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Gestion durable des déchets
et de l'assainissement urbain

 
Synthèse des acquis du programme
SYNTHÈSE ET ANALYSE DES ACTIONS RELATIVES A L’ASSAINISSEMENT

Une autre approche possible
de l’assainissement urbain
                   
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Synthèse réalisée par Ta Thu Tuy

 

Sommaire

1. Pour une approche globale de l’assainissement urbain  
1.1. Spécificités africaines : la prédominance écrasante de l’assainissement autonome

1.2. Le rapprochement « assainissement » et « déchets » dans la recherche
1.3. Vers une approche renouvelée et globale de l’assainissement urbain  

2. Les maillons de l’assainissement urbain : état des lieux et innovations
2.1. Le réseau d’égouts : du rêve à la réalité
2.2. Le maillon amont de l’assainissement : les formes autonomes d’accès à l’assainissement
2.3. Le maillon intermédiaire : l’évacuation hors des quartiers
2.4. Le maillon aval : l’épuration des déchets liquides

3. L’approche par maillons et le principe pollueur payeur : une stratégie pragmatique pour la planification et le financement  
3.1. Un outil financier qui a fait ses preuves : la redevance assainissement assise sur la facture d’eau
3.2. Financement de l’accès à l’assainissement
3.3. Financement de l’évacuation hors des quartiers
3.4. Financement du traitement des produits de l’assainissement
3.5 Vers la couverture totale de la population urbaine en assainissement : un marché économique de biens et services à identifier, construire et structurer
3.6. Le financement global et pérenne des services d’assainissement : un des objectifs de la planification stratégique concertée du secteur

4. Des acteurs à coordonner pour le développement massif de l’assainissement : quel ancrage institutionnel choisir ?
4.1. Savoir se remettre en question et changer d’attitude
4.2. L’importance de l’initiative privée et de la structuration des dynamiques privées
4.3. L’action concertée en assainissement et sa planification stratégique
4.4. La question fondamentale de l’ancrage institutionnel de l’assainissement et de son positionnement par rapport aux autorités municipales

5. Conclusion
5.1. L’assainissement, un service de base mal identifié par les autorités municipales
5.2. Stratégies pour le développement massif de l’assainissement : gestion municipale ou gestion à l’échelle municipale ?

Études citées dans cette synthèse

 

 

1. Pour une approche globale de l’assainissement urbain

1.1. Spécificités africaines : la prédominance écrasante de l’assainissement autonome

Le réseau d’égouts est la première forme organisée d’assainissement urbain, apparue en Afrique en même temps que les villes de l’époque coloniale. Il correspond à l’urbanisme importé des pays colonisateurs et ne répondra pas, comme seule approche de l’assainissement, aux formes d’urbanisation accélérée et non maîtrisée que l’Afrique va connaître à partir des Indépendances. L’assainissement reste le parent pauvre des services urbains en réseau.

Au fil des décennies, le divorce va se creuser entre, d’un côté, les responsables politiques et techniques qui voient dans le réseau d’égouts la forme ultime de la modernité et, de l’autre, les populations qui développent dans l’urgence, l’isolement et la débrouillardise d’autres formes d’assainissement plus adaptées à leurs capacités techniques et financières.

Avec la croissance rapide des villes africaines, les formes autonomes d’assainissement vont devenir la réponse majoritaire à la portée des populations. Or ces formes soulèvent des questions d’ordre technique, financier, environnemental, organisationnel et institutionnel d’une nature complètement différente des approches entourant la mise en place d’un réseau d’égouts.

Plus que dans tout autre continent (comme le montrent les tableaux page suivante), s’attaquer à l’amélioration de l’assainissement urbain en Afrique, c’est reconnaître le retard important des connaissances de toute nature par rapport aux pratiques populaires et aux solutions adaptées aux capacités locales (du milieu physique autant que des habitants). C’est aussi développer des recherches spécifiques à ce continent, des savoir-faire, des processus diversifiés, d’abord centrés sur l’amélioration et la diversification des formes autonomes d’assainissement, ainsi que sur leur insertion massive dans les politiques publiques d’assainissement. C’est enfin construire une autre façon d’appréhender l’ensemble de ces questions quand les façons usuelles de faire et de penser deviennent stériles.

 


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1.2. Le rapprochement « assainissement » et « déchets » dans la recherche

Entre 1995 et 1998, la coopération française a conduit un programme de recherche intitulé « Eau potable et assainissement dans les quartiers périurbains et les petits centres ». Lors du séminaire final de ce programme à Ouagadougou, l’insuffisance des actions et des retombées dans le domaine de l’assainissement a été soulignée. Ce constat est récurrent dans tout programme qui traite en même temps des thèmes de l’eau et de l’assainissement, comme l’avait déjà révélé la Décennie internationale de l’eau potable et de l’assainissement (DIEPA) 1981 – 1990 conduite sur ces mêmes sujets.

Les participants du séminaire ayant sollicité la coopération française pour renforcer la recherche en assainissement, celle-ci a répondu à la demande en l’associant à un autre thème essentiel pour l’environnement urbain, celui des déchets. C’est ainsi que le nouveau programme a rapproché les thèmes de l’assainissement et des déchets, ce qui s’est révélé très fructueux.

Dès le démarrage, ce rapprochement a ouvert les propositions de recherche à des explorations plus innovantes et plus complètes. En effet, aborder ensemble déchets liquides et déchets solides ouvre sur la question plus générale de la saleté dans la ville, tant dans le comportement et les pratiques domestiques des habitants que dans le positionnement des différents types d’acteurs face au service public global qu’est la propreté urbaine.

L’assainissement sort de son approche classique, souvent trop technique et hygiéniste, pour être analysé comme un enjeu sociologique dans les jeux de voisinage et dans l’apprentissage de l’ « urbanité », ainsi que comme un enjeu politique dans les jeux de pouvoir urbain et de gestion urbaine.

Ensuite, le rapprochement des recherches et expérimentations conduites dans les domaines Assainissement et Déchets incite à tenter d’analyser les résultats de la partie Assainissement selon une grille conceptuelle différente de l’appréhension habituelle issue de l’approche Eau potable.

En effet, parler d’assainissement après avoir parlé d’eau potable conduit naturellement à réfléchir en termes de « réseau » – le fameux réseau d’égouts tant décrié pour son inadaptation dans les villes africaines – et de « techniques alternatives » – alternatives au réseau bien sûr – et c’est par ce nom que les experts ont longtemps parlé des techniques autonomes d’assainissement.

Par contre, parler d’assainissement en même temps que de déchets incite à tester l’analyse de l’assainissement urbain selon un découpage en trois maillons :

– le maillon amont des installations de collecte (eaux vannes et eaux usées) chez l’habitant ;

– le maillon intermédiaire de l’évacuation (des résidus non traités sur place : eaux usées ou produits de

vidange) ;

– et le maillon aval du traitement des produits évacués des quartiers, avec ou sans valorisation.

C’est ce point de vue relativement nouveau qui sera développé pour présenter la synthèse des résultats du programme dans sa composante Assainissement.

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1.3. Vers une approche renouvelée et globale de l’assainissement urbain

Dans l’approche classique de l’assainissement inspirée des pratiques des pays développés, on oppose fréquemment les filières collectives (le réseau d’égouts) aux filières individuelles (les systèmes autonomes tels que latrines et fosses septiques), les deuxièmes étant considérées comme des solutions transitoires en attendant la mise en place généralisée du réseau.

Les habitants sont déclarés assainis quand ils disposent d’un raccord à un réseau d’égouts ou d’une installation sanitaire autonome. Or le service public de l’assainissement, quand il existe, ne s’occupe généralement que du réseau, étant entendu que les autres installations sont appelées « autonomes » pour la double raison qu’elles traitent les pollutions sur place et que les habitants se débrouillent tout seuls.

En fait, ni le réseau, ni les systèmes autonomes ne couvrent à eux seuls l’ensemble des problèmes posés par les déchets liquides dans la ville : l’assainissement n’est pas qu’affaire d’égouts et de latrines. De façon proche de la gestion des ordures ménagères, l’assainissement doit répondre simultanément à trois familles de problèmes, chacune de ces familles faisant appel à des solutions techniques et financières différenciées :

1. améliorer les conditions sanitaires des ménages : le maillon amont des installations de collecte (des eaux vannes et eaux usées) répond aux questions d’hygiène domestique ;

2. améliorer la salubrité des quartiers : c’est le maillon intermédiaire de l’évacuation (des résidus non traités sur place : eaux usées et produits de vidange) et de l’hygiène urbaine ;

3. et éviter la dégradation de l’environnement : c’est le maillon aval de l’épuration des produits évacués des quartiers et, ainsi, de l’hygiène de l’environnement.

