retour imprimer © Lettre du pS-Eau 90 de Oct 2019

Birmanie: Renforcer les opérateurs pour des services améliorés dans les villes secondaires


Travaux pour les services d’alimentation en eau potable [© Gret]

Résolument orienté vers le renforcement des capacités des opérateurs, et basé sur une approche intégrée multi-services « eau-assainissement-déchets », le projet ROSAMUR prévoit l'amélioration des services de la Ville de Magway.

Des services urbains défaillants

Selon le dernier recensement de 2014, la Birmanie compte près de 51 millions d'habitants dont deux tiers vit en zone rurale. Le pays connait une phase d'urbanisation rapide avec un accroissement démographique dans les zones périphériques des principales villes. Selon les données de 2017 du Joint Monitoring Program), 93% des habitants des zones urbaines auraient un accès amélioré à l'eau potable et 88% à l'assainissement. Ces chiffres sont clairement surévalués et ne tiennent pas compte de la qualité, de la fiabilité et de la durabilité des services qui sont au cœur des nouveaux Objectifs de développement durables. Par ailleurs, une étude indique que les Birmans produisaient en moyenne 0,44 kg de déchets par jour et par personne en 2012 et que ce chiffre devrait doubler d'ici 2025, ce qui compliquerait la tâche des services municipaux, aujourd'hui déjà dépassés. Les villes birmanes pâtissent en effet d'un état de délabrement avancé des infrastructures hydrauliques et d'une qualité de service particulièrement préoccupante. Les installations collectives ne couvrent jamais l'intégralité du territoire et, là où elles existent, leur fonctionnement est en-deçà des standards internationaux (discontinuité de l'alimentation en eau, systèmes d'évacuation des eaux usées non fonctionnels, collecte des déchets irrégulière voire inexistante etc.). Les opérateurs de services souffrent en outre de divers maux liés à un manque de formation et à des contraintes financières et matérielles.

Un cadre institutionnel et organisationnel insuffisant

Au niveau national, le cadre institutionnel des services urbains manque de clarté et de leadership. Alors que l'assainissement et la gestion des déchets relèvent théoriquement du ministère des Ressources naturelles et de la Conservation de l'environnement, le secteur de l'eau en zone urbaine n'est doté d'aucun ministère de tutelle. Pour ce secteur, les responsabilités sont éclatées entre de nombreux ministères et il en résulte une absence quasi-totale de cadre stratégique et de régulation ainsi qu'un manque de coordination des interventions.

Le TDC, un opérateur unique pour la fourniture des trois services : eau – assainissement – déchets

Le développement et la fourniture des services essentiels dans les villes sont placés sous la responsabilité des City Development Committee (CDC) dans les trois plus grandes villes du pays (Yangon, Mandalay et Nay Pyi Daw) et du Township Development Committee (TDC) dans les autres villes comme Magway. Ces TDC sont chargés de développer et d'exploiter les services d'approvisionnement en eau, d'assainissement et de gestion des déchets. Bien qu'en partie autofinancés grâce aux taxes et redevances qu'ils peuvent collecter directement pour la fourniture des services et via l'attribution de licences commerciales, les TDC ne disposent dans les faits que d'un pouvoir de décision limité. En effet les décisions stratégiques en termes de développement et de gestion des services ne peuvent être prises sans accord de leur ministère régional de tutelle.
Par ailleurs, leurs équipes sont généralement largement sous-dimensionnées. Très peu formés sur le plan technique et peu sensibilisés aux problématiques de gestion des services, les agents bénéficient en outre de moyens très limités. En termes organisationnel enfin, le service d'eau est placé sous l'autorité du département technique des TDC, alors que les services d'assainissement et de gestion des déchets sont placés sous la responsabilité du département administratif, dépourvu d'ingénieurs et autres techniciens. Il y a une déconnexion forte entre les équipes techniques (en charge de l'opération et de la maintenance) et les équipes chargées de la collecte des redevances lorsqu'elles existent : l'absence de communication entre ces entités complique encore la gestion des services concernés. On est également très loin d'une approche centrée sur l'usager dont les besoins seraient analysés et dont la satisfaction serait recherchée.
À Magway, le TDC est administré par un comité composé de 3 membres élus et de 3 membres nommés et est organisé autour d'un département technique et d'un département administratif qui regroupent près de 200 cadres et agents.

