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Action pilote n°1 : Réhabilitation des points d’eau populaire dans une grande métropole: le cas de Yaoundé, Cameroun

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Un service de l'eau moderne atteignant moins de la moitié de la population de Yaoundé

L'approvisionnement en eau de la population de la Ville de Yaoundé (1 million d'habitants) n’est que partiellement assuré par le réseau public de la SNEC. En octobre 1997, on comptait 40 162 abonnés dont 34 735 particuliers et 277 bornes-fontaines payantes. En 1992 ces chiffres étaient sensiblement les mêmes, à l’exception du nombre de bornes-fontaines qui a été multiplié par huit en cinq ans. L’actuel taux de desserte par réseau demeure faible. Les statistiques nationales indiquent d’ailleurs une détérioration puisque le taux de desserte calculé est passé de 79 % en 1976 à 64 % en 94. Au vu de la faiblesse du nombre d’abonnés, il est vraisemblablement même inférieur à 50 %.


La multiplicité des points d'eau traditionnels

Ces chiffres confirment qu’une part importante de la population s’approvisionne, au moins partiellement, à des point d’eau traditionnels : eau de pluie, puits et sources. Celles-ci sont particulièrement nombreuses à Yaoundé, ce qui constitue une spécificité par rapport à la plupart des grandes villes d'Afrique de l'Ouest.

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Dans le cadre de cette action pilote, l’AFVP et le Laboratoire de l’Environnement et des Sciences de l’Eau de l’ENSP ont mené une étude sur une quinzaine de quartiers périurbains du 4ème arrondissement de Yaoundé. Elle a permis de recenser 330 points d'eau à usage collectif, sur réseau ou non, ce qui apparaît considérable. 80% d'entre eux sont des points d'eau traditionnels : 95 sources et 167 puits pour 68 bornes-fontaines et branchements particuliers dont les propriétaires revendent l'eau à leurs voisins. Une partie de ces points d'eau traditionnels a fait l'objet d'aménagements, souvent sommaires, sur initiative individuelle ou collective et généralement sans apport de financement extérieur. Ces aménagements concernent environ 20 % des points d'eau traditionnels : 26 sources et 25 puits.


Des points d'eau traditionnels largement ignorés des politiques urbaines

Ces aménagements traduisent l'intérêt de la population de Yaoundé pour ces points d'eau traditionnels. Ils sont cependant largement ignorés des politiques d'aménagement urbain, et le débat sur leur reconnaissance est tabou à Yaoundé.

Les questions posées par leur prise en compte ne sont pourtant pas uniquement dogmatiques ou liées à la préservation du monopole des concessionnaires. Elles concernent la qualité de l'eau produite et la santé publique, la planification urbaine, la participation des habitants aux choix, la prise en compte de leurs priorités, de leurs contraintes économiques, de temps…


Des modes d'approvisionnement complémentaires ou irréconciliables ?

Face à cette tendance générale à ignorer l'utilisation de ces points d'eau traditionnels et même parfois à vouloir les condamner comme contraires au service public, l'action pilote a exploré la voie de leur reconnaissance et de leur amélioration, en jouant sur leur complémentarité avec le service moderne.

Elle a été menée sur 15 quartiers de Yaoundé 4 par l'AFVP et le Centre d'Animation Sociale et Sanitaire (CASS), une ONG camerounaise, et rejoints par des chercheurs de l’ENSP.


Des eaux différentes, des usages multiples

Une enquête réalisée auprès de 927 ménages à Yaoundé 4 nous a montré que 40% d'entre eux utilisent régulièrement des sources pour l’eau de boisson. En revanche, seuls 5% recourent aux puits dont l'eau leur semble, à juste titre, de moins bonne qualité.

Bien des ménages utilisent seulement quelques dizaines de litres d’eau de la SNEC pour la boisson. Les points d'eau traditionnels, fournissent l'eau pour le reste des usages domestiques, y compris pour la moitié des abonnés de la SNEC qui les utilisent au moins occasionnellement.

Ce "plébiscite" des sources et puits tient à de nombreux facteurs : l'insuffisance des réseaux dans certains quartiers, leurs doutes sur la qualité du service de la SNEC (coloration de l’eau distribuée, qualité bactériologique, coupures fréquentes sur réseau et délais d’intervention trop longs…). La quasi-gratuité des points d’eau traditionnels est vraisemblablement l'argument déterminant.


