retour imprimer © Lettre du pS-Eau 84 de Oct 2017

Laos: Eau et assainissement pour les villages de montagne


Vue d'une latrine à cuve maçonnée, double fosse avec une trappe de vidange et un tuyau d'aération [© Les amis lorrains du Laos]

De nombreuses ONG travaillent dans l'Oudomxay au Nord Laos avec l'administration pour alimenter les villages de montagne en eau et assainissement. Retours sur plus de vingt ans d'interventions de l'association les amis lorrains du Laos.

Au Laos, l'alimentation en eau des villages en zone rurale est sous la responsabilité du ministère de la Santé. Au niveau d'une région, la Direction provinciale de la Santé (DPS) délègue cette mission à la Nam Saat (« eau propre » en laotien). Les moyens de l'État étant limités, la DPS contracte des emprunts auprès de la Banque mondiale, de la Banque asiatique de développement et fait largement appel aux ONG.

C'est dans ce cadre que l'association Les Enfants d'Ailleurs est intervenue dès 1996. À l'époque, seuls quelques villages ayant bénéficié de l'aide directe de certaines ONG étaient alimentés en eau. La grande majorité des habitants utilisaient l'eau des rivières pour tous les usages (toilette, lessive, vaisselle) et devaient la transporter jusqu'à leur maison pour la consommation quotidienne. Afin d'éviter les maladies de transmission oro-fécales, il leur était conseillé de la faire bouillir avant de la consommer. Les villages situés au sommet des montagnes n'étaient alimentés que par des sources souvent éloignées, à faible débit pendant la saison sèche. La Nam Saat se mettait en place, elle n'était à l'époque pas encore opérationnelle de manière autonome.

En 1998, pour la construction des deux premiers réseaux, sous la responsabilité des Enfants d'Ailleurs, il a fallu faire appel à un technicien de Vientiane, fraîchement formé par l'UNICEF, pour diriger les villageois au cours des travaux. Les techniciens locaux de la province d'Oudomxay avaient préalablement effectué les études et les devis. Avec l'aide et au contact d'ONG et de spécialistes souvent étrangers, l'équipe provinciale de la Nam Saat a acquis un savoir-faire pour se renforcer et devenir autonome. En 2002, quand le programme « Enfants d'Ailleurs » s'est terminé, il restait encore de nombreux villages sans approvisionnement en eau et plus encore sans latrines.

L'attractivité des villages « pilote » du projet a provoqué une augmentation de population, ce qui a entraîné une insuffisance des premiers aménagements. La petite association vosgienne qui s'était constituée pour venir en appui aux Enfants d'Ailleurs dès 1997 décida de continuer l'accompagnement des villageois avec de petits moyens : l'aide de la région Lorraine, du ministère des Affaires étrangères, du Conseil de l'ordre des médecins des Vosges, d'associations de médecins et surtout grâce aux dons, parfois importants, des adhérents.

Dès 2007, avec l'application de la loi Oudin-Santini, par l'Agence de l'eau Rhin-Meuse, les interventions ont pu toucher plus de villages ainsi que mettre en œuvre des formations sur la gestion des déchets et sur les dangers des pesticides. C'est à cette époque que les Amis lorrains ont rejoint le Comité de coopération pour le Laos (CCL) afin de bénéficier de l'appui administratif et technique de son bureau permanent à Vientiane, dirigé par une équipe de laotiennes.

Pour commencer, il convient de vérifier l'accord des villageois et s'assurer de leur implication. C'est souvent la DPS qui nous signale les villages non encore pourvus de réseaux et de latrines pour lesquels il n'y a pas encore de solution. Il nous faut vérifier que la communauté est bien en accord avec la demande des autorités et que les villageois sont prêts à s'engager dans des travaux et un suivi des installations.
Pour la construction des latrines, il est nécessaire de discuter des habitudes des villageois. Utilisent-ils déjà des latrines sèches ? Y a-t-il des tabous à leur sujet ? Toutes les familles sont-elles volontaires ?

En suivant la méthode de l'UNICEF, un soin tout particulier est porté à l'hygiène du village, préalable essentiel à l'arrivée de l'eau courante qui peut dissoudre et transporter toutes les pollutions. Si des carences manifestes sont constatées, les villageois sont incités à y remédier en expliquant l'importance de la propreté des espaces communs.

Si l'accord est solide, un contrat est établi avec le comité villageois qui précise le rôle de chacun. La communauté apporte les matériaux locaux (sable, galets, bois) et la main d'œuvre. La Nam Saat délègue un technicien pour faire une étude de faisabilité plus détaillée et établir un devis. L'ONG fournit les matériaux à transporter (ciment, ferraille, tuyaux, vannes, robinetterie, cuvettes de toilette) et rémunère le technicien suivant le barème des perdiems en cours dans l'administration.

Depuis 1998, le mode de construction des réseaux et des latrines a évolué. Les techniciens ont bénéficié de formations régulières, ce qui leur a permis de se tenir au fait des évolutions et de trouver des solutions aux nouveaux problèmes qui se sont posés, en lien avec les villageois. C'est bien une démarche d'accompagnement des villageois et des techniciens de la Nam Saat qui a été privilégiée. Elle permet aux uns de s'approprier les installations et aux autres, de mieux en maîtriser les aspects techniques.

Les types d'infrastructures
Dans cette région montagneuse, l'eau dévale les pentes pendant la mousson mais se fait plus rare à la saison sèche. Il suffit de trouver, à une altitude supérieure à celle du village, une source ou un torrent au débit suffisant pendant l'étiage pour pouvoir construire un captage, un réservoir et une canalisation. Un deuxième réservoir en amont des premières habitations, afin de diminuer la pression dans les tuyaux et des fontaines réparties par quartiers d'une dizaine de maisons, complète le réseau. L'évacuation des eaux usées vers les rizières ou la pisciculture nécessite, pour éviter qu'elles ne se répandent dans le village, l'utilisation d'une canalisation enterrée en bambou ou avec des tuyaux de PVC.

