retour imprimer © Lettre du pS-Eau 92 de Feb 2021

Niger: Pilotage concerté à l'échelle du canton de Kanembakaché, région de Maradi


Station de pompage de El Mayahi Cahm [© SEVES]

Mise en place d'une gestion intercommunale et mutualisation pour un service technique pérenne dédié à l'eau. À noter la gestion déléguée des mini-AEP, et le financement des investissements en partenariat public privé.

Le Niger est un pays sahélien parmi les plus vastes en Afrique de l'Ouest. Il compte 22,4 millions d'habitants et occupe l'avant-dernière place au classement de l'IDH en 2018. En matière d'accès aux services de base et de lutte contre la pauvreté, le pays doit relever les défis des effets majeurs du changement climatique au Sahel (sécheresses, inondations), sécuritaires (groupes terroristes aux frontières) et instabilité au Nord-Est avec la Libye, et une croissance démographique parmi les plus élevées au monde (3,84% en 2018). En milieu rural, le taux d'accès à un service élémentaire ou géré en toute sécurité en milieu rural était de 46% pour l'eau potable et de 40% pour l'assainissement en 2017 (JMP).

En 2010, le Niger adopte un Code de l'Eau et produit un Guide des services d'alimentation en eau potable dans le domaine de l'hydraulique rurale, qui détaille la stratégie sectorielle. Le service public de l'eau (SPE) en réseau s'articule désormais autour de 5 acteurs : le ministère de l'Hydraulique et de l'Assainissement et des directions déconcentrées en charge du respect des dispositions réglementaires relatives au SPE, du contrôle et de la régulation du secteur ; les communes (ou autorités délégantes) sont les maîtres d'ouvrage du SPE, responsables de l'approvisionnement en eau des populations de leur territoire, elles sont également propriétaires des infrastructures ; les associations d'usagers du service public de l'eau (AUSPE) sont responsables de la défense des droits des usagers ; la délégation de l'exploitation des systèmes à des opérateurs privés professionnels dans le cadre de contrat de délégation du service de type affermage est fortement encouragée, la gestion communautaire est la seconde option d'exploitation ; le suivi et l'évaluation des services d'eau sont assurés par une structure d'appui et conseil aux services publics de l'eau (SAC/SPE), agrémentée par l'État, signataire d'un contrat de prestation avec la commune.

Malgré un cadre sectoriel clair, Il existe un constat largement partagé de la faiblesse opérationnelle de la gestion déléguée au niveau local à travers :
1. une faible capacité des communes à jouer leur rôle d'autorité délégante, et des redevances trop faibles pour jouer ce rôle
2. une forte hétérogénéité de professionnalisme des délégataires de gestion
3. un faible taux de recours aux services des SAC/SPE par les communes
4. un rôle sous-estimé et non valorisé des AUSPE.

Le Canton de Kanembakaché

En 2016, les communes du canton de Kanembakaché comptaient 254 000 habitants. Le taux d'accès à un service d'eau potable de base était estimé à 29% dont 25% au niveau de Mini-AEP et 4% au niveau de pompes à motricité humaine (PMH) ; les puits, non protégés, n'ont pas été considérés comme un service de base. Dans les villages cibles du projet au moment du diagnostic en 2017, on compte en moyenne 1 000 personnes par point d'eau (puits), un taux d'équipement en latrines familiales inférieur à 10%, et des écoles et des cases de santé sans accès à l'eau et à l'assainissement. La corvée d'eau, qui incombe aux femmes et aux jeunes filles, est en moyenne d'1h30 par jour par ménage pour une eau non potable puisée en puits profond. L'achat aux revendeurs qui remontent l'eau par traction animale représente un coût d'environ 1 000 FCFA (1,52 €) par m3.

D'une durée de 42 mois (2017-2020), le « Plan d'action cantonal eau et assainissement de Kanembakaché » – PACK, concerne les quatre communes du canton (Issawane, Kanembakaché, Mayreyrey, Tchaké), département de Mayahi, région de Maradi, a été porté par les communes, et appuyé par l'association SEVES et le bureau d'études nigérien THEC, et financé par les l'Agence de l'eau Seine Normandie (AESN), les quatre communes, les délégataires de gestion des mini adductions en eau potable, le ministère de l'Hydraulique et de l'Assainissement (MHA), le Syndicat des eaux d'Île-de-France (SEDIF), le Syndicat intercommunal pour le gaz et l'électricité en Île-de-France (SIGEIF), et la Ville de Paris.

