion
et surtout dengagement sur ces questions. Les uns et les autres
sont aujourdhui membres du comité et jouent des rôles
de leaders dont lapport est reconnu.
Points faibles et recommandations
La réalité, voire le caractère inédit des
changements advenus rend indispensable la pleine conscience de leur
fragilité sils ne sont pas soutenus et appuyés. Lexistence
même de ce comité marque un changement par rapport à
la situation précédente où des questions
fondamentales pour la vie quotidienne des gens ne trouvaient pas de
lieu dexpression, mais cette instance ne va pas résoudre
demblée tous les problèmes. Les risques qui pèsent
sur son développement et sa durabilité concernent
essentiellement les aptitudes de ses membres à développer
cette démarche ambitieuse et à faire fonctionner une
telle assemblée.
La représentativité de chacun des membres peut
constituer un second handicap car ceux-ci appartiennent à des
institutions publiques, mais restent isolés dans leurs
administrations respectives, et surtout ne peuvent sengager au
nom de leurs institutions, où seul le plus haut niveau hiérarchique
détient le pouvoir, en particulier financier.
On peut également exprimer des craintes sur les tentatives de
récupérations politiques dans un climat où les
antagonismes sont forts car si la collaboration est bonne au sein du
comité, il ne faut pas oublier les intérêts
parfois contradictoires des organismes dappartenance qui relèvent
dun héritage historique et doppositions anciennes.
Perspectives
Il était sûrement présomptueux de penser aboutir à
une réelle concertation locale dans un délais si court,
même en partant dune solide base opérationnelle
constituée par le programme FOURMI. Cétait
sous-estimer les blocages contextuels et les difficultés méthodologiques.
Cependant le lancement du processus et son appropriation locale sont
effectifs. Ceci plaide en faveur dune continuité du
processus dont la seconde étape pourrait se formuler de la façon
suivante : |