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Action pilote n°2 : La professionnalisation de la gestion communautaire des adductions d’eau dans les centres secondaires de la vallée du fleuve Sénégal

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Le transfert de la responsabilité du service de l'eau dans les petits centres vers les usagers et leurs représentants

Au Sénégal, l’approvisionnement en eau à partir d’adductions motorisées devient progressivement le standard pour les petits centres (moins de 200 forages motorisés en 1983, 800 en exploitation en 1996 et plus de 1 000 d’ici 2 000). Depuis le milieu des années 80, l’Etat sénégalais s'est largement désengagé de la gestion de ces 800 réseaux. Il transfère petit à petit les charges financières de ces systèmes aux usagers organisés en comités de gestion élus. Cependant, la DEM réalise encore la majorité des opérations de maintenance sur les matériels de pompage.

Une étude menée en 1993-1995 par l’AFVP et ISF avait permis de dégager un certain nombre de facteurs de blocage à la gestion des AEP par ces comités et en particulier :

  • le faible degré d’organisation et de professionnalisation des comités de gestion ;
  • la maîtrise insuffisante de la production, de ses coûts et de leur recouvrement ;
  • les compétences limitées des artisans et entreprises assurant la maintenance, et leur faible implantation hors de Dakar


Professionnaliser les comités de gestion pour améliorer le service de l'eau

Cette action-pilote a donc été lancée afin de tester, à une échelle significative, une méthodologie d'appui à la professionnalisation des comités de gestion.

Elle a été menée en deux étapes auprès de 35 comités de gestion d'adduction desservant de 2 000 à 17 000 habitants et de 1 à 15 villages, soit environ la moitié des réseaux et plus de la moitié de la population du département de Matam.

Les résultats tout à fait encourageants ont conduit la DEM, l'AFVP et ISF, avec l'appui d’HydroConseil, à proposer une extension de l'action dans le cadre d'un programme d'appui à la gestion de l'eau qui touchera l'ensemble de la région de Saint-Louis (150 réseaux) à partir de 1999.

Les partenaires de l'action-pilote ont fait le choix d'une méthodologie fondée sur :

  • le volontariat des comités de gestion ;
  • une offre de service d'appui-conseil et de formation : visites d’information et d’appui à l’autodiagnostic de leur situation ;
  • organisation de sessions de formation regroupant des responsables de 15 à 20 comités par session (3 modules sur la gestion financière, l’organisation communautaire et les aspects techniques) ;
  • la mise au point ou l'adaptation de divers outils de gestion à destination des comités de gestion et des conducteurs de forage ;
  • une intervention purement « soft », c’est-à-dire sans aucun investissement « hard » destiné à réhabiliter ou renforcer les installations d'AEP.


Un programme d'appui mobilisateur, sans investissement ni réhabilitation

Ce dernier point constitue incontestablement un point fort de l'action-pilote. Les comités de gestion ont été particulièrement réceptifs à « l'offre d'appui » de l'action-pilote alors que le programme ne promettait pas de subvention pour des travaux. Ils se sont engagés, à des degrés divers, dans de nombreuses actions d'amélioration de leur fonctionnement et de la gestion du service (voir encadré).

Cette forte mobilisation pour un programme « soft » est d'autant plus remarquable que certains comités se trouvent en charge d'installations non fonctionnelles (dégradées et/ou mal conçues). Il est apparu lors des études et des projets précédemment menés, et cela a été confirmé au cours de l'action-pilote, qu'il existe une réelle demande des usagers et de leurs représentants en matière d'amélioration simple de la gestion du service. Un programme d'appui peut donc avoir du succès même s'il n'apporte pas de subvention pour des équipements. De telles subventions vont à l'encontre des dynamiques de gestion locale du service et les réhabilitations subventionnées constituent trop souvent des primes à la mauvaise gestion.


