retour imprimer © Lettre du pS-Eau 91 de Mar 2020

Au Mali, dans les cercles de Diéma, Douentza et Nioro-du-Sahel: Agir efficacement en zone de sécurité dégradée


Distribution améliorée à la borne fontaine [© RésEM]

À travers la force mutualisée d'un réseau pluri-acteurs, les membres du RésEM continuent de mener des programmes de coopération multisectoriels, certains consacrés à l'eau et à l'assainissement, visant à renforcer les services publics de proximité à l'échelle de trois cercles.

La spécificité d'une action menée en réseau

Le RésEM est un réseau de coopération décentralisée mobilisant des collectivités territoriales et des représentants de la société civile, en France et au Mali, soit 42 structures, dont 27 collectivités territoriales et institutions publiques essonniennes et maliennes et 15 associations de solidarité internationale et de migrants. Le réseau permet de puiser dans les compétences spécifiques de chacun pour accroître l'impact des coopérations entre le Mali et l'Essonne. Les membres sont réunis par des valeurs communes, inscrites dans une charte dont la signature marque l'adhésion au réseau. Ils poursuivent des objectifs partagés et mettent en commun des moyens humains, techniques et financiers. Le conseil départemental de l'Essonne est l'autorité de gestion financière et chef de file du RésEM. Cependant, dans un esprit de responsabilité mutuelle, ce chef de filât est partagé avec ses partenaires institutionnels, les conseils de cercle de Diéma, Douentza et Nioro-du-Sahel, réunis au sein d'une intercollectivité ad hoc.

Le réseau est né du rapprochement de deux groupes d'acteurs intervenant au Mali :
• le conseil départemental de l'Essonne, en partenariat de coopération décentralisée depuis 1996 avec le conseil de cercle de Douentza ;
• l'association Essonne-Sahel, regroupant depuis 1988 des acteurs, principalement essonniens, de la solidarité et de la coopération internationales en partenariat avec des communes des cercles de Diéma et Nioro-du-Sahel, et bénéficiant notamment d'appuis financiers du conseil départemental.

En 2009, la volonté de renforcer, pérenniser et mettre en cohérence les activités de coopération décentralisée menées sur les trois cercles a conduit le Département à élargir sa zone de coopération avec les conseils de cercle de Diéma et Nioro-du-Sahel. Cela s'est traduit par la signature de nouveaux partenariats institutionnels entre le conseil départemental et les conseils de cercle de Diéma, Douentza et Nioro-du-Sahel, et par la contractualisation avec les acteurs essonniens (communes et associations) engagés sur ces territoires. C'est ainsi qu'est né le réseau Essonne, Diéma, Douentza, Nioro-du-Sahel (EDDN), désormais dénommé réseau Essonne-Mali (RésEM).

Structuration et instances de gouvernance

La structuration et la gouvernance du RésEM ont été adaptées au fil des élargissements afin de faciliter l'atteinte de ses objectifs et de mieux répondre aux attentes de ses membres. Prenant en compte les différents contextes existants, les structures essonniennes et maliennes du RésEM ne sont pas identiques. Sous réserve de respecter les valeurs et les objectifs communs, les deux parties sont chacune responsables et souveraines dans leur manière de faire vivre le réseau sur leur territoire, au regard de leurs spécificités, moyens, contraintes et priorités propres. Les espaces de dialogue et de travail ont donc été adaptés aux caractéristiques, attentes et priorités des membres du réseau. En Essonne, le pilotage politique et stratégique du réseau est discuté et voté en comité d'orientation et de programmation (COPROG). Celui-ci réunit tous les membres de son territoire une fois par an. La gestion opérationnelle des programmes est quant à elle assurée par le personnel du Département, d'Essonne-Sahel et de la coordination (constituée de deux techniciens basés à Bamako). Cette dernière, mise à disposition par les conseils de cercle, coordonne les actions menées sur les trois territoires de sorte à favoriser les synergies, les économies d'échelle et les échanges de bonnes pratiques. La coordination exerce des missions de suivi régulières dans les territoires, permettant de conforter les analyses des besoins, d'évaluer les projets et de proposer les correctifs nécessaires quand il le faut.

Pourquoi l'eau ?

