retour imprimer © Lettre du pS-Eau 93 de Jul 2021

Madagascar: Construire une politique communale de salubrité et d'assainissement, commune urbaine de Mahajanga


Évacuation des eaux usées en période d’inondation [© Gescod]

Depuis 2001, avec le soutien de nombreux partenaires techniques et institutionnels, la commune urbaine de Mahajanga développe une stratégie et des interventions ciblées en matière d'assainissement liquide et gestion des déchets. Rétrospective et perspectives.

La Commune urbaine de Mahajanga (CUM), située sur la côte Nord-Ouest de l'île à l'embouchure du fleuve Betsiboka sur le canal du Mozambique, est la 3e ville de Madagascar et compte 244 000 habitants (données de 2014). La ville est séparée en deux par un vallon naturel appelé « Vallon Metzinger » qui s'étend sur 10 fokontany (quartiers) regroupant plus de 110 000 habitants.

Malgré l'espace saturé, insalubre, et fortement inondable à chaque saison des pluies, et outre la déclaration des zones les plus exposées en terrains inconstructibles, la densification urbaine du Vallon n'a cessé de croître au cours des dernières décennies en raison de la pression démographique, de la proximité immédiate du centre-ville et des faibles valeurs foncières.

L'assainissement pratiqué concerne majoritairement des dispositifs à la parcelle, en général des latrines traditionnelles non étanches et quelques fosses septiques. Bien que le nombre d'infrastructures de base ait augmenté grâce aux derniers projets de coopération décentralisée, la défécation à l'air libre y est toujours répandue. La situation est dangereuse sur le plan sanitaire. L'incivisme des habitants se traduit par le déversement des boues de vidange et des déchets devant les habitations ou dans les canaux d'irrigation, entraînant une forte contamination de la nappe affleurante.

Les résultats d'études de l'Institut Pasteur de Madagascar démontrent que la qualité de l'eau, quel que soit le type d'alimentation et quel que soit le type de source (JIRAMA, puit, etc.), ne répond pas aux normes de potabilité. Le degré de contamination progresse depuis la source (JIRAMA) jusqu'à l'utilisateur final. Un pic est atteint au niveau des puits, car 91% d'entre eux sont impropres à la consommation. Cette zone a ainsi déjà été le foyer d'épidémies de peste (prolifération de rats, attirés par les dépôts sauvages de déchets) et de choléra (pollution de l'eau consommée par les habitants).

La Commune Urbaine de Mahajanga tente de protéger les habitants de ces quartiers en assainissant cette zone depuis de nombreuses années. Elle a ainsi lié plusieurs partenariats pour améliorer les conditions d'hygiène et d'assainissement.

Des premières actions remises en question

En 2001, avec l'appui de la GTZ, un premier réseau d'assainissement à ciel ouvert avec un canal de 3 km a été réalisé, irriguant le Vallon de part en part, collectant l'ensemble des canaux secondaires et permettant l'évacuation des eaux usées, sans traitement préalable, vers un exutoire à l'estuaire de la Betsiboka. En limitant ainsi les périodes d'inondation grâce à une évacuation plus rapide des eaux, cet aménagement a ainsi provoqué un afflux important de la population sur les zones nouvellement drainées.

Entre 2001 et 2009, une coopération décentralisée avec le Département du Bas-Rhin a permis d'appuyer la structuration et le renforcement (humain et technique) du service de l'urbanisme de la CUM, d'accompagner la définition et la mise en œuvre d'une opération de sécurisation et d'aménagement du Vallon Metzinger. En matière d'urbanisme, des zones inconstructibles ont été définies et formalisées par arrêté municipal ; plusieurs infrastructures publiques (terrains de football, aires de jeux pour enfants notamment) ont été réalisées afin de limiter les constructions illicites d'habitations ; et afin de sensibiliser la population à l'adoption de bonnes pratiques des opérations de curage des canaux et de nettoyage collectif mensuels ont été mises en œuvre dans certains fokontany. Elles ont cependant montré leurs limites, se révélant souvent peu efficaces (la population continuant d'y déverser déchets solides et liquides) et onéreuses ; et la stratégie d'occupation de l'espace avec des infrastructures publiques n'a pas permis de réellement limiter les nouvelles constructions – le contrôle par la commune n'étant pas accompagné de sanctions.
Face à l'impossibilité de la CUM d'empêcher les constructions nouvelles, la dégradation des infrastructures, un affaissement des berges, une accumulation des déchets, la stagnation des eaux usées et pluviales, l'inondation des latrines lors des hautes eaux, il est apparu que la solution technique d'évacuation plus rapide des eaux prônée en 2001 n'était pas suffisante et l'urbanisation incontrôlée de la zone a abouti à l'aggravation du problème sanitaire.

