retour imprimer © Lettre du pS-Eau 52 de Oct 2006

Des «puits ouverts» pour lutter contre la pollution naturelle de l'eau par l'arsenic


(photo: CFS GK-Savar)

Comment renforcer l'accès à l'eau potable dans des zones rurales confrontées à des problème de contamination de la ressource en eau ? Diagnostic et rappel des pistes de solution à partir de l'expérience de l'ong locale GK-Savar, soutenue par le Comité français de soutien (CFS).

Le Bangladesh, bordé par le golfe du Bengale et traversé par deux grands fleuves, le Gange et le Brahmapoutre, est un pays de mousson où les problèmes liés à l'eau sont paradoxalement aigüs : inondations souvent catastrophiques aggravées par les cyclones, approvisionnement difficile en saison sèche, mauvaise qualité bactériologique des eaux de surface, insuffisances des réseaux de distribution et d'assainissement en milieu urbain, etc. Depuis une quinzaine d'années, un nouveau problème est apparu : la contamination de nombreux puits par l'arsenic.
C'est en voulant protéger la population des maladies diarrhéiques graves causées par l'utilisation des eaux des rivières et des étangs que l'Unicef a fait forer depuis 1972 plus de 3 millions de puits tubés avec pompe à main. Le gouvernement et les particuliers ont installé de leur côté 5 ou 6 millions d'autres pompes à main. On s'est cependant rendu compte, à partir de 1988 en Inde et un peu plus tard au Bangladesh, que l'eau de beaucoup de ces puits tubés contenait des taux d'arsenic pouvant atteindre 50 mg/litre et plus, donc bien supérieurs au taux maximal admissible, de 0,01 mg/litre, recommandé par Organisation mondiale de la santé (OMS) et même au taux de 0,05 mg/l, limite acceptée par les autorités sanitaires du Bangladesh.


Des milliers de personnes contaminées
L'origine de cette contamination a fait l'objet de diverses hypothèses, mais il est désormais admis qu'elle est liée à la présence d'arsenic dans certaines couches géologiques d'alluvions provenant des massifs himalayens alimentant les nappes profondes (jusqu'à 150 m) exploitées par les puits tubés.
Selon diverses sources, près de la moitié de la population serait approvisionnée par de l'eau contaminée, à des taux plus ou moins forts, dans la majorité des 64 districts du pays, surtout au sud et à l'est du Gange. Selon l'OMS, le nombre de personnes souffrant de lésions de la peau liées à la consommation d'eau contaminée est estimé à 1,5 million. Des milliers de personnes ont été atteintes par d'autres maladies (gangrènes, cancers du poumon et de la vessie) apparaissant après des expositions prolongées et en seraient mortes.
Beaucoup d'argent a été dépensé en conférences internationales, sans résultats pratiques pour la population. Les études n'ont pas manqué pour mesurer l'ampleur du problème et explorer des pistes afin de recourir à des eaux non contaminées (eaux de surfaces – mares, rivières –, puits ouverts peu profonds, puits tubés dans des couches sans arsenic, récupération d'eau de pluie), ou dont l'arsenic est éliminé par divers procédés physico-chimiques. De nombreux fabricants de filtres en tout genre ont proposé des produits souvent coûteux, nécessitant le nettoyage régulier des filtres ou l'utilisation d'additifs chimiques qui peuvent causer d'autres problèmes de santé, comme l'alumine, ou hors de portée des faibles moyens financiers des populations rurales qui sont les plus touchées. Par ailleurs, l'arsenic éliminé dans les déchets des filtres pourrait repolluer les nappes phréatiques s'ils étaient rejetés dans la nature.
Depuis 2003, deux ONG tentent de fournir de l'eau sans arsenic dans deux régions du Bangladesh. Il s'agit de GK (Gonoshathaya Kendra, Centre de santé populaire), une fondation bangladaise basée à Savar (à 40 km au nord-ouest de Dhaka la capitale) et du Comité français de soutien (CFS) à GK-Savar. Ces deux ONG collaborent depuis 1972.
Dès 2002, alors que plusieurs centres de GK se trouvent déjà dans des zones affectées, le CSF s'interroge sur la contamination de l'eau par l'arsenic. Lors d'une visite sur place en novembre 2003, de membres du CSF constatent la gravité de la situation ; ils rencontrent en particulier des malades dont le pronostic vital est en jeu et la vie quotidienne tragiquement bouleversée : perte de forces, donc de possibilité de travail et de ressources, répudiation, stigmatisation sociale... Le GK décide alors de lancer un programme spécifique avec le soutien financier du CSF.
La solution retenue est le creusement de puits ouverts, peu profonds (moins de 20 m), alimentés par des nappes phréatiques superficielles non contaminées par l'arsenic, dans deux zones d'intervention où sont implantés des centres de santé avec du personnel de GK. Des sessions de sensibilisation et de formation sont organisées pour les villageois. Des animateurs (les « paramédics »), de préférence des femmes, sont choisis et formés pour préparer la mise en place de comités chargés chacun de la gestion d'un puits. Avec les paramédics, les villageois analysent l'eau de 560 puits tubés, marquent en rouge ceux qui sont contaminés (80 %) et en vert les puits sans arsenic. Puis l'emplacement des nouveaux puits à creuser est déterminé en fonction de la contamination des puits proches, de la situation la plus favorable quant aux facilités d'accès par les familles, avec une garantie des propriétaires des lieux où les puits sont creusés. Il faut aussi trouver des puisatiers capables de creuser des puits ouverts, qui se sont raréfiés depuis la généralisation des puits tubés.
Il faut une dizaine d'hommes et 15 à 25 jours pour creuser un puits. Le diamètre est de 1,20 m ; dans la région de Pabna, leur profondeur est de 12 à 13 m, ce qui nécessite une trentaine de buses en ciment armé, soigneusement posées et jointées pour éviter des infiltrations d'eau polluée. Chaque puits est dotée d'une pompe à main. La margelle du puits est protégée ; un treillis métallique empêche la chute de feuilles et d'insectes, mais il rouille vite et il convient de le remplacer par des filets de nylon.
Un entretien régulier, au minimum annuel, est nécessaire, avec du lait de chaux pour traiter l'eau du puits, inutilisable pendant quelques jours. Par ailleurs, l'eau des puits doit être régulièrement analysée pour vérifier la teneur en arsenic et d'autres critères de potabilité, en particulier microbiologiques.