On constate que cette présentation inhabituelle de l’assainissement urbain, adoptée dans cette synthèse, résume bien l’ensemble des préoccupations d’une municipalité dans ce domaine.

 

Le maillon amont : l’accès à un système d’assainissement

A la manière de la gestion des déchets solides, le maillon amont de l’assainissement regroupe toutes les préoccupations liées au recueil des déchets liquides produits par les habitants et leurs activités, qu’elles soient domestiques ou économiques. Les déchets liquides concernés sont les eaux vannes et les eaux usées domestiques, ainsi que les eaux usées issues des activités administratives, commerciales, artisanales et industrielles.

Les objectifs de ce maillon sont à la fois sanitaires (isoler et maîtriser les risques de contamination sanitaire), urbains (au sens de l’urbanité, c’est-à-dire l’apprentissage de la vie ensemble, notamment en termes de propreté visuelle et symbolique) et environnementaux (isoler et contrôler les risques de pollutions diverses sur place).

Les moyens de répondre à ces objectifs passent par des installations sanitaires autonomes ou raccordées à un réseau. Ces installations peuvent être individuelles ou semi-collectives (cf. § 2.2. Le maillon amont de l’assainissement : les formes autonomes d’accès à l’assainissement).

 

Le maillon intermédiaire : l’évacuation hors des quartiers

A la manière de la gestion des déchets solides, le maillon intermédiaire de l’assainissement regroupe les préoccupations d’évacuation des résidus recueillis et non traités sur place : eaux usées ou boues de vidange. L’objectif de ce maillon est de déconnecter la phase « collecte » des déchets liquides de la phase « traitement » des pollutions, dans les situations où il est reconnu que le traitement ne peut plus se faire uniquement sur place pour des raisons de saturation du milieu physique.

Selon la densité, ou inversement l’hydraulicité, des résidus à évacuer hors des quartiers, le mode d’évacuation fera appel à un réseau d’égouts ou à une flotte de véhicules (mécanisés ou, le plus souvent, encore manuels) de vidange.

 

Le maillon aval : l’épuration des déchets liquides évacués

Pour finir, toujours à la manière de la gestion des déchets solides, le maillon aval regroupe les préoccupations d’épuration des produits de l’assainissement (eaux usées, boues de vidange), avec ou sans valorisation.

Le traitement de ces produits peut se faire sur place, à la parcelle, plus ou moins partiellement, ou bien, de plus en plus fréquemment, une fois que ces produits ont été évacués hors des quartiers.

Avec la diffusion et l’amélioration massive des systèmes autonomes d’assainissement, avec le développement accéléré des entreprises de vidange mécanique, les quantités de boues de vidange à traiter convenablement deviennent progressivement considérables.

Or ce dernier maillon de l’assainissement reste dans les faits le plus fictif et théorique, sur les plans de l’investissement technique et du montage financier. Objet de trop peu de réalisations durables (stations d’épuration rapidement en panne, lagunages de traitement en nombre confidentiel), chaque cas reste un cas particulier dont il est déconseillé de trop extrapoler des enseignements.

 

L’assainissement des activités artisanales et industrielles

Avec le développement économique, les activités artisanales et industrielles se multiplient à l’intérieur ou aux abords immédiats des villes. Par leurs rejets liquides souvent laissés sans contrôle, elles génèrent des risques croissants de pollution dans les quartiers. Ces rejets posent des problèmes spécifiques en raison de leur composition physico-chimique.

Pour limiter l’impact de ces pollutions ou le coût de leur gestion, l’approche en trois maillons est une bonne pédagogie pour concevoir des solutions pragmatiques et complètes :

– le maillon amont correspond à la concentration et au prétraitement sur place des rejets ;

– le maillon intermédiaire, à l’évacuation des rejets concentrés et prétraités hors des quartiers ou des zones d’activités ;

– et le maillon aval, à l’épuration de ces rejets évacués, souvent par lagunage.

 

Équipements d’assainissement ou accès satisfaisant aux services d’assainissement

L’objectif du service public de l’assainissement n’est pas de mettre en place et exploiter des infrastructures performantes mais peu accessibles aux populations (techniquement ou financièrement). C’est au contraire de fournir à tous un accès satisfaisant et pérenne à l’assainissement au moyen d’installations imaginatives et correctement gérées, et au moyen de prestataires capables et fiables.

Cette remarque amène à distinguer la notion d’équipement ou infrastructure d’assainissement de la notion d’accès effectif des populations à un service d’assainissement.

 

Les limites de cette synthèse

Le programme de recherche n’avait pas l’ambition d’aborder l’assainissement urbain sous tous ses aspects pour en tirer des recommandations opérationnelles complètes à l’attention des nouvelles politiques d’assainissement. Il visait simplement à approfondir scientifiquement quelques réflexions nouvelles ou à tester quelques pistes d’innovation.

Notamment, reflétant directement la variété des situations urbaines, le maillon amont de l’assainissement est celui qui suscite aujourd’hui le plus d’interrogations et d’innovations, le plus de sujets de recherche et d’expérimentation. Ceci explique qu’une majorité des recherches du programme aient contribué à éclairer ce maillon sous divers angles d’observation et d’analyse, et que cette synthèse soit particulièrement centrée sur l’assainissement autonome (cf. § 2.2. Le maillon amont de l’assainissement : les formes autonomes d’accès à l’assainissement). Les pistes d’innovation autres que l’assainissement autonome sont évoquées à la fin du § 2.3. Le maillon intermédiaire : l’évacuation hors des quartiers.

D’autre part, il se trouve que des pans entiers n’ont pas été abordés dans le programme, par exemple tout ce qui touche aux activités économiques (assainissement des activités artisanales et industrielles), ce qui ne diminue en rien l’importance de celles-ci dans la problématique globale.

Cette synthèse s’est avant tout attachée à mettre en évidence et à structurer les enseignements essentiels qui ressortent des recherches et actions pilotes. Reflet d’une démarche scientifique en mouvement, elle soulèvera certainement autant de nouvelles questions qu’elle apporte de réponses aux professionnels du secteur.

Le schéma ci-contre illustre l’approche de l’assainissement urbain selon les trois maillons.

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2. Les maillons de l’assainissement urbain : état des lieux et innovations

2.1. Le réseau d’égouts : du rêve à la réalité

La distinction entre présence d’une infrastructure d’assainissement et accès effectif des populations à un service satisfaisant est flagrante dans le cas du réseau d’égouts. Ce réseau a une image de modernité qui peut faire penser qu’il supprimerait les problèmes sanitaires posés par les pratiques spontanées des habitants. En réalité, avoir recours au réseau d’égouts ne résout pas automatiquement les difficultés d’accès à l’assainissement. C’est ce que révèle la recherche ENSP-A08 qui a évalué le fonctionnement des réseaux construits dans des lotissements de Yaoundé, en observant les pratiques des habitants et leurs réactions face à la dégradation du réseau. Cette recherche témoigne notamment sur le « mirage de la technologie des Blancs » et les déconvenues des responsables face à la « découverte inattendue » des questions de maintenance.

L’accès au réseau d’égouts soulève au moins deux sortes de problèmes qui perturbent le fonctionnement du réseau : d’une part, la lenteur de raccordement des habitants explique que présence du réseau d’égouts ne signifie pas automatiquement taux élevé d’assainissement et, d’autre part, en l’absence de campagnes d’apprentissage, le respect approximatif par les habitants des règles de bon usage des équipements sanitaires raccordés au réseau accélère sa dégradation (par exemple, déchets solides et liquides se retrouvent fréquemment ensemble dans le réseau).

Ainsi, la présence d’un équipement performant d’assainissement n’apporte pas de façon massive et définitive un accès permanent des habitants au service d’assainissement. Face aux dysfonctionnements croissants du réseau, la recherche observe que les populations raccordées, insatisfaites, commencent à se déconnecter et à revenir aux systèmes autonomes. Elle conclut alors que : « Réprimer les démarches de déconnexion ne fera que confirmer les habitants dans leur repli sur le ménage en montrant que le soi-disant collectif au sens urbain et global est vecteur de coercition et non de solidarité ; on ne modifiera pas les représentations de l’action collective de cette façon ».

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2.2. Le maillon amont de l’assainissement : les formes autonomes d’accès à l’assainissement

Dans les villes africaines toujours en forte croissance, où nombre des populations sont encore en train de basculer de comportements de type rural vers l’apprentissage des conditions plus confinées de la vie urbaine, développer l’assainissement, c’est d’abord développer l’accès satisfaisant à l’assainissement. Pour cela, il faut connaître les comportements et les pratiques spontanées des habitants pour comprendre leurs demandes. Puis, selon le contexte local, il faut susciter ou démultiplier l’offre, par l’imagination technique et financière ainsi que par l’encouragement et l’organisation de nouveaux intervenants.

