retour imprimer © Lettre du pS-Eau 94 de Feb 2022

Délégation et régulation des services publics d'eau des petits centres en Afrique Subsaharienne


[© Experts Solidaires]

Experts-Solidaires, présent au Togo depuis 2014, appuie les communes de Zio2 et d'Avé2 à réhabiliter et étendre leur service d'eau dans le cadre d'une délégation de service public. Panorama des expériences africaines.

Le secteur de l'eau togolais est sous la responsabilité du ministère de l'Eau et de l'Hydraulique Villageoise. La société de patrimoine (SPEAU) et la Togolaise des eaux (TDE) assurent la gestion du patrimoine et de la distribution de l'eau en milieu urbain. En milieu rural, depuis 2019, la responsabilité de l'accès à l'eau potable incombe aux communes. A ce jour, la plupart de petits centres (ou gros bourgs ruraux) y sont alimentés en eau par des systèmes multi-villages, gérés par des associations, les AUSEPA (associations des usagers de l'eau potable), qui montrent aujourd'hui leurs limites en matière de capacité technique et financière. Ces associations, ou plutôt les gérants de ces associations, ne peuvent plus répondre à la demande, à l'agrandissement nécessaire des sites, à la technicité des nouveaux équipements, ceci avec des tarifs souvent inférieurs aux prix de revient. La gestion déléguée à des opérateurs privés, sous forme d'affermage, a été retenue par le ministère de l'Eau pour permettre de répondre à l'enjeu croissant de la demande en eau des petits centres.

Experts-Solidaires, présent au Togo dans le secteur de l'eau depuis 2014, a décidé d'appuyer avec son partenaire PADIE (Pionniers en action pour le développement intégré à l'environnement) les communes de Zio2 et d'Avé2 (région Maritime) à réhabiliter et étendre leur service d'eau dans le cadre d'une délégation de service public.
Pour lancer cette opération, en collaboration avec le ministère de l'Eau, un séminaire sur la gestion de l'eau dans les petits centres a été organisé début mars 2021. Ce séminaire a réuni acteurs locaux, officiels, communes, associations et partenaires techniques et financiers. L'objectif, en se basant sur les témoignages et retours d'expériences de nombreux pays africains étaient d'initier des échanges, de favoriser les réflexions et d'impulser une dynamique pour définir les stratégies et modes de suivi et de régulations de l'approvisionnement en eau dans les petits centres, adaptés au contexte Togolais.

Panorama des expériences africaines en matière de suivi technique et financier et modes de régulation

Bénin : Amorce d'une gestion déléguée régionale

Au Bénin, l'organisation actuelle du secteur repose sur la Direction Générale de l'Eau. La SONEB (Société Nationale des Eaux du Bénin) assure la distribution de l'eau potable en milieu urbain. En milieu rural, les communes, et tant que maître d'ouvrage, avaient la charge de gérer ou de déléguer les réseaux d'eau préférentiellement à des gestionnaires privés sur la base de contrats locaux. Mais en 2017, L'ANAEPMR (Agence Nationale d'Approvisionnement en Eau Potable du Milieu Rural), a été créée pour assurer la programmation et de la mise en œuvre des programmes et projets d'approvisionnement en eau potable ainsi que la gestion de la distribution de l'eau potable en milieu rural. Sa mission englobe le financement, l'investissement, la gestion patrimoniale, la mise en délégation de tous les réseaux ruraux du pays (env. 650), reprenant de fait la maîtrise d'ouvrage du secteur aux communes sur base d'une « convention-cadre de partenariat Etat-Commune ». Les délégataires devront fournir le service, procéder aux extensions des réseaux et installer les branchements privatifs sur la base d'un cahier des charges associé à leur contrat de délégation. Dans ce cadre, les communes seront amenées à représenter les usagers dans ces contrats de délégation. En matière de régulation, l'ANAEPMR assurera le suivi des données techniques et financières de la gestion des adductions d'eau avec le système MWater développé par Manobi (en cours d'installation), restituées sous la forme de rapports semestriels de suivi
des performances.

