retour imprimer © Lettre du pS-Eau 84 de Oct 2017

Maroc: L'isolement n'est pas une fatalité !


Tarzazat: Château d'eau pour l'alimentation en eau potable de 200 habitants et un bassin de rétention pour l'irrigation.
[© Orme]

Dans le cadre de son action pour le développement de populations défavorisées des villages du Moyen et Haut Atlas marocain, l'ORME a accompagné plus de 20 douars dans leurs projets d'accès à l'eau potable, ce qui a permis à plus de 20 000 villageois de bénéficier d'une eau salubre.

Au Maroc, l'action de l'association « l'Occasion de reprendre mon élan » (Orme) en faveur de l'alimentation en eau potable concerne uniquement des villages fortement enclavés. Très éloignés des agglomérations urbaines, ceux-ci ne disposent pas de services de base de proximité en santé, éducation ou d'administration. Les populations de ces douars touchés par la pauvreté pratiquent essentiellement la petite agriculture et l'élevage. Ces villages ne relèvent pas de l'Office national de l'électricité et de l'eau potable (ONEE).
L'accès à l'eau y est difficile et la corvée d'eau, qui peut nécessiter des déplacements sur plusieurs kilomètres, fait partie intégrante de la vie des femmes. 90% d'entre elles n'ont pas été scolarisées : les fillettes sont le plus souvent retirées de l'école primaire à 8-9 ans. De même, en raison de leur éloignement, ces douars sont exclus du programme national d'alphabétisation des adultes.

Une démarche éprouvée
Depuis 2005, l'ORME répond à des demandes d'aide pour la réalisation de projets d'accès à l'eau potable. En effet, ce sont des associations marocaines qui sont à l'origine des initiatives par une lettre de demande de soutien pour leur projet d'adduction en eau potable. Au Maroc, les associations relèvent d'un statut similaire à la loi 1901 française et sont contrôlées par l'administration provinciale, notamment sur leur comptabilité lorsque l'argent public a été investi dans les projets. Après plusieurs rencontres sur place avec le conseiller technique de l'ORME (échanges, réalisation d'études techniques, budgétisation du projet, répartition des tâches), une mission de terrain est ensuite menée par des membres du conseil d'administration.

À la suite de cette phase d'identification, l'ORME décide officiellement de donner suite à la demande et s'engage par courrier à assurer le financement du projet à hauteur de 50%. En contrepartie, l'association marocaine doit mobiliser les autorités locales (Conseil provincial, Conseil régional, commune, Initiative nationale pour le développement humain) pour le financement des 50% restants.

L'engagement de l'ORME constitue bien souvent un soutien de poids au projet des villageois lors de leurs recherches des financements restants. Des conventions de partenariats sont signées par les différents partenaires dès lors que les engagements de financement marocains sont obtenus. Il est mentionné dans celles-ci les tâches, les travaux et les responsabilités de chaque partenaire. Ensuite, l'ORME engage un travail de conseil auprès des responsables des associations sur la manière de gérer l'eau et celle de fixer un montant réaliste d'une redevance pour entretenir les réalisations.

Enfin, tout au long de l'année qui suit la réception des travaux, un suivi est assuré grâce à son conseiller technique marocain depuis 10 ans, ingénieur en hydraulique rurale.

Enseignements du projet mené à Iffesfes
Iffesfes est un douar de montagne (1600 m) de population berbère de 800 habitants. Il relève administrativement de la commune de Naour, province de Beni Mellal. Le projet d'accès à l'eau potable et à l'assainissement a été soutenu en 2014 par l'administration marocaine et le conseil provincial de Beni Mellal, qui ont financé 50% du projet. L'agence de l'eau Loire Bretagne, la région Bretagne et l'ORME en ont financé les autres 50%. Le projet a été réalisé en deux phases. En effet, si le débit de la ressource en eau était largement suffisant pour la réussite du projet et l'alimentation en eau potable d'une grande population (10 l/s), des complications d'origine sociale ont été rencontrées – comme cela peut souvent se passer – et ont été prises en compte.