De nombreuses actions du programme ont contribué à éclairer ces interrogations :

– la problématique des petites villes, où il faut faire émerger des embryons d’assainissement, a été abordée dans la recherche Lasdel-A03 sur deux villes du Niger ;

– à travers l’expérimentation d’une planification stratégique concertée de l’assainissement dans la ville moyenne de Debre-Berhan (Ethiopie), l’action Gret A07 a abordé l’élargissement de la diversité des offres techniques d’assainissement, en les intégrant plus globalement dans la notion d’ « accès à l’assainissement » ;

– la recherche Cereve-A05a a développé des outils statistiques de connaissance technico-économique des pratiques et des demandes des habitants en matière d’assainissement ;

– la recherche Shadyc-A04 a donné des clés anthropologiques et sociologiques pour comprendre les comportements des habitants face à leurs déchets et face aux responsables théoriquement en charge de la propreté urbaine ;

– la recherche Ceda-D03 a fait une critique des comportements des experts et des programmes de sensibilisation sanitaire censés inciter les populations à assainir leur habitat ;

– et la recherche ENSP-A08 a montré à Yaoundé le lien entre mauvais fonctionnement des réseaux d’égouts et méconnaissance des pratiques domestiques d’accès au réseau.

 

Les enseignements marquants du programme sont regroupés autour de deux thèmes :

– formes autonomes d’accès à l’assainissement : simplification technologique des installations et diversité des systèmes semi-collectifs (cf. ci-après) ;

– comportements, besoins et capacités des habitants en matière d’accès à l’assainissement (cf. § 3.2. Financement de l’accès à l’assainissement).

 

Vers une simplification typologique des installations autonomes

Conséquences de la débrouillardise des habitants laissés à eux-mêmes, ainsi que de leurs conditions de vie extrêmement diverses, les systèmes autonomes présentent sur le terrain les formes techniques les plus variées, parmi lesquelles il est parfois malaisé de se retrouver. Désormais considérés comme les formes d’assainissement de l’avenir immédiat en Afrique parce qu’ils sont seuls capables de répondre rapidement aux politiques de développement massif de l’assainissement, ces systèmes suscitent des recherches importantes dont la variété des interrogations et innovations reflète directement la variété des situations urbaines.

Exploitant une masse considérable d’enquêtes, la recherche Cereve-A05a a mis en évidence que les systèmes autonomes les plus courants se déclinent finalement autour de 5 types d’installation, et que l’habitant n’améliore pas son équipement selon une progression continue mais plutôt par « saut technologique » d’un type à un autre. L’observation de ces choix et comportements peut simplifier la conception des programmes d’assainissement.

Vers une diversité de systèmes autonomes semi-collectifs

L’enquête conduite par l’action Gret-A07 à Debre-Berhan a permis d’insister sur la diversité potentielle des formes semi-collectives d’assainissement autonome, par exemple :

– les latrines publiques, situées dans des espaces publics fortement fréquentés ;

– les latrines communales, équipements partagés par des groupes de familles locataires d’habitat social dans des quartiers denses ;

– les latrines familiales, plus petites et concernant entre 5 et 8 familles.

Face à l’insuffisance de capacités financières ou à une forte densité de l’habitat populaire, cette diversité technologique permet d’aborder l’assainissement selon plusieurs niveaux d’action collective ou semi-collective, en matière de conception et de financement de l’investissement, d’une part, d’entretien des infrastructures et de financement de leur exploitation, d’autre part.

A la lumière de ces observations, il semble désormais plus pertinent de viser, dans les politiques d’assainissement, l’accès généralisé des ménages à l’assainissement plutôt que, de façon plus restrictive, leur équipement individuel en assainissement.

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2.3. Le maillon intermédiaire : l’évacuation hors des quartiers

Les enseignements marquants du programme sont regroupés autour de deux points :

– la gestion des boues de vidange, à partir de la recherche Hydroconseil-A01 sur les entreprises de vidange mécanique des systèmes d’assainissement autonome dans les grandes villes africaines, et l’action CrepaCI-A02 visant à élaborer une stratégie municipale de gestion des vidanges à Bouaké (Côte d’Ivoire),

– les conditions institutionnelles du fonctionnement durable d’un réseau d’égouts et les pistes d’innovation, à travers l’analyse comparée des résultats des actions ENSP-A08 sur Yaoundé (Cameroun) et Moshi-A05b sur Moshi (Tanzanie).

 

La gestion des boues de vidange : révélation d’un marché en évolution accélérée

Jusqu’à présent, en matière d’assainissement autonome, on s’est surtout intéressé aux technologies (types de latrines améliorées, de puisards, etc.) et au comportement des ménages face à ces technologies. De manière plus novatrice, la recherche Hydroconseil-A01 s’est focalisée sur le maillon qui suit la fosse de réception des déchets liquides et a révélé des évolutions très récentes – fin de la décennie 1990 – et d’une ampleur insoupçonnée.

Le maillon de la vidange mécanique peut désormais être identifié de façon visible en tant que :

– maillon technique (extraction des résidus liquides des fosses d’installation autonome et évacuation hors des quartiers) ;

– maillon institutionnel (avec ses intervenants spécifiques, publics ou privés) ;

– et surtout, marché économique (avec l’identification précise de la demande et de l’offre, ainsi qu’avec des comportements de marché en termes de fixation des prix et d’organisation du secteur économique).

Reflétant autant l’inadaptation des opérateurs publics que le changement des comportements urbains, ce marché – évalué à un million d’euros par an par tranche d’un million d’habitants – est en pleine construction (sa croissance dépasse largement la croissance démographique) mais de façon inégale selon les villes. Là où il s’est fortement développé, on constate un transfert massif de la vidange manuelle vers la vidange mécanique, même chez les familles pauvres : « Les gens ne sont pas forcément plus riches mais ils ne peuvent plus se permettre de faire certaines choses à cause du ‘’qu’en dira-t-on’’ et des plaintes des voisins, confrontés aux nuisances de la vidange manuelle et à la décharge des boues à proximité de la maison ».

En se développant et en se structurant en dehors de toute stratégie publique volontariste, ce marché économique révèle la remarquable capacité d’adaptation et d’innovation sociale du secteur privé (exemple de l’instauration d’une Place du marché de la vidange dans certaines villes).

L’intervention publique, tout en s’attachant à rester légère face à ce marché qui sait s’organiser seul, peut néanmoins être bénéfique par une certaine réglementation des prix – qui peut stabiliser le marché et favoriser l’innovation – et, surtout, par le défrichement de solutions pour les « zones d’ombre » et pour le maillon suivant du traitement des boues. C’est ce qu’a tenté l’action CrepaCI-A02 à Bouaké (Côte d’Ivoire) en faisant collectivement expliciter les « règles du jeu » au sein d’un schéma municipal de gestion des vidanges.

Les « zones d’ombre » identifiées par la recherche Hydroconseil-A01 sont les villes de moins de 30 000 habitants (parfois plus) et les vieux quartiers denses et à voirie étroite, souvent inaccessibles aux camions et qui abritent quand même, en moyenne, un peu plus de 10 % de la population des grandes villes. La persistance de ces situations, ainsi que le fait que les moyens mécaniques ne peuvent pas toujours aspirer le fond trop dense des fosses, expliquent que la vidange manuelle a encore de beaux jours devant elle, en complément des entreprises de vidange mécanique.

En conclusion, on constate aujourd’hui que le secteur privé est déjà capable, dans beaucoup de villes, d’organiser le maillon de l’évacuation de façon fiable, autonome et pérenne, avec peu d’intervention publique. En retour, l’amélioration de ce maillon rend crédibles les systèmes autonomes comme solutions adéquates pour l’assainissement des ménages et justifie d’autant mieux la présentation de l’assainissement urbain selon des maillons successifs.

 

Conditions institutionnelles de durabilité et pistes d’innovation en matière de réseau d’égouts

L’accent désormais mis sur les systèmes autonomes comme solutions majeures et immédiates à explorer pour l’accès des populations urbaines africaines à l’assainissement ne doit pas pour autant rayer le réseau d’égouts des solutions potentielles au service des politiques d’assainissement.

Les difficultés rencontrées par les réseaux s’expliquent souvent par l’organisation institutionnelle qui encadre leur gestion. Par exemple, dans le cas de réseaux construits en même temps que les lotissements qu’ils équipent (ENSP-A08 au Cameroun et CrepaCI-A02 en Côte d’Ivoire), leur avenir juridique et institutionnel est demeuré flou, ce qui a compromis leur entretien sur les plans technique et financier, puis leur appropriation par les populations raccordées en raison de leurs dysfonctionnements répétitifs et croissants.

