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Dans le cadre de cette action pilote, lAFVP et
le Laboratoire de lEnvironnement et des Sciences de lEau
de lENSP ont mené une étude sur une quinzaine de
quartiers périurbains du 4ème arrondissement de Yaoundé.
Elle a permis de recenser 330 points d'eau à usage collectif,
sur réseau ou non, ce qui apparaît considérable.
80% d'entre eux sont des points d'eau traditionnels : 95 sources et
167 puits pour 68 bornes-fontaines et branchements particuliers dont
les propriétaires revendent l'eau à leurs voisins. Une
partie de ces points d'eau traditionnels a fait l'objet d'aménagements,
souvent sommaires, sur initiative individuelle ou collective et généralement
sans apport de financement extérieur. Ces aménagements
concernent environ 20 % des points d'eau traditionnels : 26 sources et
25 puits.
Des points d'eau traditionnels largement
ignorés des politiques urbaines
Ces aménagements traduisent l'intérêt de la
population de Yaoundé pour ces points d'eau traditionnels. Ils
sont cependant largement ignorés des politiques d'aménagement
urbain, et le débat sur leur reconnaissance est tabou à
Yaoundé.
Les questions posées par leur prise en compte ne sont pourtant
pas uniquement dogmatiques ou liées à la préservation
du monopole des concessionnaires. Elles concernent la qualité
de l'eau produite et la santé publique, la planification
urbaine, la participation des habitants aux choix, la prise en compte
de leurs priorités, de leurs contraintes économiques, de
temps
Des modes d'approvisionnement complémentaires
ou irréconciliables ?
Face à cette tendance générale à ignorer
l'utilisation de ces points d'eau traditionnels et même parfois à
vouloir les condamner comme contraires au service public, l'action
pilote a exploré la voie de leur reconnaissance et de leur amélioration,
en jouant sur leur complémentarité avec le service
moderne.
Elle a été menée sur 15 quartiers de Yaoundé
4 par l'AFVP et le Centre d'Animation Sociale et Sanitaire (CASS), une
ONG camerounaise, et rejoints par des chercheurs de lENSP.
Des eaux différentes, des usages
multiples
Une enquête réalisée auprès de 927 ménages
à Yaoundé 4 nous a montré que 40% d'entre eux
utilisent régulièrement des sources pour leau de
boisson. En revanche, seuls 5% recourent aux puits dont l'eau leur
semble, à juste titre, de moins bonne qualité.
Bien des ménages utilisent seulement quelques dizaines de
litres deau de la SNEC pour la boisson. Les points d'eau
traditionnels, fournissent l'eau pour le reste des usages domestiques,
y compris pour la moitié des abonnés de la SNEC qui les
utilisent au moins occasionnellement.
Ce "plébiscite" des sources et puits tient à
de nombreux facteurs : l'insuffisance des réseaux dans certains
quartiers, leurs doutes sur la qualité du service de la SNEC
(coloration de leau distribuée, qualité bactériologique,
coupures fréquentes sur réseau et délais dintervention
trop longs
). La quasi-gratuité des points deau
traditionnels est vraisemblablement l'argument déterminant.
La qualité de l'eau ne justifie pas
la condamnation des points d'eau traditionnels.
Une campagne d'analyse de la qualité bactériologique de
l'eau menée avec l'ENSP sur 80 points d'eau a permis de montrer
que la qualité de l'eau est variable, mais que cela ne justifie
pas de rejeter ces points d'eau. 56% des échantillons prélevés
sur des sources sont de qualité assez bonne à très
bonne. En revanche, la qualité de l'eau des puits se confirme être
moyenne à mauvaise (80 % des prélèvements).
Enfin, à titre de comparaison, des analyses sur le réseau
public ou aux domiciles de propriétaire de branchements
individuels ont été également effectuées
et indiquent une bonne qualité de l'eau dans près de 80%
des cas. Ces résultats concordent bien avec les avis recueillis
auprès de la population qui privilégie l'eau du réseau
et les sources aux puits pour l'eau de boisson.
Cependant, dans ce contexte urbain, la qualité de l'eau des
sources est vulnérable : présence de latrines, de dépôts
d'ordures, drainage des eaux de pluie
La mise en place de périmètres
de protection, avec l'éloignement des latrines et
l'interdiction ou la limitation des nouvelles constructions à
proximité immédiate, constitue une première catégorie
de mesures. Il ne faut cependant pas en sous-estimer la difficulté
: négociation locale avec les riverains et les utilisateurs des
points d'eau, arbitrage de l'autorité publique
La voie du traitement (par chloration par exemple) semble plus intéressante
et porteuse. Les usagers, qui déversent déjà
occasionnellement un peu d'eau de Javel dans les puits, semblent bien
conscients des enjeux sanitaires. La monétarisation de l'économie
urbaine et l'accès relativement facile aux produits de
traitement permettent d'envisager la faisabilité de la
chloration. Elle n'a cependant pu être testée pour deux
raisons : dune part à cause des délais très
courts de l'action pilote, dautre part car elle ne se justifiait
pas facilement au vue des résultats plutôt rassurants des
premières analyses batériologiques. Elle pourrait être
intégrée à une seconde phase du programme.