Le projet a permis un nouvel accès à l'eau potable au niveau de bornes fontaines pour 12 villages et 25 000 personnes avec la création de 8 Mini-AEP solaires ou mixtes dont 2 multi villages et la réhabilitation d'1 Mini-AEP, pour un prix du service de l'eau de 450 FCFA/m3 (0,67 €/m3), la réalisation de latrines VIP double fosse et d'un branchement à l'eau potable pour chacune des 12 écoles (1 821 élèves, 34 enseignants), les 5 cases de santé, la réalisation de 4 édicules publics (blocs sanitaires et douches) au niveau des principaux marchés et gares routières du Canton, et 439 ménages se sont équipés de latrines San Plat.
Concernant les mesures d'accompagnement, 12 associations des usagers du service public de l'eau (AUSPE) ont été créées et formées, et 29 redynamisées, 17 comités de gestion des équipements scolaires et de santé ont été redynamisés et formés à la gestion des équipements d'eau, d'hygiène et d'assainissement, 6 délégataires de gestion et l'opérateur de service d'appui-conseil au service public de l'eau (SAC/SPE) ont été renforcés, ainsi que les communes qui se sont regroupées au sein de l'association intercommunale du canton de Kanembakaché (AICK) et ont été appuyées pour mutualiser leurs moyens pour créer un service technique intercommunal. Des mesures de promotion de comportements adaptés (paiement du service de l'eau, lavage des mains, acquisition et utilisation de latrines) ont été dispensées dans l'ensemble des villages et des écoles.

L'intercommunalité : une opportunité de mutualisation des ressources pour professionnaliser l'autorité délégante, clé de voûte de la gouvernance du service.

Le PACK Niger a accompagné les 4 communes du Canton de Kanembakaché dans la mise en place de l'Association intercommunale du Canton de Kanembakaché (AICK), d'un service technique eau potable mutualisé avant de mettre en place un cadre de gestion déléguée multi acteurs afin d'améliorer les performances de gestion, améliorer le suivi, et renforcer le partenariat entre les acteurs locaux du service public de l'eau. En 2018, l'AICK a décidé de mutualiser les redevances « service municipal eau et assainissement » (SMEA), de 50 FCFA/m3 distribué. Avec 41 réseaux d'eau potable et une distribution annuelle estimée à 461 000 m3 à l'échelle du Canton, les recettes des redevances théoriques atteignent environ 23 000 000 FCFA (35 000 €).
Sur cette base, l'AICK a pu établir un budget annuel de fonctionnement du service technique « Eau » qui comprend :
• Le recrutement d'un agent eau et assainissement qualifié, et l'intégralité des équipements et des frais de logistique associés à ses missions, pour assurer la coordination des acteurs, le suivi et la collecte des données de gestion, le pilotage des contrats de délégation de service public (DSP), des fonds de renouvellement (FRE) et le suivi financier ;
• Le paiement de la redevance SAC/SPE pour ses prestations d'audit et d'appui-conseil ;
• L'indemnisation des AUSPE sur la base d'un cahier des charges et de livrables pour leur rôle de contrôle local et de représentation des intérêts des usagers ;
• La prise en charge des missions de la Direction départementale de l'Hydraulique et de l'Assainissement (DDH/A) :
• Le financement d'un cadre trimestriel de concertation et de suivi de la gestion déléguée ;
• Une partie des charges liées au fonctionnement de l'AICK ;
• Un reliquat dédié au cofinancement de projets.

Dès le 2nd semestre 2019, le service technique était opérationnel et viable sur financement unique des recettes dédiées à l'exercice de la maîtrise d'ouvrage (redevance SMEA). Il dispose de rapports semestriels d'audit technique et financier du SAC/SPE des 41 réseaux du canton, qui font l'objet de restitutions devant les délégataires, la Direction départementale de l'Hydraulique, les communes, et de plans d'action issus des recommandations des rapports.
Il convient de rappeler que la rapide mise en place de l'intercommunalité et du cadre de gestion déléguée au niveau de l'AICK tient à:
1. un portage politique fort : un engagement des maires, une volonté du président de l'AICK (le maire Kanembakaché), commune qui représente plus de 50% des services d'eau et des redevances SMEA ;
2. une mobilisation forte des acteurs du SPE : la présence et l'appui du SAC/SPE, le soutien de la DDH/A, la volonté des délégataires de se professionnaliser et de sécuriser leurs relations avec les communes.

