retour imprimer © Lettre du pS-Eau 85 de Dec 2017

À Moheli, aux Comores: Relever le défi du paiement volumétrique !


Pose de conduite de distribution (Commune de Djandro) [© ID]

Depuis 1998, Initiative Développement (ID) intervient aux Comores dans le secteur de l'eau et de l'assainissement. Zoom sur le projet AEP à Djandro.

Après s'être focalisée sur la mise en place de comités de gestion de l'eau villageoise sur les îles d'Anjouan et de Mohéli aux Comores, l'association Initiative Développement a ensuite accompagné ces comités à se fédérer à l'échelle de chaque île, en formant l'Union des Comités de l'Eau d'Anjouan (UCEA) et l'Union des Comités de l'Eau à Mohéli (UCEM). En l'absence de services décentralisés ou de communes compétentes, l‘État a confié à ces organisations des missions de réalisation d'infrastructures, d'organisation du service et de régulation.

La genèse du projet AEP Djandro
Sur l'Île de Mohéli, la plus petite des îles de l'archipel (40 000 habitants environ), l'accès à l'eau est caractérisé par le manque d'infrastructures – souvent peu fonctionnelles – et par la mauvaise qualité de l'eau desservie. La gestion technique et financière des services présente de nombreuses défaillances. En 2009, une étude de faisabilité a été conduite par HSF pour alimenter en eau une des zones les moins pourvues de l'île : le plateau de Djandro. Cette étude a servi de support à l'élaboration du projet d'approvisionnement en eau potable de la région de Djandro (AEP Djandro). La maîtrise d'ouvrage du projet a été déléguée à l'UCEM et l'AFD a octroyé le financement sous forme de don à l'Union des Comores. Le projet visait 2 objectifs principaux :
• améliorer le taux d'accès à l'eau potable des populations de la région du Djandro et de Moimbao (11 villages représentant env. 11 000 personnes) ;
• mettre en place un service public de l'eau potable complet, durable et accessible à tous dans un esprit d'équité.

Un appel d'offres a été lancé par l'UCEM pour le recrutement d'un maître d'œuvre, avec un mandat étendu à de l'assistance technique. Le marché a été remporté par le groupement Egis Eau-Initiative Développement-SECMO OI. Les missions reposent sur trois principaux volets : la conception et réalisation des infrastructures ; l'organisation du SPE ; l'information, l'éducation et la communication. Ces trois volets ont été menés simultanément par l'UCEM et le groupement.

Un contexte peu favorable à un service d'eau potable payant
Au démarrage du projet, de multiples défis sont à relever pour parvenir à un service d'eau potable payant :

Défis techniques
Sur l'île, on ne trouve pas de chlore ainsi que très peu de pièces hydrauliques et de matériaux de construction. Les compétences techniques disponibles localement sont très faibles. Il est donc nécessaire de concevoir un système d'AEP robuste, facile à faire fonctionner et à entretenir.

Défis socioculturels
La population n'est pas sensibilisée au paiement pour le service d'eau. L'eau, captée en rivière ou par des sources est généralement distribuée gratuitement où à un tarif forfaitaire très bas (1 à 3 € par mois). Pour beaucoup, l'eau est « un don de dieu ». Il existe par ailleurs, en raison d'échecs antérieurs, une défiance de la population vis-à-vis de la mutualisation des coûts de gestion et de l'usage des compteurs.

Défis au regard de la gouvernance du secteur
Le secteur de l'AEP est peu organisé et de nombreuses incertitudes existent sur les rôles et responsabilités des différents acteurs. La décentralisation n'a pas abouti à des élections ni à un transfert de moyens vers les communes. Le démarrage du projet coïncide avec le lancement d'une étude visant à définir un nouveau cadre institutionnel et réglementaire et une stratégie nationale pour l'AEPA à l'horizon 2020. Le projet se situe donc dans une période transitoire de tests et de mise en place progressive d'un nouveau cadre.
Infrastructures, service de l'eau et IEC : trois volets interdépendants

Dans ce contexte caractérisé par de fortes incertitudes, l'équipe projet s'est appuyée sur deux principaux outils de pilotage : le comité de pilotage du projet et les tables rondes sectorielles entre les principaux acteurs nationaux (service de l'Etat, autorités, société civile, bailleurs, ONG).

Recherche d'un compromis technico-économique : robustesse, simplicité et faible coût d'exploitation
D'un point de vue technique, la première étape a été de définir différents scénarii d'alimentation en eau dans l'objectif de limiter le coût d'investissement, de production et de sécuriser l'alimentation. Il a donc fallu établir un état des lieux précis des ressources, des infrastructures existantes et des besoins en eau. Après que les autorités aient sélectionné le scénario d'alimentation en eau au meilleur rapport coût/efficacité, le groupement a élaboré l'avant-projet détaillé prévoyant la réalisation de 7 systèmes d'AEP dont 2 « multi–villageois » (couvrant plusieurs villages). Les infrastructures existantes ont, dans la mesure du possible, été réintégrées aux nouveaux systèmes. Le projet final prévoit les constructions et réhabilitations de 9 captages, 4 stations de pompage, 6 stations de traitements, 13 réservoirs pour un linéaire de conduites total de 33 km. Certaines technologies sont spécifiquement adaptées au contexte rural et isolé : filtre à sable, chloration au goutte à goutte, groupes électrogènes de secours… Après estimation des quantités et chiffrage, un appel d'offres international a abouti au recrutement de l'entreprise Farmex, qui était alors en charge de travaux d'AEP sur un projet de même type. L'enveloppe disponible pour les travaux étant inférieure au chiffrage, un cofinancement du SEDIF a été mobilisé pour permettre de réaliser l'ensemble du projet.

