La réhabilitation du réseau d'eau de Gumri, touchée par le tremblement de terre de 1988, démontre qu'un partenariat mobilisant des financements et savoir-faire complémentaires peut aboutir à la réalisation d'un projet de service public en collaboration avec le service des eaux local.
Située entre la Georgie, l'Azerbaïdjan, l'Iran et la Turquie, l'Arménie est un pays confronté aujourd'hui à deux enjeux : relever le défi de son indépendance obtenue en 1991 suite à l'effondrement du régime soviétique et assurer l'accès aux services de base suite au tremblement de terre du 7 décembre 1988.
Solidarité Protestante France Arménie (SPFA) est une association de droit français créée en 1990 suite au tremblement de terre qui a affecté l'Arménie fin 1988. Parmi ses multiples activités de solidarité à destination de ce pays, la réhabilitation du service de l'eau dans la ville de Gumri a constitué un élément prépondérant. En 1997, un premier projet d'unité d'ultrafiltration est réalisée pour les hôpitaux infectieux et tuberculeux de Gumri, sur financement de l'Agence de l'Eau Seine-Normandie et du ministère français des Affaires étrangères. La mise en place de cet équipement s'est accompagnée de la réhabilitation de 4 700 mètres de réseau dans la ville afin d'assurer prioritairement la desserte des infrastructures communautaires (écoles et hôpitaux notamment). En 2004, le réseau sera renforcé par un collecteur d'un kilomètre pour le captage d'une source située à 2000 m d'altitude, sur financement du ministère français de l'Ecologie et du Développement durable.
En 2001, la coopération pour l'amélioration du service de l'eau à Gumri prend une nouvelle ampleur. Une convention de 3 ans est signée entre le Service des Eaux de Gumri, l'association SPFA, qui a des locaux et des permanents à Gumri, et Aquassistance, une association des personnels de la Lyonnaise des Eaux France qui assure une assistance dans les domaines de l'eau, de l'environnement et des déchets dans les pays du Sud.
La convention s'articule autour de trois objectifs principaux :
• rechercher et réparer les fuites sur le réseau ;
• assurer la fourniture et la pose de compteurs1 ;
• renouveler les installations de chloration.
(1 Le réseau ne disposait auparavant d'aucun compteur, la facture étant établie sur la base forfaitaire de 200 litres/jour/habitant).
75 % de l'eau produite ne parvient pas aux consommateurs !
Un premier diagnostic du rendement du réseau est réalisé en comparant l'eau consommée avec les besoins théoriques des usagers. Les résultats sont édifiants : sur l'ensemble de la ville de Gumri, près de 75% de l'eau produite et qui alimente le réseau n'arrive pas aux consommateurs, ceci en raison de fuites sur le réseau ou en raison du gaspillage, un gaspillage encouragé par la facturation forfaitaire qui ne tient aucun compte de la consommation réelle. Par ailleurs, la continuité du service n'est absolument pas assurée : les habitants de la ville ont de l'eau en moyenne deux heures par jour seulement.
Première étape : cibler une zone d'intervention
Pour identifier la localisation des fuites, Aquassistance donne au Service des Eaux un détecteur de fuites et un détecteur de conduites et forme deux ingénieurs arméniens au bon usage de ces appareils. La localisation des fuites s'avère néanmoins délicate pour les raisons suivantes :
– les conduites ne sont sous pression que de 7 h à 10 h (ou midi) ce qui laisse peu de temps pour les recherches ;
– déficitaire, le service des eaux de Gumri ne peut réparer les fuites (les pièces de réparation sont toutes réalisées en acier par les agents du service).
Les différents partenaires conviennent alors de cibler leur action sur le quartier de Ani, qui compte 20000 habitants. Ce choix est motivé par la configuration du réseau qui permet d'isoler facilement cette partie de la ville. Alors que le quartier “consomme” 14000 m3/j pour deux heures d'alimentation quotidienne, l'objectif est de fournir, 24 h sur 24, 10 000 m3/j d'eau par jour aux habitants du quartier.
Puis, grâce à la participation de nombreux membres de Aquassistance, plus de 5 000 compteurs usagés, mais en bon état, sont récupérés et expédiés à Gumri.
Seconde étape : limiter les fuites
Quelques 400 compteurs généraux sont posés dans plusieurs immeubles. Le relevé des index indique que les consommations dépassent 1000 l/jour/hab, alors que la consommation effective pour les usages domestiques est de l'ordre de 100 l/j/hab.
En juillet 2003 des enquêteurs, financés par SPFA et Aquassistance, contrôlent tous les appartements des immeubles équipés des compteurs généraux. Ils invitent les usagers à réparer les fuites, notamment celles des chasses d'eau, et à éviter les gaspillages désormais facturés. Entre août et décembre, une amélioration très nette est déjà observée :
– la consommation a diminué de 37% (de l'ordre de 206 l/j/hab en décembre 2003) ;
– la proportion des immeubles consommant plus de 500 l/j/hab passe de 19% à 8% ;
– la proportion des immeubles consommant moins de 200 l/j/hab passe de 45% à 59%.
Depuis mai 2003, là ou le service de l'eau n'était assuré que 2 h par jour, 13 000 habitants reçoivent l'eau plus de 20 h par jour et 7 000 habitants ont de l'eau plus de 10 h par jour. La réparation des fuites sur le réseau a permis d'améliorer de manière significative l'alimentation en eau du quartier.
La preuve a été faite auprès des usagers du quartier que le paiement à la consommation réelle sur la base de compteurs individuels était moins cher que le paiement forfaitaire pratiqué auparavant. On observe aujourd'hui une demande spontanée des usagers pour l'installation de compteurs dans les appartements. D'ici un an et demi, l'ensemble des appartements devrait ainsi être équipé.
Etendre l'action aux quartiers voisins
Avec une contribution financière de l'Agence de l'Eau Seine-Normandie pour la réalisation des équipements, le financement de SPFA pour la coordination des actions et l'assistance technique d'Aquassistance, le projet mené à Gumri est un succès. Les quatre partenaires envisagent d'étendre leur action à un quartier voisin sur la base d'une nouvelle convention de deux ans pour la période 2005-2006. Une concertation avec un partenaire bilatéral, l'agence de coopération financière allemande (KfW), active en Arménie, est dès à présent en cours. |