L'accès à un environnement sain, à l'eau potable, à l'hygiène et à l'assainissement des populations des cercles de Diéma, Douentza et Nioro-du-Sahel constitue l'une des priorités sectorielles des programmes du RésEM. Les effets positifs en matière de santé (diminution des maladies hydriques) et de création de richesses (participation des femmes à des activités génératrices de revenus grâce à la réduction du temps de corvée d'eau) ne sont plus à démontrer.

Dans les zones de culture et d'élevage, la disponibilité des points d'eau potable et leur multi-usage participent à l'épuisement des ressources, engendrent des dysfonctionnements de gestion, génèrent des conflits et peuvent conduire à la contamination et à la propagation des maladies hydriques. Dans les localités les plus enclavées, pour des raisons géographiques ou sécuritaires, le stress hydrique représente également un problème critique ; l'eau, plus qu'une ressource naturelle, y devient un véritable enjeu facteur de conflits.

Au-delà du manque d'ouvrages, les problèmes de gouvernance autour des points d'eau et la faiblesse de la réponse institutionnelle et des services publics à prendre en charge ces situations de fragilité diminuent le potentiel de résilience des populations et des écosystèmes. Le renforcement des capacités, la structuration du dialogue entre les différentes parties prenantes locales et la sensibilisation des communautés en matière d'hygiène sont nécessaires pour garantir la durabilité des services de l'eau et de l'assainissement. Grâce à ses fonds propres et à l'appui financier de divers bailleurs (agence de l'eau Seine Normandie [AESN], ministère de l'Europe et des Affaires étrangères et Union européenne), plusieurs programmes eau et assainissement ont été menés par le RésEM :
• 2019-2021 – Montant total : 672 832 €
• 2015-2017 – Montant total : 718 037 €
• 2010-2012 – Montant total : 559 863 €

Une méthodologie d'action bien définie

Le partage et la mutualisation des expériences et expertises accumulées par les membres du RésEM ont permis d'élaborer et de définir une méthodologie s'appuyant sur les fondamentaux de la conduite de projets. Ainsi, les réalisations d'ouvrages eau et assainissement se basent systématiquement sur des études préalables (socio-économiques, techniques et géophysiques) précédant la mise en œuvre des projets d'alimentation en eau potable (adduction d'eau potable, solarisation de forage, pompe à motricité humaine, puits, etc.) et des projets d'assainissement (latrines, aires de lessive, etc.). Ces études garantissent la faisabilité technique et sociale des projets. Elles confirment les besoins, définissent les dimensionnements et caractéristiques techniques des ouvrages et équipements, ainsi que les coûts prévisionnels. Elles favorisent une meilleure connaissance des contextes locaux, l'acceptabilité des populations à l'organisation de la gestion de l'eau, au paiement du service et à la capacité de paiement. Elles permettent également de vérifier que les initiatives portées par le réseau sont réalisées en adéquation avec les priorités et planifications locales et nationales.

Le réseau bénéficie également de l'appui technique de l'association Essonne-Sahel, qui met à disposition des membres du RésEM des experts reconnus sur cette thématique. Ces derniers émettent avis et recommandations sur la viabilité technique, économique et sociale des projets du réseau avant qu'ils ne soient mis en œuvre et s'assurent de la qualité des études de faisabilité menées sur place. Ils sont aussi sollicités pendant toute la phase de mise en œuvre des projets, afin de favoriser un suivi rigoureux des actions. Tous les investissements sont couplés à des opérations d'appui à la structuration et de formations à destination des comités de gestion et de sensibilisation des usagers des services de l'eau et de l'assainissement. Ces actions sont généralement mises en œuvre par les intercollectivités présentes au niveau de chaque cercle : Kawral (regroupant 15 communes) à Douentza, UCD-Benso (15 communes) à Diéma et Sycoten (16 communes) à Nioro-du-Sahel. Ces dernières sont aussi en charge des opérations de renforcement des compétences des techniciens et des élus sur le service public de l'eau. Les collectivités locales bénéficient également d'une assistance à la maîtrise d'ouvrage tout au long de la mise en œuvre des projets, de l'aide à la décision, d'un appui à la planification, du suivi-contrôle des travaux à la pérennisation des actions (élaboration des comptes d'exploitation et des modalités de pérennisation des ouvrages avec les bénéficiaires).

