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Un programme d'appui mobilisateur, sans
investissement ni réhabilitation
Ce dernier point constitue incontestablement un point fort de
l'action-pilote. Les comités de gestion ont été
particulièrement réceptifs à « l'offre
d'appui » de l'action-pilote alors que le programme ne promettait
pas de subvention pour des travaux. Ils se sont engagés, à
des degrés divers, dans de nombreuses actions d'amélioration
de leur fonctionnement et de la gestion du service (voir encadré).
Cette forte mobilisation pour un programme « soft » est
d'autant plus remarquable que certains comités se trouvent en
charge d'installations non fonctionnelles (dégradées
et/ou mal conçues). Il est apparu lors des études et des
projets précédemment menés, et cela a été
confirmé au cours de l'action-pilote, qu'il existe une réelle
demande des usagers et de leurs représentants en matière
d'amélioration simple de la gestion du service. Un programme
d'appui peut donc avoir du succès même s'il n'apporte pas
de subvention pour des équipements. De telles subventions vont à
l'encontre des dynamiques de gestion locale du service et les réhabilitations
subventionnées constituent trop souvent des primes à la
mauvaise gestion.
Satisfaire les usagers pour assurer léquilibre
financier
Fin 1996, le conflit entre le Comité de gestion de ladduction
intervillageoise de Sinthiane et les éleveurs sest
envenimé, les éleveurs reprochant au comité de
pratiquer des prix trop élevés (et au m³ et non par
tête comme il est dusage). Leur menace de ne plus sapprovisionner
en eau à Sinthiane a poussé le Comité à négocier.
En effet, environ 20 % de leau est vendue aux éleveurs.
Avec le paiement au volume, une telle baisse des consommations nécessiterait
un réajustement à la hausse du prix de vente, difficile à
faire accepter à la population. Or les éleveurs nétaient
pas opposés au paiement de leau par principe, mais cette
menace traduisait une insatisfaction quant au service. Le Comité
a donc proposé de réaliser un abreuvoir supplémentaire
afin de réduire le temps dattente des éleveurs.
Cet investissement denviron 600 000 FCFA sera financé sur
les fonds propres du Comité qui pense pouvoir le rentabiliser
en moins de deux ans.
L'amélioration du recouvrement des
coûts : vers une logique de service
Le recouvrement de l'ensemble des coûts du service de l'eau, à
un niveau permettant la continuité du service y compris le
renouvellement des équipements, représente un point de
blocage important, même si désormais personne ne conteste
plus le fait de payer l'eau. De fait, au Sénégal,
l'ensemble des dépenses effectives de fonctionnement des réseaux
est pris en charge par les usagers, ainsi quune part importante
des travaux d'entretien et de maintenance. Dans la région du
fleuve Sénégal, l'épargne des migrants est considérable
et en partie mobilisée pour le service de l'eau (surtout les
grosses réparations, renouvellements et extensions de réseau).
Cependant, de nombreux comités se trouvent pris dans un cercle
vicieux dans lequel les usagers refusent de payer pour un service qui
leur apparaît insatisfaisant. Dans un premier temps, les élus
ont donc mené des actions visant à recrédibiliser
le comité (voir ci-dessous). Ceci est d'autant plus important
qu'il est clairement apparu lors de l'action-pilote que la population
est fortement mobilisée sur ces questions et que les décisions
« difficiles » ne peuvent être prises unilatéralement
par quelques élus ou notables.
Ce n'est qu'ensuite que des actions portant véritablement sur
le recouvrement des coûts ont pu être engagées :
redéfinition de l'assiette de cotisation, augmentation du
montant des forfaits, mise en place de sanctions contre les «
mauvais payeurs ». Deux comités ont maintenant un système
de vente de l'eau au volume et deux autres envisagent de franchir le
pas du tabou que représente ce mode de paiement de l'eau, ils
ont déjà acheté des compteurs.
L'émergence de « professionnels
» au sein des comités
Au sein des certains comités de gestion, il est apparu au fur
et à mesure du déroulement de l'action une distinction
entre leurs membres : la plupart conservent un rôle politique,
de représentation de la population et de contrôle, tandis
que quelques élus ou conseillers du comité
s'investissent dans la gestion quotidienne de l'AEP et y consacrent
une part importante de leur temps. Il ne s'agit pas encore d'une délégation
de gestion (ils n'en assument pas la responsabilité), mais
cette implication spécifique et les compétences
nouvelles qu'ils apportent sont reconnues et parfois rémunérées.
L'amélioration des prestations
d'entretien et de maintenance : une question de demande, l'offre
suivra
Les résultats de l'action-pilote traduisent le fait que les opérateurs
du secteur privé s'adaptent au niveau d'exigence de qualité
de service de leur « clients » que sont les comités.
