Thème
spécifique eaux
usées et excreta - 4 :
Gestion
domestique de l’assainissement : pratiques, attitudes, comportements et
demande
Problématique
La nécessité de ne plus
fonder la planification et la gestion des services d’assainissement sur une
approche techniciste découlant d’une logique d’offre de services, mais de
s’efforcer plutôt de répondre à une demande, est de plus en plus largement
reconnue par les spécialistes du secteur.
Cependant, une approche par la demande présente des limites et se heurte à
plusieurs obstacles, d’ordre méthodologique principalement.
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Une recherche récente
pose la question de la compatibilité d’une approche fondée sur la demande
avec la recherche de l’innovation, d’une part, et avec le problème des
externalités, d’autre part.
Consultés sur les améliorations
qu’ils souhaiteraient voir apporter à l’assainissement de leur habitat, et
pour lesquelles ils consentiraient à payer, les ménages ne peuvent en effet répondre
qu’en référence à ce qu’ils connaissent. Or, l’information fait défaut.
Il en découle un risque que les projets fondés exclusivement sur la demande
n’aient qu’une faible capacité novatrice.
De surcroît, la pauvreté et
l’urgence des problèmes que ces mêmes ménages doivent résoudre dans leur
environnement immédiat et dégradé les rendent peu aptes à exprimer une
demande qui intégrerait des préoccupations environnementales ou sociales plus
larges que celles qui les concernent très directement. Les coûts externes
d’un assainissement inadéquat demeurent ainsi non révélés par leurs
demandes individuelles.
Un certain nombre d’acteurs
vont plus loin et insistent sur le manque de demande pour des services publics
d’assainissement. Le problème est-il celui de l’absence totale de demande,
ou bien les programmes n’offrent-ils pas les bons “ produits ”,
auquel cas, les intéressés n’imaginent même pas que le service public
puisse être porteur de solutions répondant à leurs attentes et besoins ?
Remarquons que le terme de
demande doit être ici compris dans son acception la plus large. Il s’agit non
seulement de la demande concernant ce qui relève
a priori du secteur public (raccordement aux égouts par exemple)
mais aussi de celle qui, dans la plupart des villes, est actuellement satisfaite
par le secteur privé, via
l’assainissement autonome, et notamment par une multitude de petits
entrepreneurs du secteur informel qui construisent les fosses, les latrines ou
les puits perdus, ainsi que par ceux qui les vidangent.
Enfin, soulignons que le développement
d’un service public d’assainissement est nécessairement confronté, de
prime abord, à la connaissance des segments de population qui relèveraient
a
priori de chacune des deux formes possibles du service : autonome ou
collectif.
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En lien avec cette préoccupation de mieux comprendre la demande
(ou les demandes), les opérateurs du secteur formulent le souhait de voir émerger
des outils et des méthodes d’évaluation de la demande qui soient plus
efficaces, plus simples et moins coûteux que les enquêtes traditionnelles de
consentement à payer.
Ces dernières ont
d’ailleurs jusqu’à présent été davantage utilisées pour évaluer la
demande en services d’approvisionnement en eau que pour celle concernant
l’assainissement. À la lumière des enquêtes menées au Burkina Faso par
l’ONEA,
elles mériteraient d’être adaptées pour gagner en efficacité opérationnelle.
Par ailleurs, la récente
mutation des approches de la planification, désormais de plus en plus souvent
multisectorielles et orientées vers la recherche d’une stratégie globale
d’amélioration de l’environnement urbain,
pose la question de la mesure de la demande simultanée pour diverses améliorations
du cadre de vie des populations.
Attentes
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Il paraît ainsi du plus haut intérêt d’étudier ce qui détermine
les différentes pratiques individuelles d’assainissement autonome, les
comportements et les attitudes des individus vis-à-vis de l’assainissement de
leur habitat et, plus généralement, comment se segmente la demande des
populations pour un assainissement amélioré.
Le statut foncier, la densité
d’habitation, l’espace disponible sur la parcelle, les modes
d’approvisionnement en eau utilisés, la capacité d’infiltration du sol et
les modes d’épargne et de financement possibles, sont autant de variables
susceptibles d’avoir une influence sur la demande en assainissement. Quels
sont leurs effets respectifs et comment ces effets se hiérarchisent-ils ?
Y en a-t-il d’autres ?