D'une gestion communautaire villageoise à une gestion directe intercommunale
Dès le démarrage des études techniques, le volet d'organisation du service de l'eau a été initié. L'équipe a réalisé un diagnostic de la gestion existante et a engagé les communautés des 11 villages sur 2 principes d'intervention : « l'eau paye l'eau » ; le service doit être géré professionnellement. Ces éléments ont servi de base à la réorganisation du service par la suite. Ainsi une gestion transitoire a été mise en place dans chaque village qui disposait déjà d'un minimum d'infrastructures d'AEP. Cette gestion avait pour but de tester si les organisations en place étaient en mesure de se renforcer, puis d'assurer la gestion en satisfaisant aux exigences techniques et financières d'un tel exercice. Pour cela, il a été nécessaire de reposer les bases : rôles et responsabilités des différents acteurs, contrats et outils de gestion, suivi technique et financier, tarifs... Dans certains cas, les associations d'usagers et les employés affectés au fonctionnement des AEPs n'étaient plus actives, ce qui a nécessité de réaliser de nouvelles élections et des recrutements.

Cette étape a été un moyen de révéler de nombreux dysfonctionnements et conflits qui ont nécessité à plusieurs reprises l'implication des autorités centrales. Au cours de cette période, les difficultés suivantes sont apparues : désaccords sur les grilles de tarifs à appliquer, notamment entre les autorités insulaires et centrales, opacité de la gestion financière des associations d'usagers, difficile mise en place d'une politique de rémunération du personnel, service d'eau toujours erratique… Après un an de gestion transitoire, il apparaît que la gestion par les associations d'usagers ne peut assurer la pérennité de l'accès à l'eau.

Sur ce constat, la décision a été prise de lancer un avis à manifestations d'intérêt puis un appel d'offres pour le recrutement d'opérateur(s) professionnel(s), dont certains avaient pu être pré-identifiés durant le processus de gestion transitoire, afin d'assurer l'exploitation des infrastructures de 10 villages. Une souplesse sur l'allotissement a été proposée mais l'appel d'offres s'est révélé infructueux. La société locale SOGEM, seul opérateur professionnel déjà en activité sur l'île, a rendu une offre jugée insuffisante. Des négociations ont ainsi été entamées avec ce même opérateur. Ces dernières ont abouti à la signature de deux contrats de délégations de service public entre l'UCEM et la SOGEM, l'un pour sept villages (région de Djandro) et l'autre pour trois villages (région de Moimbao). Un comité a été constitué autour de l'UCEM pour surveiller le bon fonctionnement du service, qui intègre les maires et les associations d'usagers.

Le groupement a ensuite accompagné la SOGEM pour la réalisation du business plan de ces deux contrats (organisation des ressources humaines et matérielles, compte d'exploitation et trésorerie…). Au cours de la période de mobilisation de la SOGEM, il est apparu que cette dernière n'était finalement pas en mesure de prendre en charge la gestion du service. Le service a alors été repris en gestion directe par l'UCEM avec l'intégration du personnel technique, comptable et commercial qui avait été formé au préalable pour la SOGEM.

L'IEC : un outil d'adhésion au nouveau service
Le groupement a mis en place une campagne d'IEC qui a couru tout au long du projet avec plusieurs objectifs successifs ;
• informer la population de la consistance du projet et des grands principes de paiement au volume et de professionnalisation de la gestion ;
• communiquer sur les infrastructures et l'organisation du service à venir ;
• puis communiquer sur le paiement du service et sur les conditions de raccordement.

Une des difficultés a en effet consisté à convaincre les usagers déjà raccordés aux anciens réseaux à adhérer au nouveau service et à payer le nouveau branchement équipé de compteur. Les campagnes ont permis d'atteindre un taux de raccordement d'environ 30% avant les mises en eau, ce qui garantissait un certain niveau de service et permettait le désarmement des anciens réseaux « parallèles ». En parallèle de ces trois étapes et durant toute la durée du projet, une campagne de sensibilisation à l'hygiène a été faite auprès des écoles et de la population par les médias, les animations de terrain et le porte-à-porte.

