retour imprimer © Lettre du pS-Eau 88 de Mar 2019

Haïti, sur l'Île de la Tortue: Une seconde vie pour l'eau de pluie


Citerne béton pour l’eau de pluie [© Initiative Développement]

Au large d'Haïti, sur l'Île de la Tortue, les ressources en eau sont inégalement réparties. Depuis les années 1980, l'île récupère les eaux de pluie en construisant des citernes, pour augmenter la quantité d'eau disponible pour les populations. Les ONGs Appel et Inter Aide ont notamment participé aux programmes de construction de citernes menés sur l'île.

Sur l'Île de la Tortue, terre connue pour ses anciens pirates et ses contrebandiers, l'eau est un bien précieux. Les rares sources sont inégalement réparties sur le territoire et souvent peu accessibles aux habitants. Si elles fournissent actuellement l'équivalent de 38 litres d'eau par jour et par personne, ce volume risque de diminuer, en raison du fort déboisement lié à la production de charbon et de l'extension des surfaces cultivées. À l'échelle d'Haïti, la couverture forestière a progressivement diminué depuis trois siècles. Elle ne constitue que 2% de son territoire, contre 47% chez son voisin, la République Dominicaine.

Ainsi, la récupération d'eau de pluie est largement répandue sur l'île. On dénombrait en 2012 environ 1 000 citernes pour une population de 45 000 habitants. Depuis la fin des années 1980, d'importants programmes de construction de citernes ont été menés sur l'Île de la Tortue, notamment par les ONG l'Appel et Inter Aide. En 1989, des techniciens de ces programmes ont créés une association locale, l'association pour la construction de citernes familiales (ACCF), à présent opérateur de référence sur l'île. L'association construit des citernes en béton de 6,5 m3. Ces citernes permettent d'alimenter une famille de 6 personnes pendant les 2 mois de la période sans pluie (18 litres par jour par personne). En 2013, la commune a souhaité améliorer l'accès à l'eau potable de la population en intégrant dans son plan de développement la construction de 150 citernes familiales supplémentaires. Initiative Développement a été sollicité et a pu mobiliser sur cette opération des partenaires techniques (ACCF, l'Appel) et financiers (Agence de l'eau Seine-Normandie, SEDIF, Ville de Paris).

Initiative Développement a effectué le diagnostic de l'accès à l'eau sur l'île afin de préciser les besoins en équipement et d'identifier les zones prioritaires. Une enquête complémentaire a aussi été menée auprès de 91 usagers pour mieux connaître les forces et faiblesse des citernes et pour proposer des leviers d'amélioration efficaces. Trois priorités ont été dressées.

Faciliter l'équipement des ménages

Un obstacle à l'équipement est le coût global d'investissement qui est de l'ordre de 1 400€. Après analyse, il est apparu que cette charge pouvait être rendue plus abordable en proposant différents volumes et modes de construction. L'offre de citerne, constituée d'un modèle unique de citerne béton de 6,5 m3, a donc été élargie avec l'ajout de 3 nouvelles citernes : béton 11m3 et roche maçonnée 6,3 et 9,8 m3. Le choix de la citerne par le ménage peut ainsi mieux s'adapter à ses capacités de participation : il peut valoriser des matériaux disponibles localement par l'approvisionnement en roche, et peut choisir une citerne plus ou moins grande selon ses moyens et les contraintes de son habitation. La technique en roche maçonnée présente aussi comme avantage de ne pas nécessiter de moule de coffrage, contrairement aux citernes en béton. Il est ainsi possible de construire des citernes en roche maçonnées même si les moules sont déjà mobilisés pour d'autres citernes.
Augmenter la disponibilité de l'eau en optimisant la conception

69% des enquêtés ont déclaré trouver la quantité d'eau recueillie par les citernes insuffisante. En réponse, Initiative Développement a fait réaliser un moule pour construire des citernes en béton plus volumineuse, de 11 m3, soit une augmentation de 70% du volume. Cela permet, pour une famille de six personnes, de disposer de plus de trois mois de stockage contre deux initialement.

Améliorer la qualité de l'eau en formant les usagers

L'enquête a montré que l'habitude de minéraliser et de chlorer l'eau avant de la consommer était ancrée dans les pratiques des possesseurs de citerne. En effet, 98% des enquêtés déclarent chlorer l'eau après puisage. Il a en revanche été pointé que les usagers ne nettoient pas toujours correctement les citernes et que les débris végétaux sont fréquents, ce qui entraîne de la turbidité. Pour y remédier, des formations au nettoyage et aux réparations (cuve et gouttière) ont été dispensées auprès des propriétaires, et un système robuste et facile à entretenir pour limiter les débris a été conçu. Les tuyaux qui acheminent l'eau dans la citerne sont désormais déboîtables, pour permettre de dévier l'eau provenant du toit de la citerne si nécessaire, en lieu et place des habituels dispositifs de dérivation des premières pluies, souvent fragiles et inopérants. Au total, 77 citernes en béton et en roche maçonnée ont été réalisées, avec des volumes variant entre 6,5 et 11 m3.

Zoom sur les difficultés rencontrées

• Le passage de l'Ouragan Matthew, survenu le 4 et 5 octobre 2016 durant une saison déjà marquée par de fortes pluies, a fortement ralenti les activités pendant 3 mois.
• La disponibilité de l'ensemble des matériaux a été une condition préalable imposée au démarrage des travaux. Les travaux ont fréquemment été bloqués pour cette raison.
• Une inflation supérieure à 10% en 2016, bien supérieure à celle des années précédentes, a entraîné une augmentation des prix de certains matériaux.

Ces difficultés ont entraîné une prolongation de la durée d'exécution du projet. Ainsi, des financements complémentaires ont du être sollicités pour réaliser l'ensemble des activités prévues.
L'expérience du projet a montré que l'équipement en citerne est une solution sûre et appréciée de la population. Lorsque que celles-ci sont correctement entretenues, leur durée de vie peut facilement excéder 30 ans. Cette solution est actuellement l'unique moyen efficace et approprié sur l'île pour répondre à la cible 6.1 des ODD d'un « service géré en toute sécurité ». Les quelques captages et petits réseaux qui existent sur l'île fournissent une eau fortement vulnérable aux contaminations par les matières fécales et possèdent un fonctionnement souvent intermittent en raison du mauvais état général des installations.

Améliorer l'accès à l'eau sur l'île de la Tortue semble reposer sur une augmentation forte du parc de citernes pour les nombreux ménages éloignés des points d'eau ainsi sur des changements profonds de la gestion des points et réseaux d'eau. On estime que pour maintenir le niveau d'accès en eau des utilisateurs de citernes, 100 nouvelles citernes (4) devraient être construites par an et 30 renouvelées – ce qui est actuellement loin d'être supportable pour les Tortugais.
L'accès à l'eau sur l'Île de la Tortue reste donc un défi de taille au regard de l'accroissement de la population et de l'absence de financements nationaux ou internationaux sur la thématique.



(4) Estimation basée sur la croissance démographique d'Haïti en 2017 : 1.23%
(Banque Mondiale https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/sp.pop.grow)


Nicolas Cadot
Initiative Développement
Email:
id@id-ong.org
Site internet: www.id-ong.org

ACCF - La Tortue - Haïti
AE Seine-Normandie - Courbevoie - France
ID - Poitiers - France
Inter Aide - Pétion Ville - Haïti
Inter Aide - Versailles - France
L'Appel - Paris - France
Mairie de La Tortue - La Tortue - Haïti
SEDIF - Paris - France
Ville de Paris - Paris - France
 

Ferraillage d’une citerne [© Initiative Développement]
 

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