Appuyer les villes secondaires, oubliées des programmes de développement

Si les opérateurs de services des villes secondaires sont demandeurs d'assistance à tous les niveaux, la grande majorité des financements internationaux continuent pourtant de se concentrer dans les zones rurales ainsi qu'à Yangon et Mandalay. Les très rares projets ciblant les villes secondaires sont à ce jour strictement infrastructurels. C'est sur la base de ce constat que le Gret a initié fin 2015, avec le soutien de l'ambassade de France, un premier programme visant d'une part à faire émerger un réseau de partage d'expériences entre les responsables des services urbains, et d'autre part à renforcer leurs capacités à travers des formations ciblées et un accompagnement régulier. D'abord limité à l'organisation de séminaires d'échanges et d'ateliers techniques, ce programme « Renforcement des opérateurs et services améliorés en milieu urbain » - ROSAMUR a pris une nouvelle dimension en 2017 grâce à la mobilisation de nouveaux partenaires : Bordeaux Métropole, l'agence de l'eau Adour-Garonne, la fondation Ensemble, le Syctom et la fondation Saur Solidarités ont ainsi apporté les moyens complémentaires pour permettre de déployer, sur une ville « laboratoire », les investissements pilotes et une assistance technique globale pour l'amélioration des services essentiels.

Le projet ROSAMUR : la ville de Magway pour pilote

Située en zone sèche de Birmanie, la ville de Magway (75 000 habitants) a donc été retenue pour la mise en place d'un premier projet pilote intégré d'eau, d'assainissement et de gestion des déchets axé sur le renforcement des capacités du TDC pour améliorer la performance des services fournis aux habitants. La composante eau est essentiellement centrée sur l'amélioration de la gestion commerciale du service et sur l'amélioration des conditions de desserte dans une zone centrale de la ville. En termes d'assainissement, l'absence de données de base a conduit à orienter l'appui du Gret vers la réalisation d'une étude de filière exhaustive et la définition d'un plan d'action : une première en Birmanie pour une ville secondaire. Concernant la gestion des déchets, le diagnostic a orienté les actions vers l'optimisation des circuits de collecte à l'échelle de la ville et la construction d'une unité de compostage pour les déchets (des marchés dans un premier temps). Des sessions de formation des opérateurs et des campagnes de sensibilisation contribuent aussi à optimiser l'impact des investissements. Enfin, les séminaires annuels permettent le partage d'expérience entre pairs et le renforcement des compétences des opérateurs d'autres villes du pays.

Des diagnostics approfondis pour pallier le déficit de données et de références locales

Initiées fin 2017, les premières étapes du projet ont consisté en la réalisation de diagnostics techniques et organisationnels détaillés des services d'eau et de gestion des déchets, et d'une étude exhaustive de la filière d'assainissement liquide. Ce travail de plusieurs mois a permis d'aboutir à l'identification de problèmes et de zones prioritaires et à la formulation de plans d'action adaptés. Ces diagnostics ont été réalisés avec une forte implication du TDC dans la collecte et l'analyse des données : cette étape a permis une première montée en compétence des équipes de la Ville et d'aboutir à des plans d'action partagés.

Les interventions prioritaires : entre optimisation du budget et recherche d'impacts durables

Pour le service d'alimentation en eau potable : maîtrise de la ressource et amélioration de la qualité de service aux abonnés
En termes d'accès à l'eau tout d'abord, une zone pilote a été proposée par le TDC pour mettre en œuvre un ensemble de mesures visant à améliorer les conditions de desserte. Située au centre de la ville, la « zone de distribution n°1 » choisie est en effet emblématique des problèmes rencontrés sur l'ensemble de la ville (et dans la plupart des villes secondaires du pays) : alimentation discontinue, faible pression dans les réseaux, taux de fuite considérable, modalités de raccordement anarchiques, dispositifs de comptage déficients, etc.
Un premier travail de cartographie des réseaux et d'enquêtes sur les conditions de desserte et les modalités de facturation dans la zone a permis de mieux maîtriser le schéma de distribution. Un compteur de production a ensuite été installé pour connaître le débit du forage alimentant cette zone. Enfin, le budget étant limité sur cette ligne budgétaire, le choix d'investissement s'est tourné vers la sécurisation de la production et du stockage via la construction d'un nouveau réservoir sur le site d'un réservoir désaffecté (les usagers étaient jusqu'à présent alimentés « en direct » à partir de l'eau produite par le forage). La configuration des branchements existants a été reprise et le TDC a accepté le principe de prévoir un réseau « tertiaire » qui fait aujourd'hui défaut. Ceci permettrait d'améliorer les conditions de desserte (continuité, pression), d'une part pour mieux assurer le comptage des volumes et d'autre part pour fournir un argument pour la promotion du raccordement au réseau par branchement privé.