Organiser la gestion déléguée : rétablir la confiance, répartir les rôles et relier les maillons de la chaîne de gestion.

Après cette reprise en main de son rôle par le maître d'ouvrage, la conduite du changement a pu démarrer en 2019 à travers la réalisation de séminaires semestriels multi acteurs regroupant les maires, le service technique de l'AICK, les délégataires, le DDH/A, le SAC/SPE, et les assistants techniques (Lysa Group, SEVES, THEC). L'objectif du premier séminaire était de rétablir la confiance se clarifier les problèmes rencontrés sur la gestion, d'élaborer un diagnostic et un plan d'action concertés pour la gestion des réseaux d'eau potable à l'échelle du Canton. Il permit d'identifier une faible maîtrise du contenu des contrats, associée à l'absence d'inventaire contradictoire en début de contrat empêchant la répartition des responsabilités de financement de la maintenance entre le délégataire et le maître d'ouvrage, des taux de recouvrement parfois faibles et des conflits sociaux, une absence des AUSPE sur le terrain faute de formation et d'incitation financière, une gestion peu transparente de la part des délégataires et des communes et une méconnaissance des textes relatifs à la gestion du service.

À la suite de ce diagnostic, un plan d'action a été élaboré et mis en œuvre comprenant:
1. la redynamisation et la formation des AUSPE (rôle, contrôle) et la budgétisation de leur financement par l'ACIK ;
2. la réalisation d'un état des lieux contradictoire du patrimoine hydraulique, la mise à jour de l'ensemble des contrats de délégation de service public (parfois caducs ou égarés) ;
3. un suivi des index de distribution et du recouvrement avec un contrôle des AUSPE ;
4). la formation des acteurs sur les textes de référence et la répartition des responsabilités ;
5. le développement de la transparence avec le versement régulier des redevances prévues au contrat, la communication sur les fonds de renouvellement disponibles par les communes.

La réalisation de ces actions a permis de créer un cercle vertueux de confiance retrouvée entre acteurs. Un meilleur taux de recouvrement, la sécurisation des contrats et les contrôles ont entraîné une augmentation substantielle des redevances dédiées au renouvellement des équipements et à la maîtrise d'ouvrage. Les indicateurs de performance des services sont mieux suivis et maîtrisés, des travaux ont pu être engagés (remplacement de pompes, remplacement de compteurs), et aucune mini-AEP ne connaissait de panne prolongée au premier trimestre 2020, bien que les délais de remise en service pour les petites pannes restent à améliorer sur certains services.

Mobiliser les opérateurs par le partenariat public privé pour le financement des investissements
Sur les 9 services d'eau potable créés et réhabilités, 4 sont alimentées en énergie mixte (solaire/thermique) et 5 en énergie solaire. Les délégataires ont financé l'intégralité des pompes immergées, des groupes électrogènes pour les 4 systèmes mixtes, et de 0 à 60% du coût des générateurs solaires. Sur 713 000 € (forages non compris) d'investissements dans les 9 Mini-AEP, 116 000 € (16%) ont été financés par les délégataires de gestion, dans le cadre d'appels d'offres et de contrats de construction-exploitation-investissement, avec une durée d'exploitation de 8 ans en moyenne. Ce financement en partenariat public privé permet de responsabiliser le délégataire de gestion par une prise de risque, de lier la viabilité du service aux performances d'exploitation, et de créer un effet de levier, encore limité, des subventions. Ce modèle de contrat d'affermage comportant un îlot concessif, maintenant fréquemment utilisé dans la région de Maradi, a également vocation à faciliter la remise en service des mini-AEP en panne sur l'investissement des délégataires en cas d'absence de fonds de renouvellement disponible au niveau des communes.

Enseignements

Il existe une capacité d'investissement non négligeable des délégataires de gestion pour le financement des infrastructures en partenariat public privé. Pour un passage à l'échelle, il reste que le cadre institutionnel et la stratégie nationale sont encore peu encourageants et peu clairs concernant l'investissement privé. La distribution d'eau potable est davantage perçue comme une activité sociale et non rentable que comme un service commercial viable par les institutions financières dont les conditions de prêts aux délégataires sont souvent prohibitives. Le travail d'élaboration des business plans, leur actualisation et leur évaluation restent faibles chez les délégataires, et aucun organisme ne semble dédié à leur accompagnement dans ce domaine.