5000 familles alimentées en eau sans arsenic en 2005
Dès avril 2004, 9 puits sont constuits près de Kashinathpur (district de Pabna). Le creusement des puits devant se faire en saison sèche (qui se termine avec la mousson vers juin), les autres puits sont creusés en 2005. Au total, le district de Pabna dispose aujourd'hui de 25 puits et 10 sont installés près d'un autre centre GK à Shibganj (district de Nawabganj, près de la frontière indienne). Chaque puits dessert entre 50 et 150 familles. C'est donc environ 5 000 familles qui ont accès à une eau sans arsenic à partir de ces puits.
Les comités prévus pour chaque puits ont été constitués, bien qu'ils ne puissent pas toujours se réunir aussi souvent que prévu (une fois par mois) et que le nombre de femmes qui en assurent la présidence soit en deçà de ce qui était souhaité (en raison de résistances habituelles dans des sociétés rurales). Mais les analyses de contrôle sont réalisées par les paramédics, les dates et les résultats affichés sur les puits. Les villageois prennent en charge le coût des analyses et des travaux d'entretien en payant 5 takas par famille et par mois (1 e = environ 80 takas).
En décembre 2005, un membre du CSF parcourt les villages du district de Pabna avec des paramédics de GK. Sur les 15 puits du programme vérifiés, il signale certaines anomalies (protection métallique en mauvais état, parfois opportunément remplacée par des filets en nylon, mauvais goût de l'eau), qui sont corrigées.
Après la première phase et la réalisation des 35 puits en 2005, 2006 est une année de transition. Le souhait de responsables de GK d'entreprendre le creusement de 50 nouveaux puits ouverts dans les mêmes zones, où les besoins sont loin d'être couverts, n'a pu être concrétisé faute de disponibilité de l'encadrement de GK, sollicité par des tâches aussi nombreuses que complexes. Cela n'est pas nécessairement du temps perdu car il faut envisager des évolutions, voire des remises en cause.