Redéfinition de la stratégie d'intervention

Avec ses partenaires, le Conseil départemental du Bas-Rhin et l'Institut régional de coopération et de développement (Ircod devenu Gescod à la suite de la réforme territoriale de 2015), la stratégie d'intervention a été redéfinie, faisant de la santé publique l'enjeu prioritaire, avec pour objectif l'amélioration de la situation sanitaire du Vallon en faisant bénéficier les habitants d'un environnement de plus grande qualité. Le soutien à la CUM a ainsi été axé sur l'entretien du canal avec la mise en place d'une équipe de 14 ouvriers, et des interventions hebdomadaires pour nettoyer le canal principal et les canaux secondaires par tranches : évacuation des boues et des déchets.
Par ailleurs, deux quartiers pilotes ont été identifiés sur lesquels un accent a été mis sur la sensibilisation à l'hygiène et à la santé, le recrutement d'une animatrice santé publique au bureau municipal d'hygiène, et le développement d'un partenariat avec Enda sur la collecte des déchets. Ces quartiers ont fait l'objet de nettoyages mensuels, d'opérations de dératisation, d'un recensement des besoins en eau et assainissement préalable à la construction d'infrastructures sanitaires, et de l'élaboration d'un plan d'urbanisme détaillé à l'échelle de ces quartiers : aménagement, implication des chefs fokontany pour le respect des zones non constructibles, voirie, espaces publics, etc.

Entre 2008 et 2012, le projet « Appui à la propreté urbaine de la Ville de Mahajanga » en partenariat avec la Ville de Mulhouse a permis de renforcer les compétences de la CUM pour la collecte des déchets. En 2010, un plan stratégique d'assainissement communal a été défini, déterminant un zonage de cinq secteurs urbains, le plus peuplé et le plus sensible étant le secteur du Vallon et ses abords.

Structuration des services d'assainissement et mise en place de la chaîne de gestion des boues de vidanges

De 2013 à 2017, avec l'appui financier de l'Union européenne et de l'agence de l'eau Rhin-Meuse (AERM), la CUM à travers sa coopération décentralisée avec le Département du Bas-Rhin et la Ville de Mulhouse a pu mettre en œuvre le projet « assainissement à Mahajanga » (ASSMA) permettant le renforcement des équipements sanitaires et la structuration des services d'assainissement.
Ce projet a jeté les bases d'un système pérenne de chaîne de l'assainissement avec notamment la mise en place d'une station de traitement des boues de vidange de 5m3/jour et d'un opérateur délégataire des services de vidange et de traitement. L'accès aux équipements sanitaires de base a également été renforcé au travers de la réalisation de 400 latrines familiales, la réalisation/réhabilitation de 26 blocs sanitaires publics gérés par des associations ainsi que la formation de 366 maçons locaux à la construction de latrines étanches et vidangeables.

La gestion des déchets solides est restée néanmoins faible sur cette période. En effet, un manque de moyens matériels et financiers a limité l'efficacité des services municipaux dans la collecte des déchets par la commune vers la décharge.

Montée en puissance des actions par la complémentarité des partenariats

De 2017 à 2021, forte de la réussite du précédent programme d'investissement, la CUM, avec le soutien de ses partenaires Gescod et l'ONG Enda Madagascar, a souhaité renforcer les acquis des actions déjà menées et les approfondir via le projet « Extension de la filière Assainissement de Mahajanga » ou ASSMA II. L'association Internationale des maires francophones (AIMF), le syndicat interdépartemental d'assainissement de l'agglomération parisienne (SIAAP) et l'agence de l'eau Seine-Normandie (AESN) ont ainsi soutenu la CUM en portant et cofinançant l'action.