Pour le service de gestion des déchets : optimisation des circuits de collecte, compostage des déchets de marché et amélioration des conditions d'exercice des travailleurs informels

Le diagnostic complet du service de gestion des déchets solides a démontré l'intérêt de valoriser la part organique des déchets de marché, qui atteint plus de 80% actuellement. Ce diagnostic a été complété par une mission d'experts d'Aquassistance
(www.acquassistance.org) qui a confirmé et permis d'approfondir les options envisagées par le Gret et le TDC de Magway. Un avant-projet détaillé et un appel d'offre pour la construction d'une unité de compostage ont donc été finalisés sur cette base et il est prévu que les travaux démarrent d'ici la fin de l'année 2019. L'enjeu est environnemental mais aussi économique en visant à prolonger la durée de vie de la décharge. Ceci étant dit, comme dans la grande majorité des cas, les études et le compte d'exploitation prévisionnels de l'unité montrent que les revenus issus de la vente du compost ne couvriront pas les coûts de la gestion de cette unité et le TDC s'est engagé à en couvrir une partie à partir de son budget. À l'échelle de la ville, le fonctionnement de la collecte de déchets ménagers se fait en porte à porte. Les travailleurs informels y jouent un rôle central : ils embarquent à bord des camions du TDC pour y effectuer un tri à la source. Les cartons, plastiques, métaux, verres, etc. sont ainsi mis de côté dès leur collecte. Une fois arrivés à la décharge, les camions déversent les déchets restants et les autres membres de la famille des travailleurs informels effectuent une seconde étape de tri. Les produits du tri sont vendus à des grossistes et revendus vers des usines de la capitale ou de la sous-région. Il s'agit du principal revenu de ces familles qui travaillent dans des conditions sanitaires très précaires. Face à cette situation, les acteurs du projet ont décidé de reconnaître le rôle majeur joué par ces informels et de l'intégrer aux futures modalités de gestion du service de collecte et de l'unité de compostage. Leurs conditions de travail sur la décharge seront ainsi améliorées via la construction, sur le site de l'unité de compostage, d'un espace refuge avec vestiaires, point d'eau et source d'énergie.

Enfin, les circuits de collecte ont pu être analysés finement grâce à l'outil de géolocalisation des camions acquis par le TDC lui-même. Des propositions d'ajustement ont été formulées et seront testées dans les prochains mois. Au-delà de ces mesures, un défi considérable qui nécessiterait des moyens très conséquents demeure. Celui d'une meilleure gestion de la décharge visant à réduire son impact sur le milieu naturel et les risques sanitaires pour les travailleurs informels. Cela devrait faire l'objet d'une nouvelle intervention dédiée.

L'assistance à maîtrise d'ouvrage : un positionnement délicat mais gage de durabilité

Le Gret revendique très généralement un positionnement d'assistant à maîtrise d'ouvrage où la collectivité est au cœur du diagnostic, du choix des solutions et de leur mise en œuvre, y compris d'un point de vue financier.

Le contexte birman, de ce point de vue présentait :
• Des difficultés liées au manque de données et de références et au besoin de créer des liens de confiance. En effet, la Birmanie s'est ouverte au reste du monde en 2011 après des années de relative autarcie. Si les acteurs de développement et les partenaires privés ont rapidement afflué, ils se sont principalement intéressés aux grandes villes. Un projet de coopération décentralisée et le positionnement d'assistant technique étaient donc nouveaux pour les élus et les services d'une ville comme Magway et il a fallu du temps pour poser les bases du partenariat, mettre en place les méthodes de travail et gagner la confiance du TDC et du gouvernement régional.
• Un avantage de taille : un seul opérateur public pour les trois services d'eau potable, d'assainissement et de gestion des déchets. Cela a permis de mutualiser l'accompagnement et de croiser les enseignements transversaux aux trois services : l'importance et la méthodologie de diagnostic, les enjeux de gestion du service et de souci de l'usager, la planification intelligente des infrastructures, etc.