Des questions pour l'avenir
L'intérêt des puits ouverts, assurant de façon certaine un approvisionnement en eau sans arsenic, n'est pas discutable. Mais on doit aussi étudier d'autres solutions, à une échelle collective ou à celle de chaque ménage, et repérer celles qui présentent les meilleurs résultats, en terme d'efficacité, de simplicité de mise en œuvre, d'acceptabilité sociale et de prix de revient, pour les investisseurs et pour les usagers.
Le Dr Z. Chowdhury, de passage à Paris fin mai 2006, a confirmé au CSF l'importance pour le GK des actions visant à réduire la consommation d'eaux contaminées par l'arsenic, et son attente de financement par le CSF pour leur poursuite. GK estime qu'il faudrait développer des programmes de réalisation de réseaux de distribution d'eau potable à partir de ressources sûres quant à leur teneur en arsenic, qu'il s'agisse de puits tubés vérifiés ou de puits ouverts spécialement équipés. Les résultats de quelques expériences de ce type sont encourageants.
Les villageois apprécient le service d'alimentation en eau potable à leur domicile et sont prêts à participer à son coût, davantage qu'à celui d'installations collectives plus ou moins éloignées de leur maison. Les femmes, qui assurent le plus souvent les portages d'eau, en sont les premières bénéficiaires.
Le CSF, considérant comme toujours que nul n'est mieux placé pour choisir et mettre en œuvre les meilleures solutions que les Bangladais eux-mêmes, attend donc les projets qui lui seront proposés par GK. Il est prêt à participer à leur financement, avec l'argent provenant de ses donateurs, mais aussi en mobilisant le cas échéant des partenaires (collectivités territoriales, et agences de l'eau notamment). L'intérêt d'une telle collaboration ne serait pas que financier : elle pourrait mieux faire connaître au public français les problèmes du Bangladesh.
Les eaux contaminées par l'arsenic au Bangladesh est un problème de santé publique de grande ampleur. Il fait l'objet bien sûr de nombreux travaux dans ce pays et à l'échelle internationale. Mais les solutions ne sont apportées jusqu'à présent que de façon partielle et insuffisante en regard des besoins, pour des raisons techniques mais surtout par la difficulté d'organiser et de financer des actions dans des zones rurales souvent négligées. Le programme qui vient d'être décrit est un « petit » programme, qui ne touche pour l'instant que quelques milliers de familles. Il est cependant remarquable en ce qu'il repose sur la collaboration fidèle et concrète, depuis plus de 30 ans, entre une ONG bangladaise solide animée par le souci des plus pauvres, et une modeste association française qui a su développer une relation de confiance avec GK et avec ses donateurs.


Le Bangladesh en chiffres
Population (2006): 147 millions d'habitants
Densité: 1033 h/ km2
Espérance de vie (2006): 62,4 ans
Taux de natalité (2006): 29,8 pour mille
Taux d'alphabétisation (2003): 43,1 %
Taux d'urbanisation: 27 %
PNB/habitant (2004): 410 US dollars

Gonoshathaya Kendra, Centre de santé populaire depuis 1971
La création de GK s'inscrit dans le mouvement d'indépendance du Bangladesh en 1971. Son existence débute par l'installation à la frontière indienne d'une unité de soins de 400 lits bâtie en bambous pour soigner les réfugiés et les “combattants de la liberté”, animée par une équipe de médecins bengalis rassemblés par le docteur Zafrullah Chowdhury. Après l'Indépendance, ils décident de rester mobilisés pour commencer une autre “guerre”, contre la pauvreté, la faim, la maladie qui frappent surtout les paysans et les sans-terre des zones rurales. C'est le début d'un programme de santé communautaire, destiné en priorité aux populations les plus pauvres, notamment les femmes et les enfants. GK recrute alors un nombre important de travailleurs de santé (« paramédics »), des garçons mais surtout des filles, qu'ils forment à devenir intermédiaires entre les malades et les médecins.
Aujourd'hui GK emploie plus de 2500 personnes, dont 40 médecins et 300 paramédics, dans près de 40 activités différentes et complémentaires. GK sert une population de plus d'un million de personnes en zones rurales et urbaines, à partir de dix centres répartis dans tout le Bangladesh. Par ailleurs, le Dr Z. Chowdhury et ses collègues participent activement aux groupes de travail nationaux et internationaux sur les problèmes de santé et de développement.
www.gkbd.org et www.teaser.fr/~abigeault


Comité français de soutien à GK-Savar Bangladesh (CSF)
1, rue de Rivoli 75004 Paris
• T. 01 44 59 82 72
Email:
Comit@ComGKSAVAR.org
Site internet: www.gkbd.org
Email: mb.chambolle@free.fr
Site internet: www.teaser.fr/~abigeault/

CFS GK-Savar - Paris - France
 

(photo: CFS GK-Savar)
 

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