retour imprimer © Lettre du pS-Eau 48 de Jun 2005

Alimentation en eau à Beguemoune, en Mauritanie

Quand des usagers organisés prennent les choses en main

L'alimentation en eau des centres ruraux reste une priorité pour de nombreuses régions africaines. L'expérience originale du partenariat entre les populations de Beguemoune et Aquassistance1 témoigne qu'à partir d'une forte mobilisation locale, un service performant et de qualité peut être mis en place et être pris en charge par les usagers organisés et solidaires.

Beguemoune, un village de 1 900 habitants, est situé dans le sud de la Mauritanie, à 70 km à l'est de Rosso, à la limite de la vallée du Sénégal et du désert. Ses habitants vivent d'élevage et de cultures avec des méthodes ancestrales. Les infrastructures de base sont quasi inexistantes. Il n'y a ni eau potable (seuls 3 puits très pollués sont disponibles), ni électricité, ni dispensaire. Les 210 familles vivent en général sous des tentes, seulement 30 % des maisons sont édifiées en dur.

En novembre 2001, à la demande des populations, une première mission d'identification repère les graves problèmes d'approvisionnement en eau dont souffre le village. Certains équipements collectifs réalisés par le passé sont en panne (en particulier une éolienne installée sur l'un des puits).

Sur proposition d'Aquassistance, un comité de l'eau du village est créé en décembre 2001. Ce comité s'attèle rapidement à la tâche afin, dans un premier temps, d'améliorer l'existant et de gérer le fonctionnement de deux pompes manuelles Vergnet (fournies en dépannage). Les puits sont désensablés, l'éolienne de pompage est remise en service et l'eau produite par l'ensemble des équipements vendue. C'est sur la base de ces initiatives encourageantes, notamment la volonté d'organiser un système d'exploitation pérenne, que la phase suivante du projet est envisagée.

A l'occasion de la première mission d'identification, des contacts directs avaient été pris sur place avec de nombreux acteurs du secteur de l'Eau :
-– le ministère de l'Hydraulique et de l'Energie, alors en pleine réorganisation ;
– la mutuelle de maintenance Nassim, basée à Rosso et qui supervisait le programme d'éoliennes de pompage dont l'une avait été installée à Beguemoune (malheureusement l'entreprise qui devait assurer la maintenance du matériel n'existe plus, Nassim et les villages sont maintenant démunis) ;
– l'Agence de promotion de l'accès universel aux services (APAUS) dont le champ de compétences s'étend à l'eau, l'électrification et le téléphone en secteur rural ;
– les services de coopération de l'ambassade de France ;
– le bureau d'études local Hydroconseil Mauritanie dirigé par l'hydrogéologue Mohamed Moktar, considéré comme une référence en la matière et qui a réalisé un excellent travail pour l'étude d'implantation du nouveau forage et le suivi du chantier de génie civil.

En novembre 2002, une mission complémentaire a pour objectif de mettre sur pied un projet technique et d'établir un compte d'exploitation prévisionnel prenant en compte une provision pour l'entretien et le renouvellement du matériel (10 % environ de la valeur du matériel). Pour équilibrer le budget (avec 35 branchements individuels et des bornes-fontaines) le prix de l'eau est fixé à 250 ouguiyas/m3 (UM/m3), soit 0,70 euro/m3 environ, ce qui est assez élevé1.

En janvier 2004, 2 personnes d'Aquassistance reviennent à Beguemoune pour :
– contrôler le début des travaux de l'entreprise de Nouakchott qui doit construire le réservoir surélevé et le bâtiment abritant la station de pompage (le délai de 3 mois a été respecté) ;
– commencer la pose des conduites d'eau et des 6 bornes-fontaines. Les villageois réalisent les 1400 m de tranchées en 5 jours. Après la pose des conduites PVC supervisée avec Moktar, le futur technicien en charge du service des eaux, les tranchées sont remblayées, souvent par des hommes âgés et des enfants. Les travaux de branchements individuels ne commencent qu'en avril, après avoir mis en eau et testé l'étanchéité du réseau ;
– finir de mettre au point le compte d'exploitation et de décider du prix de l'eau.


Des critères d'implantation adoptés en concertation
En avril 2004, le système de pompage est installé et le réseau de distribution – constitué d'un réservoir de 30 m3 surélevé, de 3100 m de conduite et des 6 bornes-fontaines – est mis en service. Ces installations et le diamètre des conduites permettront de faire face au développement probable du village.

Le positionnement des bornes-fontaines et leur gestion ont fait l'objet de nombreuses réunions de concertation afin d'arriver à une solution adaptée et adoptée par les villageois.
Chaque borne-fontaine doit desservir au minimum 250 habitants, ce qui permet une qualité de service acceptable pour les usagers et dégage une rémunération suffisante pour le fontainier. La distance entre les bornes-fontaines et les habitations les plus éloignées ne doit pas excéder 200 m. Les bornes-fontaines seront ouvertes au minimum 4 heures par jour (en réalité 8 h/j) et la rémunération des fontainiers est fixée à 40% du prix de l'eau.

Une fois les conditions de travail des fontainiers bien définies, ce sont en fait 6 « fontainières » qui sont choisies par le chef du village et les membres du comité de l'eau. Elles appartiennent aux familles qui résident à proximité des bornes-fontaines. Le village souhaite que le fontainier change tous les 2 mois, pour répartir la contrainte et la recette entre plusieurs familles (en fait, en 8 mois, une seule fontainière a changé).