A l’inverse, le réseau d’égouts de Moshi (Moshi-A05b, Tanzanie) s’inscrit dans une politique d’extension conjointe des réseaux d’eau et d’assainissement conduite par un outil institutionnel original, municipal et autonome, de gestion de l’eau et de l’assainissement : la Moshi Urban Water and Sewerage Authority (MUWSA).

Le maillon « évacuation hors des quartiers » fait appel à deux familles différentes de modalités techniques: l’évacuation périodique par vidange ou l’évacuation permanente par réseau. Comme on vient de le voir, la première famille est en train de connaître une grande évolution, grâce à des innovations surtout entrepreneuriales. Par contre, la deuxième famille fait l’objet de peu d’investigations novatrices. Pourtant des pistes existent, comme le réseau à faibles dimensions dont on connaît peu d’expériences importantes en Afrique en dehors de celles de Rufisque, à Dakar.

Plutôt qu’une opposition entre systèmes autonomes et réseau d’égouts, l’innovation semble être dans leur complémentarité « maillon amont – maillon intermédiaire » pour imaginer des réponses à certaines situations urbaines contraignantes. Par exemple, l’utilisation astucieuse de certaines parties de système autonome (comme la décantation primaire ou le dégrillage) peut créer une interface protectrice entre l’habitant et le réseau. Autre exemple, comme à Rufisque cité ci-dessus, la mise en place de mini-réseaux d’égouts sur lesquels se brancheraient certains types d’installation autonome déjà en place peut permettre d’assainir un quartier dont la densification de l’habitat a saturé le milieu physique.

 

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2.4. Le maillon aval : l’épuration des déchets liquides

Le programme n’a pas abordé les questions de traitement sur place, que ce soit l’efficacité épuratoire des systèmes autonomes domestiques ou les modes d’épuration locale des rejets industriels. Seuls ont été abordés les traitements des déchets liquides domestiques après leur évacuation hors des quartiers et ce, dans des contextes d’Afrique subsaharienne.

Les enseignements marquants du programme sont regroupés autour de trois points :

– la question désormais urgente du traitement des boues de vidange, à partir des réflexions de la recherche Hydroconseil-A01 et de l’action CrepaCI-A02 à Bouaké, ainsi que des résultats de l’étude bibliographique Trend-A06 ;

– l’évaluation des techniques d’épuration des eaux usées, à travers les résultats des recherches ENSP-A08 et Cereve-A10 (cette dernière ayant enquêté sur 16 lagunes dans 6 pays africains), qui révèle notamment le décalage, à propos du lagunage, entre les besoins du terrain et les sujets qui motivent les chercheurs ;

– et l’utopie financière de la valorisation des eaux usées et des produits du traitement dans le contexte subsaharien, avec les résultats de l’action Iwmi-A09 et de la recherche Cereve-A10 (cf. § 3.4. Financement du traitement des produits de l’assainissement).

 

La question désormais urgente du traitement des boues de vidange

Avec la diffusion et l’amélioration massive des systèmes autonomes d’assainissement, avec le développement accéléré des entreprises de vidange mécanique, les quantités de boues de vidange à gérer convenablement deviennent colossales.

Si le secteur privé est parfois capable de proposer des solutions durables sur les plans technique et financier (exemple du lagunage payant et rentable de la société Sibeau à Cotonou, Bénin, relaté par Hydroconseil-A01), seules l’implication centrale de la municipalité et une stratégie conduite de concert avec l’ensemble des intervenants concernés peuvent aboutir à une solution globale à l’échelle de la ville (CrepaCI-A02).

Malgré l’ampleur et l’urgence du problème, les investigations en matière de traitement sont encore à l’état embryonnaire ou expérimental. Néanmoins, au sein du programme :

– l’action CrepaCI-A02 annonce le test du traitement en déposante (lits de séchage) ;

– l’action Trend-A06 montre la faisabilité d’un traitement primaire des boues de vidange par la technologie UASB moyennant un traitement préliminaire et une dilution préalable ;

– l’action Iwmi-A09 montre que la piste du co-compostage avec les ordures ménagères est techniquement maîtrisable avec des moyens rudimentaires (peu de mécanisation).

De façon plus générale, la recherche Hydroconseil-A01 rappelle que rares sont les villes qui disposent de sites de dépotage, que le traitement des boues est pratiquement inexistant et que le dépotage clandestin reste très majoritairement répandu.

En conclusion, le maillon aval du traitement reste le grand chantier des filières autonomes d’assainissement où doivent désormais s’engouffrer imaginations privées, volontés publiques et aides internationales au développement de l’assainissement domestique dans les villes africaines.

Soulignons que ce traitement peut se concevoir de façon conjointe et globale avec l’épuration des eaux d’égouts (exemple des sites de dépotage régulièrement installés le long des égouts qui mènent au lagunage général de Dakar), ainsi qu’avec leur valorisation agricole éventuellement.

 

Le traitement des eaux usées et, plus particulièrement, le lagunage : un décalage entre les besoins du terrain et les sujets qui motivent les professionnels

Commentant l’évaluation catastrophique des réseaux d’égouts de Yaoundé et des stations d’épuration (essentiellement à boues activées) associées, la recherche ENSP-A08 partage ces réflexions : « Le choix d’une méthode occidentale n’est pas le fruit d’une simple influence culturelle mais parfois d’une politique concertée avec le soutien financier et méthodologique des aides internationales. (...) Les premières manifestations de panne dans les stations ont dû plonger les cadres locaux dans une profonde perplexité: une station moderne, et quasi neuve, peut donc dysfonctionner. Le traumatisme va au-delà de la déconvenue du technicien : c’est un édifice culturel qui s’effrite ».

En fin de compte, grâce à leurs besoins rudimentaires d’entretien, les seules stations d’épuration qui marchent durablement en Afrique subsaharienne sont les lagunages. Qui semblent marcher, devrait-on dire, car l’enquête menée dans le cadre de l’action Cereve-A10 sur 16 lagunages dans 6 pays montre que : « Il n’existe aucun système de contrôle de la qualité des eaux rejetées dans les récepteurs ni de l’impact de ces rejets sur le milieu. De même, aucune institution ne s’intéresse à l’évaluation et au suivi de l’impact sur les populations riveraines des stations et de leurs rejets ».

La recherche sur Yaoundé (ENSP-A08) explique ce manque d’intérêt technologique autant que scientifique pour le lagunage : « On quitte le registre rassurant de la modernité occidentale pour un modèle alternatif et peu séduisant au départ, mais économique. Sa modicité contraint à la fois les responsables locaux à l’envisager et à le mépriser : pour eux, le coût est un gage de technicité ».

Le programme constate aussi que cette technologie d’épuration des eaux usées qui est la seule à marcher en Afrique subsaharienne et ce, de façon démontrée depuis de longues années, reste confidentielle – très peu de lagunages ont été construits dans cette région malgré une bonne adéquation à la pollution concentrée d’établissements industriels ou administratifs notamment – et on se demande ce qu’il faudrait faire pour la diffuser plus abondamment.

De plus, malgré le caractère rustique de l’entretien, les rares lagunages sont majoritairement mal entretenus. Ce constat, tout en étant bien observé par la recherche Cereve-A10, ne semble pas émouvoir ces chercheurs comme étant un problème de fond auquel il est essentiel de chercher des explications et des solutions. Sauf à l’occasion de thèses sur des lagunages à vocation scientifique, aucune station ne fait l’objet d’un quelconque suivi. Personne ne semble intéressé à suivre comment les lagunages répondent à leur vocation première de traitement, ni à réfléchir à des améliorations de conception ou d’entretien. Par exemple, la recherche Cereve-A10 a dégagé beaucoup de constats intéressants de son enquête sur les lagunages actuels d’Afrique mais n’en tire pas d’enseignements pour l’avenir, que ce soit sur les thèmes de la conception, du financement, du montage de projet, de la localisation, de la construction, de l’entretien, etc.

A côté de cela, ces chercheurs se posent des questions sur la valorisation des eaux usées traitées par lagunage et font des recommandations, malheureusement peu exploitables pour l’instant.

En conclusion, en Afrique subsaharienne, les lagunes d’épuration semblent fonctionner, parfois après 25 ans d’existence, mais à quoi servent-elles ? à qui servent-elles ? est-il opportun de se centrer uniquement sur les questions de valorisation de leurs eaux ? à l’attention de qui ?

