retour imprimer © Lettre du pS-Eau 50 de Dec 2005

Enjeux et étapes d'un programme d'appui

A Anjouan et Mohéli, le secteur de l'eau se professionnalise

Aux Comores, depuis les années 90, la gestion de l'eau a été peu à peu transférée par l'État aux communautés villageoises. Confrontés à la raréfaction des ressources hydrauliques, à la faiblesse des équipements et à la dégradation des ouvrages, les villageois ont pris conscience de la vulnérabilité de leur approvisionnement en eau et s'organisent. à Anjouan depuis 1997, et plus récemment sur l'Ile de Mohéli, l'ONG Initiative Développement (ID) les accompagne.

Aux Comores, les populations d'Anjouan et de Mohéli sont confrontées à un double défi : une ressource en eau qui se raréfie et un problème général de qualité de cette ressource (sources non aménagées ou non protégées, réseaux de distribution fortement dégradés). 13 % seulement de la population a accès à une eau salubre. L'épidémie de choléra qui a frappé Anjouan en 2000 (près de 4 000 cas et 100 morts pour 250 000 habitants) en illustre tristement ce constat.

Des ressources en eau mal réparties et en diminution
Si les Comores bénéficient globalement d'une bonne pluviométrie (elle dépasse les deux mètres par an en moyenne) et si 90 % de la population s'approvisionne en eau à partir d'un réseau d'adduction, cette situation générale dissimule de nombreux problèmes :
- le phénomène de déforestation engendre une forte diminution de la ressource en eau. En 35 ans, les trois quarts des rivières permanentes ont disparu à Anjouan. Le même phénomène sévit à Mohéli ;
- la pression démographique est très forte avec des densités de population de 575 hab./km2 à Anjouan et 123 hab./km2 à Mohéli : le nombre d'enfants par femme est élevé pour un territoire limité ;
- 99 % des eaux consommées sont non potables. Hormis les ressources souvent polluées par des déjections, l'eau stockée dans les foyers est toujours contaminée par manque d'hygiène ;
- la ressource en eau est inégalement répartie. Une même source dessert souvent plusieurs villages et les villages en fin de réseau ne reçoivent que de faibles quantités d'eau ;
- les nappes souterraines ne sont pas exploitées à Anjouan. Seule l'eau de surface est donc utilisable par les habitants d'Anjouan. à Mohéli, quel-ques nappes souterraines sont captées, mais sont peu productives ;
- les réseaux d'adduction d'eau ne sont plus gérés. L'État s'est désengagé de la gestion des réseaux sans transférer ses compétences et des moyens à des structures relais.

Dans la plupart des villages, les réseaux d'adduction d'eau (constitués de captages de sources ou de rivières, de conduites, de citernes et de bornes fontaines) sont anciens et très dégradés et plus des trois quarts des réseaux à Anjouan doivent être réaménagés pour que les besoins d'eau de la population en quantité, en facilité d'accès et en qualité soient satisfaits.
Avec la dégradation des réseaux, l'augmentation des besoins en eau et en l'absence de structures de gestion communautaire des réseaux, les conflits entre villages liés à la question de l'eau ont eu tendance à se multiplier. Les concurrences sur l'eau sont très fortes, pour l'alimentation humaine mais également du fait des activités économiques traditionnelles (distillation des plantes à parfum), de l'élevage et du maraîchage.

Implication des communautés dans la gestion de l'eau
Le domaine de l'approvisionnement en eau potable est régi par la loi du 21 décembre 19941 portant Code de l'eau. Cette loi fixe que la gestion des adductions d'eau en milieu urbain est confiée pour l'Ile de la Grande Comore à un concessionnaire. En zone rurale, c'est le ministère chargé de la Production qui est responsable de l'exploitation des réseaux.
Dans les faits, sur Anjouan, aucun concessionnaire n'a pris en charge la gestion des réseaux urbains. Compte tenu de l'extrême faiblesse des moyens dont disposent les administrations îliennes, la gestion et l'entretien des réseaux villageois ont été laissés à la responsabilité des communautés rurales.

