retour imprimer © Lettre du pS-Eau 52 de Oct 2006

Mobilisation des acteurs locaux

De l'eau potable pour tous, les villageois de Mboss gagnent leur pari


Forte affluence à la nouvelle borne-fontaine - village de Mboss - Sénégal (photo Eau vive)

Comment assurer la prise en charge d'un service d'eau potable, son financement, l'extension du réseau ? A Mboss, accompagnés depuis 1999 par l'Ong Eau Vive, l'implication de toute la population et une importante mobilisation des femmes ont montré la réelle capacité d'une communauté rurale à assurer la pérennité de ses actions. Les acteurs locaux de Mboss apportent ici des éléments de réponse encourageants et reproductibles.

Située à environ 300 km de Dakar et à 80 km environ au nord-est de Kaolack, la communauté rurale de Mboss comprend 40 villages ; 12 d'entre eux se sont regroupés en comité inter-villageois, formant ainsi un groupe solidaire pour mener leur projet : « de l'eau potable pour tous ».
Ce groupe de villages était confronté jusqu'ici à de réelles difficultés d'accès à l'eau potable. Sur les dix puits cimentés qui assuraient l'alimentation en eau, huit tarissaient en janvier/février, laissant pendant plusieurs mois les villageois sans eau. L'unique source d'eau pérenne et potable, un forage, se situait dans le chef-lieu de la communauté rurale, éloigné de 4 à 10 km des villages. Les populations, les femmes notamment, devaient parcourir quotidiennement de longues distances pour s'approvisionner.
De plus, l'élevage, avec près de 2 500 bovins, constitue la source principale de l'économie de cette zone rurale. La demande en eau se trouve accentuée par ce fort potentiel pastoral de la zone.
Avec les conseils techniques et l'appui financier d'Eau Vive, les acteurs locaux ont conçu et préparé leur projet.
Objectif : mettre à disposition des populations une eau de qualité en quantité suffisante par une forte mobilisation des ressources locales. Cela consiste en l'amélioration de l'accès et de l'approvisionnement en eau potable ; la reforestation pour lutter contre la désertification ; le renforcement des capacités de gestion locale.

Pour des raisons d'appropriation et de mobilisation financière, la réalisation du projet fut conçue en trois phases successives, de 1999 à 2005, définies avec l'accord des populations.
• La phase I (1999-2001) a vu l'alimentation en eau potable de 5 villages sur les 12 :
– réalisation d'un forage de grande profondeur (300 m) d'un débit d'exploitation de 50 m3/h ;
– construction d'un château d'eau de 100 m3 et 15 m de haut ;
– installation d'un équipement et d'une cabine de pompage ;
– mise en place d'un réseau de distribution en conduites PVC de 1300 mètres linéaires avec des bornes-fontaines ;
– construction de 3 bornes-fontaines avec 3 robinets chacune ;
– plantation de 2 bosquets inter-villageois de 4 ha chacun ;
– tenue de plusieurs rencontres inter-villageoises pour consolider la cohésion sociale.
• La phase II (2002-2003) a permis, grâce à l'extension du réseau existant, d'approvisionner en eau potable les 7 villages restants, éloignés de 3 à 9 km : au total, 14 900 m linéaires de conduites mises en place ainsi que 7 bornes-fontaines à 2 robinets chacune.
• La phase III (2004-2005), à l'initiative des membres du comité inter-villageois de développement de Mboss et à partir des recettes des ventes d'eau complétées par des financements privés, a été réalisée sur fonds propres des populations pour approvisionner en eau potable d'autres importants quartiers isolés : 2,5 km de conduites additionnelles reliées à des branchements privés ont ainsi été installées.