Le débit nécessaire pour alimenter le village a été estimé par les équipes à 1 l/s – le village d'Iffesfes comptant 800 habitants. Les membres de l'association locale, qui étaient nos seuls interlocuteurs, ont confirmé l'accord de l'ensemble des 800 habitants sans aucune réticence pour l'intervention, qui prévoyait les réalisations suivantes :
• l'installation d'une pompe électrique immergée dans la source pour pomper un débit de 1 l/s ;
• la réalisation d'un réservoir d'une capacité de 45 m3 en amont de la localité pour alimenter 85% de la population ;
• la fourniture et la pose de 2850 ml de conduites en polyéthylène de différents diamètres ;
• la fourniture et la pose de 120 compteurs volumétriques pour branchement individuel.

Or, une fois les travaux entamés, une partie des habitants disposant de droits acquis sur la ressource en eaux ont manifesté leur objection. Il n'a pas été possible de les convaincre, malgré l'intervention des autorités locales et des responsables de la commune rurale. Le projet a donc dû être revu pour répondre aux objections formulées. À partir d'une nouvelle étude technique, un forage a donc été réalisé sur la rive du petit cours d'eau qui traverse la localité. Le projet a également été redimensionné en incluant les habitants d'un village voisin.

Les entreprises retenues pour la réalisation des travaux sont choisies suite à appel d'offres sur la base de trois critères :
• le prix proposé est le mieux disant (et non le moins-disant) ;
• la prise en compte des références antérieures dans le domaine, afin de s'assurer de la qualité des travaux ;
• et la possibilité de réaliser quelques travaux gracieusement (aspects associatifs et sociaux) en cas de besoin.

Objectifs atteints :
Au final, le projet a bien permis l'alimentation en eau potable de 160 foyers suite à la réalisation d'un forage de 32m de profondeur et de son équipement en pompe électrique immergée, à la construction d'un réservoir principal au sol de 35 m3, à la construction d'une bâche secondaire de 10 m3 surélevée de 3m (pour alimenter les foyers situés en hauteur) et au raccordement de 4600m de conduites. Chacun de ces foyers a bénéficié d'un branchement individuel avec un compteur de consommation.

L'association des habitants d'Iffesfes a mis en place un règlement qui comprend le paiement d'une redevance à payer par chaque foyer pour l'eau consommée (4 Dh/m3) et a établi une comptabilité rigoureuse et transparente des recettes et dépenses qui sont liées à la gestion de l'eau. Enfin, elle a délégué un homme du village à la surveillance des installations et à leur maintenance au premier niveau.

La formation d'une personne désignée par les villageois et son implication post-réalisation pour le suivi régulier, la bonne gestion des redevances et la maintenance des installations (pour de petites réparations, si nécessaire) est l'un des critères majeurs pour la pérennité des installations.

Un impact manifeste
Après la réalisation des travaux, l'ORME se consacre à l'accompagnement éducatif des femmes qui souhaitent acquérir une autonomie sociale et économique.

Avec l'accord et l'appui de l'association villageoise partenaire, le conseiller pédagogique de l'association, Ali El Amri forme et initie à l'utilisation de la méthode nationale marocaine d'alphabétisation des adultes un à deux groupes de femmes (d'un effectif maximum de vingt chacun). Celles-ci habitent le douar ou à proximité, et possèdent un niveau d'études qui équivaut généralement à celui de la terminale de lycée. Les cours s'étendent sur trois cycles annuels, de 100 h chacun. Un suivi ainsi que des missions d'évaluation sont organisées pour s'assurer d'une part du bon déroulement des cours et d'autre part du bon fonctionnement ainsi que de la maintenance des installations pour l'alimentation en eau potable.

À la fin de ces cycles d'alphabétisation, les groupes de femmes manifestent des projets d'activités génératrices de revenus (coopératif de vente de lait de chèvres, de miel, etc.) La conduite de ce type de projet n'est pas sans difficulté. Les contraintes géographiques sont fortes : difficultés d'accès, terrain accidenté, arrêts des travaux en saison hivernale (enneigement). Les contraintes sociales (évoquées) et administratives (faible implication des autorités communales) ne sont pas minces. Au niveau budgétaire, la bonne marche des projets est conditionnée au respect des engagements financiers, tels que ceux-ci ont été définis dans la convention de partenariat, et que ces financements prévus soient disponibles dans les temps impartis.


Imene Djaroud
ORME - l’Occasion de reprendre mon élan 
Email:
direction.orme@gmail.com
Site internet: www.lorme.org

L'ORME - Rennes - France
 

El Madder: Panneau solaire pour l'unité de pompage. Projet d'alimentation en eau potable de 250 habitants. [© Orme]
 

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