La mairie de Chambéry et la ville de Ouahigouya sont engagées dans un partenariat de coopération décentralisée depuis 1991. À partir de 2015, en mobilisant de nombreux intervenants, ces deux municipalités ont axé leurs interventions sur le renforcement de l'accès et la gouvernance du service de l'eau potable et de l'assainissement.
La commune de Ouahigouya se situe dans la région du Yatenga. Elle compte une population de 130 000 habitants répartie autour d'un centre urbain (70 000 habitants) et de 37 villages rattachés (60 000 habitants). En 2006, l'avènement de la décentralisation au Burkina Faso s'est traduit par un transfert de compétences et des ressources de l'État vers les communes, dans le domaine de l'approvisionnement en eau potable et de l'assainissement. À partir d'une étude préalable réalisée en 2010 et s'appuyant sur le programme communal de développement pour l'approvisionnent en eau potable et l'assainissement de la commune de Ouahigouya (PCD AEPA) pour la période 2009-2013, les deux collectivités ont engagé un ambitieux programme pluriannuel. Une première phase a eu lieu de 2011 à 2015 et une seconde, actuellement en cours, se déroule depuis 2016. Pour sa mise en œuvre, les deux villes s'appuient sur l'association Chambéry-Ouahigouya en France et l'Acdil au Burkina Faso pour la coordination et le suivi financier. Plusieurs partenaires techniques ont été associés tout comme des soutiens financiers : Agence de l'eau Rhône Méditerranée et Corse (à hauteur de 50% des activités d'investissement), Ministère de l'Europe et des affaires étrangères, Fondation Veolia etc.
Un ambitieux programme pluriannuel
À travers ces deux phases, le programme vise à développer un service public de l'eau et de l'assainissement efficace pour permettre à la commune de gérer durablement le fonctionnement des équipements hydrauliques du milieu rural. Il est structuré autour de 3 axes majeurs : développer le taux de desserte, pérenniser l'exploitation des équipements et renforcer la maîtrise d'ouvrage communale.
Un taux de desserte amélioré :
Les travaux ont permis la réalisation de 25 pompes à motricité humaine, la réhabilitation de 40 ouvrages et la réalisation d'un poste eau autonome. Le parc communal est ainsi passé de 198 pompes à motricité humaine à 223. Une évaluation externe a révélé à l'issue de la première phase que certains forages étaient équipés avec un matériel de moindre qualité que celui prescrit dans les cahiers des charges. Cela a mis en lumière le rôle indispensable de la commune dans le suivi des travaux. La commune a pu prendre contact avec les différents prestataires pour obtenir réparations.
Gestion durable des équipements :
La réforme nationale du système de gestion des infrastructures hydrauliques d'alimentation en eau potable en milieu rural et semi-urbain (www.pseau.org/fr/burkina/documents) prévoit notamment :
• Le renforcement des acteurs liés au service de l'eau : services techniques, associations formalisées des usagers de l'eau, contractualisation des AUE et des maintenanciers.
• Le paiement du service de l'eau : les coûts d'entretien des PMH (remplacement des pièces d'usure et tournées du maintenancier) sont estimés en moyenne à 75 000 F cfa/PMH/an (environ 120 €). Le tarif est voté au conseil communal et les modalités de paiement sont définies par les AUE.
Conformément à la réforme, le programme s'est attaché à accompagner les acteurs communaux en 5 étapes :
1. Contractualisation des relations entre les acteurs
Dans un premier temps, il a fallu que la commune structure les documents administratifs qui régissent les relations entre les acteurs suivants : commune de Ouahigouya, associations d'usagers de l'eau, gestionnaires de points d'eau, maintenanciers.
Au terme de la première phase du programme, la situation était la suivante :
• 37 AUE sont créées et remplissent les règles d'existence ;
• 37 conventions de délégation de gestion des PMH par la commune ont été signées avec les 37 AUE.
• 108 protocoles de collaboration entre les AUE et les gestionnaires des points d'eau ont été signés, soit 65% de l'objectif.
Dans le cadre de la deuxième phase du programme, la commune a revu sa stratégie concernant la maintenance des ouvrages. Chaque village signe directement un contrat avec le maintenancier.
