retour imprimer © Lettre du pS-Eau 92 de Feb 2021

Maroc: Naissance d'une intercommunalité dans l'Arghen


Château d’eau d’Idaou Limit [© Experts solidaires]

Experts-Solidaires réseau associatif d'experts bénévoles, accompagne des associations et des collectivités locales dans la réalisation de leurs projets de solidarité internationale. Depuis 2014, l'association agit aux côtés de collectivités locales marocaines, en coopération décentralisée avec des communes de l'Hérault en appui à de projets d'eau et d'assainissement dans la Vallée de l'Arghen.

Le Maroc, pays reconnu pour sa culture et pour son riche patrimoine, est confronté aujourd'hui à une situation critique concernant sa ressource en eau, aggravée par les effets du changement climatique. Dans ce contexte difficile, malgré des efforts conséquents des autorités, les populations rurales marocaines n'ont pas toutes accès à l'eau potable. De fait, le chantier est encore vaste pour atteindre l'Objectif 6 de Développement Durable des Nations unies sur l'accès à l'eau propre et à l'assainissement.

En matière de décentralisation, la Charte Communale de 1976, modifiée en 2002 puis en 2008, acte que les services publics tels que l'eau, l'assainissement sont de la compétence des communes. Il y a 1 547 communes au Maroc, dont 249 urbaines et 1 298 rurales. Pour les grands centres urbains, les communes délèguent généralement la gestion à des concessionnaires privés. Pour les autres centres urbains, la gestion est assurée soit en régie municipale, soit par l'opérateur national : Office national de l'électricité et de l'eau. En milieu rural, les associations d'usagers sont le mode le plus répandu pour les systèmes d'alimentation en eau potable (SAEP).
Concernant la ressource en eau, depuis 2011, le Royaume du Maroc a engagé de profondes politiques de préservation de l'environnement, savamment coordonnées avec des réformes de décentralisation. En effet, les régions se sont vues octroyer plusieurs compétences environnementales (Loi organique 111-14). Ainsi, elles participent dans la réalisation de plusieurs Plans engagés par le Royaume comme le « Plan Maroc Vert » et surtout, la « Stratégie Nationale de l'Eau » (SNE). Afin de soutenir cette SNE, les régions gèrent elles-mêmes leurs ressources grâce aux agences de bassin hydraulique, en charge de la gestion intégrée de la ressource en eau (GIRE).

Une coopération décentralisée au niveau régional poursuivie au niveau communal

En 2005, Une coopération technique et institutionnelle est initiée par l'Agence du bassin hydraulique du Souss Massa (ABHSM) et l'agence de l'eau Rhône Méditerranée et Corse (AERM&C) avec un accord de jumelage, qui est renouvelé sans discontinuer depuis lors. En 2008, ce partenariat s'étend grâce à l'intégration de la Région Souss Massa et du Conseil Départemental de l'Hérault.
Le premier volet de cette collaboration fut consacré à la préparation d'un Schéma d'aménagement et de gestion intégrée des eaux (SAGIE) dans la vallée de l'Arghen, au sud est d'Agadir (Province de Taroudannt), la zone rurale qui avait alors le niveau d'accès à l'eau potable le plus faible de la région.

En 2014, sur la base du SAGIE, cinq collectivités de l'Hérault s'engagent avec le support d'Experts-Solidaires dans des coopérations décentralisées avec des communes de la vallée de l'Arghen.
Le rôle d'un SAGIE est de fixer, coordonner et hiérarchiser dans l'espace et dans le temps, des objectifs généraux d'utilisation et de protection des ressources en eau, en tenant compte des spécificités du territoire et de sa population. Les atouts du SAGIE sont nombreux, car à partir d'un programme d'action pluriannuel et pluridisciplinaire, il permet d'identifier des projets d'infrastructures prioritaires pour l'eau potable, l'assainissement et les usages agricoles (1). Le SAGIE s'inscrit dans une volonté de partage de connaissances, de compétences et d'expériences pour une bonne gouvernance de l'eau. Les programmes d'actions du SAGIE se précisent au rythme des réunions semestrielles d'un Comité Local de l'Eau (CLE), instance qui réunit trois collèges : les collectivités territoriales, les usagers de l'eau, l'État et ses établissements publics. Ces Comités permettent une bonne représentativité du territoire où les orientations futures sont décidées, puis votées.
*Le SAGIE représente la 1re démarche de gestion globale de l'eau au Maroc ; il a été présenté au Forum Mondial de l'Eau de 2012 à Marseille, par M. Fouad Mhamdi, Gouverneur de Kénitra.

