retour imprimer © Lettre du pS-Eau 51 de Aug 2006

Accès à l'eau domestique au Cambodge

Au pays de la civilisation de l'eau, les ménages développent des stratégies adaptées à leurs besoins


Principales sources d'approvisionnement en eau domestique

Faiblement raccordés au réseau de distribution, les ménages la ville de Siem Reap développent des stratégies alternatives pour tenter de répondre au mieux à leurs besoins domestiques. Ce sont ces stratégies récemment étudiées dans le cadre d'une thèse qu'il convient de prendre en compte à l'heure où la mise en place d'un nouveau réseau d'eau pour la ville de Siem Reap est envisagée d'ici 2008.

Située au nord-est du Cambodge, à environ six kilomètres du site archéologique d'Angkor, la ville de Siem Reap s'inscrit dans le berceau de la civilisation khmère, «civilisation de l'eau». Dans cette ville provinciale dont la population a doublé en dix ans, (elle atteint aujourd'hui 100 000 habitants), la demande en eau des ménages n'est pas correctement satisfaite. Alors que le système traditionnel d'apport en eau est menacé par l'urbanisation, le réseau d'eau de la ville, vétuste et spatialement limité, ne peut répondre à cette demande domestique, ni à celle des 400 000 touristes internationaux qui visitent Siem Reap chaque année.

Dans ce contexte, les ménages devront, pour un certain temps encore, continuer à «se débrouiller» pour avoir accès à l'eau domestique et avoir pour cela recours à des coping strategies. Pour tenter de comprendre ces pratiques en lien avec l'accès à l'eau, une enquête socio-économique a été réalisée en mars et avril 2005 sur un échantillon de 100 ménages, sélectionnés de façon aléatoire au sein de quatre quartiers de la ville. Branchés, mal branchés ou non branchés, les ménages rencontrés vivent des situations très diversifiées. La grande majorité d'entre eux utilisent d'abord l'eau du puits, de façon distincte pour l'eau de boisson et les autres usages domestiques. L'eau du réseau vient ensuite.

L'eau du puits et du réseau, d'origine souterraine, est chargée en fer dans la région et, pour cette raison, peu satisfaisante pour les ménages ; elle est en outre coûteuse (en électricité pour le pompage depuis le puits, en raccordement et factures mensuelles pour le réseau).

Face à ces lacunes, les ménages mettent en place nombre de « stratégies compensatoires ». Le traitement de l'eau destinée à la boisson en est une : si 40 % des ménages n'utilisent pas la même source d'eau pour la boisson et les autres usages domestiques, ils sont 59 % à faire bouillir l'eau qu'ils destinent à la boisson. Ce traitement de l'eau de boisson comporte souvent un coût (bois de chauffe) et toujours une pénibilité pour les femmes qui réalisent les multiples étapes du traitement. Les plus nantis peuvent se doter d'un filtre à eau ou d'une eau de bombonne de qualité, mais le coût de l'eau pousse les ménages à recourir à différentes stratégies de pompage ainsi qu'à de multiples sources d'eau : nombreux sont ceux qui valsent entre pompe manuelle et pompe moteur, entre eau du puits et eau du réseau, et qui privilégient l'eau de pluie lorsque la saison le permet.


Un approvisionnement diversifié
La collecte d'eau en dehors du domicile est une autre stratégie à l'œuvre. Nombre de ménages achètent de l'eau du réseau à l'extérieur à un prix bien supérieur que celui payé par les ménages raccordés. Comme ailleurs dans le monde, ce sont finalement les ménages les plus pauvres qui paient l'eau le plus cher. D'autres utilisent l'eau du puits du voisin moyennant quelques services ou construisent un puits à plusieurs familles pour minimiser les frais ; même les plus nantis ont tendance à s'organiser autour de plusieurs sources d'eau extérieures quand l'eau qu'ils reçoivent à la maison est trop «rouge» : certains remplissent des bouteilles d'eau sur leur lieu de travail, vont prendre leur douche chez un membre de leur famille dans un quartier où l'eau de la nappe est plus claire, etc.