Le conseil rural, maître d'ouvrage et financeur de développement
La coordination et le suivi des travaux ont été assurés par Eau Vive pendant toutes les phases du projet. Toutefois, pour pérenniser l'action, il était important de renforcer dès le départ la capacité de gestion des porteurs du projet. A cet effet, l'accent a été mis sur :
– l'appui à l'organisation villageoise ;
– le renforcement des capacités de gestion d'eau (coût et système de tarification de l'eau, calcul de l'amortissement des équipements, etc.) ;
– la mise en place et la formation des membres du conseil rural et du comité de gestion de l'eau ;
– des campagnes de sensibilisation et de formation en éducation sanitaire et hygiène.
La première phase fut une étape clef pour sensibiliser les membres du conseil rural à leur rôle de maître d'ouvrage. Le transfert de compétences s'est avéré réussi lors du démarrage de la phase II quand, conscient de la pertinence des besoins, le conseil rural s'est approprié le projet. Il a alors monté l'opération avec l'appui d'Eau Vive et l'a porté auprès du SCAC (Service de coopération et d'action culturelle) de Dakar. En tant que maître d'ouvrage, il a été signataire du contrat avec le bailleur de fonds (le SCAC) qui a inscrit une subvention de 38 112 euros sur un compte domicilié au Trésor public de Kaffrine. La gestion des fonds de cette subvention revenait entièrement au conseil rural qui, par l'intermédiaire de son président, visait les décomptes de l'entreprise (après l'élaboration des appels d'offres et l'attribution des marchés pour les travaux) avant tout paiement par le Trésor. Le conseil rural a également effectué sans faille le suivi du chantier avec l'appui technique du service technique de la brigade des puits et forages de Kaffrine.
Outre l'accompagnement des bénéficiaires et du suivi de l'exécution des travaux, le conseil rural a voté un budget de 762 euros, fonds provenant des impôts, pour contribuer à l'exécution du projet.


Quand l'eau finance l'eau
Désormais, le rôle du conseil rural de Mboss, sa responsabilité institutionnelle et la cohésion sociale autour de la collectivité par les villageois sont reconnus. La place de chacun des acteurs (Etat, collectivités, communautés, populations, entreprises, ONG) a été clairement définie et chacun a pu jouer son rôle. Les stratégies de mobilisation des ressources humaines et financières locales sont un acquis pour le comité qui se renforce dans la maîtrise des règles régissant le marché. La prise en charge du développement de sa propre communauté est un impact positif de ce projet.
Les résultats obtenus dépassent largement l'objectif de départ. Grâce aux équipements, une population bénéficiaire directe de 6 500 habitants dispose en effet aujourd'hui d'une eau de qualité en quantité suffisante (au moins 35l/j par habitant). Mais l'approvisionnement en eau et les conditions de mise en place du projet ont favorisé d'autres évolutions.
Au plan de l'organisation communale d'une part, comme la place occupée par le conseil rural déjà, mais aussi au niveau du forage. Pour la première fois à Mboss, douze villages associés ont mis en place un comité de gestion de forage fonctionnel, assumant au nom de toute la population les tâches de gestion, du pompage à la distribution de l'eau aux bornes-fontaines, avec entretien et réparation des équipements d'exhaure.
La collectivité rurale de Mboss a su mobiliser ses ressources (impôts, épargne locale, vente de l'eau) pour financer l'opération à hauteur de 14 %. Avec 15876 euros provenant de la vente de l'eau en moins de 5 ans, cela représente près de la moitié de l'apport local. La vente de l'eau aux robinets procure un revenu suffisant aux fontainiers et au conducteur de forage et couvre les frais d'entretien, la réparation des équipements installés et leur amortissement. Fin juin 2005, le compte du comité de gestion du forage présente un solde positif de 16 007 euros. De même les activités créées autour du point d'eau (équipement de tréfileuse, marché local de grillage) a créé de l'emploi, notamment pour les jeunes.