2. Adoption d'un arrêté municipal portant répartition des recettes des PMH
La commune a pris un arrêté municipal en 2013 qui prévoit la mobilisation annuelle de 150 € par PMH répartis comme suit :
• 99 € sont versés dans le compte des associations d'usagers de l'eau pour assurer les petites réparations ;
• 36 € sont consacrés à l'entretien journaliser de l'ouvrage
• 15 € sont versés à la commune dont 11 € pour la maintenance préventive des ouvrages et 4 € pour les frais de fonctionnement du service.
L'adoption du prix du service de l'eau est une étape fondamentale dans l'application de la réforme. Cette réforme devrait permettre de mobiliser près de 33 600 € pour entretenir le parc hydraulique de la commune dont 3 345 € pour la commune, 22 077 € pour les associations d'usagers de l'eau qui doivent prendre en charge les pannes et réparations et environ 8 023 € pour l'entretien journalier des ouvrages par les gestionnaires des points d'eau.
3. Formation et accompagnement des AUE
37 AUE ont été mises en place et ont été formées dans le cadre du projet mais leur fonctionnalité reste partielle. En effet, seulement 13% d'entre elles se réunissent régulièrement et plus de la moitié ne se sont jamais réunies. Par ailleurs, elles ne mobilisent pas les sommes prévues pour l'entretien journalier des équipements et les interventions en cas de pannes et petites réparations. Les montants mobilisés sont entre 0 et 60 € alors qu'ils devraient se situer entre 30 et 610 €.Ainsi, la seconde phase du programme se concentre davantage sur ces questions. De nouvelles formations ont eu lieu à l'attention des AUE mais également des élus. Deux conseillers municipaux représentent chaque village. Le conseil municipal a souhaité les mobiliser davantage afin qu'ils épaulent les AUE pour la collecte des redevances.
4. Vente du service de l'eau et mobilisation des redevances municipales
L'adoption du prix du service de l'eau par le conseil municipal est un pas important dans l'application de la réforme. C'est pourquoi le programme a aussi choisi de se concentrer sur la mobilisation de la redevance (annuelle) de 15 € par PMH à destination de la commune. Les recettes municipales attendues issues de l'exploitation des PMH sont de 3 345 €. Seulement 22% de la somme avait été mobilisée durant l'année 2015. De plus, les résultats de cette mobilisation étaient très variables d'un village à l'autre. Seuls 3% des villages s'étaient acquittés de leurs redevances totales, 46% s'en étaient acquittés partiellement et une absence complète de paiement avait été observée dans 51% des cas. Les résultats restent donc nuancés quant à l'appropriation de la réforme par les acteurs. Les redevances versées peuvent être considérées comme un début de changement de comportement et de responsabilisation des AUE associations des usagers de l'eau qui commencent à comprendre l'importance de la réforme. Les changements de municipalités en 2016 ont interrompu pendant près de deux années cette activité. Depuis fin 2017, le service procède à nouveau à la sensibilisation et à la collecte des redevances.
5. Formation des maintenanciers, organisation des tournées de maintenances
La commune a organisé une formation avec les maintenanciers. Les difficultés rencontrées pour mobiliser l'ensemble des recettes a entraîné un retard dans la mise en place du marché. De ce fait, les tournées de maintenance préventives n'étaient pas encore opérationnelles fin 2015. Fin 2017, la commune a décidé que chaque AUE signerait directement un contrat avec le maintenancier. Ainsi, les tournées de maintenance ne seraient pas bloquées à cause de certains villages. Le service technique se doit d'être très rigoureux lors du suivi de ces tournées car cela lui permet de gagner la confiance des populations et de faciliter le paiement de la redevance par la population.
Une maîtrise d'ouvrage communale renforcée
Pour appuyer la mise en œuvre de la réforme, différentes activités de renforcement des capacités de la commune ont été mises en place.
1. Renforcement d'un service technique de l'eau
Un poste de chef de service eau et assainissement a été créé en 2011 au sein de la Direction des services techniques municipaux. Les coûts afférents à ce poste ont été pris en charge de manière progressive par la commune sur trois années. Dès 2014, le financement du poste de cet agent a été assuré à 100% par la commune, ce qui montre la volonté de la commune d'assumer pleinement ses responsabilités. Durant la première phase du programme, trois missions techniques Sud/Nord et deux missions Nord/Sud ont été organisées entre les personnels du service des Eaux du Grand Chambéry et celui de la commune de Ouahigouya. Ces missions ont permis de créer des liens entre les agents des deux territoires. Les échanges ont porté sur l'organisation du service, sa place dans l'organigramme général de la commune mais également sur la création d'outils de travail (dont la cartographie). La mission politique a permis d'aborder la question de la gouvernance de l'eau et notamment celle liée aux avantages d'une régie municipale.