Les comités de gestion communautaire (CGE) sont les nouveaux acteurs de la gestion du service de l'eau. Ils se sont dotés de statuts, de règlements intérieurs et d'un bureau d'une dizaine de membres, qui assurent des fonctions de président, trésorier, gardien de réseau, etc. Le CGE identifie des collecteurs qui seront chargés du recouvrement des cotisations des foyers et qui seront payés en fonction de la somme collectée. Ces cotisations constituent une épargne dédiée à l'eau mobilisable en cas de problème sur le réseau.
Les réparations sont faites par les plombiers du village qui sont rémunérés à la tâche. Payé de manière forfaitaire et sur une base volontaire, le prix de l'eau varie selon les villages et le niveau de service (borne fontaine publique ou branchement privé) entre 150 et 500 francs comoriens. Le taux de recouvrement des cotisations dépasse rarement les 60 %, et ces cotisations permettent de financer la gestion minimale des réseaux mais sont insuffisantes pour une gestion avancée.

Les membres des comités arbitrent aussi des petits conflits sur l'eau et prélèvent les droits de branchement.
Si des CGE sont présents dans plus de la moitié des villages d'Anjouan, les cotisations n'étaient recouvertes régulièrement que dans 17 % des villages à Anjouan et deux villages sur vingt-trois à Mohéli. L'idée d'une tarification de l'eau n'a pas fait son chemin dans tous les esprits. Dans un grand nombre de villages, les communautés préfèrent, à l'instar des autres investissements villageois, réaliser des collectes exceptionnelles en cas de coupure du réseau. C'est en quelque sorte une gestion des catastrophes. Indispensable pour assurer la continuité d'un service minimum, ce mode de gestion n'est cependant pas suffisant pour permettre ne serait-ce que le maintien à niveau des infrastructures. Conséquence, les usagers sont de moins en moins nombreux à trouver de l'eau de manière satisfaisante.

Les étapes d'un dispositif d'appui pluriannuel
Dès le début de l'intervention d'ID en 1996 sur Anjouan, dans le cadre d'un programme santé, les communautés villageoises ont souligné les besoins de répondre au problème de l'eau potable.
à la suite d'une première étude de faisabilité conduite en 1997, plusieurs programmes hydrauliques ont été conduits sur la base d'une forte mobilisation des populations et le concours de partenaires financiers diversifiés2.

Des travaux de réhabilitation et d'extension des réseaux ont bénéficié jusqu'à présent à plus de 50 000 personnes. Les structures communautaires de gestion sont en place, les règles d'utilisation de l'eau (codes de l'eau) ont été définies et adoptées dans chaque village, le recouvrement des coûts de maintenance minimum auprès des usagers a été proposé et les outils de gestion mis en place.
Une fédération des comités de gestion, l'UCEA (Union des comités d'eau d'Anjouan), est née en 2001 de la volonté des CGE d'être reconnus comme acteurs principaux de l'exploitation des réseaux d'adduction d'eau (élaboration d'une charte sociale de l'eau approuvée par les autorités). L'UCEA compte désormais 43 membres.
Quelques innovations techniques ont été introduites comme la construction de réservoirs cylindriques (plus résistants et beaucoup moins coûteux) que le modèle rectangulaire couramment utilisé par les entrepreneurs locaux, les adductions en PEHD (polyéthylène de haute densité) et un chlorateur. L'utilisation du PEHD nécessite une participation communautaire plus importante pour enterrer les adductions mais permet de réduire très sensiblement le coût des aménagements.

