retour imprimer © Lettre du pS-Eau 83 de Jun 2017

Guinée, dans la Préfecture de Boffa: 10 ans d'engagement pour la pérennisation de services communaux de gestion des services d'eau


[© CMC]

Depuis dix ans, le département de Charente maritime, le Syndicat des eaux de Charente-Maritime et l'association Charente-Maritime Coopération accompagnent efficacement les acteurs de la Préfecture de Boffa à organiser et gérer les services d'alimentation en eau potable.

Depuis dix ans, le département de Charente maritime, le Syndicat des eaux de Charente-Maritime et l'association Charente-Maritime Coopération accompagnent efficacement les acteurs de la Préfecture de Boffa à organiser et gérer les services d'alimentation en eau potable.

En matière de politique nationale d'accès à l'eau, la Guinée a très tôt mis en place un service national des points d'eau, le SNAPE, ayant comme prérogative, la gestion de l'eau en milieu rural et périurbain. Cette structure d'appui a développé une stratégie nationale du service public de l'eau (SPE), mise en œuvre à partir de 2011, qui participe à la politique de décentralisation amorcée dans le pays. Les compétences en matière d'hydraulique ont ainsi été transférées aux collectivités locales qui se doivent de créer une Agence communale de l'eau. Certaines collectivités locales reçoivent dans ce cadre le concours de partenaires techniques et financiers.

La préfecture de Boffa en République de Guinée, qui compte 8 communes et 215 063 habitants, bénéficie depuis 1992 de l'appui du département de la Charente-Maritime, à travers l'association de coopération décentralisée, Charente-Maritime Coopération. Depuis 2007, cet appui s'est notamment matérialisé par la mise en œuvre d'un ambitieux programme d'hydraulique villageoise regroupant, outre les partenaires institutionnels guinéens (Ministère de l'Administration du territoire et de la décentralisation, ministère de l'Hydraulique et de l'Énergie, Association nationale des communes de Guinée), des partenaires techniques et financiers tels que le Syndicat des eaux de Charente-Maritime, l'Agence de l'eau Adour Garonne, ou encore l'UNICEF.

Cette synergie d'acteurs a permis la création de 3 agences communales de l'eau, à Boffa, Tamita et Tougnifily, mettant en œuvre la stratégie nationale du service public de l'eau du SNAPE. Cela a favorisé le développement d'une véritable gouvernance locale pérenne qui s'appuie sur un service de maintenance efficace et réactif assurant une durabilité des infrastructures. Le système de péréquation est appliqué permettant à tous les points d'eau d'une commune d'avoir accès au même service.
L'action de Charente-Maritime Coopération est structurée autour de l'idée de fournir de façon pérenne une eau de qualité, en quantité suffisante et accessible à tous. Pour y parvenir, CMC travaille en collaboration permanente avec les services ministériels guinéens et le partage des décisions avec les autorités locales, informe et mobilise les populations autour de ses actions.

Genèse du projet à Boffa et extension à d'autres communes
En 2006, la Commune urbaine de Boffa a réalisé son plan de développement communal (PDC) avec l'appui de CMC. L'accès à l'eau potable était identifié comme étant la première priorité pour 47% des districts.
Cette même année, une mission d'identification des infrastructures existantes et de définition du programme conjointe entre le Syndicat des eaux de la Charente-Maritime, Charente-Maritime Coopération et la Commune urbaine de Boffa fut effectuée. Sur les 45 forages publics, 26 étaient hors service et 16 en mauvais état, aucune infrastructure n'était présente sur la zone insulaire (environ 2 300 habitants), et aucune organisation communale en place. La situation sanitaire était également très préoccupante, avec notamment la présence de maladies hydriques épidémiques (choléra).
Une convention de collaboration fut alors établie entre les 3 partenaires pour lancer un programme comprenant la réhabilitation des 45 forages, de 8 puits améliorés sur les îles, la création d'un impluvium (bâche souple récupérant l'eau de pluie) sur l'île de Dary, et la mise en place d'un système de gestion.

Cet organe de gestion prend la forme d'une agence communale de l'eau pilotée par les élus, le maire en étant le président, auxquels CMC apporte un appui technique et logistique. Un employé de CMC est détaché auprès de ce service pour suivre la gestion des comités points d'eau (CPE) présents sur chaque point d'eau. Pour chaque agence communale de l'eau, un compte épargne à double signature est ouvert et alimenté de façon permanente, et un budget annexe au budget communal est créé. Sous l'impulsion de Denis Minot, directeur général du Syndicat des eaux de la Charente-Maritime et l'appui technique de CMC depuis 2007, CMC a ainsi continué à développer son modèle de gestion communale de l'eau aux communes rurales de Tamita et Tougnifily. Le même principe a été utilisé en partant du diagnostic des infrastructures existantes, les points d'eau sont réhabilités et une structure de gestion est mise en place par commune. Sous l'autorité de l'Agence communale de l'eau sont créées des unités de gestion du service public de l'eau (UGSPE) regroupant plusieurs points d'eau autour d'un comité.
Ce nouveau programme a démarré en 2015 grâce à un apport financier de l'Agence de l'eau Adour-Garonne et du Syndicat des eaux de la Charente-Maritime. La même année, la signature d'un partenariat avec l'UNICEF a permis d'étendre le projet, avec la création de nouveaux points d'eau, le renforcement de capacité des acteurs locaux du SPE et le développement d'innovations.

