retour imprimer © Lettre du pS-Eau 43 de Jul 2003

Programme mini-réseau d'eau potable (Mirep) au Cambodge

Une approche novatrice de partenariat public-privé pour le développement de réseaux d'eau en milieu rural


Organisation du Mirep

Agir sur l'insuffisance de ressources financières est certainement l'un des enjeux majeurs de l'accès à l'eau potable dans les pays en voie de développement. L'objectif du millénaire est de diviser par deux le nombre de personnes privées d'eau potable et d'assainissement en 2015. Pour ce faire, la Commission mondiale de l'eau estime à 180 milliards de dollars par an le prix de cet effort ; les dépenses actuelles ne dépassent pas 75 milliards. Une mobilisation massive des investisseurs privés est proposée pour atteindre ce niveau1. Mais quels investisseurs privés, et dans quel cadre de coopération ? Au Cambodge, depuis deux ans, le Gret et la société d'ingénierie cambodgienne Kosan testent la mise en place de réseaux ruraux sur la base d'investissements privés locaux en partenariat avec les acteurs locaux de la décentralisation.

Cambodge: un accès limité à l'eau en milieu rural

Au Cambodge, selon diverses statistiques, moins de 25 % de la population rurale a accès à l'eau potable, et seulement 11 % disposent de l'eau à la maison. De même, de récentes enquêtes indiquent un faible niveau de connaissances et de bonnes pratiques d'hygiène : à peine plus de 50 % de la population sait que l'eau peut transporter des maladies.
En saison sèche, les populations s'approvisionnent en eau potable essentiellement à partir de forages communautaires gérés par des comités de points d'eau, dont nombre sont en panne faute d'une maintenance appropriée. De plus, l'eau souterraine est souvent impropre à la consommation en raison notamment d'excès de matières organiques, de minéraux (calcaire, fer, manganèse, voire d'arsenic !). En saison des pluies, l'essentiel de l'approvisionnement provient de l'eau de pluie stockée dans des jarres.


La nouvelle politique de l'eau basée sur le « choix informé » et sur la participation du secteur privé

La nouvelle politique de l'eau rurale vise à fournir de l'eau potable à toute la population rurale d'ici à 2025. Cette politique met en avant deux aspects majeurs : une réponse adaptée à la demande (notamment concernant le service individuel à la maison) et la participation du secteur privé local dans l'investissement dans les infrastructures et leur gestion. Cette participation du secteur privé est d'ailleurs déjà une réalité : de nombreux petits systèmes hydrauliques ont été créés et sont gérés par des entrepreneurs privés sur la base d'accords informels. Mais ils se limitent aux zones commerciales des villages avec une qualité d'eau et de prestations très variable.


Mirep : les premiers partenariats commune- entrepreneurs privés
A partir de ces constats, le programme Mirep, comme action pilote du ministère du Développement rural cambodgien, a été lancé en 2001 pour aider les communes rurales et le secteur privé local à mettre en place des projets de réseaux d'eau basés sur des partenariats public-privés. Avec l'appui financier du Sedif2, du ministère des Affaires étrangères, de Waterforce de Véolia Environnement et du secteur bancaire cambodgien, six projets sont maintenant en cours dans des gros bourgs ruraux (de 200 à 500 familles) de la province de Takéo au sud du Cambodge.
Le Mirep a aidé les six communes concernées à concevoir des projets, définir des zones de couverture, rechercher des investisseurs privés et établir avec eux des contrats de concession qui respectent au mieux les intérêts de toutes les parties engagées et garantissent un bon niveau de qualité et de service public.
L'intervention du programme s'inscrit dans le processus de décentralisation : le programme fait intervenir les conseils communaux en tant que concepteur du projet, partenaire du secteur privé, interface avec la population et les autorités administratives. Toutefois, la maîtrise d'ouvrage est encore partagée avec les autorités provinciales qui assurent notamment un rôle de sélection des communes, d'attribution et de contrôle des fonds de subvention, de supervision des travaux. Le département provincial du développement rural (DPDR) intervient dans un rôle de supervision technique et de conseil.