Un mieux être collectif avéré
Mais les évolutions les plus appréciées des populations concernent surtout une amélioration réelle de leurs conditions de vie.
La réduction de la corvée d'eau des femmes, qui parcourent désormais de moins longues distances (200 m en moyenne contre 3 à 9 km auparavant), libère leur temps pour d'autres activités rémunératrices (le maraîchage par exemple) ou pour l'éducation et le soin des enfants, dont les maladies dues à l'insuffisance nutritionnelle sont réduites du fait d'une meilleure alimentation grâce à une eau de qualité. Libérés de l'aide à leur mère pour la corvée d'eau ou de la recherche de points d'eau pour les animaux, les enfants vont par ailleurs davantage à l'école. L'augmentation du taux de scolarisation le confirme.
Au plan sanitaire, les populations reconnaissent que les plaies sur les mains et la déformation des doigts  (à force de manipuler la corde de puisage) ont disparu. Les maladies diarrhéiques sont réduites ainsi que celles liées aux mains sales.
Une assemblée générale participative après la réalisation des travaux, conduite avec des groupes spécifiques (comité inter-villages, groupement féminin, comité de gestion de l'eau…), a conclu à ces effets positifs sur les populations.
Grâce à la mobilisation de la collectivité rurale, au dynamisme de la population, au soutien financier des différents partenaires, aux conseils techniques et financiers d'Eau Vive et de ses partenaires, les populations des 12 villages de Mboss ont largement amélioré leurs conditions d'alimentation en eau potable ; les résultats qualitatifs et les impacts positifs du projet contribuent à la réduction de la pauvreté dans cette localité.
L'accès à l'eau est donc bien le premier pas dans tout processus de développement, que ce soit au niveau de la gouvernance, de l'amélioration des conditions de vie, ou du développement économique. L'essentiel est de renforcer les moyens et les capacités humaines et financières des acteurs locaux pour qu'ils puissent mener à bien leur propre projet de développement.


Coût de l'ensemble de l'opération 
Le coût total des trois phases s'élève à 225 062 euros, soit un investissement de 35 euros par personne.
• Phase I : 155 498 euros dont 10 % (15 245 euros) de financement local, hors valorisation de la main-d'œuvre non qualifiée. Le cofinancement fut apporté par Eau Vive et ses partenaires : Union europémenne, SCAC, Syndicat des eaux d'île-de-France (Sedif).
• Phase II : en dehors de l'investissement humain, cette phase s'est élevée à 64 381 euros dont 12 151 euros provenant du conseil rural de Mboss et des villageois ; 88 % de l'apport de la population est issue de l'argent épargné par le comité de gestion (ASUFOR) grâce à la vente de l'eau suite à la réalisation de la première phase de l'adduction d'eau ; les autres cofinancements proviennent du SCAC, du SEDIF et d'Eau Vive.
Phase III : 5 183 euros provenant à 100 % des recettes de la vente de l'eau. A nouveau, cet argent fut épargné grâce à la bonne gestion de l'AEP par le comité de gestion de l'ASUFOR.
Hormis l'expertise de la Brigade des puits et forages, l'apport financier indirect de l'Etat sénégalais s'est manifesté par l'exonération de taxes (au moins 18 % du coût des travaux) sur les achats d'équipements et la réalisation des ouvrages.
La population, en plus de son travail estimé à 16 800 euros, a investi au total 32 579 euros, soit 14,5 % du coût direct des travaux.


Kokou Sémanou
Eau vive (Thies)
Email:
eauvive@sentoo.sn

Christinan Houdus
Eau vive (France)
Email: christian.houdus@eau-vive.org

Eau Vive - Thiès - Sénégal
Eau Vive France - La Celle-Saint-Cloud - France
 

Grâce à leur mobilisation, 6 500 habitants de Mboss disposent aujourd'hui d'une eau de qualité en quantité suffisante. Mais l'approvisionnement en eau et les conditions de mise en place du projet ont favorisé bien d'autres évolutions, d'ordre social, économique et sanitaire.
(photo Eau Vive)
 

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