70% de la population adhère à ce nouveau service
Un an et demi après les premières mises en service (avril 2016), il est possible de dresser un premier bilan et plus généralement des acquis et limites du projet. Plusieurs indicateurs semblent traduire une bonne santé du service. Les nouveaux systèmes d'AEP desservent 919 abonnés privés, ce qui représente un taux de raccordement de 30%. Les consommations moyennes sont comprises entre 25l/j/hab (DSP de Moimbao) et 40 l/j/hab (DSP de Djandro). La chloration est effective, ce qui est inédit sur l'île, et les analyses de chlore résiduel libre sont effectuées chaque semaine sur chaque réseau. D'un point de vue financier, le taux de recouvrement est supérieur à 95%. Le service d'eau est facturé au tarif entre 1 €/m3 (systèmes gravitaire) et 1.6 €/m3 (systèmes sur pompage). Depuis le début de l'année 2017, le résultat net d'exploitation est positif et les provisions pour renouvellement des compteurs et équipements électromécaniques sont faites.

Certains blocages persistent néanmoins. Sur les dix villages, quatre ont refusé les conditions de service. Deux d'entre eux disposent du nouveau service mais refusent de payer et les deux autres continuent d'utiliser leur ancien réseau parallèle d'eau brute. Les autorités insulaires et centrales ont été sollicitées pour intervenir mais aucune solution n'a encore été trouvée. Le recours à la force publique pour contraindre des usagers à payer ou à couper l'eau n'est pas habituel et est en forte contradiction avec les habitudes d'un service d'eau gratuit. Parmi l'ensemble des villages concernés par le projet, on remarque que ceux qui nécessitaient un pompage de l'eau ou pour qui l'alimentation en eau était particulièrement difficile, ont bien adhéré au service. Les quatre villages restants, et qui s'opposent actuellement au dispositif de gestion, disposaient, avant le projet, de réseaux d'eau gravitaire plus ou moins fonctionnels. L'intégration de ces quatre villages dans le périmètre de gestion de l'UCEM est un défi pour pouvoir passer de 70% à 100% de taux d'accès à une eau potable sur le périmètre du projet.

Si l'on dépasse le cadre du projet et que l'on considère l'accès à l'eau dans la zone au regard des Objectifs de Développement Durable (ODD), la cible 6.1 prévoit, à l'horizon 2030 « un service d'eau géré en toute sécurité ». Pour l'atteindre, 2 autres défis s'imposent :
• la qualité : les ressources ne disposent pas de périmètre de protection, ce qui entraîne un risque de pollution agricoles et domestiques. La qualité de l'eau desservie est mal connue en raison de l'absence de laboratoire d'analyses sur l'île. Seul le chlore libre est suivi régulièrement.
• la disponibilité : le déboisement et le changement climatique peuvent entraîner une diminution de la ressource et provoquer localement un stress hydrique. La disponibilité dépend aussi de la continuité du service. Il sera nécessaire que l'UCEM maintienne le service en entretenant correctement les systèmes d'AEP et en réparant rapidement les pannes. Relever ces multiples défis prendra du temps et sera tributaire des volontés politiques, de l'évolution du cadre institutionnel, réglementaire et financier à l'échelle nationale.

Changement d'échelle : 63 000 nouveaux habitants desservis à l'horizon 2020
En Union des Comores, il existe aujourd'hui seulement trois services d'eau capables de desservir une eau chlorée 24h/24 : le réseau de la MaMwe à Moroni (80 000 habitants), celui de la péninsule de Sima (12 000 habitants à Anjouan) et les réseaux de l'AEP Djandro (10 000 habitants à Mohéli). Les résultats du projet AEP Djandro servent à présent d'exemples à d'autres projets aux Comores. Le groupement Egis-ID-SECMO et ses partenaires techniques et financiers ont ainsi poursuivi la réalisation d'infrastructures et l'organisation du service de l'eau à travers trois autres projets : le projet GECEAU à Grande Comore (20 000 habitants), le projet Domoni à Anjouan (20 000 habitants) et le projet AEP Ouani à Anjouan (23 000 habitants).
L'approche méthodologique (IEC, gestion transitoire et définitive, promotion des branchements, etc.) a été généralisée et améliorée sur ces nouveaux projets. Depuis plus de cinq ans, ces différents projets, répartis sur les 3 îles, ont permis de créer un réseau étroit d'acteurs qui se connaissent et partagent régulièrement leurs expériences. Ces échanges permettent, dans un cadre institutionnel et réglementaire encore transitoire, de trouver des solutions concrètes aux défis posés par le PN-AEPA à l'horizon 2030 : atteindre 100% de taux de desserte tout en assurant la viabilité économique du service.

Partenaires techniques : Groupement EGIS-ID-SECMO, Lysa, UCEM, Toping
Partenaires financiers : AFD (4M2 €),
SEDIF (144k€)


Nicolas Cadot
Initiative Développement (ID)
Email:
n.cadot@id-ong.org
Site internet: www.id-ong.org

Dominique Bouzerma
EGIS
Email: Dominique.Bouzerma@egis.fr

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Collecte d’eau à la source (Commune de Moimbao) [© ID]

Nouveau réservoir métallique (Commune de Moimbao) [© ID]
 

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