Fondées sur des études de
cas, de telles explorations du comportement auraient avant tout une vocation
explicative mais devraient avoir pour objectif final de parvenir à une modélisation
utilisable à des fins prédictives. En particulier pour l’assainissement des
eaux usées des quartiers, il serait intéressant de voir si on peut arriver à
définir un seuil de densité d’occupation à partir duquel la demande pour un
assainissement collectif devient suffisamment forte pour justifier cette
solution.
Précisons aussi qu’il y a,
a priori, autant de fonctions pour
lesquelles la demande est à étudier que de composantes possibles du service.
Ces composantes ne se limitent pas aux dispositifs d’assainissement à la
parcelle (parmi lesquelles on peut déjà distinguer les techniques
d’assainissement des excreta, les techniques d’assainissement des eaux usées
ménagères et celles qui ne sont spécifiques ni à l’assainissement des eaux
usées ni à celui des excreta).
La demande pour le service de
vidange des fosses a beaucoup moins retenu l’attention des opérateurs et
devrait également être étudiée.
Parmi les recherches à mener
sur la demande, une place toute particulière devra être prévue pour l’étude
anthropologique des représentations de l’assainissement. En effet, une
des explications avancées de façon récurrente pour expliquer la faible
priorité accordée à ce secteur, tant par les ménages eux-mêmes que par les
pouvoirs publics (relativement à la place donnée à l’alimentation en eau
par exemple), tient à la façon dont l’assainissement serait perçu, ce qui
renvoie aux notions de “ propre ” et de “ sale ” et
aux tabous même dont les excreta sont parfois l’objet.
Il est notamment attendu une
analyse précise des conceptions symboliques en matière d’assainissement, de
populations confrontées à l’agglomération et aux contraintes de la densité,
mais encore (ou non) imprégnées par les traditions de leur origine rurale.
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En ce qui concerne les outils d’évaluation de la demande,
des recherche pourraient s’attacher à répondre à la question de savoir si
les outils actuels peuvent être exploités de façon à fournir des éléments
utilisables à des fins de planification, et si oui, comment. Un détour par
l’exploration des techniques d’évaluation contingente, issues
principalement du marketing mais aussi de l’économie de l’environnement,
pourrait non seulement apporter des éléments de réponse, mais aussi fournir
d’autres outils d’aide à la planification. Dans quelle mesure les méthodes
de “ focus groups ”, d’analyse des préférences, des prix hédonistes,
etc. peuvent-elles fournir des solutions exploitables en l’objet ?
On peut aussi se demander si
ces enquêtes peuvent encore être fiables lorsque l’on tente de mesurer
simultanément le consentement à payer des ménages pour l’amélioration de
plusieurs services, tels que l’assainissement des excreta, celui des eaux usées
ménagères, celui des ordures ménagères et celui des eaux pluviales ?
Dans ce dernier cas notamment, comment peut-on s’assurer qu’il y a
compatibilité entre la volonté et la capacité de payer ?
Ce qui renvoie à une autre
voie possible de recherches sur la demande, qui consisterait à rechercher la
place que tiennent les différentes sources de gêne (eaux usées, excreta)
parmi les nombreuses sources de préoccupation des ménages, c'est-à-dire à hiérarchiser
la place de l’assainissement parmi les améliorations que les ménages
souhaitent voir apporter à leur cadre de vie (habitat, accès, transport,
etc.).
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Se pose également la question de la place de ces enquêtes
dans le processus de planification, notamment lorsque l’on cherche à
stimuler une demande insuffisante par un projet de démonstration, préalablement
au projet “ en vraie grandeur ”. Doit-on répéter ces enquêtes
coûteuses sur l’ensemble de la ville avant et après la mise en œuvre du
projet ou bien sur les seuls quartiers retenus pour la phase de démonstration ?
Les réserver à la phase d’évaluation du projet-pilote avant réplication ?
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En outre, les réserves formulées à l’encontre de l’approche
par la demande sont suffisamment sérieuses pour adresser à la recherche
quelques interrogations-clé :
- Comment concilier le souci de répondre à la demande des
populations et la place de l’innovation technique dans les projets
d’assainissement ?
- Quel peut être l’impact démonstratif d’opérations pilotes
sur la formation de la demande ? Les surcoûts liés à ces opérations
peuvent-ils être justifiés par le surcroît de demande induite ?
- Dans la phase de planification de ces services, le coût des externalités
serait-il à ce point supérieur à la somme des bénéfices individuels que
l’on pourrait se dispenser d’une évaluation de ces derniers pour la
justification économique des projets ?
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