Dès lors que la volonté politique existe, la maîtrise d'ouvrage communale peut être renforcée relativement rapidement à condition de former les maires à l'exercice de leurs responsabilités, d'identifier une échelle territoriale, intercommunale dans le cas présent, et de recettes permettant de mettre en place un service technique compétent (personnel diplômé) et formé et disposant de moyens adaptés (moto, frais de mission, etc.), de financer la prestation du SAC/SPE, de séparer le rôle de l'élu et du technicien dans la gestion du service. Toutefois, la professionnalisation de la maîtrise d'ouvrage s'inscrit dans le moyen terme, trois années permettant seulement une première assise technique et financière. L'AICK reste à ce stade une association qui mutualise des moyens de fonctions techniques, mais pas les fonds dédiés au renouvellement et l'investissement. Elle n'a pas le statut de collectivité territoriale et ne peut pas se voir transférer la compétence eau potable par les communes membres, qui conservent la maîtrise d'ouvrage sur leur territoire, la procédure pour créer un établissement public de coopération intercommunale étant très lourde pour des communes rurales, et l'intercommunalité effective encore peu expérimentée au Niger.

La participation citoyenne dans les services d'eau et la promotion de l'hygiène et de l'assainissement reste complexe : la stratégie nationale prévoit le financement de leurs activités par les communes sur la base de plans d'action et non leurs missions de base que sont la défense des intérêts des consommateurs, le contrôle et la médiation locale avec le délégataire, l'information et la médiation avec la commune. L'indemnisation des AUSPE budgétée par les communes pour ces missions reste suspendue en l'absence de modalités de justification comptable des indemnités allouées, qui permettraient de valoriser symboliquement leur rôle et rembourser les frais de téléphonie et de déplacement au chef-lieu de commune par exemple.

Au vu de l'habitude bien ancrée du paiement du service chez les populations, un dynamisme et une prise de risque de la part des délégataires de gestion, le secteur de l'eau en milieu rural au Niger dispose d'atouts considérables pour améliorer le taux de fonctionnement, la pérennité et le développement des services en réseau. La professionnalisation des communes en tant qu'autorités organisatrices du service public de l'eau, appuyées par le SAC/SPE, constitue probablement la clé pour encourager ces dynamiques, renforcer le lien avec les organisations représentantes des usagers et augmenter les ressources dédiées au secteur de par une gestion efficace de leurs redevances et la mobilisation de l'investissement des délégataires. La gestion de contrats de délégation de service public complexes (plusieurs dizaines par commune parfois) demande un service technique compétent et ne peut être assurée seulement par le maire. L'intercommunalité constitue une opportunité non négligeable, en particulier pour les communes avec peu de services et dont les recettes ne permettent pas d'envisager le recrutement d'un agent.

Le développement rapide de l'énergie photovoltaïque pour le pompage a entraîné une diminution considérable des charges d'exploitation, ouvrant de nouvelles opportunités pour le financement du renouvellement, mais également pour le développement des services, et le financement du patrimoine dont la durée de vie dépasse 20 ans (château d'eau, réseau, forage), jusqu'alors non considéré dans l'assiette tarifaire. La réalisation de plusieurs centaines de mini-AEP dans la région de Maradi au cours des quinze dernières années rend urgente une professionnalisation des acteurs, et les prémices d'une réflexion sur la gestion patrimoniale et le renouvellement des infrastructures qui arriveront simultanément à la fin de leur durée de vie d'ici une vingtaine d'années.
youtu.be/-Tm1FZ80wwI


Romain Desvalois
Email:
romaindesvalois@asso-seves.org
Site internet: www.asso-seves.org

AE Seine-Normandie - Courbevoie - France
AICK - Kanembakaché - Niger
Lysa Group - Saint Cômes et Maruéjols - France
MHAE - Niamey - Niger
SEDIF - Paris - France
SEVES - Paris - France
SIGEIF - Paris - France
THEC - Maradi - Niger
Ville de Paris - Paris - France
 

Nyelwa – Latrines de l’école [© SEVES]

Séance de travail à l’occasion d’un séminaire trimestriel [© SEVES]
 

©Lettre du pS-Eau 92 de Feb 2021

   © pS-Eau 2024