retour imprimer © Lettre du pS-Eau 33 de Oct 1999

L'hydraulique dans la région de Kayes au Mali

Face à la décentralisation et aux réformes engagées, le débat s'organise

Le secteur de l'hydraulique rurale est en pleine mutation au Mali. La rencontre, organisée à Kayes en février 1999 par le pS-Eau, a permis aux participants de tous horizons d'élaborer des propositions concrètes sur la nouvelle répartition des rôles entre États, communes, usagers et migrants.

En février 1999, le programme Solidarité Eau a organisé1 la « Rencontre de concertation des acteurs de l'hydraulique de la région de Kayes (Mali) ». La région de Kayes se caractérise notamment par une forte implication des migrants originaires de la zone vers l'Europe et les autres pays d'Afrique de l'Ouest (cf. Lettre du pS-Eau n° 31, décembre 1998, Étude sur l'implication des migrants maliens), qui contribuent de manière significative au financement et à la mise en oeuvre des projets d'alimentation en eau potable2. Durant trois jours, 80 acteurs de tous horizons (État, bailleurs de fonds, maires et représentants des élus, usagers, associations de migrants, ONG, secteur privé, etc.) ont réussi à construire un espace de dialogues original. De cette rencontre, sont sorties plusieurs propositions concrètes, en particulier sur la nouvelle répartition des rôles entre État, communes, usagers et migrants, dans un contexte fortement marqué par la décentralisation.

Les raisons de la rencontre
Le secteur de l'hydraulique rurale est en pleine mutation au Mali. La loi sur la décentralisation, votée en 1996, prévoit le transfert de la gestion de l'eau aux futures communes. Parallèlement, l'État malien a adopté début 1997 une nouvelle stratégie nationale pour le développement des adductions d'eau. Cette stratégie s'appuie sur une large concertation des acteurs du secteur (organisations villageoises, comités de gestion, opérateurs privés, DNH3 et DRH4, bailleurs de fonds, ONG, professionnels de l'eau, etc.), qui s'est notamment concrétisée par l'organisation de l'atelier national de juin 1996 à Bamako.
Très attachés à leurs villages d'origine, les migrants de la première région ont fortement contribué à l'amélioration de l'approvisionnement en eau potable de la zone, en finançant de nombreuses adductions d'eau. Une étude récente conduite auprès de 42 associations de ressortissants en France a montré que 80 % de ces associations investissaient dans le domaine l'hydraulique. La région de Kayes a donc déjà fait l'expérience d'une maîtrise d'ouvrage locale d'infrastructures d'approvisionnement en eau.
En partant de ce double constat, le pS-Eau avait fixé plusieurs objectifs à la rencontre de concertation de Kayes de février 1999 :
- favoriser un échange d'expériences et de points de vue entre des acteurs qui n'ont pas fréquemment l'occasion de se rencontrer ;
- informer ces acteurs sur les mutations en cours : mise en oeuvre de la stratégie nationale en matière de gestion des ouvrages d'AEP, et de la décentralisation ;
- mettre en harmonie les rôles et les responsabilités de chaque acteur par rapport à ces mutations du secteur hydraulique ;
- formuler des recommandations et proposer un minimum de « règles du jeu » de façon à faciliter une mise en cohérence des actions de chacun des acteurs.

Un dialogue constructif
Pour une réelle synergie entre les différents acteurs du secteur de l'hydraulique, il était important que les acteurs se rencontrent, échangent et fassent connaître leurs expériences respectives. Un des objectifs de la rencontre était donc de bien comprendre la position et les enjeux de chacun des acteurs.
La rencontre de Kayes a donc permis à toutes les « familles » d'acteurs de présenter leurs actions et leurs points de vue à l'ensemble des participants. Cet exercice a instauré un climat d'écoute et de dialogue, ce qui ne veut pas dire que certains débats en plénière n'aient pas été particulièrement vifs...
L'État (en l'occurrence la Direction de l'hydraulique et la Mission de décentralisation) a pu faire connaître les grandes lignes de la politique nationale, tandis que les usagers exprimaient leurs attentes et leur revendications, et que les migrants (trop souvent décriés) pouvaient faire valoir leur positionnement original dans le secteur de l'hydraulique en région de Kayes.
Le fonctionnement adopté lors de la rencontre (une alternance de séances plénières, de travail en ateliers et de restitution de ces travaux) a également permis à chacun de faire valoir son point de vue tout en ayant à l'esprit la diversité des positions et l'étendue des problématiques abordées par la rencontre.