Les atouts d'une structuration en réseau

Malgré la crise que connaît le Mali, le réseau a permis la continuité des coopérations et la préservation des réalisations, notamment dans le cercle de Douentza. Il a permis la renaissance de 4 partenariats anciens entre des territoires du cercle de Douentza et de l'Essonne. Hors réseau, depuis 2012, ces structures n'étaient plus en mesure de coopérer en raison du contexte sécuritaire particulièrement dégradé de ce cercle. En s'appuyant sur la structuration du RésEM, elles ont pu reprendre leur coopération en bénéficiant d'appuis sur place. Un autre atout du réseau réside dans sa force d'intervention. A travers les différentes structures mobilisées, le réseau permet en effet d'intervenir dans les 46 communes des 3 cercles. Dans le cadre du « Programme concerté de renforcement de l'accès à l'eau potable et à l'assainissement 2015-2017 », soutenu financièrement par l'AESN, des études-diagnostics sur l'accès à l'eau potable, l'hygiène et l'assainissement ont été réalisées sur les 46 communes des trois cercles.
De même, les formations et les sessions de sensibilisation dispensées par les intercollectivités présentes au niveau de chaque cercle, Kawral à Douentza, Sycoten à Nioro-du-Sahel et UCD-Benso à Diéma, bénéficient aux populations des trois territoires. Les différents programmes du RésEM ont permis de mettre en place des outils de suivi et de collecte des informations techniques et financières. À titre d'exemple, un guide des procédures de gestion, interne au réseau, a harmonisé les règles de gestion, clarifié les rôles et responsabilités des différentes parties prenantes, favorisé les synergies et sécurisé les investissements. Enfin, en France le réseau a souhaité développer des leviers visant à pérenniser et améliorer sa coopération, en allant au-delà de la seule mise en œuvre d'actions de développement au Mali ; l'idée étant de favoriser une plus grande réciprocité de la coopération en proposant des plus-values directes pour le territoire essonnien. Ainsi en 2018, à la commission « Développement territorial » (programmes de coopération pluriannuels), se sont ajoutées : 1) La commission capitalisation du réseau, avec pour vocation le renforcement des expertises par le partage des bonnes pratiques et des expériences avec les autres acteurs essonniens de la solidarité internationale, non membres du réseau, mais confrontés à des problématiques similaires ; 2) la commission « Animation territoriale », pour l'organisation d'actions de communication, de sensibilisation, d'éducation à la citoyenneté et à la solidarité internationale en milieu scolaire, et à la diffusion des cultures maliennes en Essonne et avec pour objectif la mise en relation des membres du RésEM avec les acteurs culturels et les parties prenantes de l'éducation nationale et populaire en Essonne.

Les marges d'amélioration Perspectives d'avenir

Les impacts des programmes passés ont été analysés par le biais d'une évaluation externe, menée par une structure indépendante spécialisée sur la thématique de l'eau. Celle-ci constate des impacts positifs profonds au bénéfice des populations, ainsi que la plus-value de la structuration du réseau pour la diffusion des connaissances et la réalisation d'économies d'échelle. Les actions sont pertinentes au regard du contexte et des priorités locales, et cohérentes avec les politiques et stratégies nationales de l'eau potable et de l'assainissement.

Néanmoins, il est essentiel de renforcer les mécanismes de gouvernance au niveau local en menant des réflexions sur la professionnalisation des gestionnaires et des collectivités afin de garantir la pérennité des ouvrages à plus long terme. L'évaluation met donc en avant des marges d'amélioration et des recommandations pour améliorer l'efficacité, la qualité et la pérennité des prochaines actions :
• Accentuer les activités d'intermédiation sociale visant le changement des comportements : les sessions d'information, d'éducation et de communication entreprises par les intercollectivités et prestataires recrutés ont été indispensables sur les programmes passés mais doivent être renouvelées et complétées. Pour consolider les acquis et insuffler une dynamique durable du processus de changement des comportements, il est nécessaire de poursuivre les mesures sociales d'accompagnement bien après la réception des projets.
• Faire une remise à niveau des capacités locales en matière de gestion et de maintenance des installations dans les villages et communes cibles des programmes passés et présents.
• Renforcer la concertation entre les acteurs intervenant dans ce domaine pour plus de synergie.
• Renforcer le dispositif de suivi-évaluation et de capitalisation des expériences par les collectivités.