Le SAGIE, comme base de coopérations décentralisées communales
Suivant les orientations du SAGIE, il a été décidé la construction de plusieurs réseaux d'eau potable et d'assainissement de la vallée de l'Arghen sur la base de coopérations décentralisées (2). Ainsi, sur la période 2015 à 2017, les communes héraultaises de Marseillan, Marsillargues, Montaud, le SIVOM de la Palus, le Syndicat intercommunal de eau et assainissement de la région de Ganges et le Syndicat mixte Garrigues Campagne, se sont engagées dans des coopérations avec les communes d'Adar, Arazane, Imi N'Tayert, Nihit et Toughmart.
Les projets, fruits de ces coopérations, ont été préparés par Experts-Solidaires, et financés à 50% par les deux collectivités des deux pays. Du côté français, le financement a été mobilisé dans le cadre de la Loi Oudin-Santini qui permet la mobilisation de 1% des recettes des services d'eau et d'assainissement pour des projets de solidarité internationale avec l'appui du fonds de solidarité de l'AERM&C, de la Métropole de Montpellier, du Département de l'Hérault et du fonds Guillaume Tavernier pour l'eau (SIWA-FGTO).

Du côté marocain, les communes de l'Arghen ont mobilisé leurs fonds, ceux des associations villageoises, et les ont complétés par les ressources du ministère de l'eau, de l'Initiative nationale pour le développement urbain (INDH) et ceux de l'Agence nationale de développement des zones oasiennes et de l'arganier (ANDZOA). Au total, sur l'ensemble de ces projets, 930 000 Euros ont été mobilisés.
Un deuxième volet de projets a été initié en avril 2018 avec l'engagement des mêmes acteurs et de la Commune de Saint Drézéry, avec le financement complémentaire du Syndicat des eaux d'île de France (SEDIF), pour un montant total de 1,4 million d'euros.
Le niveau d'accès à l'eau potable dans la vallée de l'Arghen de 48 villages en 2008 (3) est passé à 145 villages en 2019 (4), soit un taux d'adduction en eau potable de 74% en 2019 sur les 197 villages de la vallée d'Arghen. Ce bon résultat n'est pas à mettre spécifiquement au bénéfice de la coopération décentralisée, mais il est reconnu par les acteurs locaux qu'elle a entraîné un effet d'intérêt sur la vallée, qui a généré un investissement en eau et assainissement de la part des autorités communales, provinciales et nationales.

Intégration des projets dans la gestion de l'eau

Même si l'essentiel de l'effort de la coopération décentralisée porte sur les projets d'eau potable et assainissement, l'ensemble des opérations locales s'intègre bien dans une démarche de gestion globale de la ressource en eau. Les projets sont conduits avec un souci constant de formation des populations et décideurs locaux sur l'environnement et le partage de la ressource en eau. Un effort particulier est fait auprès des enseignants de la vallée, qui peuvent disposer d'outils de sensibilisation des enfants à la connaissance du milieu. Les échanges entre les élus français et marocains, les visites de terrain de part et d'autre, la participation à des forums internationaux, notamment la COP 22, permettent aux acteurs de développer les connaissances et pratiques sur la gestion de l'eau sur leurs territoires respectifs.
L'implication de l'école AgroParistech de Montpellier, et les missions annuelles d'étudiants du Mastère spécialisé de gestion de l'eau de Montpellier, travaillant en collaboration avec des étudiants de l'école Hassania des travaux publics de Casablanca, sont la base d'échanges fructueux, tant sur la construction des infrastructures d'eau et assainissement, que sur les dynamiques de suivi de la ressource. C'est d'ailleurs dans le cadre de ces échanges qu'un programme d'études de recharge des nappes et de limitation des crues a été lancé dans la vallée en 2018, pour tenir compte des effets de plus en plus dévastateurs des inondations, notamment celle d'août 2019 qui a ôté la vie à 9 personnes dans la commune d'Imi N'Tayert. Ces études devraient aboutir à la réalisation d'un projet pilote de barrages filtrants. Les effets du changement climatique, marqués dans la vallée par une rareté des pluies, ont fait l'objet d'une analyse réalisée en 2019 par une stagiaire appuyée par un expert de solidaire, et sont désormais pris en compte dans la réalisation des ouvrages.