Chaque soir, l'argent collecté est remis à Mohamed Lemine, le responsable du service des eaux. Les fontainières sont payées à la fin du mois, avec acompte en milieu de mois. La gestion du service rencontre des contraintes spécifiques qui ont été prises en compte :
– en Mauritanie les pièces de 1, 2 et 5 UM n'existent preque plus. Le métal de ces pièces serait utilisé pour la fabrication de bijoux. Il n'était donc pas possible de rendre la monnaie ;
– 5 des 6 fontainières ne savent ni lire ni écrire. Un système de comptes sur cahier ne peut donc être utilisé. Pour payer et pour rendre la monnaie, un dispositif de « tickets » de 2,5 et 5 UM est retenu. La vente de l'eau se fait par « module » de 10 litres au prix de 2,5 UM. La majorité des familles dispose de jerricans de 20 litres, mais d'autres types de récipients sont également utilisés.
Les travaux de branchements individuels sont à la charge des clients soit 10 000 UM (environ 30 euros) auquel s'ajoute la réalisation de la tranchée. Un bordereau de prix des travaux réalisés par le service des eaux est établi. Les extensions nécessaires sont à la charge des clients, avec une participation de 50 % d'Aquassistance pendant les deux premières années (sous forme de dons en tuyaux).

Vers une densification du réseau
La participation maximale demandée à un client est plafonnée à 20 000 UM (+ tranchée) pour l'extension. Les nouveaux clients venant se brancher ultérieurement sur l'extension devront payer une indemnité aux usagers qui l'ont financée à l'origine.

En décembre 2004, 8 mois après la mise en eau, près de 60 branchements individuels sont raccordés. Cette demande satisfaite pour un service de qualité optimal permet d'abaisser le prix de l'eau en janvier 2005 à 200 UM/m3. Ce prix pourra encore baisser à 150 UM/m3 lorsque 100 à 120 branchements individuels seront atteints. Le prix aux bornes reste à 5 UM pour 20 litres, ce qui est raisonnable et moins cher qu'à Nouakchott.
Il s'avère qu'un branchement particulier alimente souvent les familles voisines. Cela ne pose pas de problème et améliore au contraire la rentabilité de l'exploitation. L'évolution normale sera la fermeture ultérieure de certaines bornes-fontaines.

L'eau du réseau est essentiellement consommée pour l'alimentation et les usages domestiques. Pour les autres usages de l'eau, des sources alternatives demeurent : l'alimentation en eau du bétail continue à se faire au moyen de deux puits à grand diamètre et à partir des deux bras morts du fleuve Sénégal, situés près du village ; le lavage du linge continue en général à être effectué auprès du puits équipé de l'éolienne de pompage.

Les deux agents du service des eaux, Mohamed Lemine et Moktar, ont été formés pour les travaux de branchements et de conduites, le fonctionnement et le petit entretien du groupe électrogène, la gestion administrative et comptable (relevé des compteurs, factures d'eau, paye, cahier de comptes pour recettes et dépenses).

Un bilan mensuel technique et financier est établi et transmis par taxi brousse au président du Comité de l'eau du village qui est comptable à Nouakchott. Chaque mois, celui-ci envoie le bilan par Internet à Aquassistance. Ce suivi par courriel s'est avéré très intéressant et a permis de faire les mises au point nécessaires au cours des premiers mois d'exploitation.

Après avoir répondu à leurs besoins en terme d'équipement et d'organisation d'un service d'approvisionnement en eau potable, les villageois souhaitent poursuivre leur mobilisation autour de nouveaux projets. La coopérative féminine agricole voudrait absolument améliorer l'arrosage de la zone des jardins : 3 000 m2 autour d'un puits, avec extension si possible à 2 hectares. Les besoins sont de 60 m3/jour/ha environ.
Une alimentation à partir du forage et du réseau d'eau potable mis en place n'est guère envisageable : prix du m3 trop élevé et débit du forage limité à 7 m3/h. L'étude d'un projet est en cours. Les villageois veulent également réaliser un réseau d'électricité et un dispensaire.

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Bilan des 8 premiers mois d'exploitation
Les m3 vendus et pompés sont (en mai 2004) :
6 BF 80 m3/mois (150 m3/mois)
58 branchements individuels 350 m3/mois
total des m3 vendus 430 m3/mois
m3 pompés 440 m3/mois
Consommation de gas-oil 1,2 litre/heure

Coût du projet
Le projet a coûté 91646 e, soit environ 48 e par habitant (hors valorisation du temps de travail des villageois et l'expertise Aquassistance).
Agence de Bassin Seine Normandie 30 368 e 33 %
Aquassistance 49 600 e 54 %
Bénéficiaires Beguemoune 11 678 e 13 % *
Total : 91 646 e €
* Ce coût comprend : la pompe immergée, 58 branchements, 50 % des extensions de conduites, les frais d'hébergement, les frais de transport du matériel, la main-d'œuvre pour la pose des conduites, pour les 6 BF et toutes les tranchées.


Dominique Chenille
Email:
dchenille@wanadoo.fr
Aquassistance - Assistance Environnement, Eau et Déchets
18, square Edouard VII
75009 Paris
Email: contact@aquassistancenet.org
Site internet: www.aquassistance.blogspirit.com

Aquassistance - Nanterre - France
 
 

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