Satisfaire les usagers pour assurer l’équilibre financier

Fin 1996, le conflit entre le Comité de gestion de l’adduction intervillageoise de Sinthiane et les éleveurs s’est envenimé, les éleveurs reprochant au comité de pratiquer des prix trop élevés (et au m³ et non par tête comme il est d’usage). Leur menace de ne plus s’approvisionner en eau à Sinthiane a poussé le Comité à négocier. En effet, environ 20 % de l’eau est vendue aux éleveurs. Avec le paiement au volume, une telle baisse des consommations nécessiterait un réajustement à la hausse du prix de vente, difficile à faire accepter à la population. Or les éleveurs n’étaient pas opposés au paiement de l’eau par principe, mais cette menace traduisait une insatisfaction quant au service. Le Comité a donc proposé de réaliser un abreuvoir supplémentaire afin de réduire le temps d’attente des éleveurs. Cet investissement d’environ 600 000 FCFA sera financé sur les fonds propres du Comité qui pense pouvoir le rentabiliser en moins de deux ans.


L'amélioration du recouvrement des coûts : vers une logique de service

Le recouvrement de l'ensemble des coûts du service de l'eau, à un niveau permettant la continuité du service y compris le renouvellement des équipements, représente un point de blocage important, même si désormais personne ne conteste plus le fait de payer l'eau. De fait, au Sénégal, l'ensemble des dépenses effectives de fonctionnement des réseaux est pris en charge par les usagers, ainsi qu’une part importante des travaux d'entretien et de maintenance. Dans la région du fleuve Sénégal, l'épargne des migrants est considérable et en partie mobilisée pour le service de l'eau (surtout les grosses réparations, renouvellements et extensions de réseau).

Cependant, de nombreux comités se trouvent pris dans un cercle vicieux dans lequel les usagers refusent de payer pour un service qui leur apparaît insatisfaisant. Dans un premier temps, les élus ont donc mené des actions visant à recrédibiliser le comité (voir ci-dessous). Ceci est d'autant plus important qu'il est clairement apparu lors de l'action-pilote que la population est fortement mobilisée sur ces questions et que les décisions « difficiles » ne peuvent être prises unilatéralement par quelques élus ou notables.

Ce n'est qu'ensuite que des actions portant véritablement sur le recouvrement des coûts ont pu être engagées : redéfinition de l'assiette de cotisation, augmentation du montant des forfaits, mise en place de sanctions contre les « mauvais payeurs ». Deux comités ont maintenant un système de vente de l'eau au volume et deux autres envisagent de franchir le pas du tabou que représente ce mode de paiement de l'eau, ils ont déjà acheté des compteurs.


L'émergence de « professionnels » au sein des comités

Au sein des certains comités de gestion, il est apparu au fur et à mesure du déroulement de l'action une distinction entre leurs membres : la plupart conservent un rôle politique, de représentation de la population et de contrôle, tandis que quelques élus ou conseillers du comité s'investissent dans la gestion quotidienne de l'AEP et y consacrent une part importante de leur temps. Il ne s'agit pas encore d'une délégation de gestion (ils n'en assument pas la responsabilité), mais cette implication spécifique et les compétences nouvelles qu'ils apportent sont reconnues et parfois rémunérées.


L'amélioration des prestations d'entretien et de maintenance : une question de demande, l'offre suivra…

Les résultats de l'action-pilote traduisent le fait que les opérateurs du secteur privé s'adaptent au niveau d'exigence de qualité de service de leur « clients » que sont les comités. Il est encore faible, et les comités privilégient souvent le faible coût d'une réparation (ou son report) à sa qualité et sa durabilité. Cependant, plusieurs actions engagées par des comités indiquent qu'une augmentation de cette demande et de sa solvabilité est possible : ébauche de contrats avec des plombiers, recherche et réparation de fuites, prise en compte de la maintenance préventive, etc.


Ébauche d'une demande pour des prestations d'appui-conseil

L'engagement de dépenses pour des prestation de service d'appui-conseil (audit, comptabilité, etc.) est encore plus délicate. En effet, elles ne se traduisent pas directement dans la qualité du service et donc leur rentabilité n'est pas immédiatement visible. Elles ne répondent en outre à aucune exigence légale (DEM, banques…), ni des usagers eux-mêmes. L'action-pilote envisageait l'installation de son animateur comme prestataire privé au bout de deux ans. Cela semble prématuré. Sa compétence est cependant reconnue sur le département et il commence à recevoir des demandes d'assistance de certains comités.


Quelques chiffres

Sur 35 forages, 17 se sont rapidement mis en conformité avec les nouveaux statuts (élections d’un comité directeur), mais 4 restent bloqués par des conflits politiques internes aux villages. La démarche est entamée pour les 14 restants mais non encore officiellement entérinée. Il convient de souligner que ces associations d'usagers comptent parmi les premières au Sénégal à s'engager dans ce processus de reconnaissance.