Des coûts et technologies adaptés aux gros villages
Le Mirep intervient essentiellement dans des zones où l'eau souterraine est rare ou de mauvaise qualité (dureté et alcalinité excessives, voire présence d'arsenic). Les ingénieurs de Mirep ont donc développé des techniques basées sur l'eau de surface, purifiée dans des petites stations de traitement (coagulation/floculation/sédimentation/filtration/ chloration, 10 à 15 m3/heure) et distribuée au travers d'un réseau PVC.
La construction de la mare (10 à 20 000 $) et de la station (10 à 15 000 $) représentent en général les coûts les plus conséquents.
L'investissement moyen par maison des six premiers réseaux Mirep est de 150 US$. Les frais d'opération varient de 0,35 à 0,45 $/m3, dont 30 % pour le traitement seulement. Cette technologie est adaptée à de gros villages : il faut un minimum de 200 familles connectées. D'autres technologies de traitement (filtration lente) sont à l'étude pour des villages plus petits.

Les investisseurs locaux financent 60 % du réseau
Les investisseurs partenaires sont basés dans la commune : s'ils n'y vivent pas toujours, ils y ont de la famille. Ils sont généralement engagés dans des petites activités commerciales ou industrielles, sont fonctionnaires et ont une expérience dans le domaine de l'eau : ils ont déjà un petit réseau, une usine à glace, etc.
Le coût moyen d'un réseau complet est de 45 000 US$. Environ 60 % est financé par les investisseurs, 30 % par une subvention de 8 $ par personne fournie par le programme (équivalente à celle qui est accordée aux systèmes communautaires dans la province de Takéo), et 10 % par des utilisateurs eux-mêmes (coût de connexion de 15 US$).
Correspondant à l'investissement supplémentaire nécessaire à la mise en place d'une unité de traitement d'eau, la subvention est justifiée par la politique de l'eau qui intègre des objectifs de santé publique.
La fourniture par une banque commerciale d'un crédit long terme au taux avantageux (14 %/an : taux objectif à moyen terme des banques commerciales au Cambodge) a été déterminante pour permettre aux entrepreneurs de boucler le financement de leurs projets, envisager des extensions, et exercer des pressions sur le paiement en faisant valoir aux clients leur obligation à rembourser.
Le retour sur investissement d'un réseau est long (6 à 10 ans) mais ces entrepreneurs recherchent avant tout des revenus à long terme, notamment pour leur retraite. Ils acquièrent assez rapidement les techniques relativement complexes d'opération et de maintenance des stations de traitement. Ils apprennent à contrôler par eux-mêmes la qualité de l'eau (notamment le pH, le chlore résiduel, le fer) et certains ont même inventé des systèmes ingénieux de maintenance (un aspirateur à particules basé sur le principe du siphon). Ils échangent régulièrement leur expérience au sein d'un groupe de travail. Mirep leur fournit un soutien technique et des formations en coût partagé.

Le développement des concessions passe par la nécessité d'un cadre institutionnel clair
Le cadre de régulation du secteur de l'eau est en construction. En attendant la création de l'Autorité nationale de l'Eau qui devrait voir le jour en 2004, l'autorité sur le secteur est morcelée : ainsi, les règles concernant le contrôle, les spécifications techniques, les autorisations des réseaux ruraux ne sont pas clairement définies entre le ministère de l'Industrie des Mines et de l'Énergie, chargé de l'eau urbaine, et le ministère du Développement rural. Cette situation limite l'investissement et favorise les prélèvements indus. De plus, le manque de clarté du système juridique ne favorise pas l'établissement et le respect de concessions, facteur déterminant pour attirer l'investissement privé dans les infrastructures rurales.