Ce projet vise à accélérer le taux de couverture en dispositifs pour les ménages, latrines et toilettes publiques, renforcer et étendre le service de gestion des boues de vidange (augmenter la desserte, valoriser les boues), améliorer la connaissance de la problématique sanitaire du Vallon Metzinger afin de proposer des scénarios d'intervention, et enfin renforcer la maîtrise d'ouvrage communale dans l'orientation, de contrôle et stimulation du secteur.

Ainsi 300 nouvelles latrines familiales à fosses étanches ont été construites, 173 tâcherons ont été formés à la construction de ce type de latrines et à la formalisation de leur activité. Ils se sont regroupés en 18 petites entreprises. 16 blocs sanitaires publics ont été mis en place, en milieu urbain et en bord de mer, dont 2 au sein de bâtiments municipaux – Hôtel de ville et voirie. Les autres blocs sont gérés par délégation de la commune dans le cadre de partenariats publics-privés avec des associations formées à cet effet. La fréquentation est de 1 500 personnes minimum par jour pour l'ensemble des blocs sanitaires (en moyenne 60 pers/jour/bloc).

Le projet est aussi orienté vers l'introduction de technologies et d'outils qui se développent dans d'autres pays, mais n'existent pas encore à Mahajanga. Une application mobile a ainsi été conçue pour le suivi en ligne des activités de vidange, permettant notamment de collecter les informations clefs sur chaque vidange effectuée (adresse, volume, paiement, type de dispositif, degré de facilité…), la localisation et le temps passé, et de les traiter pour en faire ressortir les indicateurs de performance, tant pour l'opérateur (rentabilité) que pour la collectivité (service public rendu).

D'ici à la fin du projet, les activités suivantes seront mises en œuvre :
• La mise en place de blocs sanitaires innovants avec biodigesteur ou encore en réutilisant des conteneurs usagés.
• La construction de 120 latrines familiales supplémentaires.
• L'exploitation des espaces publicitaires au niveau des blocs sanitaires afin de promouvoir l'hygiène,
• L'élaboration d'une convention unique de délégation de gestion pour toutes les infrastructures eau et assainissement du territoire de Mahajanga : kiosques à eau et blocs sanitaires.
• La réalisation d'études détaillées de l'évacuation des eaux pluviales et domestiques du Vallon Metzinger, en vue d'un réaménagement de la zone.

En parallèle de 2017 à 2020, un projet de gestion des déchets solides financé par l'agence française de développement (AFD) via le dispositif « Facilité d'intervention des collectivités territoriales françaises » (FICOL) et conduit par la Ville de Mulhouse et le service dédié de Mulhouse Alsace Agglomération (m2A) avec l'appui de Gescod. Il a permis d'améliorer la gestion des ordures ménagères, notamment grâce au soutien matériel apporté aux pré-collecteurs, à la réhabilitation de certaines voies d'accès et à la maintenance des camions municipaux. La CUM dispose ainsi de 64 bennes à ordures réparties dans la ville, 3 nouveaux camions lève-bennes qui, associés à une structuration efficace des services de la ville, ont permis un triplement des volumes d'ordures enlevés sur Mahajanga.
Un centre de tri et d'enfouissement (CTE) a par ailleurs été mis en place, dont les procédés permettent en théorie la valorisation de 80% des déchets ménagers. En pratique, ce taux n'est pas atteint et certains points d'équilibre dans la chaîne de gestion restent à trouver. L'opérateur qui exploitait le CTE n'a pas vu, faute de performances suffisantes, sa délégation de service se renouveler et la Commune a décidé d'exploiter ce centre en régie directe, ce qui représente un défi pour les années à venir, en termes techniques et en termes de financement. Le circuit d'enlèvement des ordures peut encore être optimisé et des solutions viables de financement de la filière restent à mettre en œuvre.