Zoom sur deux projets

Village de Tabelbel, commune de Gandamia (en partenariat avec la commune de Cerny et l'association Aïgouma), cercle de Douentza
Dans le cadre du programme « Eau et Assainissement 2015-2017 » du RésEM soutenu financièrement par l'AESN, le village de Tabelbel a bénéficié de l'installation d'un forage équipé d'une pompe à motricité humaine, d'un bloc de deux latrines publiques et d'une aire de lessive. Avant la réalisation de ce projet, le manque d'eau obligeait les habitants à aller chercher de l'eau dans les localités voisines (à en moyenne 12 km), qui souffraient à leur tour de la sur-fréquentation de leurs points d'eau. En période sèche, les habitants étaient parfois même contraints d'abandonner le village. La communauté villageoise s'est fortement impliquée dans la réalisation des activités ; elle a contribué en termes de main d'œuvre non qualifiée et assuré la logistique et la fourniture des graviers, sable et eau nécessaires aux travaux, et cela malgré l'insécurité qui règne dans la zone. Un comité de gestion a été créé et ses 8 membres ont été formés sur leurs rôles et responsabilités. Plusieurs séances de sensibilisation ont été organisées à destination des usagers. Les latrines et l'aire de lessive ont permis à la communauté d'améliorer l'hygiène environnementale et vestimentaire.
« La réalisation de la PMH a donné une vie nouvelle à la communauté de Tabelbel. Aujourd'hui la population est fixée durant les 12 mois de l'année grâce à la pompe à motricité humaine », une femme du village.

Village de Darsalam, commune de Diéma (en partenariat avec le comité des jumelages de Chilly-Mazarin), cercle de Diéma
Darsalam, un hameau en pleine expansion devenu récemment village, a vu ses besoins augmenter. En 2016, pour répondre à la demande en eau potable, les habitants, avec l'accord de la mairie de Diéma, ont sollicité les ressortissants de Darsalam en France pour la réalisation d'une adduction d'eau potable solaire sommaire. Ces derniers ont relayé la demande auprès du comité des jumelages de Chilly-Mazarin. Sur la phase 2016-2018, le projet a reçu l'appui des bénéficiaires et des partenaires techniques et financiers sollicités (le conseil départemental de l'Essonne, le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, le conseil régional d'Ile-de-France, la mairie de Diéma, les ressortissants du village et le comité des jumelages). Un forage équipé d'un pompage solaire avec un château d'eau et des bornes fontaines publiques ont été installés dans le village. Les mesures sociales d'accompagnement ont été une composante essentielle à la réussite du projet avec :
• Un volet accompagnement à travers des sessions d'information, de communication et d'échanges avec la population en amont et pendant la mise en œuvre du projet, et des séances de sensibilisation sur la nécessité de protéger la ressource en eau potable et sur l'importance de l'hygiène autour des points d'eau ;
• Un volet structuration et formation du comité de gestion (entretien des sites, maintenance des installations), dispensée pendant 4 jours par l'intercollectivité UCD Benso ;
• Un volet appui à la maîtrise d'ouvrage des élus : l'UCD Benso a assuré l'assistance à la maîtrise d'ouvrage et le suivi technique du projet.

Pendant les six mois qui ont suivi la réception de l'ouvrage, l'UCD Benso a assuré un suivi-conseil auprès des usagers dans la gestion et l'entretien des installations.


Aly-Badara Sylla
RésEM (Mali)
Email:
alysylla.eddnmali@gmail.com

Alisson Pistre
Conseil départemental de l’Essonne
Email: apistre@cd-essonne.fr

Jean-Luc Gaget
Essonne Sahel
Email: essonnesahel@gmail.com
Site internet: www.91essonnesahel.org

CJ Chilly Mazarin / Diéma - Chilly Mazarin - France
DCAI - Evry-Courcouronnes - France
Essonne Sahel - Bures-sur-Yvette - France
Mairie de Cerny - Cerny - France
Mairie de Diema - Diema - Mali
ResEM - Bamako - Mali
 

Un puits moderne dans la commune de Gandamia [© RésEM]

Le château d’eau de Sandaré [© RésEM]
 

©Lettre du pS-Eau 91 de Mar 2020

   © pS-Eau 2024