retour imprimer © Lettre du pS-Eau 50 de Dec 2005

Témoignage sur l'expérience de l'association Solidarités dans la province de Cankuzo

De la post-urgence au développement


Récapitulatif des réalisations de Solidarités à Cankuzo

Témoignage et réflexions issues des pratiques de l'association Solidarités, qui depuis 1997 mène
des programmes de réhabilitation d'infrastructures d'eau potable dans des zones rurales particulièrement affectées par la guerre civile.

Suite aux accords de paix de Pretoria de novembre 2003, le Burundi a traversé une phase de transition urgence-réhabilitation qui s'est achevée avec la fin du processus électoral au mois de septembre 2005. Le pays dispose aujourd'hui d'institutions démocratiques élues.
Après dix années de crise, 70 % des burundais sont en situation d'extrême pauvreté mais dans un contexte sécuritaire qui tend à se stabiliser. Disposés à construire leur développement, un certain nombre de défis se posent à eux et à leurs partenaires internationaux.
Aujourd'hui se construisent les bases qui permettront au Burundi de sortir définitivement de l'insécurité et, à terme, de la pauvreté.
Depuis 1996, Solidarités participe à l'effort du pays par des programmes d'eau et d'assainissement, de sécurité alimentaire et d'habitat.

Qui gère l'eau au Burundi ?
La Direction générale de l'Hydraulique et des Énergies rurales (DGHER) qui relève du ministère du l'Aménagement du territoire depuis la mise en place du nouveau gouvernement est l'organe responsable des adductions en eau potable, des sources aménagées en milieu rural. Plus largement responsable de la gestion des infrastructures hydrauliques et électriques publiques, la DGHER agit également en tant que bureau d'étude et de construction.
Les Régies communales de l'eau (RCE) assurent le fonctionnement, l'entretien, l'exploitation et la gestion des infrastructures hydrauliques. Dotée de l'autonomie financière, la Régie communale de l'eau est de type associatif, c'est-à-dire gérée par les usagers eux-mêmes. Elle regroupe l'ensemble des comités et institutions qui gèrent le patrimoine hydraulique d'une commune (comités de points d'eau et assainissement, Assemblée générale des usagers, Comité communal des usagers, Service communal de l'eau et assainissement, etc.). Les coordinateurs provinciaux des Régies communales de l'eau œuvrent sous l'autorité de la DGHER.
Ces régies communales sont nées en 1992, lorsque l'État a décidé de rendre autonome le budget de gestion des réseaux et des sources.
Pour les usagers, ce fut une petite révolution car il n'y avait avant cette date qu'une taxe communale prélevée sur les marchés, les populations n'avaient pas l'habitude de payer une cotisation pour l'entretien du point d'eau. à peine en place, ce système a rapidement périclité au début de la crise en 1993. Dix ans plus tard, certaines régies n'existent que sur le papier, les membres (présidents, trésoriers, etc.) ne sont pas formés à leurs responsabilités. La population, usée par la guerre et trop de corruption, n'a pas confiance et n'accepte pas forcement cette séparation du budget de la commune et du budget de la Régie.

La situation de l'accès à l'eau à Cankuzo ou comment s'adapterà un contexte évolutif...
La province de Cankuzo a été particulièrement frappée en 2000 par les combats et la forte insécurité à proximité de la frontière tanzanienne. Implantée depuis 2003 dans la province, Solidarités vient en aide aux populations vulnérables victimes de la crise, qu'elles soient déplacées, rapatriées3 ou vivant en milieu rural isolé. Quelles que soient leurs origines, leur situation sanitaire est critique : manque d'infrastructures d'eau potable ou d'assainissement, comportements hygiéniques inadaptés.
Pour améliorer cette situation, Solidarités a réalisé et réhabilité des adductions d'eau potable, des sour-ces ont été aménagées, des blocs de latrines communautaires ont été construits et vidangés. Ce volet technique s'accompagne d'un travail de sensibilisation des bénéficiaires (hygiène, respect des infrastructures) et d'un appui aux structures en charge de leur gestion.
Avec l'appui d'Echo, de l'Unicef et du HCR, Solidarités a ainsi pu venir en aide à plus de 60 000 personnes dans la province depuis 2003, soit environ un tiers de la population de la province.

D'une action d'urgence dans les sites de déplacés et pour faire face au retour des réfugiés rentrant de Tanzanie, l'essentiel du travail s'est progressivement orienté vers des populations rurales sédentarisées permettant ainsi d'initier une réflexion à plus long terme. Le retour de la sécurité dans un contexte de plus en plus stable a permis d'intensifier le travail autour de la pérennisation des ouvrages :
- animation pour la mise en place d'une gestion des infrastructures à différentes échelles. Il s'agit de la mise en place de comités de points d'eau, du suivi des assemblées générales des usagers et à l'élection de leur bureau exécutif, du suivi des campagnes des collectes de redevances, etc. ;
- renforcement des compétences techniques et organisationnelles des RCE;
- soutien logistique par distribution d'outils de gestion...

L'évolution constante du contexte met les ONG face à un certain nombre de défis touchant à leur organisation interne. Se pose ainsi la question de l'évolution des règles de sécurité. Drastiques en période de crise, elles s'allègent avec le retour au calme. Mais jusqu'à quel point les alléger sans négliger le risque de banditisme grandissant ou les piques d'insécurité qui peuvent survenir ?
Aujourd'hui, deux années de travail dans un contexte évolutif sont sur le point de s'achever. Un constat s'impose : cette adaptation continuelle des pratiques ne suffit pas à assurer la pérennité des infrastructures. Le renforcement de la gestion des infrastructures d'eau potable à travers ses acteurs (usagers, RCE, DGHER, autorités, etc.) doit être un programme de développement à part entière, bien plus qu'un simple accompagnement pour la réussite des chantiers. Mais cette ambition n'est pas si simple à accomplir dans un climat d'incertitude politique ou les responsables ne jouent pas pleinement leur rôle.

