retour imprimer © Lettre du pS-Eau 88 de Mar 2019

Togo, dans la région des Savanes: Une eau au juste prix


Borne fontaine [© Experts-Solidaires]

Depuis 2014, Experts-Solidaires met en œuvre au Togo des projets visant à améliorer l'accès aux services d'eau potable et d'assainissement(1). Retours sur la création d'un modèle de gestion publique dans les communes de Dapaong et Mango, fruit d'une collaboration entre les communes, la Togolaise des Eaux et les comités de développement de quartier, avec l'appui d'Experts-Solidaires et de l'association CDD.

Avec respectivement 60 000 et 40 000 habitants, Dapaong et Mango sont les deux communes les plus importantes de la région des Savanes (nord du Togo). Sous climat tropical, la saison est sèche d'octobre à mars et pluvieuse d'avril à septembre. Malgré des pluies abondantes lors de la saison pluvieuse, seulement 40% des habitants ont accès à l'eau potable et 60% consomment une eau impropre à la consommation, en s'approvisionnant aux puits, marigots ou fleuves.
Comme dans les autres villes du pays, c'est la compagnie publique, la Togolaise des Eaux, qui gère le service d'eau. Elle fournit l'eau aux habitants via des branchements privés et des bornes fontaines (ou kiosques). Les usagers s'y rendent avec leurs contenants tels que les bassines, bidons, tonneaux, etc. où un fontainier, ou plus souvent une fontainière, est chargé de vendre de l'eau.

À Dapaong et Mango, une gestion privée de la revente d'eau

Malgré la réglementation togolaise, qui prévoit que les communes soient en charge de la gestion des kiosques et bornes fontaines (loi n° 2007–011 de mars 2007 relative à la décentralisation et aux libertés locales), ceux-ci sont en réalité exploités par des gestionnaires privés, sans régulation communale ni surveillance et régulation de ce « business ».
Ainsi, l'eau est vendue aux bornes fontaines sur une base de marché, entre 800FCFA et 1000FCFA le m3 (soit entre 1,20 et 1,50EUR/m3) alors qu'un décret fixe à 500FCFA le prix maximum de revente de l'eau (0,75EUR/m3).
L'absence d'emprise des autorités communales sur cette gestion restreint l'accès à l'eau potable des populations les plus vulnérables : l'eau est chère, les horaires d'ouverture des bornes fontaines sont fluctuants, certaines bornes fontaines ferment pour cause d'impayés, etc.

Appuyer la création d'un modèle de gestion publique

Appuyées par Experts-Solidaires et son partenaire CDD, les deux communes ont souhaité à travers ces projets reprendre la main sur les bornes fontaines et faire appliquer un modèle de gestion qui permette un accès de qualité à un prix régulé pour tous.
Ce modèle repose sur un transfert de la gestion privée vers les comités de développement de quartier, désormais chargés de la revente de l'eau potable. Pour ce faire, les gestionnaires privés ont été contraints de rétrocéder leur(s) borne(s) fontaine(s) à la mairie, qui a par la suite déléguée la gestion de ces bornes aux comités de développement de quartier à travers un arrêté municipal. Un service d'eau et d'assainissement a été créé pour piloter cette activité au niveau communal. En parallèle, une importante campagne de sensibilisation concernant la réduction du prix de l'eau a été lancée auprès de la population de Dapaong et Mango via des actions de communication, pièces de théâtre, émissions et spots radiophoniques, affiches explicatives, communiqués municipaux dans les journaux, sensibilisations musicales aux bornes fontaines, etc. Un arrêté municipal imposant la vente de l'eau au tarif régulé a été rédigé par les mairies pour accompagner cette démarche.

Des bidons de 25L ont été proposés à moindre coût afin d'encourager les usagers à abandonner les bassines en faveur des bidons, plus hygiéniques et de même contenance. Le tarif de revente régulé a par ailleurs été inscrit sur les bidons subventionnés afin de toucher le maximum d'usagers.
Les bornes fontaines des deux communes ont également été réhabilitées. Cinq nouvelles bornes fontaines ont été construites à Dapaong et ainsi que dix à Mango. La Togolaise des Eaux a entrepris des travaux de rénovation de la station de traitement de Mango et plus de 5 km d'extension du réseau d'eau potable de Mango sont en cours de construction dans les quartiers encore non desservis.
Des modèles types de contrats de gestion entre la mairie, les comités de développement de quartier et la Togolaise des Eaux ont été créés. Ils font désormais partie des instruments de gestion de la Togolaise des Eaux, qui encourage les autres communes togolaises à se doter d'outils similaires.
Le service Eau et Assainissement, qui se compose d'un responsable et d'un assistant technique, est en charge de la bonne conduite des activités. Il effectue chaque semaine des tournées de suivi et de contrôle, aussi bien sur les questions d'hygiène, de respect du tarif de l'eau, sur l'utilisation des bidons, sur la gestion financière des ventes de l'eau, etc.
L'implantation de cette gestion publique de l'eau a été réalisée en 2015–2016 à Dapaong (phase test : 7/15 quartiers (2) ; phase d'extension : 8 autres quartiers).
Au total, 76 points d'eau appliquent ce modèle sur l'ensemble de la commune de Dapaong. À Mango, la gestion des 47 points d'eau est devenue publique en quelques mois dans les cinq quartiers de la commune, entre octobre 2017 et février 2018.