Burkina Faso : Introduction du suivi technique et financier

Au Burkina, l'organisation du secteur de l'eau repose sur la Direction Générale de l'Eau Potable (DGEP). L'Office National de l'Eau Potable et de l'Assainissement (ONEA) est en charge de la délivrance du service d'eau en milieu urbain. En milieu rural, le Burkina Faso compte plusieurs centaines de réseaux en délégation de service public, organisée au niveau central et mise en œuvre au niveau local, les communes étant invitées à signer les contrats avec les délégataires retenus. Ceux-ci sont généralement de taille nationale ou régionale, gérant des dizaines de réseaux, sur base d'affermage essentiellement. Les collectivités sont en charge du suivi de ces contrats, mais elles ne sont pas équipées pour cela et, de fait, le suivi technique et financier des contrats n'est pas vraiment assuré. Seul le professionnalisme des délégataires permet, ou non, de garantir la qualité du service. Une amélioration du système passera prochainement par la mise en place d'un système de régulation, notamment un dispositif suivi technique et financier (STEFI), dans la région Est du pays et la mise en place d'un système centralisé de suivi des performances des délégataires.

Madagascar : une délégation de service public qui reste à encadrer

À Madagascar, La compagnie nationale JIRAMA gère les réseaux d'eau urbains. En milieu rural, les communes sont en charge de la maîtrise d'ouvrage des services d'eau et d'assainissement, mais le code de l'eau prévoit que cette maîtrise d'ouvrage soit assurée par le Ministre de l'eau, tant que la commune n'a pas fait preuve de sa capacité à gérer le service. La délégation de service public a été introduite il y a une dizaine d'années, et ce processus est encore en construction. Les directions régionales de l'eau du ministère, en collaboration avec les communes, prennent en charge les processus d'appel d'offres, de sélection et de contractualisation des opérateurs. Les contrats, en général d'affermage (6 années) ou de gestion investissement (15-20 ans), comprennent les exigences de services, de qualité de l'eau, de contractualisation, et les sanctions en cas de performance insuffisante. Ce sont essentiellement des entrepreneurs locaux qui opèrent les réseaux, dont la formation et l'encadrement est assurée, dans sa grande majorité, par partenaires techniques et financiers. Malgré sa création officielle, l'autorité de régulation (la SOREA), n'est pas été mise en place, et le ministère de l'Eau ne reconnaissant pas automatiquement aux communes la capacité de maîtrise d'ouvrage, il est impossible pour un maire de mettre en tension un contrat de DSP. La région Atsimo Andrefana est l'une des premières à avoir mis en place un dispositif de suivi technique et financier (STEFI) des contrats de délégation, en contrepartie d'une redevance sur les recettes, mais l'absence d'instance de régulation au niveau national ou de transfert de décision au niveau régional empêche la prise de décisions vis-à-vis des gestionnaires défaillants.

Mali : Des STEFI régionaux désormais appuyés par une instance de régulation nationale