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3. L’approche par maillons et le principe pollueur payeur : une stratégie pragmatique pour la planification et le financement

Le financement global et pérenne de l’assainissement a toujours semblé une chimère pour les responsables municipaux et nationaux. Or des pistes porteuses ont été défrichées récemment :

– la mise en évidence de demandes importantes décelées chez les ménages, prélude favorable à leurs contributions financières ;

– l’expérience effective et fructueuse d’une redevance assainissement dans certains pays (Burkina Faso);

– l’émergence d’un marché dynamique de biens et services par rapport à certaines demandes.

L’approche de l’assainissement par maillons donne des clés simples et logiques pour financer ce domaine, en facilitant la formulation de pistes et innovations diverses pour financer individuellement et successivement chaque maillon. En effet, chaque maillon correspond à des services précis qui répondent à des demandes identifiables, chacune d’elles étant capable de mobiliser des sources financières diverses et complémentaires les unes des autres.

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3.1. Un outil financier qui a fait ses preuves : la redevance assainissement assise sur la facture d’eau

Selon une démarche semblable au principe pollueur payeur, le Burkina Faso a instauré une redevance sur la vente de l’eau, dédiée à l’assainissement, depuis 1985. D’un montant moyen de 5 % de la facture d’eau, cette redevance a généré une source financière stable et pérenne qui a permis à l’Office National de l’Eau et de l’Assainissement (Onea) de concevoir et conduire sa première expérience de Plan stratégique d’assainissement à Ouagadougou (le PSAO), à partir de 1990.

Le PSAO reste à ce jour une expérience quasiment unique de stratégie d’assainissement conduite à l’échelle d’une capitale africaine et qui s’est révélée faisable et toujours durable après plusieurs années de mise en application. En quoi le PSAO est-il une innovation majeure ?

La grande majorité des plans directeurs d’assainissement produits pour les villes africaines ne dépasse pas le stade des études, d’abord en raison de leur infaisabilité financière.

L’originalité du PSAO n’est pas seulement d’avoir centré ses propositions techniques sur des technologies

adaptées aux possibilités financières des ménages, elle est surtout d’avoir trouvé des mécanismes opérationnels et financiers qui permettent d’équiper effectivement et progressivement la majorité des ménages à l’échelle d’une ville entière.

Les méthodes et les résultats du Plan stratégique d’assainissement de Ouagadougou sont abordés dans le paragraphe ci-après § 3.5. « Vers la couverture totale de la population urbaine en assainissement : un marché économique de biens et services à identifier, construire et structurer ».

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3.2. Financement de l’accès à l’assainissement

A court terme, l’accès des populations urbaines africaines à l’assainissement passera à plus de 90 % par des systèmes autonomes. Des enquêtes socio-anthropologiques et technico-économiques montrent que ces populations appréhendent aisément le lien direct entre assainissement et amélioration de leur cadre de vie à partir d’un discours « marketing » plus centré sur le confort et les relations de voisinage que sur les risques sanitaires.

 

Comportements, besoins et capacités des habitants en matière d’assainissement

Après avoir longtemps consacré leurs efforts à définir et améliorer les multiples formes d’accès à l’assainissement (en travaillant sur l’offre d’équipement), les experts du domaine se sont rendus compte que la diffusion de ce service et le développement de ce marché ne pourraient pas progresser sans une meilleure connaissance des besoins et des capacités des habitants (travailler sur la demande) et, avant tout, de leurs pratiques spontanées.

Plusieurs actions ont visé à cerner ces questions qui sont à la base du futur marché des biens et services de l’assainissement, l’une avec une entrée plutôt socio-anthropologique (Shadyc-A04) et l’autre avec une entrée plutôt technico-économique (Cereve-A05a).

 

Motivation des populations

Les projets d’assainissement et les campagnes de sensibilisation associées mettent majoritairement l’accent sur un discours hygiéniste (Ceda-D03). Il n’est pas certain que ce soit la méthode la plus efficace et la plus pragmatique pour arriver aux fins souhaitées.

La recherche Shadyc-A04 montre que la honte vis-à-vis du voisinage est un facteur important dans les motivations et les stratégies d’équipement des ménages dans ce secteur. La logique de l’argument économique est ici renforcée par un autre argument, socioculturel, moins immédiatement perceptible bien que très structurant des motivations : « Les gens sont attentifs à ne montrer de leurs propres déchets que ce qui est montrable. C’est moins une logique d’hygiène (la crainte de la pollution ou de la contamination) qu’une logique sociale (la réputation d’honneur) ou morale (la honte) qui commande les motivations et les stratégies d’acteurs ».

En rapprochant ces résultats des critiques émises dans la recherche Ceda-D03 sur les campagnes de sensibilisation sanitaire, le programme donne des pistes concrètes pour élaborer un nouveau type de communication dans les politiques d’assainissement. Mais cela nécessite avant tout un changement d’attitude chez les initiateurs de ces campagnes (cf. § 4.1. Savoir se remettre en question et changer d’attitude).

 

Capacité à payer des ménages

A partir d’analyses statistiques technico-économiques sur les comportements, pratiques et attentes des habitants vis-à-vis des prestations souhaitées ainsi que sur les formes possibles de leur mobilisation financière, la recherche Cereve-A05a a révélé le potentiel d’une véritable approche « marketing » du maillon amont de l’accès à l’assainissement, démarche qui paraît désormais incontournable pour les futurs programmes de développement massif de l’assainissement.

Cette recherche sur la demande et le « consentement à payer » révèle l’ampleur des besoins et des capacités des populations à financer l’amélioration de leur assainissement. Elle montre aussi que, autant l’insuffisance et le manque d’organisation de l’offre ont plutôt eu tendance à freiner ce mouvement d’amélioration, autant l’assistance technique et financière des pouvoirs publics aura tendance à l’accélérer.

Une de ses conclusions est rassurante : « Le consentement à payer moyen cumulé des ménages résidant sur une parcelle multi-familiale est en moyenne suffisant pour assumer le coût réel de chacune des options d’amélioration, hors subvention ».

Ceci est aussi la grande leçon à tirer du succès récurrent du Plan Stratégique d’Assainissement de Ouagadougou qui a su susciter massivement l’amélioration de l’assainissement, sur des dizaines de milliers de parcelles chaque année depuis plus d’une décennie.

Avec l’instauration de la redevance assainissement sur la facture d’eau potable et l’utilisation maîtrisée du produit de cette redevance pour réaliser les plans stratégiques municipaux d’assainissement, en complément de l’effort direct des populations qui représente les trois quarts de l’investissement financier, le Burkina Faso démontre depuis plus de dix ans qu’il est possible de financer progressivement l’ensemble du maillon amont de l’assainissement sans intervention internationale.

Dans les situations de grande précarité ou d’extrême densité de l’habitat, les systèmes semi-collectifs d’assainissement autonome permettent d’envisager des formes collectives de financement de l’investissement ainsi que de l’entretien, à la manière d’un « assainissement en copropriété ».

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3.3. Financement de l’évacuation hors des quartiers

Quand l’accès à l’assainissement se fait à plus de 90 % par des systèmes autonomes, la question du financement de l’évacuation hors des quartiers se ramène grossièrement au financement de l’enlèvement des boues de vidange. On constate que, sous l’effet conjugué de la densité de l’habitat et de l’amélioration progressive du bâti, de plus en plus de familles, même les plus pauvres, ont maintenant recours aux vidangeurs privés.

La recherche Cereve-A05a a montré l’existence d’un seuil de dépense supportable en matière de charges domestiques récurrentes liées à l’assainissement (vidange des fosses essentiellement), estimé à 1 % des revenus (la dépense pour l’eau potable est estimée de 5 à 10 fois supérieure). Ceci explique le marché de la vidange mécanique d’un million d’euros par an par tranche d’un million d’habitants, évoqué ci-dessus, qui est directement financé par les habitants, sans intervention ni incitation publique.

L’ampleur de ce marché et ses fortes perspectives de croissance expliquent aussi que, là où son développement a démarré, le secteur privé prend le risque d’investir dans le matériel nécessaire.

La question est plus complexe dans le cas de l’évacuation par réseau d’égouts. Là encore, il convient de distinguer le cas des mini-réseaux et des tronçons tertiaires, du cas des tronçons primaires et secondaires d’égouts. Dans le premier cas, l’identification aisée des bénéficiaires directs facilite le montage de cofinancements impliquant ces bénéficiaires à divers niveaux négociables.

Reste le sort des tronçons primaires et secondaires du réseau collectif. Pour ces infrastructures lourdes et coûteuses, notons que leur nécessité est généralement liée à l’image politique de la ville : aussi leur financement peut-il se négocier dans des arènes politiques autres que celles de la simple gestion urbaine. Rappelons cependant que ce réseau collectif municipal n’assainira généralement qu’une faible partie de la population, et plutôt des quartiers administratifs ou industriels.