Parachevant la montée en puissance du service rendu par la commune à la population – concrétisée par la création d'une direction unique, la Direction du bien-être et de l'assainissement urbain –, un nouveau code d'hygiène et d'assainissement de la commune a été rédigé. Ce dernier pose un cadre légal actualisé et adapté à la situation locale en matière de réglementation de la salubrité publique de manière générale :
• Hygiène et salubrité : hygiène des espaces domestiques et publics, denrées alimentaires (en particulier les conditions de vente), élevage et activités agricoles (en particulier leurs répercutions en matière de pollution), eau (en particulier les déversements qui y sont faits)
• Assainissement urbain : eaux usées (en particulier l'assainissement individuel et les rejets), déchets ménagers et assimilés (en particulier le tri à la source et les rejets), boues de vidange.

La communication et la sensibilisation aux bonnes pratiques et à l'existence de cette réglementation ont été lancées, avant la mise en place progressive des sanctions applicables.

Par ailleurs, le syndicat d'électricité et de gaz du Rhin s'est engagé en 2020 à appuyer la CUM à travers un dispositif « 1% Energie » dans le cadre d'une expérience pilote d'amélioration de la fourniture d'électricité de centres de santé de base, en partenariat avec Électriciens Sans Frontières. L'appui consiste à pallier les coupures de courant générées par les délestages sur le réseau, en vue d'une meilleure conservation des vaccins. Cette action vient renforcer le lien entre assainissement et santé, d'autant plus qu'il s'articule avec un appui de l'AERM pour la remise à niveau de l'accès à l'eau potable dans ces centres de santé (1% Eau & Assainissement).

Enfin, le syndicat des eaux d'Ile-de-France a apporté son soutien via le 1% Eau & Assainissement, en partenariat avec la CUM et sous la coordination de Gescod, pour la construction d'une borne-fontaine dans un quartier excentré de la ville privé d'accès aisé aux points d'eau potable collectifs.

Résultats et perspectives

À travers ses partenariats de coopération décentralisée, la CUM a renforcé ses compétences de gestion, planification et conduite de projet se traduisant par la structuration et l'équipement des services, la réorganisation des ressources humaines, l'équipement informatique et la création de logiciels spécifiques. Actuellement, la gestion de ces différents services est assurée soit en régie (collecte et traitement de déchets) soit par délégation (blocs sanitaires publics, vidange et traitement des boues). De manière transversale, ces projets ont permis d'améliorer la salubrité publique de la ville de Mahajanga mais également d'améliorer la santé des enfants comme en attestent les conclusions d'études socio-sanitaires menées en partenariat avec l'Institut Pasteur de Madagascar et l'Institut de recherche pour le développement en 2013-2017, auprès des bénéficiaires de latrines familiales. Une nouvelle étude de ce type est prévue d'ici fin 2021 afin d'affiner les conclusions et voir leur éventuelle évolution à court terme.

Les Villes de Mulhouse et de Mahajanga souhaitent à présent s'inscrire dans un programme dont l'objectif serait de favoriser l'accès à la santé et à un environnement urbain assaini en consolidant les politiques d'assainissement de la ville et en soutenant spécifiquement les structures publiques de soins (CSB et CHU), à travers une coopération territoriale portée par les collectivités, en associant les hôpitaux de Strasbourg. L'objectif est de poursuivre les politiques d'assainissement et améliorer l'efficacité du système de soins et des services de protection civile.


À Mahajanga :
- Emilson Ravelomanantsoa ravelomanantsoaemilson@yahoo.fr
- Michaël Rakotondrasolo michael.rakoto@gescod.org
En France :
- Martine Moser martine.moser@mulhouse-alsace.fr
- Albin Lazare a.lazare@aimf.asso.fr
- Bruno Cambier bruno.cambier@gescod.org

AE Rhin-Meuse - Moulins les Metz - France
AIMF - Paris - France
CD 67 - Strasbourg - France
CU Mahajanga - Mahajanga - Madagascar
ENDA Océan Indien - Mahajanga - Madagascar
Gescod - Mahajanga - Madagascar
Gescod - Strasbourg - France
M2A - Mulhouse - France
SEDIF - Paris - France
SIAAP - Paris - France
 

Curage collectif du canal principal [© Gescod]

Les nouvelles bennes de collecte des ordures [© Gescod]
 

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