Les perspectives contrastées du nouveau réseau
Toutes ces pratiques induisent également des stratégies de stockage de l'eau : les seaux issus de la récupération ainsi que les bassines en plastique jouxtent les jarres traditionnelles et font partout partie intégrante du paysage urbain. L'usage de l'eau domestique est en effet majoritairement externe : 30 % des ménages utilisent l'eau directement au point d'eau et 20 % possèdent une arrivée d'eau uniquement extérieure. Ce débordement des pratiques liées à l'eau sur l'espace public est prégnant dans l'organisation des usages au sein des foyers traditionnels khmers : la cuisine constitue une pièce en tant que telle à l'extérieur de la maison, une cabane de bois enferme souvent les toilettes au fond de la propriété, la douche se prend directement au point d'eau extérieur ou à proximité d'une grande jarre où est stockée l'eau à cet effet, les eaux usées sont jetées devant la maison. La connexion au réseau, et par là l'accès à un moyen d'approvisionnement en eau moderne, n'induit pas pour autant la dissimulation de l'eau et des pratiques domestiques en lien avec celle-ci : pour ne pas salir ou pour ne pas avoir trop chaud, on réalise encore les tâches ménagères à l'extérieur, et la salle d'eau, même construite suivant des normes de plus en plus internationales, reste souvent attenante à la maison.

A la demande des autorités cambodgiennes, conscientes du potentiel touristique de la localité, l'Agence internationale de coopération japonaise (JICA) travaille à la mise en place d'un nouveau réseau d'eau pour la ville de Siem Reap d'ici 2008.

Ce projet semble être un bon moyen d'apporter une réponse aux besoins en eau des ménages, à savoir un service en eau de qualité à domicile. Environ 40000 personnes, soit 40 % de la population de la ville (pour environ 2000 personnes connectées aujourd'hui au vieux réseau datant des années 1930) sont directement concernées par ce projet. Cependant, les zones géographiques couvertes par le projet et les modalités financières pour l'obtention des branchements risquent de se traduire pas des résultats nuancés.

En 2008, au terme de la seconde phase du projet, ce réseau, dont la gestion devrait être confiée à une régie des eaux de la ville, sous tutelle du ministère de l'Industrie des Mines et de l'Energie (MIME), couvrirait grossièrement le centre-ville et un axe le long duquel les principaux grands hôtels touristiques sont implantés. Au sein de l'aire desservie, les frais de raccordement élevés, estimés à environ 100 dollars US, ne pourront être acquittés par une grande partie de la population (dont le revenu annuel est estimé à moins de 300 dollars US par tête), entraînant leur mise à l'écart. Finalement, il est à craindre que le nouveau réseau d'eau aura en 2008 un impact très différencié sur les ménages, selon leur localisation dans la ville et leur niveau social. La barrière entre les citadins bénéficiant d'un service d'eau satisfaisant et ceux devant continuer à « se débrouiller » pour disposer d'un service plus ou moins acceptable risque d'être encore accentuée.


Des solutions possibles pour les populations pauvres
Les stratégies alternatives plus ou moins efficaces des populations non raccordées sont finalement autant de pratiques qui visent à répondre à la première revendication des ménages de la ville de Siem Reap, à savoir une eau de qualité à domicile. Si le réseau d'eau construit avec l'aide de la coopération japonaise peut apporter une réponse à la demande en eau de certains ménages, des solutions doivent également être apportées pour ceux qui ne seront pas connectés en 2008.

Un programme d'accès aux branchements publics tel qu'il a été mis en place par la Régie des eaux de Phnom Penh (subvention de branchements pro-poor, étalement du paiement du forfait de raccordement) pourrait permettre un raccordement des ménages plus pauvres vivant dans l'aire desservie par le réseau.

Dans les quartiers qui ne seront pas desservis avant 2010-2015, une politique d'accès aux branchements privés pourrait en outre être menée. Il s'agirait d'encourager la promotion d'initiatives locales par des acteurs privés en partenariat avec la régie des eaux et la municipalité. Cette dernière piste permettrait de développer des réseaux simplifiés dans les quartiers non desservis et ainsi de mettre en place, de manière transitoire, un service à domicile répondant aux attentes des habitants. A destination des ménages les plus vulnérables, peu à même de mettre en place leurs propres stratégies alternatives, des programmes d'accès à des filtres en céramique en lien avec une sensibilisation aux bonnes pratiques liées à l'eau restent nécessaires.


Aurélie Boisselet
Email:
aurelie_boisselet@hotmail.com

APSARA - Siemreap - Cambodge
Province de Siem Reap - Siem Reap - Cambodge
 
 

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