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3.4. Financement du traitement des produits de l’assainissement

La recherche Hydroconseil-A01 signale que, quand des sites de dépotage leur sont proposés, les entreprises de vidange mécanique ne semblent pour l’instant réticentes ni à l’éloignement ni au coût demandé pour utiliser ces sites. Elles sembleraient avant tout satisfaites qu’un site adéquat leur soit proposé, ce qui est encore trop rare. Notons à nouveau ici la bonne surprise relatée par cette recherche, avec le cas du lagunage payant des boues de vidange construit et géré par la société privée Sibeau à Cotonou qui, bien qu’insuffisant, se révèle rentable.

Etant donné leur faible nombre en Afrique et surtout leur durabilité hypothétique, les stations de traitement, que ce soit des eaux d’égouts ou des boues de vidange, restent encore du domaine du cas particulier, aussi bien sur les plans technique que financier. C’est pourquoi il serait judicieux que les fonds d’aide internationale consacrés à l’assainissement soient prioritairement orientés vers ce maillon ingrat dont l’utilité est difficilement perçue par les habitants et les responsables locaux.

 

L’utopie financière de la valorisation des eaux usées et des produits du traitement

Des expérimentations abordent régulièrement le sujet de la valorisation des eaux usées et concluent toujours à sa faisabilité technique maîtrisable et à sa viabilité économique hypothétique. C’est le cas de deux actions du programme : l’action Iwmi-A09 avec l’expérimentation du co-compostage des boues de vidange et des déchets solides organiques, et l’action Cereve-A10 avec le recyclage des eaux traitées par lagunage.

Or les pratiques spontanées de valorisation des eaux usées ou des boues de vidange par les populations urbaines sont largement développées (exemple des vastes maraîchages urbains installés à la sortie des collecteurs unitaires de Niamey) et sont des sources clairement identifiées de risques sanitaires majeurs (choléra notamment). Serait-il plus pragmatique, en Afrique subsaharienne, d’œuvrer à améliorer les pratiques de valorisation existantes et d’insérer progressivement des innovations sanitaires modestes au sein des circuits établis, plutôt que de chercher à créer de toutes pièces un marché hypothétique de produits recyclables issus de l’assainissement

Au sujet de la valorisation des déchets, qu’ils soient liquides ou solides, il faut surtout veiller à véhiculer un discours économique crédible, car toutes les expériences montrent qu’il est illusoire d’en espérer un retour économique avant longtemps. S’il est vrai que la valorisation des déchets peut être productive – ce que les pratiques populaires démontrent massivement – il ne faut pas ignorer que cela se fait partout à un coût sanitaire considérable. A l’inverse, les méthodes de valorisation sanitairement acceptables – ou techniques épuratoires des déchets avec valorisation – induisent des coûts importants en visant le double objectif de produire des matériaux sains et sous une forme acceptable par les circuits économiques. Or ces circuits en Afrique subsaharienne ne sont pas encore prêts à payer pour utiliser les matériaux recyclés de l’assainissement.

En conclusion, par intérêt scientifique, les recherches sur la valorisation des eaux usées ou des boues de vidange traitées peuvent être encouragées, mais l’intérêt de valorisation ne doit pas supplanter l’intérêt premier d’un traitement épuratoire efficace et durable des déchets liquides.

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3.5. Vers la couverture totale de la population urbaine en assainissement : un marché économique de biens et services à identifier, construire et structurer

Quand on parle d’un service de base, l’objectif d’une couverture totale de la population urbaine plane dans toutes les stratégies publiques. Dans le domaine de l’assainissement, on perçoit que l’approche par les systèmes autonomes et par les maillons successifs de l’amont vers l’aval donne des clés pour élaborer des planifications visant une couverture totale dans des délais maîtrisables.

L’accès généralisé à l’assainissement peut être atteint quand on propose des niveaux d’accès et de service satisfaisants mais différenciés (individuels, semi-collectifs ou collectifs) selon les caractéristiques physiques du quartier et de l’habitat, et selon les capacités financières des habitants. Dans nombre de capitales, plus encore dans les villes moyennes, l’assainissement accessible aux habitants est parfois à plus de 95 % sous des formes autonomes, et c’est cela qui est à améliorer.

Une telle couverture totale en accès satisfaisants signifie des milliers de systèmes autonomes à construire ou à améliorer. A travers les enquêtes de « consentement à payer » et les campagnes de « marketing social », il a été décelé que la demande est là, qui n’attend que d’être révélée et prise en compte par des offres de prestation ou de service adaptées.

Ainsi, relayant cette demande forte et croissante, une politique municipale volontariste qui viserait la couverture totale de la population urbaine en accès à l’assainissement peut créer un véritable marché économique, qui sera d’autant plus dynamique que le plan d’action de cette politique le structure avec :

– des modèles technologiques standardisés en nombre réduit (cf. § 2.2. Le maillon amont de l’assainissement : les formes autonomes d’accès à l’assainissement, sur la simplification typologique des systèmes autonomes) ;

– des prestataires formés et régulièrement agréés (artisans, promoteurs animateurs, vidangeurs, etc.) ;

– des campagnes de marketing social capables d’écoute véritable vis-à-vis des habitants (sur la motivation des habitants cf. § 3.2. Financement de l’accès à l’assainissement) ;

– et des propositions de facilités financières aux habitants.

C’est ce qu’expérimente le Burkina Faso avec ses plans stratégiques d’assainissement, où par exemple la couverture totale de Bobo Dioulasso est envisagée en une quinzaine d’années (cf. encadré ci-contre).

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3.6. Le financement global et pérenne des services d’assainissement : un des objectifs de la planification stratégique concertée du secteur

L’analyse financière par maillons montre que les mécanismes du marché économique peuvent apporter des solutions pour nombre de services liés à l’assainissement et que les politiques publiques peuvent clarifier et impulser ce marché.

En détaillant les différentes formes de demande pour un assainissement urbain performant (demande d’accès à l’assainissement, demande d’installations individuelles, demande de vidange des installations, demande de protection contre les pollutions hydriques, etc.) et en mettant en regard les différentes origines des demandes (habitants, municipalités, activités économiques, communauté internationale), ainsi que leurs capacités financières respectives, les politiques publiques peuvent drainer et conjuguer diverses sources et niveaux de financement selon les maillons.

Néanmoins, au-delà du montage financier de chaque maillon, il ne faut pas perdre de vue que :

– l’objectif reste le financement global et pérenne de l’ensemble des trois maillons de l’assainissement et ce, pour les populations urbaines de l’ensemble du territoire municipal ;

– ce sont les services à rendre, de façon pérenne, qui doivent être financés, au-delà du simple financement d’installations sanitaires ou d’infrastructures collectives d’assainissement.

Le montage financier de certains maillons (surtout le maillon amont et celui de la vidange mécanique) est plus aisé que pour d’autres (celui de l’évacuation par réseau d’égouts, et surtout le maillon aval), parce que les services associés à ces premiers maillons sont plus explicites pour les usagers. Garantes de la vision globale sur l’ensemble du territoire urbain, les politiques municipales peuvent favoriser une certaine péréquation dans le financement des différents maillons. Par exemple, les entreprises de vidange peuvent être incitées à payer pour le traitement des vidanges, en répercutant le surcoût dans leurs prix aux populations.

Au titre de l’hygiène urbaine et de la lutte contre la pauvreté, ainsi qu’au titre de l’environnement urbain et la lutte contre les pollutions, le secteur de l’assainissement en Afrique draine diverses formes d’aides internationales. Ces aides auront un effet de levier d’autant meilleur qu’elles seront intégrées dans une planification stratégique concertée du secteur, en synergie avec les efforts financiers locaux révélés par un marché économique dynamique des biens et services de l’assainissement.

Ces aides pourront être focalisées sur les maillons les plus difficiles à financer localement, comme les installations de traitement des eaux usées et des boues de vidange. On voit alors que cette focalisation de l’aide extérieure sur le maillon aval de l’assainissement n’a de sens que si les maillons précédents sont d’abord financés correctement et selon des mécanismes pérennes.

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4. Des acteurs à coordonner pour le développement massif de l’assainissement : quel ancrage institutionnel choisir ?

Les difficultés des politiques passées et actuelles d’assainissement sont en partie la conséquence de l’insuffisance ou l’incapacité des promoteurs et professionnels de l’assainissement en Afrique – entendus au sens le plus large, c’est-à-dire locaux aussi bien qu’internationaux – à innover à la vitesse de la croissance des villes africaines et de leurs quartiers irréguliers.

S’inscrire dans l’histoire de l’urbanisation accélérée de l’Afrique permet d’insister sur le fait que les progrès en assainissement ne viendront pas d’une simple extrapolation de ce qui se fait actuellement, mais d’un changement complet d’approches et de perspectives.

