retour imprimer © Lettre du pS-Eau 87 de Sep 2018

Mali: A Bamako, Place à l'innovation !


[© Rasoamanambola Mboaraharinjaka / Practica]

À Bamako, les ONGs Protos et Practica collaborent pour améliorer l'accessibilité et la gestion des services de vidange dans les communes I et IV. Bilan, deux ans après l'introduction de trois innovations.

À Bamako, la quasi-totalité des ménages disposent d'ouvrages d'assainissement à la parcelle, depuis les latrines à fosses simples jusqu'aux toilettes à chasse raccordées à des fosses septiques. Théoriquement, le gisement de boues de vidange à Bamako peut être évalué à 300 000 m3/an en 2018. Jusqu'alors, la vidange était assurée par une multitude d'opérateurs privés utilisant des camions vidangeurs (plus de 70% des cas) ou de simples outils (seaux, pelles), quand elle n'était pas effectuée par les ménages eux-mêmes. Déversées dans la ville ou transportées à l'extérieur de celle-ci, les boues extraites ne faisaient l'objet d'aucun traitement. Ainsi, le réseau d'égouts ne desservant qu'une faible part de la population, l'amélioration de la gestion des boues de vidange représentait un enjeu sanitaire essentiel pour la capitale.

Au Mali, les textes de la décentralisation transfèrent aux collectivités locales (district et communes) la responsabilité de l'assainissement sur leur territoire. En principe, les communes doivent élaborer des Plans Stratégiques d'Assainissement, les financer et les mettre en œuvre avec l'appui de partenaires. Cependant, il s'avère que celles-ci ne sont encore ni formées ni équipées pour envisager des solutions techniques ou encore programmer des investissements. L'absence de supervision des opérations de vidange et de toute unité de traitement témoigne des insuffisances à ce niveau. C'est face au défi de la gestion des boues de vidange que les ONGs Protos et Practica, en collaboration avec leurs partenaires techniques nationaux (AMASBIF, BESE, etc.) et l'appui financier de l'Union européenne et du Ministère des Affaires étrangères néerlandais – via le programme Viawater – conduisent depuis juin 2016 un projet qui consiste à introduire trois innovations, afin d'améliorer l'accessibilité et la gestion des services de vidange dans les communes I et IV de Bamako avec :
• le développement d'une application smartphone pour l'optimisation des services de vidange ;
• l'expérimentation d'un centre d'appels afin d'orienter les ménages vers les vidangeurs proposant le meilleur rapport qualité/prix ;
• la mise en place de services de vidange semi-mécaniques permettant la desserte de latrines traditionnelles dans les zones enclavées inaccessibles aux camions vidangeurs.

« Kolochilikelan », une application pour améliorer l'accessibilité et la gestion des services de vidange
« Kolochilikelan » exprime l'idée d'une « supervision à distance », en langue Bambara.

Objectifs de l'application
À Bamako, le manque de données fiables constitue l'un des freins au développement de services et infrastructures de gestion des boues de vidange performants. Faute de données sur les clients desservis et les distances parcourues, la plupart des propriétaires de camions de vidange sont dans l'incapacité de contrôler le bon fonctionnement et la rentabilité de leurs véhicules. De même, les autorités chargées de l'assainissement et leurs partenaires (bailleurs, ONGs) ne disposent que de peu de données statistiques à jour pour réguler le secteur de la vidange (tarifs, périmètres, points de déversements…) et planifier des infrastructures de traitement adaptées. Kolochilikelan a pour but de combler ces lacunes, en permettant à ces différents acteurs d'accéder facilement à des données précises et à jour, avec les finalités spécifiques suivantes :

IntervenantsFinalité de l'applicationIndicateurs clés
Opérateurs de vidange (propriétaires, gestionnaires) Générer des indicateurs de pilotage technique et commercialDistances, nombre de clients, recettes, ratios de performance associés (recettes/km…) et leurs tendances.
Autorités en charge de l'assainissementCollecte de l'ensemble des données requises pour la régulation et le développement de la GBVVolumes vidangés et leur répartition géographique, tarifs pratiqués, zones de déversement

Conception de l'application
Partant du principe d'une collecte de données par les vidangeurs, la conception s'est basée sur plusieurs temps de concertation (enquêtes et ateliers) avec les vidangeurs du Syndicat National des Conducteurs des Spiros du Mali (SNCSM). Ces échanges ont confirmé l'intérêt des gérants de services pour un outil de suivi qui compilerait les données relatives à leur business (distances, nombre de clients, chiffres d'affaires, volumes vidangés…). Les opérateurs gérant plusieurs véhicules ont aussi exprimé leur intérêt pour une fonction de géolocalisation permettant de contrôler que les chauffeurs n'effectuent pas de déplacements inutiles ou de détournements (clients non déclarés). Entre autres, les paramètres de conception technique pris en compte ont été l'intuitivité de l'interface (la majorité des vidangeurs étant illettrés), sa lisibilité en extérieur, la compatibilité avec des réseaux internet limités.Plusieurs séances individuelles et plénières ont été tenues avec les utilisateurs partenaires pour aboutir à la version actuelle (V1.4), dont l'ergonomie et la fonctionnalité de l'outil ont pu être validées par les vidangeurs partenaires.