Les latrines sèches, simple trou recouvert d'une cabane, sont creusées en dehors du village. Même en recouvrant les matières de cendres, le désagrément olfactif est réel. Pendant la mousson, le risque d'effondrement est important. En effet, il faut creuser un trou après chaque saison pluvieuse. La population habituée à l'utilisation des latrines demande donc des constructions plus solides et plus confortables. La proposition de latrines collectives est systématiquement refusée par les villageois. Certaines ONG ont voulu essayer, ce fut partout un échec.

Les premières, construites dès 1998, étaient sommaires mais très économiques. L'UNICEF fournissait à la Nam Saat des moules de coffrage métalliques servant à couler des anneaux de béton. Trois de ces anneaux enterrés, recouverts d'une plaque dans laquelle est encastrée une cuvette munie d'un siphon abrité par une cabane en bambou ou en planche) constitue un équipement suffisant pour une maison. Cependant, celles-ci sont remplies en 5 à 10 ans et aucun dispositif de vidange n'avait été prévu. Des trous « satellites » sont nécessaires pour en augmenter leur durée de vie. À partir de 2007-2008, la Nam Saat a proposé la construction de latrines à cuve maçonnée, double fosse avec une trappe de vidange. Celles-ci, plus pérennes, sont cependant 5 à 6 fois plus onéreuses. Elles remplacent les anciennes devenues obsolètes.

Chaque famille est responsable de sa latrine. Chaque quartier désigne un responsable de la fontaine. Le comité villageois choisit de son côté une équipe d'entretien de l'ensemble du réseau. Une caisse alimentée par une redevance payée par chaque famille, permet de renouveler la robinetterie usagée et de financer les travaux d'entretien. Pendant les travaux de construction des réseaux et des latrines, le technicien reste dans le village. Chaque jour, le chef de la communauté organise une réunion de chantier. Le soir, lors de la veillée, les discussions portent sur les activités à mener pour le bon fonctionnement du réseau et sur la manière de faire les réparations en temps voulu. Le désensablage du captage, le changement de robinet ou de vanne, l'entretien de la surface de propreté des fontaines et sa protection par une palissade, l'entretien de la canalisation d'évacuation des eaux usées : tous ces sujets sont importants pour les villageois, qui se doivent de les connaître.

Au cours de ces soirées, la question de la pérennisation et du financement de l'entretien occupe les débats. Il est expliqué pourquoi et comment le village doit collecter des fonds, sous forme d'une redevance annuelle ou mensuelle auprès de chaque famille pour couvrir les frais. C'est le village qui en choisit le montant, la fréquence ainsi que son mode de prélèvement. Depuis quelques années, dans un des districts de la province, l'administration se charge de centraliser les fonds et de les répartir ensuite suivant les besoins. Un temps de recul et de suivi est maintenant nécessaire afin de savoir si cette formule, amenée à être étendue, est plus efficiente.

Les infirmiers du service de santé publique, qui passent périodiquement dans les communautés pour la vaccination des enfants, utilisent les posters édités par l'association sur la gestion des déchets. Les sachets en plastique et les boîtes métalliques se multiplient, il est nécessaire de les collecter et de les enfouir en attendant une solution meilleure.

Au début des années 2000, le recours aux pesticides est apparu. Leur utilisation mal maîtrisée provoque de graves intoxications ainsi que des pollutions importantes de la ressource en eau. Pour y faire face, des actions de sensibilisation à leur dangerosité sont assurées, en lien avec l'association locale Saeda. Des solutions alternatives sont également mises en œuvre afin d'en éviter l'utilisation. Ces solutions ont permis de cultiver davantage ainsi d'améliorer le revenu des familles.

En 2017, nous nous sommes ensuite rapprochés de l'association Aide au développement de villages au Laos, ONG qui aide notamment des communautés du Sud et qui s'investit à présent dans la province d'Oudomxay. La coopération entre les deux associations permet d'optimiser la recherche de financements. Un rapprochement a aussi été opéré récemment avec l'association Aquassistance, présente elle aussi dans l'Oudomxay. En prévision du retrait du CCL dont les programmes touchent à leur fin, nous partageons des informations sur la sécurisation du financement et sur le travail mené avec la Nam Saat sur la pérennité des installations. L'association Les Amis lorrains du Laos a pu mobiliser environ 400.000 € (majoritairement entre 2008 et 2017).

Depuis 2010, 1 440 latrines ont été construites, ainsi que de nombreuses fontaines et des kilomètres de réseaux d'eau dans les villages de la province d'Oudomxay (districts de Namor, La et plus récemment Nga). La pérennité des installations repose sur leur bon entretien. Celui-ci dépend de la compréhension et de la maîtrise par les villageois appuyés par la Nam Saat du district (amenée à intervenir en cas de dommages graves) des « bons gestes » à effectuer pour y parvenir. C'est dans ce but qu'ont été associés les villageois à la construction de ces installations : ils connaissent maintenant le trajet des tuyaux, la place des vannes et des filtres ainsi que leur fonctionnement, les techniciens qui les ont guidés, etc. Ainsi, ils ont pu s'approprier les équipements et l'entretien qu'ils supposent. C'est un sérieux gage de fiabilité.


Etienne Géhin
Les amis lorrains du Laos
Email:
etienne.gehin@orange.fr
Site internet: www.amislorrainsdulaos.org

AE Rhin-Meuse - Moulins les Metz - France
Amis Lorrains du Laos - Saint Nabord - France
CCL - Vientiane - Laos
 
 

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