Des coopérations individuelles vers l'intercommunalité solidaire

Depuis 2014, les projets de coopération décentralisée sont fédérateurs de dynamiques nouvelles entre les élus locaux, les personnels techniques et les associations du territoire de la vallée de l'Arghen et ce à l'échelle du périmètre hydrographique de gestion de l'eau. D'autre part, la mise en œuvre et surtout la maintenance de ces nouveaux ouvrages, la gestion des crues, le suivi des nappes ont fait apparaître chez les communes marocaines un besoin de mutualiser les ressources et les compétences. C'est dans cet esprit, que lors du Comité local de l'eau de novembre 2017, en présence d'élus de communes héraultaises appartenant eux-mêmes à des intercommunalités (5), Serge Miquel, membre d'Experts-Solidaires a présenté la solution de l'intercommunalité aux maires de la vallée de l'Arghen.

En effet, suivant les politiques de réformes de décentralisation engagées par le royaume, la Loi organique 113 - article 133, amendée en juillet 2015, prévoit la possibilité pour les communes de se rassembler sous la forme d'un établissement public de coopération intercommunale (EPCI), établissement doté de la personnalité morale et de l'autonomie financière, qui permet de regrouper certaines compétences des communes dans un partenariat commun.
Les communes de la vallée de l'Arghen, soutenues par la Direction des collectivités locales (DCL) de Taroudannt et par l'Agence du bassin hydraulique du Souss Massa, ont alors jugé opportun de s'unir sous le statut d'un EPCI, pour développer une logique d'entraide, mutualiser leurs moyens matériels et leurs compétences techniques, améliorer la gouvernance de services sur leur territoire.

Après plusieurs mois de travail et de discussions fructueuses entre les maires des cinq communes puis d'une sixième commune Azaghar N'Irs, quatre volets d'actions prioritaires ont été définis dans la convention de coopération intercommunale : La continuité de l'exécution des ouvrages d'assainissement et d'eau potable, ainsi que la mise en place d'un plan de maintenance commun ; Un plan de collecte des déchets solides ; Une gestion commune de la ressource en eau et de la prévention contre les inondations ; Le développement d'un circuit touristique solidaire intercommunal (6). Déposée en 2019 aux services compétents du Ministère de l'intérieur, la validation de l'intercommunalité de l'Arghen a été acceptée en mars 2020. Sur cette base, avec l'appui du service de l'eau de Taroudannt et d'Experts-Solidaires, les communes de l'Arghen préparent un plan de maintenance avec le recrutement d'un futur technicien intercommunal de l'eau, dont le premier travail sera de réaliser une gestion patrimoniale des infrastructures d'eau sur la vallée.

En conclusion

Non seulement administratif et technique, le travail autour des coopérations décentralisées de la vallée de l'Arghen, rythmé par des missions d'élus, d'experts ou d'étudiants, des rencontres, des moments d'échanges et de convivialité entre tous les acteurs concernés par les projets, est une expérience unique de partage et d'entraide entre des territoires marocains et français, où sont impliqués dix communes ou intercommunalités, deux grandes écoles (une centaine d'étudiants sont intervenus sur ces projets), une vingtaine de partenaires techniques et financiers. Le dispositif de création de l'intercommunalité dans la vallée de l'Arghen est la suite logique de ces actions, initiées dans le cadre d'une gestion intégrée des ressources en eau et entreprises en adéquation avec les réformes de décentralisation du royaume. Grâce à la coordination des acteurs de l'eau, marocains et français, qui appuieront cette intercommunalité, la vallée de l'Arghen améliorera la gestion et la préservation de sa ressource en eau, précieuse pour les prochaines années, dans un contexte difficile de changement climatique.

Article écrit par Camille Tatareau, Serge Miquel et Jean-Pierre Mahé



1 La vallée dispose de ressources minières non identifiées au moment du SAGIE qui exigeront aussi un besoin en eau.
2 L'ABHSM et le service eau de Taroudant ont aussi conduit d'autres projets d'eau dans la vallée.
3 Selon le rapport initial du SAGIE.
4 Selon le rapport d'évaluation du SAGIE par le bureau Madirassat.
5 Notamment le Syndicat Garrigues Campagne et le SIVOM de la Palus.
6 Ce volet est appuyé par Experts-Solidaires, il vise à valoriser le fabuleux patrimoine naturel, artisanal et archéologique de la vallée de l'Arghen qui comprend notamment la citadelle d'Igiliz, berceau de la civilisation Almohade.


Jean-Pierre Mahé
Experts-Solidaires
Site internet:
www.experts-solidaires.org

ABH Souss Massa et Draa-Agadir - Agadir - Maroc
AERMC - Lyon - France
AgroParisTech - Montpellier - France
CD 34 - Montpellier - France
Experts Solidaires - Montferrier sur Lez - France
 

Tableau des coopérations décentralisées dans la vallée de l’Arghen

L’organisation intercommunale en discussion en novembre 2017 [© Experts solidaires]

Branchement à Imounarim [© Experts solidaires]
 

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