La qualité de l'eau ne justifie pas la condamnation des points d'eau traditionnels.

Une campagne d'analyse de la qualité bactériologique de l'eau menée avec l'ENSP sur 80 points d'eau a permis de montrer que la qualité de l'eau est variable, mais que cela ne justifie pas de rejeter ces points d'eau. 56% des échantillons prélevés sur des sources sont de qualité assez bonne à très bonne. En revanche, la qualité de l'eau des puits se confirme être moyenne à mauvaise (80 % des prélèvements). Enfin, à titre de comparaison, des analyses sur le réseau public ou aux domiciles de propriétaire de branchements individuels ont été également effectuées et indiquent une bonne qualité de l'eau dans près de 80% des cas. Ces résultats concordent bien avec les avis recueillis auprès de la population qui privilégie l'eau du réseau et les sources aux puits pour l'eau de boisson.

Cependant, dans ce contexte urbain, la qualité de l'eau des sources est vulnérable : présence de latrines, de dépôts d'ordures, drainage des eaux de pluie… La mise en place de périmètres de protection, avec l'éloignement des latrines et l'interdiction ou la limitation des nouvelles constructions à proximité immédiate, constitue une première catégorie de mesures. Il ne faut cependant pas en sous-estimer la difficulté : négociation locale avec les riverains et les utilisateurs des points d'eau, arbitrage de l'autorité publique…

La voie du traitement (par chloration par exemple) semble plus intéressante et porteuse. Les usagers, qui déversent déjà occasionnellement un peu d'eau de Javel dans les puits, semblent bien conscients des enjeux sanitaires. La monétarisation de l'économie urbaine et l'accès relativement facile aux produits de traitement permettent d'envisager la faisabilité de la chloration. Elle n'a cependant pu être testée pour deux raisons : d’une part à cause des délais très courts de l'action pilote, d’autre part car elle ne se justifiait pas facilement au vue des résultats plutôt rassurants des premières analyses batériologiques. Elle pourrait être intégrée à une seconde phase du programme.


Améliorer la qualité du service fourni par ces points d'eau traditionnels

Dans le cadre de l'action pilote, des ouvrages tests ont été réalisés pour améliorer le service fourni par les sources (financement de l'Ambassade du Canada et de la Mission Française de Coopération et d'Action Culturelle). Les interventions ont porté sur les captages des sources, et sur les aménagements annexes souhaités par les usagers (escaliers, tables à lessive…).

L'action pilote a assuré la promotion de modèles techniques simples et fiables auprès des comités de quartiers et des PME. Cela doit permettre de garantir aux usagers qui peuvent investir quelques milliers de FF dans l'aménagement de leur source (comme cela se fait déjà), un ouvrage de qualité : 3 000 à 4 000 FF pour un captage simplifié, 10 000 à 15 000 FF pour un captage plus complet intégrant escaliers et autres aménagements de confort comme on en trouve à Yaoundé.

De plus le choix des sources à réhabiliter a été fait selon une liste de critères facilement appropriables par les décideurs locaux : lecture de la carte du réseau d’adduction pour repérer les zones mal desservies, qualités naturelles de l’environnement, fréquentation, existence d’un début d’aménagement ...


Des associations de quartiers mobilisées

L'action pilote a choisi d'intervenir en privilégiant une maîtrise d'ouvrage locale par des associations de quartier. Cela a été grandement facilité par l'enjeu mobilisateur que représente l'eau, et par l'expérience du CASS dans ce domaine. Les engagements et responsabilités respectives du comité et de l'action pilote ont été clairement définis par contrat : participation au financement (10 à 15 % pour l'association), apport gratuit de main d’oeuvre, exécution des études techniques, contrôle des travaux, organisation de la consultations des entreprises locales,… Il convient de noter que les comités sortent à peine d’une logique de projet. Leur passage actuel à une dynamique de gestion du service devra être évalué d'ici quelques mois : par exemple la formation à la désinfection d’un point d’eau au chlore aura-t-elle été suivie d’effets ?


Comment faire valider et prendre en compte ces dynamiques locales par les différentes institutions ?