2. Des sessions de formation
Deux sessions de formation sur le contenu de la réforme ont été organisées en 2016, à destination des 95 élus et 111 membres des comités villageois de développement. Cette formation a eu lieu deux fois en raison des changements politiques dans la commune en 2016. Lors de la première phase, ces formations n'étaient pas suivies d'actions concrètes de la part des élus pour accompagner l'application de la réforme. L'évaluation en 2015 faisait ressortir la nécessité de plus de volontarisme de la part des élus pour réussir la mise en œuvre de la politique publique.
Lors de la seconde phase en revanche, le maire a responsabilisé les élus sur leur rôle dans les villages qu'ils représentent (cette phase est toujours en cours). Des tableaux de suivi ont été mis en place par village.
3. Des outils de suivi et planification
Une base de données regroupant l'ensemble des informations sur les forages du territoire a été créé grâce à la collaboration du service des eaux de Chambéry métropole et de l'association Ingénieurs sans Frontières. Pendant trois ans, une dotation de matériels spécialisés a permis aux étudiants de relever les coordonnées GPS de l'ensemble des points d'eau et des concessions dans les 37 villages et d'en faire une cartographie.
Le directeur des services techniques municipaux a suivi une formation en SIG et maîtrise maintenant totalement cet outil ainsi que les équipements. Cet outil est utile au service pour suivre l'évolution de la desserte en eau à partir de la cartographie qu'il actualise périodiquement. Le parc hydraulique est connu et suivi. Il n'existait auparavant aucun document de référence sur les ouvrages de la commune permettant à la fois le suivi des infrastructures mais également la planification des nouveaux investissements.
4. Concertation des acteurs
La commune a adopté un arrêté de création d'un comité communal de l'eau et de l'assainissement en 2013. Ce cadre qui devait permettre d'échanger et d'impliquer l'ensemble des acteurs pour atteindre les résultats de qualité des services d'eau et d'assainissement de la commune ne s'est réuni qu'une seule fois en cinq ans. L'équipe municipale, en place depuis mai 2016, a relancé les rencontres prévues annuellement.
5. Réalisation d'une étude hydrogéologique
En 2016, avec l'arrivée de la nouvelle municipalité, le programme de coopération s'est poursuivi en s'ouvrant à de nouvelles problématiques. La question de la capacité des nappes phréatiques s'est notamment posée. Avant d'engager la réalisation de nouveaux ouvrages, il a été retenu de travailler avec l'université de Ouagadougou sur la réalisation d'une carte hydrogéologique. L'enjeu de ce travail était de bien de garantir la préservation de la ressource et la durabilité de son exploitation dans un environnement où celle-ci est déjà rare. Les conclusions scientifiques ont montré que si la multiplication des forages dans la nappe profonde est une solution risquée en raison de la fragilité de cette ressource, des solutions pérennes doivent donc être recherchées en alternative au seul prélèvement systématique d'eau souterraine.
Le travail réalisé depuis 7 ans pour permettre à la commune de Ouahigouya d'assumer pleinement ses compétences en matière d'eau potable et fournir un service public de qualité aux usagers a permis des avancées notables. Cependant, des difficultés persistent. Si le programme a permis d'amorcer le paiement d'un service de l'eau en milieu rural, celui-ci nécessite un changement de comportement considérable qui prendra encore du temps pour être pleinement appliqué. La création d'un service technique municipal dédié à l'eau et à l'assainissement constitue un signe de l'intérêt que portent les élus à ces questions. Les ressources humaines restent néanmoins insuffisantes afin de gérer un parc hydraulique qui couvre les besoins en eau potable de près de 60 000 personnes répartis sur 37 villages. L'accroissement de la connaissance sur le fonctionnement des nappes phréatiques a permis également de faire évoluer les réflexions sur le secteur à échelle locale. Une réflexion sur les possibilités de traiter les eaux de surface est en cours. Ce programme conforte l'importance de prendre en compte les différents usages de la ressource en eau. Sans une gestion intégrée de la ressource en eau, il n'est pas certain que la durabilité d'une ressource pourtant si rare dans la zone sahélienne soit assurée. |