Fonctionnement de l'application
En pratique, l'application peut être installée sur tout smartphone Android, version 4.4 ou ultérieures. Ce type d'appareil est très répandu et peut être acheté neuf pour 40€ à Bamako (moins si d'occasion). Accompagnant le chauffeur, le smartphone est utilisé pour saisir automatiquement les données horaires et GPS à intervalles réguliers. Au niveau des clients, les données commerciales sont saisies par les vidangeurs (contacts, volumes pompés, prix payés, satisfaction…). L'application est utilisable hors connexion, les données étant automatiquement envoyées vers un serveur lorsque le téléphone est connecté à internet (via WIFI ou des flux de données mobiles). Une fois sur le serveur, les données sont consultables à tout moment sur internet depuis un téléphone, une tablette ou un ordinateur. Les personnes autorisées peuvent ainsi consulter l'ensemble des données brutes ou compilées sous forme de cartes, de tableaux de bords ou de tableurs. Des commandes permettent à l'utilisateur de sélectionner un ou plusieurs de leurs camions et de consulter les données sur une plage de temps variable (année passée, année en cours, mois en cours, semaine en cours…).

Lancement de l'application
Le lancement s'est appuyé sur l'expertise de terrain de l'ONG Protos et ses partenaires locaux (BESE, AMASBIF). La confiance de longue date développée par ces structures avec le SNCSM a permis de collaborer sur l'identification des vidangeurs mécaniques actifs dans les communes I et IV et la sélection de sept d'entre eux selon leurs aptitudes à adopter l'application (intérêt, niveau d'éducation…). Les deux services de vidange semi-mécanique appuyés par le projet ont également rejoint le pool de testeurs. Fin janvier 2017, les neuf vidangeurs partenaires ont été formés, en même temps que les deux ONGs d'appui chargées de renforcer leurs capacités de gestion. Cette formation a confirmé l'intuitivité de l'application : tous les participants étant à même de l'utiliser après quelques heures de formation seulement. Les vidangeurs ont intégré l'utilisation de l'application à leurs routines à partir du mois de mars 2017, où la base de données a commencé à être alimentée en continu. À ce stade, il est apparu essentiel de motiver les vidangeurs à utiliser l'outil pour publier les détails de leur business. L'idée a été de présenter l'application comme un jeu, avec des bulletins de performance transmis aux vidangeurs à la fin de chaque mois pour que les vidangeurs perçoivent le sens et l'intérêt des données collectées à leur niveau. Ainsi, de la date 1 à la date 2, afin d'amorcer l'utilisation de l'application, l'ONG Protos a assuré un accompagnement technique aux vidangeurs partenaires et distribué des lots (équipements de protections individuels, tickets carburants…) pour ceux ayant effectué le plus grand nombre de saisies.

Premiers résultats
Fin 2017, les statistiques ont conclu à un bon niveau d'utilisation et d'adoption de l'application par les vidangeurs partenaires. En effet, plus de 75% des vidangeurs partenaires ont continué à utiliser l'application : les principales fonctionnalités utilisées par les gérants étant la carte de contrôle des véhicules et le tableau récapitulatif des vidanges délivrées. De plus, 2 984 vidanges et 2 500 opérations de déversement ont été enregistrées. En moyenne, près de 300 opérations de vidange sont enregistrées chaque mois.

Au niveau des vidangeurs.
Dès le lancement, les gérants partenaires ont été formés à la consultation des tableaux de bord en ligne qui permettent de suivre les indicateurs bruts et leurs évolutions. Par des indications de « tendance », les vidangeurs visualisent rapidement s'ils améliorent leurs performances. Si la variation des indicateurs bruts ne peut être interprétée sur une seule année, compte tenu de la forte variation saisonnière de l'activité de vidange, il ressort que les ratios moyens de rentabilité (recettes/km parcouru et recettes/m3 vidangé) ont enregistré une légère hausse entre mars et décembre 2017 (+15% pour le ratio kilométrique et +22% pour le ratio volumique). D'après les gérants partenaires, la fonction de tracking permet effectivement de mieux contrôler l'utilisation des véhicules et de réduire les abus. Dans ce sens, l'utilisation de l'outil aurait contribué à améliorer la rentabilité des services.