Le point de vue de l'utilisateur : satisfaction sur le prix et sur le service
La plupart des utilisateurs vivent dans des gros bourgs ruraux, où l'accès à l'eau est problématique. Leur consommation moyenne est d'environ 40 litres/personne. Nombre d'entre eux était déjà habitués à payer de l'eau avant l'installation du réseau, notamment à des vendeurs d'eau itinérants. La satisfaction concernant le prix de l'eau du réseau est grande : le prix est généralement bien inférieur à celui pratiqué par les autres vendeurs (cf. graphe ci-contre).
Mais le goût chloré de l'eau reste mal accepté malgré les actions d'information à ce sujet. à cause de cela, l'eau du réseau n'est pas utilisée pour la boisson et de nombreux utilisateurs continuent donc à acheter de l'eau de boisson de la mare (souvent impropre à la consommation). La gestion par les entrepreneurs privés est bien acceptée car elle est flexible, adaptée aux revenus ruraux, et de fait le taux de recouvrement est élevé.
Dans les réseaux installés depuis quelque temps, on constate une notable augmentation de la consommation : + 20 % en saison sèche depuis l'installation du réseau. Cette augmentation diminue au fur et à mesure de l'extension du réseau dans la mesure où les nouveaux branchés sont souvent économiquement moins aisés et donc moins consommateurs.
Jean-Pierre Mahé
(Groupement Gret-Kosan),
Hervé Conan (Burgeap),
Thierry Dalimier
(Kosan Engineering Ltd),
Bernard Gay et
Jacques Monvois (Gret)

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Profil d'un investisseur, le cas de M. Srey Sokhom

Le village de Smau Kney est situé à 42 km de Phnom Penh. C'est un gros village d'environ 250 maisons groupées autour d'un marché d'une centaine de places. Les villageois sont soit des paysans, soit des petits commerçants, bien souvent les deux à la fois.
Depuis 1996, M. Srey Sokhom vendait de l'eau de sa mare (non traitée) avec un tuyau d'arrosage à environ 50 familles, à raison de 1 US$/m 3 . En mars 2002, après plusieurs discussions, le conseil communal a décidé de déléguer à M. Srey Sokhom la fourniture d'eau sur toute la zone du village.
Avec le support du programme Mirep, le conseil communal et l'investisseur se sont mis d'accord sur un prix de 2 000 riels par m 3 (0,5 US$/m 3 ) sur la zone à couvrir et ont signé un contrat de dix ans qui fut contresigné par le gouverneur, l'autorité suprême de la province.
Suivant ce contrat, M. Srey Sokhom a investi dans une nouvelle mare, un nouveau château d'eau, et un nouveau réseau pour couvrir toute la zone, incluant les zones les plus pauvres. Il a bénéficié d'un crédit long terme de la part de la banque commerciale partenaire du projet, et d'une station de traitement d'une valeur de 10 000 US$ (équivalent à 40 US$ par famille (8$/personne) que M. Srey Sokhom s'engage à connecter. Au final, le coût total du projet s'élève à 30 000 US$, dont 40 % proviennent de ses ressources propres, 20 % d'un crédit long terme, 30 % de subventions (la station de traitement) et 10 % par les utilisateurs (coûts de connexion).
À présent, la station et le château d'eau sont opérationnels, 150 maisons ont été connectées. M. Srey Sokhom distribue 50 m 3 /jour environ (on estime qu'il en distribuera deux fois moins en saison des pluies).
Son activité est limitée par la concurrence d'un nouvel entrepreneur qui distribue de l'eau non traitée à un coût inférieur et sans licence, contre lequel les autorités locales, conscientes de l'intérêt de protéger le système de licence, ont entamé une action administrative.

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Mirep en bref:
Durée : 3 ans, 2001-2004
Budget : 700 000 euros
10 réseaux installés (200 à 500 familles chacun)
Objectifs :
- Attirer l'investissement privé dans les infrastructures rurales.
- Encourager les partenariats public-privés.
- Renforcer le processus de décentralisation.
- Impliquer les utilisateurs.
- Introduire des technologies fiables et accessibles.
- Mettre en place des mécanismes de soutien technique et financier au secteur privé.


Jean-Pierre Mahé
Contact au Cambodge
Email:
jpmahe@bigpond.com.kh

Jacques Monvois
Gret, France
33 (0)1 40 05 61 68
Email: monvois@gret.org

Antoine Malafosse
Burgeap, France,
tél. : 33 (0)1 46 10 25 43.
Email: a.malafosse@burgeap.fr

GRET - Nogent sur Marne - France
 

Programme Mirep - Profil d'un réseau type
 

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