L’élaboration d’un règlement intérieur est une étape bien plus longue, mais déjà franchie pour 14 comités. Pour la majorité des autres, il s’agit surtout de le faire voter.

Les comptes bancaires étaient loin de faire l’unanimité au début de l’action (manque de confiance dans les banques), mais au moins 12 comités en ont ouvert un (dont 7 ont une capacité d’autofinancement significative). Pour les autres, le problème est souvent de convaincre la population, ou leur faible trésorerie qui ne le justifie pas.

Tous les comités possèdent les documents de gestion et une personne formée à leur utilisation. Cependant, plusieurs comités se trouvent confrontés au problème de l'alphabétisation de leurs membres ce qui limite l'utilisation des documents.

L’influence du programme sur le comité lui-même est plus remarquable. Dans plus de trois quarts des cas, les personnes présentes aux séminaires de formation ont pris par la suite une place plus importante dans la gestion du forage. Dans 4 cas, cela a même été l’occasion d’un véritable renouveau démocratique.

Certains comités ont également commencé à élaborer des contrats avec leur conducteur de forage et/ou plombier.


Vers l'émergence d'une fédération ?

Au départ de l’action, les conditions étaient peu favorables à un esprit de fédération entre les forages : la naissance progressive des comités ne leur avait donné aucun esprit de corps, et aucun comité ne pouvant réellement se vanter d’une gestion efficace, personne ne souhaitait faire état de ses problèmes à l’extérieur, et risquer de se remettre en cause.

L’action-pilote, perçue comme un lieu de conseil et d’appui, sans autorité ni exigence a permis non seulement de briser cette réticence à échanger avec d’autres, mais aussi en les rassemblant pour la première fois, elle les a mis en position d’acteurs de la gestion de l’eau, entre usagers, opérateurs privés et DEM.

Les échanges entre comités ont surtout eu lieu à propos des règlements intérieurs, sans l’intervention de l’animateur. Deux villages ont par ailleurs été mis en relation, l’un faisant bénéficier l’autre de son expérience de la gestion des compteurs.

Le chemin vers une fédération est encore long, mais l’idée a été lancée à plusieurs reprises par certains d’entre eux, dans un but de représentativité, et peut-être pour mutualiser des services. Cette idée devrait revenir sur le devant de la scène une fois le besoin de reconnaissance individuelle satisfait.


Quel rôle pour la DEM ?

Les pouvoirs publics, à commencer par la DEM, ont un rôle essentiel de régulation et d'appui aux opérateurs. La réforme de la gestion des forages motorisés engagée par la DEM y accorde une large place. Cela représente pour les agents de la DEM une véritable révolution culturelle. Ils ont en effet jusqu'à présent été reconnus pour leur capacité à faire fonctionner des adductions, réparer des moteurs, renouveler des pompes. Appuyer des comités, organiser le secteur, etc., leur impose d'acquérir de nouvelles compétences et de se trouver de nouvelles motivations. L'action-pilote a été menée en étroite collaboration avec les services centraux de la DEM et la Brigade des puits et forages de Matam, et peut sans conteste les accompagner dans cette mutation.


» Contacts et fiche technique

Responsable de l’action pilote

Cédric Estienne, Abdoulaye Diallo, PAGE AFVP/ISF – BP 57 Matam – Tél./Fax : (221) 966 63 38 - E-mail :
Séverine Champetier, AFVP DR Sénégal - BP 1010 Dakar - Tél. : (221) 827 40 75 - Fax : (221) 827 40 74 - E-mail :

Partenaires

Direction de l'Exploitation et de la Maintenance
Ministère de l'Hydraulique
Laurent Girard (AFVP Délégation générale)
Régis Taisne (ISF)
Bruno Valfrey (HydroConseil)

Localisation : Département de Matam, région du fleuve, Sénégal
Axe(s) de recherche concerné(s) : 1.3 ; 2.2 ; 2.3 ; 4.1 ; 4.3
Milieu d’intervention : petits centres
Durée : 21 mois (29/05/96 – 28/02/98)
Coût : 439 200 FF



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