Il est encore faible, et les comités privilégient
souvent le faible coût d'une réparation (ou son report) à
sa qualité et sa durabilité. Cependant, plusieurs
actions engagées par des comités indiquent qu'une
augmentation de cette demande et de sa solvabilité est possible
: ébauche de contrats avec des plombiers, recherche et réparation
de fuites, prise en compte de la maintenance préventive, etc.
Ébauche d'une demande pour des
prestations d'appui-conseil
L'engagement de dépenses pour des prestation de service
d'appui-conseil (audit, comptabilité, etc.) est encore plus délicate.
En effet, elles ne se traduisent pas directement dans la qualité
du service et donc leur rentabilité n'est pas immédiatement
visible. Elles ne répondent en outre à aucune exigence légale
(DEM, banques
), ni des usagers eux-mêmes. L'action-pilote
envisageait l'installation de son animateur comme prestataire privé
au bout de deux ans. Cela semble prématuré. Sa compétence
est cependant reconnue sur le département et il commence à
recevoir des demandes d'assistance de certains comités.
Quelques chiffres
Sur 35 forages, 17 se sont rapidement mis en conformité avec
les nouveaux statuts (élections dun comité
directeur), mais 4 restent bloqués par des conflits politiques
internes aux villages. La démarche est entamée pour les
14 restants mais non encore officiellement entérinée. Il
convient de souligner que ces associations d'usagers comptent parmi
les premières au Sénégal à s'engager dans
ce processus de reconnaissance.
Lélaboration dun règlement intérieur
est une étape bien plus longue, mais déjà
franchie pour 14 comités. Pour la majorité des autres,
il sagit surtout de le faire voter.
Les comptes bancaires étaient loin de faire lunanimité
au début de laction (manque de confiance dans les
banques), mais au moins 12 comités en ont ouvert un (dont 7 ont
une capacité dautofinancement significative). Pour les
autres, le problème est souvent de convaincre la population, ou
leur faible trésorerie qui ne le justifie pas.
Tous les comités possèdent les documents de gestion et
une personne formée à leur utilisation. Cependant,
plusieurs comités se trouvent confrontés au problème
de l'alphabétisation de leurs membres ce qui limite
l'utilisation des documents.
Linfluence du programme sur le comité lui-même est
plus remarquable. Dans plus de trois quarts des cas, les personnes présentes
aux séminaires de formation ont pris par la suite une place
plus importante dans la gestion du forage. Dans 4 cas, cela a même
été loccasion dun véritable renouveau
démocratique.
Certains comités ont également commencé à
élaborer des contrats avec leur conducteur de forage et/ou
plombier.
Vers l'émergence d'une fédération
?
Au départ de laction, les conditions étaient peu
favorables à un esprit de fédération entre les
forages : la naissance progressive des comités ne leur avait
donné aucun esprit de corps, et aucun comité ne pouvant
réellement se vanter dune gestion efficace, personne ne
souhaitait faire état de ses problèmes à lextérieur,
et risquer de se remettre en cause.
Laction-pilote, perçue comme un lieu de conseil et dappui,
sans autorité ni exigence a permis non seulement de briser
cette réticence à échanger avec dautres,
mais aussi en les rassemblant pour la première fois, elle les a
mis en position dacteurs de la gestion de leau, entre
usagers, opérateurs privés et DEM.
Les échanges entre comités ont surtout eu lieu à
propos des règlements intérieurs, sans lintervention
de lanimateur. Deux villages ont par ailleurs été
mis en relation, lun faisant bénéficier lautre
de son expérience de la gestion des compteurs.
Le chemin vers une fédération est encore long, mais lidée
a été lancée à plusieurs reprises par
certains dentre eux, dans un but de représentativité,
et peut-être pour mutualiser des services. Cette idée
devrait revenir sur le devant de la scène une fois le besoin de
reconnaissance individuelle satisfait.
Quel rôle pour la DEM ?
Les pouvoirs publics, à commencer par la DEM, ont un rôle
essentiel de régulation et d'appui aux opérateurs. La réforme
de la gestion des forages motorisés engagée par la DEM y
accorde une large place. Cela représente pour les agents de la
DEM une véritable révolution culturelle. Ils ont en
effet jusqu'à présent été reconnus pour
leur capacité à faire fonctionner des adductions, réparer
des moteurs, renouveler des pompes. Appuyer des comités,
organiser le secteur, etc., leur impose d'acquérir de nouvelles
compétences et de se trouver de nouvelles motivations.
L'action-pilote a été menée en étroite
collaboration avec les services centraux de la DEM et la Brigade des
puits et forages de Matam, et peut sans conteste les accompagner dans
cette mutation. |