Trois ateliers thématiques
Outre les séances plénières et les présentations d'expériences, une bonne partie de la rencontre de Kayes s'est déroulée sous la forme de trois ateliers thématiques :
1. Maîtrise d'ouvrage. Sur ce thème, il s'agit moins de savoir à qui appartiennent les ouvrages que de déterminer quels acteurs assurent quelles fonctions faisant partie de la maîtrise d'ouvrage. Il s'agit donc d'un concept-clé à la lumière duquel a été analysée la répartition des rôles et responsabilités lors de la phase de conception, de la phase de réalisation et de la phase d'exploitation du service.
2. Maîtrise d'oeuvre. Depuis quelques années, on assiste à un double phénomène : désengagement de l'État de la maîtrise d'oeu-vre et émergence d'opérateurs du secteur privé. Quels sont les mécanismes à mettre en oeuvre pour assurer une bonne qualité dans l'exécution des projets et surtout des ouvrages ? Quelle nouvelle répartition des rôles entre l'État, les collectivités locales, les entrepreneurs ?
3. Gestion des équipements. Dans les petits centres, les modalités de gestion du service de l'eau vont évoluer sous la double impulsion de la politique nationale définie par la DNH et de la décentralisation. Dans l'hypothèse de la mise en place d'exploitants privés, il s'agissait donc de répondre aux questions suivantes : qui va concéder ou déléguer le service de l'eau, et à quel type d'exploitant (privé, communautaire, professionnel, etc.) ? Qui va contrôler la qualité du service ? De quelle façon seront défendus les droits des usagers, notamment pour ce qui est du prix de l'eau ?

Des propositions concrètes et novatrices
Fait suffisamment rare pour être souligné, les participants de la rencontre n'en sont pas restés aux recommandations de principe, mais sont rentrés dans le détail de plusieurs sujets particulièrement épineux. De cette intense cogitation, sont sorties quelques propositions concrètes et novatrices.
Pour tenter de résoudre le difficile partage des responsabilités à l'échelon local, et pour prendre en compte le fait que de nombreuses adductions ont été en grande partie financées par les migrants, il a été proposé deux concepts :
l une instance de concertation communale dans le domaine de l'eau, représentative de tous les acteurs, et qui aurait un rôle consultatif pour la fixation du prix de l'eau, dans le choix d'un éventuel exploitant privé et dans la programmation des investissements (extension, réhabilitation de réseaux ou travaux neufs). D'une façon générale, cette instance aurait un rôle fort de prévention et de médiation des conflits ;
l pour les AEP financés et réalisés par les migrants, un « contrat tripartite » (usagers, communes, migrants) de délégation de maîtrise d'ouvrage à la commune délimite les rôles et les responsabilités de chacun des acteurs, notamment en matière d'exploitation et de gestion du service de l'eau (et donc de garantie de la pérennité du service).
Parmi de nombreuses autres recommandations, la rencontre de Kayes a également proposé de créer des commissions des marchés au niveau communal, chargées de faire respecter les règles élémentaires de transparence et d'équité dans l'attribution des marchés. Ces commissions permettraient d'asseoir la nouvelle fonction de maîtrise d'ouvrage des infrastructures hydrauliques désormais dévolue aux communes.

Quelles suites à la rencontre de Kayes ?
La rencontre de Kayes n'est qu'une étape d'un processus de concertation que le pS-Eau souhaite promouvoir sur le long terme. à l'issue de la rencontre, les participants ont notamment décidé de se réunir à intervalles réguliers, et de mettre an place des petits groupes de travail pour avancer sur les points qui méritent d'être encore plus approfondis.
Première occasion de poursuivre le travail de concertation entamé à Kayes, une réunion de restitution s'est tenue le 23 octobre 1999 à Paris. Y ont participé des représentants de la Direction nationale de l'hydraulique, de la Mission de décentralisation et des réformes institutionnelles, et d'un maire d'une commune rurale nouvellement élu. Cette restitution a permis d'informer les acteurs basés en France5 (et notamment les migrants) des principales conclusions de la rencontre et des pistes de travail qui s'y sont dessinées, et de poursuivre le débat.

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1 Avec l'appui technique du GRDR et le soutien de la Mission de coopération et d'action culturelle de Bamako, de la KfW, du Gouvernorat de la région de Kayes et de la Présidence de la République du Mali (actes disponibles).
2 Document disponible auprès du pS-Eau : « Étude sur l'implication des migrants de la région de Kayes (Mali) dans l'approvisionnement en eau de leurs villages d'origine ».
3 Direction nationale de l'hydraulique.
4 Direction régionale de l'hydraulique.


Bruno Valfrey
HydroConseil

Didier Allély ou Guillaume Aubourg
Programme Solidarité Eau - Bassin fleuve Sénégal,
32 rue Le Peletier, 75009 Paris
Email:
pseaubfs@gret.org

GRET - Nogent sur Marne - France
 
 

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