Au niveau des autorités et partenaires.
Dès les premiers mois, les données collectées ont permis de mieux appréhender la structure de tarification des vidangeurs (tarif au forfait à 15 000, 20 000 ou 25 000 FCFA dans plus de 80% des cas, sans tenir compte des volumes ou de la distance), de relever les coûts moyens de service (5 400 FCFA/m3) et leur très grande variabilité (entre 2 500 et 14 500 FCFA/m3). L'application renseigne également sur les flux totaux vidangés (11 500 m3 de boues de mars à décembre 2017) et leurs origines (35% des volumes issus des latrines simples contre 65% issus de latrines à chasse). Par ailleurs, 60% des vidanges réalisées ont un volume compris entre 1 et 3m3, les vidanges de 3m3 représentant 25%. Les données temporelles indiquent que les services de vidange sont délivrés tous les jours de la semaine, de 8 à 20h. L'activité est minimum le dimanche. Un pic est observé entre 10 et 13h où sont réalisées plus d'un tiers des vidanges. Enfin, plus de 20 sites de dépôts sauvages ont été identifiés. Au final, il ressort que l'essentiel des paramètres de planification, de contrôle et de régulation de la gestion des boues de vidange peuvent donc être compilés, à moindre coût, juste à l'aide de l'application.

Prochaines étapes
Près d'un an après le lancement de l'application, les résultats obtenus confirment le potentiel de ce type d'outil pour aider à la professionnalisation de la gestion des boues de vidange à Bamako, tant au niveau du secteur public que privé. À très faible coût, cette technologie permet d'une part aux vidangeurs de sécuriser la saisie et le stockage de leurs données techniques et financières – aspects essentiels pour l'optimisation de leur activité – et permet d'autre part le rapportage aux autorités de tutelles, quand la filière viendrait à se structurer. Début 2018, la présentation de l'application à d'autres vidangeurs de la ville relevait l'intérêt de plusieurs autres propriétaires de camions de vidange à utiliser l'outil. Néanmoins, la majorité des propriétaires de camions vidangeurs demeurant jusqu'alors discrets et assez traditionnels dans leur gestion, les marges de pénétration de cet outil à leur niveau semblent encore limitées.
À court terme, l'utilisation de l'application Kolochilikélan devrait s'envisager davantage comme une condition d'accès à certains services clés (centre d'appel, station de traitement des boues). En parallèle, l'exploitation des données par les gérants de services de vidange et les autorités pourra être renforcée. Dans tous les cas, le potentiel de cet outil pour structurer la filière de gestion des boues de vidange à Bamako a pu être démontré et les perspectives d'utilisation dans d'autres villes du Mali ou d'Afrique sont à considérer.

Le centre d'appel Allo Vidange Bamako
Pour optimiser le contact entre l'offre et la demande en services de vidange (selon les types de fosses, leur volume, la localisation et la capacité des vidangeurs), un centre d'appel a été mis en place, avec l'appui du partenaire PRACTICA. Ce service est situé en commune I du district de Bamako, dans la mairie secondaire de Djelibougou. Grâce aux activités de marketing réalisées par une agence de communication entre février et avril 2018, des résultats encourageants ont été enregistrés dont :
• la signature de contrats/protocoles avec 21 vidangeurs (mécaniques et semi-mécaniques), dont 9 partenaires du projet et 12 nouveaux adhérents qui ont trouvé un intérêt pour le centre (plus de clients, service plus professionnalisé, facilité de circulation à travers l'octroi des laisser-passer) par la commune ;
• l'enregistrement d'une trentaine de commandes de vidange par le centre à ce jour ;
• la signature d'un partenariat avec un gros client (établissement industriel). Grâce à ce partenariat, le centre pourra enregistrer jusqu'à 6 commandes de vidange par jour, ce qui permettra de dépasser largement l'objectif fixé de 25 commandes par mois.

Le service de vidange semi mécanique
Un service de vidange semi mécanique a été mis en place pour permettre aux ménages qui n'ont pas accès aux services de vidange mécanique à travers les camions spiros. En effet, l'accès aux concessions situées dans des quartiers enclavés est parfois difficile, les gros camions ne pouvant y accéder. Ce service est géré par deux GIE de la place qui ont été formés par Protos et Practica aux techniques alternatives de vidange de latrines et équipés en matériels de vidange adéquat pour faire ce travail. Face aux difficultés de certains ménages à payer les coûts d'une vidange complète, l'alternative d'une vidange partielle a été proposée, qui consiste à extraire une partie des boues des latrines à un prix abordable (1m3 à 10 000 FCFA). Pour la réalisation de ces vidanges partielles, des bâtons gradués ont été créés pour permettre aux deux GIE de mesurer la quantité de boues dans les latrines avant de passer à l'opération de vidange. En termes de résultats, les deux GIE ont pu desservir au moins 168 ménages depuis leur mise en place, avec 504 m3 de boues vidangées.


Hady Sow
Email:
hady.sow@protos.ong
Site internet: www.protos.ngo/fr/ce-que-nous-faisons/mali

Awa Traore
Email: awa.traore@protos.ong
Site internet: www.protos.ngo/fr/ce-que-nous-faisons/mali

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[© Dembele Awa Traore / Protos]
 

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