Au Mali, le secteur de l'eau repose sur la Direction Nationale de l'Hydraulique (DNH). En milieu urbain, société malienne de gestion de l'eau potable (SOMAGEP) assure le service d'eau. En milieu rural, le service d'eau potable est de la responsabilité des communes (plus de 600 systèmes d'adduction d'eau potable ruraux gérés ou délégués par des communes). Les contrats de DSP peuvent être des contrats de gérance, affermage ou concessions mais dans les faits les contrats d'affermage, avec une part concessive, dominent. Depuis 1992, le Mali a fait le choix d'une régulation décentralisée, sous la forme d'agences de suivi technique et financier (STEFI), sous statut privé (bureaux d'études). Un arrêté interministériel de 2018 oblige les communes à contracter un des six opérateurs de STEFI agréés par le ministère de l'Hydraulique. Toutes les données des STEFI sont concentrées au niveau central dans une base de données (STEFI Mali) ce qui permet d'avoir une vision à l'échelle nationale de l'état du service public de l'eau. La mission confiée aux STEFI a évolué dans le temps : Alors qu'initialement elle incluait un suivi et un arrêté mensuel des comptes d'exploitation, elle se limite désormais à une visite de contrôle technique annuel sur chaque site, à la capitalisation d'indicateurs dont le suivi est effectué par les exploitants et à la production d'un rapport annuel. Le système présente des failles : un contrôle annuel ne permet pas d'attester de la transparence de la gestion du service public et de plus l'exploitant rémunère directement la structure chargée de son contrôle, ce qui induit un doute. Les défaillances constatées de certains opérateurs de STEFI (seuls 2 sur 6 fournissent des données complètes) ont conduit à décider la création d'une autorité de régulation centrale. La future autorité de régulation nationale se basera sur les données des 6 STEFI régionaux, qui devront lui rendre compte, ce qui, de fait, devrait améliorer le niveau de service.

Mauritanie : introduction d'une délégation de service public régionale

En Mauritanie, le secteur de l'eau potable repose sur le Ministère de l'Hydraulique et de l'Assainissement (MHA). La Société nationale de l'eau (SNDE), opérateur national en milieu urbain, intervient dans les grandes villes et dans une cinquantaine de petites villes. On compte plus de 1 500 systèmes d'adduction d'eau potable ruraux dont un millier est géré par l'Office national du service de l'eau rural (ONSER), organisme de l'État créé en 2001. La DSP a été introduite en 2009 pour une centaine de systèmes d'AEP par l'Autorité de régulation (ARE) qui gère la sélection du délégataire en concertation avec l'état et les communes. En 2017, suite à la promulgation de la Loi dite « partenariat public privé » une DSP est en cours d'application dans les 5 wilayas (régions) du Sud-Est du pays, qui concentrent 70% de la population rurale du pays et qui seront divisés en 4 lots de délégation à l'intérieur desquels le délégataire assurera l'exploitation et la maintenance de tous les systèmes pendant les 10 années de son contrat. Le suivi des contrats de DSP sera assuré au niveau local par les communes et par l'ONSER, et au niveau national par l'Autorité de régulation.

Niger : des délégataires qui se professionnalisent en lien avec les communes

Au Niger, le secteur de l'eau repose sur le ministère de l'Hydraulique et de l'Assainissement. La société d'exploitation des eaux du Niger (SEEN) assure le service dans les villes. En milieu rural, le Niger compte près d'un millier d'adductions d'eau rurales, dont plus des deux tiers sont alimentées par énergie solaire. En 2008, le transfert de compétences aux communes en matière de maîtrise d'ouvrage du service public de l'eau a été intégré dans le code de l'eau. Depuis lors, les communes délèguent la gestion à des opérateurs privés dans le cadre de contrats d'affermage. En 10 ans, une dizaine d'entrepreneurs nationaux sont ainsi devenus de véritables professionnels, gérant pour certains plus d'une centaine de systèmes de distribution. L'avènement de la maîtrise d'ouvrage communale a aussi permis de contractualiser un opérateur pour la desserte d'un portefeuille de localités, de mutualiser les coûts et les ressources afin d'assurer la durabilité d'un service de qualité même dans de petits centres isolés. Une évaluation nationale conduite en 2017 a constaté que les installations étaient pour la plupart fonctionnelles et en bon état, et les délégataires opérationnels. Mais elle a relevé aussi que leur gestion du service public était peu transparente. Lors d'un audit conduit en 2018, les délégataires ont spontanément collaboré et se sont rapidement approprié des outils informatiques de suivi. Les redevances évaluées sur la base des historiques reconstitués ont été reversées aux communes dans des délais très courts ; le processus de transfert des comptes de provision sur un compte unique géré par la commune a été engagé. L'exemple nigérien montre un véritable professionnalisme chez les délégataires, et une réelle volonté des communes de jouer leur rôle de maître d'ouvrage, mais par contre un déficit d'accompagnement des services techniques déconcentrés de l'État. Du point de vue régulation, dès les années 90, des agents STEFI ont été mis en place selon le modèle malien. En contrat avec les communes, ils assurent un audit des performances du service communal, une assistance à l'analyse des résultats atteints grâce à la consolidation et la comparaison de données à l'échelle régionale. Le ministère de l'hydraulique s'est doté d'un bureau central de régulation, mais il n'a pas pu encore jouer le rôle moteur attendu d'un régulateur national.