Un cadre législatif et institutionnel à réaffirmer et renforcer
Un exemple rencontré sur le terrain illustre très simplement les conséquences que peut avoir l'absence d'un tel cadre.
En 2005, Solidarités a travaillé à la réhabilitation d'un réseau de la Commune de Mishiha. La décision technique a été prise de renforcer le débit en captant une source de la commune voisine : Gisagara. Un certain nombre de questions de gestion intercommunale se sont posées : quel est le responsable de l'entretien du captage puisqu'il n'alimente en grande partie7 que la commune voisine ? Qui paie cet entretien ? En cas de conflit entre les communes, quelle loi protège les usagers du réseau d'un acte cherchant à les priver de l'eau de la source ?
Juridiquement, il n'existe pas de loi nationale ou de code de l'eau. Quelques instructions ont été formalisées dans une note d'instructions ministérielle de novembre 1990. Ces dernières restent relativement générales et de peu de secours pour le cas concret en question. En ajoutant à cela que les quelques outils méthodologiques validés par la DGHER ne sont généralement pas suivis, on peut saisir les difficultés rencontrées par les opérateurs de terrain dans un contexte tel que celui du Burundi.
Finalement, cette problématique de gestion intercommunale a été approchée en s'appuyant sur deux notions : concertation et contractualisation. Mais quelle valeur juridique donner au contrat intercommunal s'il contredit de futures lois ou directives susceptibles d'être mises en place ?

Une évolution nécessaire des pratiques des acteurs internationaux
Aussi bien les bailleurs de fonds que les ONG travaillent actuellement dans un contexte institutionnel burundais en transition. L'enjeu est pour eux de participer à des actions à portée plus durable tout en gardant une réactivité aux situations de crise pouvant toujours survenir9. Cependant, force est de constater une certaine inertie dans les pratiques.
Au Burundi, le principal apport financier émane aujourd'hui encore de bailleurs d'urgence. Les axes stratégiques d'intervention définis restent encore cantonnés à leur mandat urgentiste. Les indicateurs considérés sont en majorité quantitatifs et relativement peu qualitatifs. Pourtant, la situation de crise s'éloignant, il devient nécessaire d'augmenter l'impact des interventions dans le temps plus que dans l'espace. De manière simplificatrice : « construisons moins d'infrastructures hydrauliques mais consacrons plus de moyens pour que les populations et leurs représentants soient porteurs du projet, de l'identification des besoins jusqu'à la gestion des infrastructures ».
Dans ce cadre, le message n'est pas entendu et la marge de manœuvre des ONG reste faible pour assurer une bonne transition vers un contexte de développement. Faible certes, mais présente... Elles se doivent de travailler dans une optique d'autonomisation progressive des partenaires locaux. Au Burundi, il est désormais temps de renverser les approches d'urgence héritées de la crise, et ce, à tous les niveaux : du bénéficiaire jusqu'aux différentes institutions en charge du service public de l'eau en milieu rural.
Voilà un travail à mener sur le terrain mais aussi auprès des bailleurs de fonds afin qu'ils adaptent leurs stratégies aux réalités locales. à ce niveau, des engagements internationaux ont été pris dans le cadre des Objectifs du Millénaire. Pour l'eau et l'assainissement, dont il s'agit de réduire de moitié, d'ici 2015, la proportion de personnes n'ayant pas accès à ces services. 2005 : année d'un premier bilan sur ces objectifs. 2005 : entrée du Burundi dans le développement ?


1 Certaines collines bénéficient de plusieurs activités : un même ménage pourra profiter de latrines et de sources par exemple.
2 Adduction d'eau potable.
3 Les personnes déplacées sont celles qui ont fui sans franchir de frontière contrairement aux personnes rapatriées.
4 Office d'aide humanitaire de la Commission européenne.
5 Fonds des Nations unies pour l'enfance.
6 Haut Commissariat aux réfugiés.
7 Une borne fontaine ayant toutefois été mise en place pour satisfaire aux besoins de la population avoisinante.
8 On peut citer un rapport de l'AFVP de 1992 : il accompagnait la mise en place des régies communales de l'eau en présentant le rôle des différents acteurs du Service public rural de l'eau au Burundi.
9 Rapatriements massifs de réfugiés burundais de Tanzanie pour le cas de Cankuzo notamment.

SOLIDARITÉS est une association humanitaire internationale qui intervient essentiellement auprès de populations victimes de conflits et de catastrophes naturelles. Spécialisée dans la couverture des besoins vitaux - boire, manger et s'abriter -, elle prend en charge des programmes d'urgence puis de reconstruction.
En 2005, SOLIDARITÉS a célébré son 25e anniversaire. Elle travaille dans 11 pays avec 140 volontaires et plus de 1 000 cadres et employés locaux, 25 employés au siège et un budget d'environ 23 millions d'euros (15 % de donateurs privés et 85 % de bailleurs institutionnels).
SOLIDARITÉS est membre du Conseil d'orientation à l'action humanitaire d'urgence, du Conseil d'administration de Bioforce, partenaire de Coordination Sud (Synergie qualité), de VOICE et d'Euronaid.


Véronique Lebourgeois
Responsable technique
T. 33 (0)1 43 15 13 13
Solidarités
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Email:
vlebourgeois@solidarites.org

Olivier Jouzeau
Site internet: www.solidarites.org

Solidarités International - Clichy la Garenne - France
 

organisation du secteur eau et assainissement en milieu rural
 

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