Améliorer la qualité du
service fourni par ces points d'eau traditionnels
Dans le cadre de l'action pilote, des ouvrages tests ont été
réalisés pour améliorer le service fourni par les
sources (financement de l'Ambassade du Canada et de la Mission Française
de Coopération et d'Action Culturelle). Les interventions ont
porté sur les captages des sources, et sur les aménagements
annexes souhaités par les usagers (escaliers, tables à
lessive
).
L'action pilote a assuré la promotion de modèles
techniques simples et fiables auprès des comités de
quartiers et des PME. Cela doit permettre de garantir aux usagers qui
peuvent investir quelques milliers de FF dans l'aménagement de
leur source (comme cela se fait déjà), un ouvrage de
qualité : 3 000 à 4 000 FF pour un captage simplifié,
10 000 à 15 000 FF pour un captage plus complet intégrant
escaliers et autres aménagements de confort comme on en trouve à
Yaoundé.
De plus le choix des sources à réhabiliter a été
fait selon une liste de critères facilement appropriables par
les décideurs locaux : lecture de la carte du réseau dadduction
pour repérer les zones mal desservies, qualités
naturelles de lenvironnement, fréquentation, existence dun
début daménagement ...
Des associations de quartiers mobilisées
L'action pilote a choisi d'intervenir en privilégiant une maîtrise
d'ouvrage locale par des associations de quartier. Cela a été
grandement facilité par l'enjeu mobilisateur que représente
l'eau, et par l'expérience du CASS dans ce domaine. Les
engagements et responsabilités respectives du comité et
de l'action pilote ont été clairement définis par
contrat : participation au financement (10 à 15 % pour
l'association), apport gratuit de main doeuvre, exécution
des études techniques, contrôle des travaux, organisation
de la consultations des entreprises locales,
Il convient de
noter que les comités sortent à peine dune logique
de projet. Leur passage actuel à une dynamique de gestion du
service devra être évalué d'ici quelques mois :
par exemple la formation à la désinfection dun
point deau au chlore aura-t-elle été suivie deffets
?
Comment faire valider et prendre en compte
ces dynamiques locales par les différentes institutions ?
Points d'eau modernes contre points d'eau traditionnels ? L'adoption
de politiques pragmatiques pour le "service public de l'eau",
qui ne considèrent pas exclusivement le réseau comme
seule solution, est un enjeu très sensible. La mobilisation des
différentes institutions représentait donc un objectif
important de l'action pilote. Certaines avancées ont été
obtenues, mais le chantier demeure largement ouvert.
La SNEC, concessionnaire du réseau public, adoptait au départ
de l'action pilote une position neutre, opposant à toute idée
d'intervention en faveur des points d'eau traditionnels son rôle
exclusif de gestionnaire des installations fournies par lEtat.
La concertation organisée durant l'action pilote a permis de
faire évoluer cette position. Le rôle et l'intérêt
de la SNEC ne sont évidemment pas d'assurer la promotion des
points d'eau traditionnels, mais il est admis que leur "concurrence"
est inévitable sans être réellement nuisible. En
effet, la population n'est manifestement pas prête à
consacrer une part beaucoup plus forte de ses revenus pour acheter de
l'eau, tandis que techniquement, la SNEC peut difficilement prétendre
pouvoir desservir 100 % de la population à très court
terme
Au ministère des Mines de l'Energie et de l'Eau, si certains
perçoivent l'enjeu d'appuyer les usagers pour améliorer
la qualité du service de l'eau, ces points d'eau, et plus généralement
les quartiers périurbains restent dans un grand vide
institutionnel : ni hydraulique urbaine au sens "noble" du
terme, ni hydraulique rurale, ils demeurent effectivement ignorés.
Il en est de même de la municipalité qui a été
pour ainsi dire absente lors du déroulement de l'action pilote,
et ceci peut paraître plus étonnant. En effet, il y a très
nettement une demande de la population, que l'action pilote, mais également
d'autres acteurs non gouvernementaux appuient. Les risques sont donc
minimes pour des élus, et les contacts doivent être
maintenus. L'action pilote a donc fourni de nombreux éléments
qui militent en faveur de la prise en compte des points d'eau
traditionnels dans les politiques urbaines et de service public orientées
vers les couches de la population restées à lécart
du réseau. |