Promouvoir une approche tournée vers la durabilité plutôt que le tout investissements
Par ailleurs, les rares interventions dans la zone privilégiaient des approches de construction d'infrastructures avec peu (souvent pas) d'accompagnement des gestionnaires des services. Le Gret, en privilégiant le renforcement des capacités sur les investissements, et en cherchant à promouvoir des solutions durables souvent moins intensives en infrastructures visibles, a pu surprendre au départ : il est crucial d'expliquer et de savoir faire des compromis. A titre d'illustration il a fallu démontrer que l'unité de compostage ne sera pas économiquement viable sans la contribution du TDC en subvention récurrente et que les travailleurs informels avaient un rôle important à jouer. Ces décisions nécessitent préalablement un temps important de discussion sur les aspects technico-économiques et sociaux des services.

Des enseignements encourageants

Comme dans de nombreux projets de développement, la difficulté est de prioriser les investissements les plus pertinents face à un budget contraint et des besoins quasi-illimités. Les partenaires considèrent donc que le projet ROSAMUR est une 1ère phase permettant d'apprendre à travailler ensemble, de réaliser les diagnostics et de tester les premières réalisations. Une phase 2 est en cours de conception et sera nécessaire pour inscrire les réalisations initiales dans la durée. Par ailleurs, l'objectif est aussi de faire bénéficier d'autres villes secondaires de la dynamique d'investissements pilotes.

Le projet ROSAMUR n'est pas encore terminé et le chemin est encore long pour réceptionner les investissements pilotes et améliorer durablement les pratiques de gestion. Cependant, des premiers enseignements émergent à ce stade :
• La valeur d'un diagnostic approfondi et partagé, particulièrement dans un contexte comme celui des villes secondaires birmanes, pour lesquelles il y a peu de bonnes pratiques et peu de références similaires. Au-delà du projet, ce travail contribue à améliorer la connaissance sectorielle au niveau national.
• La pertinence confirmée d'un positionnement d'assistant à maîtrise d'ouvrage qui peut être long à mettre en place et générer des retards mais qui permet de positionner l'acteur local au cœur des changements et d'éviter la substitution.
• L'intérêt d'une approche multisectorielle, intégrée et fortement centrée sur le renforcement de capacités des opérateurs pour améliorer la qualité des services en favorisant l'appropriation de processus de gestion et d'amélioration et en facilitant le lien entre tous les acteurs concernés. Cette approche multi-services est facilitée par l'existence d'un interlocuteur unique : le TDC, compétent en matière d'eau potable, d'assainissement et de gestion des déchets.
• Un bilan encourageant, puisque les travaux sont en cours, le TDC de Magway est très mobilisé et les opérateurs de services d'autres villes montrent leur intérêt à partager leurs expériences. Celle-ci confirme qu'il est possible d'intervenir en coopération décentralisée auprès des villes secondaires birmanes.
• … mais un accompagnement de proximité à inscrire dans la durée. En effet, les changements sont longs à opérer (notamment pour tirer parti des actions de renforcement des capacités). Une seconde phase du projet sera nécessaire pour maximiser et pérenniser les bénéfices.

Enfin, les effets sont aussi le fait de changements globaux qui dépassent le périmètre d'intervention : il peut s'agir des prochaines élections générales (en 2020), des effets du changement climatique sur la disponibilité de la ressource en eau ou de la fermeture des frontières chinoises aux produits issus du tri des déchets. Ces évènements sont aussi à analyser finement et à aborder avec les partenaires locaux dans le cadre des actions de renforcement des capacités : c'est ainsi qu'ils seront mieux armés et qu'ils sauront s'adapter aux évolutions futures du contexte dans lequel ils évoluent.


Thomas Le Jeune
Email:
lejeune@gret.org
Site internet: www.gret.org

Thibaut Le Loc’h
Email: le-loch@gret.org
Site internet: www.gret.org/projet/renforcement- operateurs-de-services-ameliores-milieu-urbain

AE Adour-Garonne - Toulouse - France
Bordeaux Métropole - Bordeaux - France
GRET - Nogent sur Marne - France
GRET - Yangon - Birmanie-Myanmar
Magway City - Magway - Birmanie-Myanmar
SAUR Solidarités - Issy les moulineaux - France
Syctom - Paris - France
 

Assistance à maîtrise d’ouvrage [© Gret]

Station de traitement des eaux de surface [© Gret]
 

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