Plusieurs enseignements ont été tirés de ces phases d'intervention :
- pour être durable, la structuration communautaire prend du temps. Elle doit être soutenue sur le long terme, afin de franchir les étapes les unes après les autres ;
- il faut simplifier au maximum les réseaux d'adduction. Idéalement, chaque village devrait gérer sa propre source d'eau et son propre réseau. Ceci est le moyen le plus sûr de limiter les conflits et de permettre ainsi une gestion pérenne des réseaux. Quand cela n'est pas possible, des schémas directeurs régionaux doivent être produits ;
- il n'y a pas de solution « standard » aux problèmes de l'eau à Anjouan. Une solution technique unique, adaptée aux problèmes spécifiques qui se posent dans chaque village, doit être systématiquement recherchée et adoptée par consensus ;
- les activités doivent être renforcées par des animations sur le problème de la gestion de la ressource « eau », sur la qualité de l'eau et la diffusion des maladies.

A partir de ces acquis, une nouvelle phase du programme hydraulique intitulée « Gestion communautaire des adductions d'eau potable en milieu rural à Anjouan et Mohéli » (PAGEC) a démarré en 2005 sur un financement pluriannuel (quatre ans) de l'Agence française du développement (AFD) et d'autres partenaires en lien avec ID, porté par l'UCEA à Anjouan et la FADESIM à Mohéli. ID a été choisi comme opérateur sur les deux îles.
Soixante villages sur Anjouan (soit environ 120 000 personnes) et vingt villages sur Mohéli (soit environ 28 000 personnes), devraient ainsi bénéficier d'un appui soutenu. La moitié des villages ciblés (soit une trentaine sur Anjouan et une dizaine sur Mohéli) bénéficiera d'une étude technique ou d'un aménagement hydraulique, que ce soit la réhabilitation de leur réseau d'adduction, la construction d'ouvrages d'aide à la gestion par les CGE ou d'ouvrages pour améliorer la qualité de l'eau.

Mais l'objectif de cette nouvelle phase consiste à pérenniser la gestion des infrastructures d'AEP rurale à Anjouan et à Mohéli, pour que ces populations puissent accéder durablement à une eau en qualité et en quantité suffisante. Le projet met donc plus l'accent sur la gestion de l'eau que sur de nouvelles infrastructures.
à Anjouan, l'UCEA se propose de mettre en place en son sein un « service de l'eau » dédié aux CGE. à Mohéli, le projet avec la FADESIM susciteront l'émergence d'une Fédération des comités de gestion de l'eau et d'un pôle professionnel au sein de cette Fédération.

Renforcer les capacités locales de gestion technique et financière
Approvisionnement irrégulier des points d'eau, mauvais entretien du réseau, fuites, quartiers non desservis, sont autant de problèmes auxquels sont confrontés les exploitants communautaires, et qui constituent un frein important au paiement de l'eau et à la gestion de l'avenir.
Parti du constat qu'il existe un besoin de compétence technique et de contrôle de la gestion des fonds publics, et de la demande récurrente des CGE d'appui tant technique que financier, l'UCEA propose de développer un service en trois volets :
- un volet technique : diagnostic des problèmes de réseau, études techniques et montage de dossiers de financement, formation des plombiers villageois, recherche de maté-riels/accessoires hydrauliques ;
- un volet accompagnement, gestion, formation : renforcement du contrôle de gestion par l'UCEA, forma-tion permanente des élus des CGE ;
- un volet investissement : mutualisation de l'épargne villageoise pour constituer un fond d'investissement au sein de l'UCEA permettant des investissements plus importants, et géré par les CGE.

Quel coût pour un service de qualité ?
C'est évidemment autour de ce sujet que les débats risquent de s'animer.
Avec le « Service de l'eau », le prix de l'eau à l'usager devra nécessairement augmenter. En effet, mêmes mutualisées, les charges d'une telle structure vont se répercuter sur les usagers.
Les calculs réalisés montrent que pour que le service réponde aux besoins des CGE, le prix de l'eau devrait passer à 600 francs comoriens par mois et par ménage (soit 1,22 euros3) si on reste sur une base forfaitaire. Ce prix pourrait être réévalué à l'avenir avec le nombre croissant de villages adhérents au service, l'augmentation des taux de recouvrement dans les villages ou le paiement au volume.