Points d'eau modernes contre points d'eau traditionnels ? L'adoption de politiques pragmatiques pour le "service public de l'eau", qui ne considèrent pas exclusivement le réseau comme seule solution, est un enjeu très sensible. La mobilisation des différentes institutions représentait donc un objectif important de l'action pilote. Certaines avancées ont été obtenues, mais le chantier demeure largement ouvert.

La SNEC, concessionnaire du réseau public, adoptait au départ de l'action pilote une position neutre, opposant à toute idée d'intervention en faveur des points d'eau traditionnels son rôle exclusif de gestionnaire des installations fournies par l’Etat. La concertation organisée durant l'action pilote a permis de faire évoluer cette position. Le rôle et l'intérêt de la SNEC ne sont évidemment pas d'assurer la promotion des points d'eau traditionnels, mais il est admis que leur "concurrence" est inévitable sans être réellement nuisible. En effet, la population n'est manifestement pas prête à consacrer une part beaucoup plus forte de ses revenus pour acheter de l'eau, tandis que techniquement, la SNEC peut difficilement prétendre pouvoir desservir 100 % de la population à très court terme…

Au ministère des Mines de l'Energie et de l'Eau, si certains perçoivent l'enjeu d'appuyer les usagers pour améliorer la qualité du service de l'eau, ces points d'eau, et plus généralement les quartiers périurbains restent dans un grand vide institutionnel : ni hydraulique urbaine au sens "noble" du terme, ni hydraulique rurale, ils demeurent effectivement ignorés.

Il en est de même de la municipalité qui a été pour ainsi dire absente lors du déroulement de l'action pilote, et ceci peut paraître plus étonnant. En effet, il y a très nettement une demande de la population, que l'action pilote, mais également d'autres acteurs non gouvernementaux appuient. Les risques sont donc minimes pour des élus, et les contacts doivent être maintenus. L'action pilote a donc fourni de nombreux éléments qui militent en faveur de la prise en compte des points d'eau traditionnels dans les politiques urbaines et de service public orientées vers les couches de la population restées à l’écart du réseau.


Des consommations faibles sur le réseau public de la SNEC

Les volumes consommés par les habitants de Yaoundé disposant d'un branchement individuel sont relativement modestes. Environ la moitié d'entre eux ont une consommation qui se situe dans la "tranche sociale", soit moins de 10m³/mois, avec une moyenne à 3,75m³/mois, soit 15 l/j/hab. Ceci représente une facture moyenne de 2 300 FCFA/mois (Le tarif est de 271 FCFA HT/m³ pour une consommation inférieure à 10 m³/mois et 334 FCFA HT/m³ au-delà). Les consommations relevées aux bornes-fontaines sont encore plus limitées, avec une moyenne de 60 m³/mois. Cela représente 1,9 m³/famille/mois (10 l/j/p) et une dépense mensuelle de 1 800 CFA/mois. Yaoundé dispose d'une pluviométrie importante, d’un relief très vallonné et de nombreux points d'eau traditionnels, et même les habitants ayant investis dans un branchement ou ayant facilement accès à une borne-fontaine ont fréquemment recours à ces points d'eau.


» Contacts et fiche technique

Responsable de l’action pilote

Thomas Adeline, Philippe Amirault, A.F.V.P. Délégation Régionale au Cameroun - B.P. 1616 Yaoundé - Tél. : 237 22 17 96, Fax : 237 23 12 63, E-mail: afvp.cam@iccnet.cm

Partenaires

Emile Tanawa (ENSP de Yaoundé)
Francis Kammogne Jean-Pierre Tanga, Mirabelle Damtse , David Nembot, Sophie Mbelle (C.A.S.S.)
Thomas Njine (Université de Yaoundé I)
Jules Mbarga Bekono Zambo (Maire de Yaoundé 4)
Denis Morand (FCIL)
Christian Szersnovicz, Arnaud Rayar (MCAC)
Laurent Girard (AFVP Délégation Générale)
Régis Taisne (HydroConseil)

Localisation : 4ème arrondissement de Yaoundé, Cameroun
Axe(s) de recherche concerné(s) : 3.1 ; 4.2
Milieu d’intervention : Quartiers périurbains
Durée : 2 ans (21/05/96 – 20/05/98)
Coût : 268 000 FF



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