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4.1. Savoir se remettre en question et changer d’attitude

Plusieurs actions du programme (Ceda-D03, Shadyc-A04, IRD-D08) montrent qu’à travers leurs critiques des comportements des habitants et les messages qu’ils tentent de faire passer avec leurs programmes de sensibilisation, les responsables politiques et surtout techniques sont en complet décalage avec les populations.

 

Ignorance mutuelle (qui est ignorant ?) et ampleur du décalage

La recherche Ceda-D03 montre qu’un des principaux freins aux changements de comportement est « l’ignorance » des populations sur les bonnes pratiques d’hygiène et sur les relations entre hygiène et santé, mais que si cette « ignorance » est réelle, celle des techniciens est tout aussi réelle par rapport aux pratiques quotidiennes des populations en matière d’hygiène. La vision des uns et des autres, du milieu, des pratiques d’hygiène et des problèmes qui en découlent sont assez éloignées l’une de l’autre. Le technicien considère les populations comme ignorantes ; mais de leur cité, les populations considèrent souvent que le technicien aussi est ignorant et parfois dominant.

Plus frappant, cette recherche montre que : « Ni l’un ni l’autre groupe n’ont réellement conscience de ce décalage. Les techniciens et les décideurs ont tendance à avoir un discours dirigiste, technocrate pour les uns, plus administratif et politique pour les autres, sans se poser la question de savoir si les populations les comprennent. Par contre, les populations, elles, agissent en fonction de déterminants qui relèvent en même temps des contraintes et opportunités culturelles, sociales et économiques, le plus souvent dans un contexte de pauvreté très répandue, situation que les techniciens et les décideurs ne comprennent pas toujours. Par exemple, les techniciens parlent d’IEC (information - éducation - communication) et de la nécessité de ‘’faire passer le message’’ aux populations. Mais dans les faits, l’information n’est pas nécessairement comprise et, au total, il n’y a pas forcément éducation ou communication. Par contre, les populations, quand elles peuvent s’exprimer, parlent de services, de moyens et de manière de vivre, sans être forcément comprises non plus ».

 

Changer d’attitude afin de pouvoir conduire des politiques centrées sur l’accès à l’assainissement

Ayant détecté la nécessité de changer l’attitude des intervenants du domaine sanitaire, la recherche Ceda- D03 a expérimenté de nouvelles formes de programmes d’IEC, où l’on commence par enseigner aux animateurs à se mettre en position d’écoute et à apprendre des habitants, à mieux comprendre l’ « Autre » dans le rapport de cet Autre au voisinage et à la saleté urbaine et dans son apprentissage de l’ « urbanité », de façon à trouver les clés d’un travail concerté avec lui en vue de son meilleur accès à l’assainissement.

Les « penseurs » de l’assainissement – opérateurs autant que chercheurs – ont tendance à se focaliser sur les sujets « à la mode » plutôt que d’observer les problèmes réels du terrain et de chercher à y répondre avec pragmatisme. Les recherches et actions pilotes du programme illustrent bien ce phénomène, autant à travers le propre positionnement intellectuel des équipes engagées qu’à travers les attitudes de responsables de toute nature que ces équipes relatent dans leurs travaux, par exemple l’attitude vis-à-vis du lagunage ou de la maintenance.

Le paysage de l’assainissement en Afrique est en train de changer considérablement. Or ces changements, notamment dans le service offert aux populations, ne viennent pas toujours d’une avancée technologique ni d’une volonté stratégique des pouvoirs publics. Le rôle actuellement joué par le secteur privé dans la gestion des vidanges l’illustre bien.

Pour répondre aux défis africains de l’innovation en assainissement, les experts du secteur auront à se remettre radicalement en question. Tout le monde est concerné par cette injonction : techniciens, financiers, professionnels de la santé et de l’urbanisme, au Nord comme au Sud.

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4.2. L’importance de l’initiative privée et de la structuration des dynamiques privées

Avec des politiques d’assainissement recentrées sur le développement des solutions autonomes, le service urbain de l’assainissement se déploiera avec la croissance du marché économique associé. La vigueur et la multiplication des initiatives du secteur privé sont les clés de ce marché où la demande dépasse l’offre pour l’instant et où la couverture totale est encore un mirage.

En veillant à ne pas se substituer aux dynamiques privées, les politiques publiques peuvent jouer un rôle d’accélérateur dans une complémentarité bien comprise. Le Plan stratégique d’assainissement « à la Burkinabè » en est un exemple. Une stratégie municipale de gestion des vidanges en est un autre exemple, où le secteur privé peut être structuré et dynamisé par la création d’une association des entreprises de vidange.

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4.3. L’action concertée en assainissement et sa planification stratégique

Venant après des décennies de politiques publiques dirigistes, en décalage avec les pratiques des populations laissées à elles-mêmes, les nouvelles politiques font l’éloge de l’action concertée entre les différents types d’intervenants, l’originalité de chaque expérience urbaine étant dans le degré d’ouverture de la concertation ou dans sa pérennisation.

En impliquant tous les intervenants – et parfois des représentants des habitants – dans le diagnostic des difficultés puis dans la recherche de solutions, la « planification concertée » se révèle un outil de pédagogie et d’adhésion rapide accélérant la mise en œuvre, pour les raisons suivantes :

– la présence des pouvoirs publics dans la décision collective facilite la levée des blocages administratifs ;

– rassuré par un cadre clair, le secteur privé peut déployer ses efforts et prendre des risques d’innovation pour proposer des biens et des prestations de service aux habitants ;

– les habitants bénéficient d’une arène où exprimer leurs doléances puis, de façon plus constructive, leurs attentes et leurs capacités contributives ;

– l’adhésion de tous les acteurs à une même vision globale à long terme incite les aides extérieures à s’investir aux côtés des efforts financiers locaux.

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4.4. La question fondamentale de l’ancrage institutionnel de l’assainissement et de son positionnement par rapport aux autorités municipales

Les récits des actions ENSP-A08 sur Yaoundé et CrepaCI-A02 sur Bouaké ont montré l’impact désastreux d’un mauvais ancrage institutionnel des réseaux d’égouts sur leur fonctionnement et leur pérennité. A l’inverse, l’action Moshi-A05b a décortiqué le contexte institutionnel d’une politique actuelle d’extension du réseau (cf. § 2.3. Le maillon intermédiaire : l’évacuation hors des quartiers).

L’ancrage institutionnel de la mise en œuvre d’une politique d’assainissement est fondamental pour sa pérennité. Les textes de la décentralisation attribuent généralement la responsabilité de l’assainissement aux municipalités. Pourtant, les expériences les plus avancées mettent en avant le rôle moteur d’une institution autre, dédiée à l’assainissement, à laquelle la municipalité délègue sa responsabilité. C’est le cas de l’Onea – Office national de l’eau et de l’assainissement – au Burkina Faso, qui a été le pilier de l’émergence puis de la réalisation des Plans stratégiques d’assainissement. C’est également le cas du Moshi Urban Water and Sewerage Authority. Ces deux expériences, par l’ampleur de leur réussite mais également les limites actuelles de leur action par rapport à la question globale de l’assainissement, méritent un détour.

 

Un chef d’orchestre au positionnement national

La recherche Shadyc-A04 donne une analyse intéressante des relations actuelles, relativement conflictuelles, entre l’Onea et les autorités municipales. Institution parapublique nationale, l’Onea conduit depuis plus d’une décennie, et en dehors de toute dynamique municipale, une politique remarquablement réussie de développement du maillon amont de l’assainissement, aboutissant à une large diffusion de systèmes autonomes améliorés, ce qui est un tour de force de la part d’un organisme issu de l’approche « eau potable ». Cet office s’attaque aujourd’hui à la construction des premiers réseaux d’égouts et des premiers lagunages d’envergure au Burkina Faso. On notera qu’il s’est peu intéressé à la question des vidanges.

Fort de son antériorité, de ses réussites sur le terrain et de son autonomie financière, il apparaît aujourd’hui comme un acteur en position dominante dans le domaine de l’assainissement, ce qui ne facilite pas l’implication des autres intervenants locaux – dont les autorités municipales – dans les politiques globales de l’assainissement à l’échelle de chaque ville.

 

Un chef d’orchestre au positionnement municipal

La recherche Moshi-A05b présente l’expérience tout à fait originale de la Tanzanie, qui a mis en place 18 institutions municipales du type de la MUWSA de Moshi, dont les particularités sont :

– son espace de compétence est la ville mais sa tutelle (et le contrôle) est au Ministère ;

– elle dispose de la personnalité juridique et de l’autonomie financière, autonomie contrôlée a posteriori selon un mécanisme novateur et précis d’évaluation des performances ;

– elle gère les réseaux d’eau et d’assainissement ;

– elle est administrée par un Bureau comprenant l’Etat (2 représentants), la Municipalité (2), la société civile (5 représentants) et le directeur de l’Autorité.