Cette augmentation du prix, pourtant nécessaire si l'on veut garantir un approvisionnement en eau à l'avenir dans les villages, risque d'être mal vécu par les usagers dans le contexte actuel d'augmentation du coût de la vie et de diminution du pouvoir d'achat des ménages.
Ce prix forfaitaire mensuel de 600 francs comoriens ne représente pourtant qu'une part minime du budget alimentation des ménages, et reste très inférieur au prix de l'eau à la Grande Comore ou dans d'autres pays.
C'est avant tout un changement d'habitude qu'il faut faire accepter. Si chacun veut de l'eau en quantité suffisante et de manière permanente, il faut y mettre le prix !
Huit villages se sont déjà portés candidats pour être les premiers à intégrer ce nouveau dispositif. L'UCEA dispose maintenant de quatre années pour convaincre, avec l'appui d'Initiative Développement, l'ensemble des villages d'adhérer à ces principes de gestion pérenne.


1 Qui à ce jour n'a été suivi d'aucun arrêté ou décret d'application.
2 Le ministère des Affaires étrangères puis l'Union européenne, l'AFD et de nombreux partenaires (Sedif, Agence de l'eau Seine-Normandie, Fonds de coopé-ration régional de Mayotte, Syndicat des Eaux de Mayotte, Fondation Lord Michelham of Hellingly, etc.).

Initiateurs du projet
- à Anjouan, Initiative Développement, ONG française, a réhabilité depuis 1997 une quinzaine de réseaux d'adduction d'eau potable et mis en place dans une trentaine de villages un dispositif pour la gestion du réseau ainsi qu'une Union des comités d'eau d'Anjouan (UCEA).
- L'Union des comités d'eau d'Anjouan (UCEA) est une fédération des exploitants communautaires. Créée en 2001, sa première action d'envergure a été l'élaboration de la Charte de l'eau de l'île. 43 Comités de gestion de l'eau de l'île en sont membres en 2005. (T. 00 269 71 14 61)
- à Mohéli, la Fédération des acteurs de développement économique et social de l'Ile de Mohéli (FADESIM), grâce à un financement de l'AFD, a réhabilité sept réseaux d'Adductions d'eau potable (AEP), fournissant de l'eau à onze villages.(T. 00 269 72 01 60 — cdfadesim@yahoo.fr)

Partenaires associés
- Le Syndicat intercommunal des eaux et d'assainissement de Mayotte (SIEAM) va, à travers des échanges institutionnels, apporter son expertise pour renforcer l'UCEA et divers volets du projet (élaboration des schémas directeurs régionaux).
- Eau de Paris va contribuer au projet en cours sous forme d'appui technique au volet recherche « qualité de l'eau ».
- Aquassistance apporte un conseil et une assistance technique sur la qualité des ouvrages hydrauliques construits par ID à Anjouan.
- Le Groupe de recherche et d'échanges technologiques (GRET) est mobilisé dans l'appui au montage du dispositif organisationnel de la gestion de l'eau (CGE, UCEA, Service de l'eau, opérateurs privés).


Benoît Moreau
Responsable du PAGEC
pour Anjouan et Mohéli
T. 00 269 71 14 69
Email:
b.moreau@id-ong.org

Adame Hamadi
Chef de projet PAGEC
sur Mohéli
T. 00 269 72 01 60
Email: a.hamadi@id-ong.org

Caroline Vignon
Référent développement rural
T. 33 (0)5 49 60 89 66
Initiative Développement
29 rue Ladmirault
86000 Poitiers
Email: c.vignon@id-ong.org
Site internet: www.id-ong.org

FADESIM - Fomboni - Comores
ID - Mutsamudu - Comores
ID - Poitiers - France
UCEA - Mutsamudu - Comores
 
 

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