Appliquer le tarif régulé

Afin de permettre l'accès à l'eau potable aux populations les plus vulnérables, la commune, via son service Eau & Assainissement nouvellement créé, applique le tarif régulé de la revente de l'eau aux bornes fontaines à 500F CFA/m3 d'eau, soit 2 bidons de 25L à 25F CFA. Les recettes issues des ventes de l'eau sont recouvrées par le comité de développement de quartier et sont ensuite réparties comme tel :
• 315F CFA/m3 sont acquittés à la Togolaise des Eaux (facturation de la distribution de l'eau) ;
• 100F CFA/m3 sont reversés à la fontainière (indemnités de vente) ;
• 75F CFA/m3 sont destinés aux petites réparations, achat de robinets, etc. ;
• 10F CFA/m3 sont remis au service communal Eau et Assainissement pour le suivi de la régulation.
Ce modèle, uniforme sur l'ensemble de la commune, garantit un accès à l'eau à faible coût, fiabilise le paiement des factures d'eau à la Togolaise des Eaux, assure quelques recettes à la commune pour assurer la régulation du service, et favorise le développement communautaire par la responsabilisation des comités de développement de quartier. Concrètement, cette gestion a rapporté plus de 1 000 € à la commune de Mango entre janvier et juin 2018, soit près de 70% du budget alloué au service Eau et Assainissement.
À titre de comparaison, l'eau vendue aux branchements privés (eau courante) s'élève à 265FCFA/m3 (soit 0,40EUR/m3) au minimum, avec un tarif en hausse en cas de forte consommation. Malheureusement, la grande majorité des ménages n'ont pas les moyens de prendre en charge les frais de branchement.

Des économies réalisées pour plus d'eau consommée

Pour les populations, l'introduction du tarif régulé a généré une baisse sensible des coûts liés à l'eau. À titre d'exemple, l'économie potentiellement générée par la mise en place de la tarification sociale à Mango s'élève à 2 500 Francs CFA par mois et par ménage (3). À Dapaong, il a été constaté une augmentation de 7% des ventes d'eau potable par la population. Si les eaux des puits de surface et du fleuve sont toujours utilisées, elles le sont uniquement pour le lavage (lessive, vaisselle, etc.).

Dupliquer le modèle dans tout le pays

Installé avec succès à Dapaong et en cours de mise en œuvre à Mango, l'objectif est maintenant de permettre la diffusion de ce modèle de régulation à l'ensemble du pays, où 50% de la population urbaine se ravitaille aux bornes fontaines et kiosques, à un tarif de 1000FCFA/m3 en lieu et place des 500FCFA/m3 réglementaires (un prix qui peut atteindre les 2000FCFA/m3 dans certaines communes).

Des présentations de ces résultats, co-présentées par les deux mairies, la Togolaise des Eaux et les comités de développement de quartier sont prévues dans les principales villes du Togo. Les travaux entrepris par Experts-Solidaires et ses partenaires ont permis d'engager un dialogue et de développer la coopération entre ces trois acteurs, nécessaires dans la mise en place commune du modèle de gestion publique de l'eau.

En passant d'une gestion privée à une gestion communale régulée de la revente d'eau, sans investissement conséquent, les populations de Dapaong et de Mango ont amélioré sensiblement leur accès à l'eau potable, notamment les plus pauvres qui ne peuvent pas se « payer » un branchement. Le modèle de Mango et de Dapaong peut être reproduit sur le territoire togolais ainsi que dans d'autres pays de la région, qui connaissent souvent une gestion « anarchique » de la revente d'eau.



(1). Ces projets sont soutenus par le SEDIF et l'Union européenne.
(2) 3 quartiers de Dapaong ne sont pas desservis par le réseau d'eau de la Togolaise des Eaux.Ces quartiers ne possèdent donc ni bornes fontaines ni kiosques à eau.
(3) Sur la base d'une consommation de 50 L/jour/personne et de 5 personnes/ménage


Lucas Doche
Experts-Solidaires
Email:
lucas.doche@gmail.com
Site internet: www.experts-solidaires.org

Jean-Pierre Mahé
Experts-Solidaires
Email: mahejeanpierre@yahoo.fr
Site internet: www.experts-solidaires.org

CDD - Tône 1 - Togo
Commune de Oti 1 - Oti 1 - Togo
Commune de Tône 1 - Tône 1 - Togo
Experts Solidaires - Montferrier sur Lez - France
TdE - Lomé - Togo
 

Comité de développement de quartier [© Experts-Solidaires]

Comité de développement de quartier [© Experts-Solidaires]
 

©Lettre du pS-Eau 88 de Mar 2019

   © pS-Eau 2024