Sénégal : la DSP régionalisée peine à se mettre en place

Au Sénégal, la distribution de l'eau est assurée par une société privée En milieu urbain. En milieu rural, après une période de gestion des réseaux villageois par des associations d'usagers (ASUFOR), il a été créé, en 2014, l'office des forages (OFOR) dont la mission est de gérer un patrimoine s'élevant aujourd'hui à environ 2000 forages, et de mobiliser des opérateurs privés pour 8 délégations de service public, dans le cadre de contrats d'affermage d'une durée de 10 ans. Dans ce cadre, les communes restent responsables de l'élaboration de plans d'hydraulique et d'assainissement (PLHA) identifiant leurs priorités d'investissement. Le processus de contractualisation des délégataires amorcé en 2015 a permis de mobiliser des acteurs internationaux tels qu'Aquanet (Pays-Bas) et Aquatech (Canada). Cependant, en 2020, seulement les 2ère délégations accordées sont actives. En effet, la mise en œuvre des délégations se trouve confrontée à une opposition des ASUFOR, d'autant que dans certaines zones, la mise en place des délégataires s'est accompagnée d'une augmentation du prix de l'eau. Cette situation est notamment le résultat d'un changement progressif du rôle de l'OFOR : dans un premier temps, l'objectif de l'OFOR était de simplement contracter des opérateurs qui viendraient en appui aux ASUFOR, puis la production d'eau a été confiée aux opérateurs privés (laissant la distribution aux ASUFOR), pour finalement décider de tout déléguer, y compris la distribution, privant les ASUFOR de tout rôle, hormis la représentation des usagers. Par ailleurs, aucun mécanisme de régulation n'existe pour valider les choix techniques et les prix de l'eau, et arbitrer les relations entre l'OFOR, les communes, les opérateurs et les ASUFOR. Dans ce contexte, le processus de délégation a été suspendu par décret et une évaluation est en cours pour décider des orientations.

Le séminaire organisé début mars a donc permis de faire un état des lieux de la gestion actuelle des services d'eau potable dans les petits centres, en identifiant l'existant, les besoins en renforcement et donc de définir les perspectives et activités à venir. Si le sujet de la gestion de l'eau potable dans les petits centres urbains est discuté au sein du ministère de l'Eau et de l'Hydraulique Villageoise depuis quelques années, il entend désormais accélérer le lancement d'initiatives, de projets et de concertations (telle que le présent séminaire). Une étude a ainsi été lancée pour identifier les solutions et modalités de gestion adaptées pour les centres équipés de min-AEP et pompes à motricité humaine.

En parallèle, Experts-Solidaires lance avec son partenaire PADIE, un projet pilote avec les communes de Zio 2 et Avé 2 sur la délégation de service public sur 3 mini-AEP. Ce projet vise à instaurer un cadre contractuel adapté entre les communes et des délégataires privés pour une meilleure gestion du service de l'eau.

De nombreuses autres perspectives et recommandations ont été formulées et sont disponibles en ligne, retrouvez : Togo, gestion de l'eau et l'assainissement, petits centres - Experts-Solidaires


Jean-Pierre Mahé
Experts Solidaires
Email:
jpmahe@experts-solidaires.org

Kosso Atigaku
PADIE
Email: padieong2000@yahoo.fr

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Des participants au séminaire de mars 2021 [© Experts Solidaires]
 

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