 

Ainsi, le jeu d’acteurs locaux est régulé selon des règles pragmatiques, à travers une institution :

– qui œuvre sur l’ensemble du champ urbain sans être soumise aux notables municipaux ;

– qui compose avec l’Etat, la Municipalité et la société civile (5 représentants sur un total de 10, issus : 1 du secteur commercial, 2 des consommateurs et 2 des associations de femmes) ;

– qui a des prérogatives importantes d’autonomie financière, parmi lesquelles le choix de la politique tarifaire concernant les consommations et les raccordements au réseau ;

– et qui est contrôlée suivant un mécanisme rigoureux d’indicateurs de performance dont la plus grande force et originalité est de pouvoir remettre en question en permanence le niveau d’autonomie financière (« une autonomie qui se mérite »).

Comme rien n’est parfait, le point faible de cette institution est que l’assainissement autonome sort de ses compétences, en restant dans l’orbite de la Municipalité. Ceci explique que, si le mécanisme d’extension et de maintenance du réseau d’égouts semble au point, rien n’est fait pour améliorer l’assainissement autonome qui est pourtant la seule solution à la portée de la grande majorité de la population. En effet, comme ailleurs, la Municipalité n’est pas en mesure d’assumer sa responsabilité directe en matière d’assainissement et n’a engagé aucune action tangible.

Cependant, on notera que rien n’empêche la Municipalité de déléguer à terme l’ensemble de sa responsabilité en assainissement à cette institution et que rien n’empêche alors de voir se développer au sein de celleci un savoir-faire semblable à celui de l’Onea. La Tanzanie aurait ainsi réussi à construire un outil institutionnel, municipal et autonome, technique et financier, capable de conduire une politique complète d’assainissement urbain.

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5. Conclusion

5.1. L’assainissement, un service de base mal identifié par les autorités municipales

L’assainissement est un service de base difficilement perçu en tant que tel par les populations et les responsables municipaux. En effet, il se fond dans une préoccupation plus large d’amélioration des conditions de vie urbaine, ou d’environnement urbain, ou encore de lutte contre les pollutions diverses et les désagréments urbains, parmi lesquels les habitants et les responsables intègrent la lutte contre les inondations (ou assainissement pluvial) et l’évacuation des déchets solides.

Le but fondamental de l’assainissement est de maîtriser le cheminement des eaux usées, des excreta et autres déchets liquides produits par les activités humaines, domestiques et économiques, afin que les pollutions bactériologiques et physico-chimiques qu’elles contiennent ne propagent pas de risques d’infection pour la santé humaine et de dégradation pour le milieu physique. Pour cela, l’assainissement urbain met en œuvre des parades techniques spécifiques, différentes de celles de l’assainissement pluvial et de l’évacuation des déchets solides. Il est impératif d’en avoir une compréhension claire.

Le plus souvent, l’assainissement urbain est de la responsabilité des autorités municipales, et plus particulièrement, de celles en charge de l’hygiène et de la santé publique. Or on constate partout que ce positionnement institutionnel ne favorise pas le développement de programmes à grande échelle, en raison de mobilisations financières et de savoir-faire novateurs insuffisants dans ces services.

C’est par l’association avec la politique locale de l’eau potable que l’assainissement urbain se construit une identité visible, à la fois techniquement et financièrement, parce que les déchets liquides sont directement liés à la consommation d’eau. Ce qui l’illustre le mieux est l’instauration possible d’une redevance Assainissement assise sur la facture d’eau au titre du principe pollueur-payeur. Pourtant, cette association a souvent son revers car parler d’assainissement en même temps que d’eau potable conduit facilement à penser en termes de « réseau », le fameux réseau d’égouts inadapté dans la grande majorité des quartiers africains.

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5.2. Stratégies pour le développement massif de l’assainissement : gestion municipale ou gestion à l’échelle municipale ?

Toutes les difficultés de l’assainissement urbain en Afrique subsaharienne sont réunies là :

– une demande d’équipement sanitaire des habitants en forte croissance mais mal identifiée, pouvant mobiliser des capacités financières associées à l’amélioration de l’habitat qui ne demandent qu’à être correctement captées par une offre judicieuse et imaginative ;

– un marché économique de biens et services d’assainissement, en pleine évolution grâce au dynamisme du secteur privé, mais que les experts du domaine et les pouvoirs publics ont du mal à percevoir, donc à favoriser ;

– un accrochage avec la politique locale de l’eau, qui en fait généralement le parent pauvre et en restreint les ouvertures technologiques, mais qui peut aussi – encore trop rarement – en être le fer de lance opérationnel ;

– et, au final, en tant que service urbain de base, une absorption préjudiciable dans des préoccupations municipales trop vastes et trop confuses de gestion de l’environnement urbain (lutte contre les pollutions et les risques urbains divers).

Seule une stratégie conçue à l’échelle municipale peut être globale, avec l’approche selon les maillons successifs : amont (accès à l’assainissement), intermédiaire (évacuation des résidus hors des quartiers) et aval (traitement des pollutions). Seule cette dimension peut mobiliser tous les acteurs de la ville (secteur public, secteur privé, populations et activités économiques).

Pourtant, nulle part, les autorités municipales ne se sont révélées suffisamment motivées et outillées pour conduire une action concertée, globale et pérenne dans le domaine de l’assainissement urbain.

D’autre part, du point de vue stratégique, nous insistons sur le fait que seul l’accrochage avec la politique de l’eau, et l’institution qui la conduit localement, peut lui donner les outils financiers complémentaires et indispensables (avec la redevance assainissement prélevée sur la facture de l’eau selon le principe pollueur – payeur désormais connu et accepté) et, surtout, une dynamique opérationnelle tangible et solide.

Une clé pragmatique pour débloquer la question centrale du positionnement institutionnel de l’assainissement urbain – et ainsi débloquer les freins multiples au développement massif de ce service urbain de base – pourrait- elle être la mise en place d’une gestion conduite à l’échelle municipale mais par une entité autonome étroitement liée à la politique locale de l’eau et sous tutelle municipale ?

Une expérience serait à conduire dans ce sens, en tirant profit des enseignements du Burkina Faso et de la Tanzanie, comme cela est esquissé juste avant la conclusion de cette synthèse.

 

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Études citées dans cette synthèse

Hydroconseil-A01. Les entreprises de vidange mécanique des systèmes d’assainissement autonome dans les grandes villes africaines (Mauritanie, Burkina Faso, Sénégal, Bénin, Tanzanie, Ouganda)

CrepaCI-A02. Stratégie de gestion des boues de vidange issues des fosses septiques des latrines dans une ville de plus de 500 000 habitants (Bouaké, Côte d’Ivoire)

Lasdel-A03. La question des déchets et de l’assainissement dans deux villes moyennes (Niger)

Shadyc-A04. Une anthropologie politique de la fange : conceptions culturelles, pratiques sociales et enjeux institutionnels de la propreté urbaine (Burkina Faso)

Cereve-A05a. Gestion domestique des eaux usées et des excreta : étude des pratiques et comportements, des fonctions de demande, de leur mesure en situation contingente et de leur opérationnalisation (Guinée, Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Niger, Tanzanie)

Moshi-A05b (Université de Dar es Salam / Université de Pau et des pays de l’Adour). L’amélioration des services d’assainissement de la ville de Moshi. Analyse de la demande et régulation du secteur (Tanzanie)

Trend-A06. Le potentiel d’utilisation de réacteurs anaérobies de type UASB pour le traitement des boues fécales (Ghana)

Gret-A07. Planification concertée pour la gestion des excreta (Mauritanie, Éthiopie)

ENSP-A08. Gestion et valorisation des eaux usées dans les zones d’habitat planifié et leurs périphéries (Cameroun, Tchad)

Iwmi-A09. Co-compostage des boues de vidange et des déchets organiques pour l’agriculture urbaine et périurbaine : un projet pilote à Kumasi (Ghana)

Cereve-A10. Valorisation des eaux usées par lagunage dans les pays en développement (Niger, Cuba, Burkina Faso, Sénégal, Ghana, Côte d’Ivoire, Cameroun)

Ceda-D03. Recherche d’espaces pour le dialogue, la prise de conscience et l’organisation en vue de l’action dans la commune urbaine (Bénin)

IRD-D08. Gestion des déchets et aide à la décision municipale : Municipalité de Mopti et Circonscription Urbaine de Porto Novo (Mali, Bénin)  

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