En 2017, ce programme représente 177 points d'eau, répartis dans 3 communes de la Préfecture : Boffa, Tamita et Tougnifily. À terme, l'ensemble des 8 communes de la préfecture sont ciblées avec l'idée de pouvoir structurer ces services au sein d'une intercommunalité. Le système de péréquation développé à l'heure actuelle au niveau de l'ACE d'une commune pourrait alors être envisagé au niveau intercommunal.

La technique et l'innovation au service de la pérennité du service
En zone rurale en Guinée, les infrastructures hydrauliques sont principalement des forages à pompe manuelle ainsi que des puits améliorés. Afin d'amener de meilleures conditions d'accès à l'eau potable pour la population de Boffa, le projet « Eau Fil du Soleil » a été développé. De mini-adductions solaires avec chloration automatique sont installées sur des forages déjà existants, la charge de la pompe manuelle étant ainsi supprimée. Un système d'envoi de SMS placé dans le boîtier de chloration permet de suivre en temps réel l'électrolyse effectuée sur site et l'installation d'un compteur volumétrique améliore la sécurisation des recettes de la vente de l'eau.

Dans la même logique, installés sur des stations de potabilisation de l'eau de surface (Hydropur développé par Altech SAFS), des boîtiers de contrôle permettent l'envoi d'information par SMS. Le suivi des électrolyses est assuré par le gérant et les volumes pompés sont ainsi connus. Ces stations de potabilisation demandant un entretien conséquent, un système de recharge de téléphone a été ajouté, permettant d'augmenter le temps de présence du gestionnaire sur sa station.

Dans les zones insulaires de Boffa, épicentre de la dernière épidémie de choléra en Guinée, l'accès à l'eau potable reste une problématique importante. La solution retenue est de récolter l'eau de pluie grâce à un impluvium pendant la saison des pluies pour pouvoir la redistribuer tout au long de l'année. L'eau est filtrée avant d'être stockée dans une cuve en plastique ou une citerne souple. Elle est ensuite chlorée pour être prête à la consommation. Le système est une réussite d'un point de vue service offert et gestion, mais nécessite un sérieux important des gestionnaires, car la ressource, limitée, doit être rationalisée pour ne servir qu'aux usages d'eau de boisson.

La présence de fer et le risque d'eau saumâtre sur ce territoire en majorité littoral posent des difficultés techniques et augmentent la charge du service. Des ouvrages de maçonnerie permettant de déferriser l'eau sont installés en cas de présence de fer. L'efficacité est prouvée, mais la réalisation représente un coût d'investissement élevé et nécessite une maintenance importante. Des expérimentations techniques sont effectuées afin d'améliorer l'efficacité du système de traitement de l'eau.

Pour solutionner l'accès à l'eau potable des zones littorales posant des problèmes de salinité de l'eau souterraine, des puits de plus faible profondeur que les forages sont réalisés. Ils sont, comme les forages, équipés de pompes pour offrir le même service, mais la quantité de la ressource disponible en fin de saison sèche peut poser problème.
La Guinée est bien souvent qualifiée de réservoir d'eau de l'Afrique de l'Ouest, mais bien que la ressource soit abondante, sa qualité pose parfois problème. Dans la préfecture de Boffa, des problématiques d'eau ferreuse, d'eau saumâtre ou encore de qualité du sol poussent à la recherche de solutions techniques adaptées.
À titre d'exemple, le poste de santé de Dominia, positionné dans une zone en bord de bras de mer avec des difficultés de foration, restait dans l'attente d'ouvrir son extension par manque d'accès à l'eau. La solution a été d'aller chercher l'eau ferreuse du seul forage du village, à 300 m de distance, de la déferriser avant de l'envoyer aux châteaux d'eau du poste de santé.
Par ailleurs, une station de désalinisation de l'eau de mer sera prochainement testée afin d'apporter de nouvelles solutions aux zones littorales et insulaires. CMC est actuellement à la recherche de solutions pour la remise en état du réseau de distribution du centre-ville de la commune urbaine de Boffa. Cela permettrait de servir des quartiers encore dépourvus en point d'eau amélioré, et d'améliorer la qualité du service proposé.

La durabilité à travers la gouvernance

L'amélioration de la desserte en eau potable passe par l'augmentation du taux de couverture, avec pour objectif fixé par la stratégie nationale d'un point d'eau pour 300 habitants en zone rurale, et également par la mise en place d'un service de maintenance des ouvrages.
À ce titre, les artisans-réparateurs sont régulièrement formés et rééquipés pour être en mesure d'intervenir efficacement sur les ouvrages. Dès son lancement, le SNAPE décida de découper le territoire entre les fournisseurs de pompes présents. Cette politique, visant à faciliter la logistique d'intervention, est soutenue par CMC qui possède un stock de pièces détachées à son siège qu'elle tend à délocaliser au niveau des communes. Cela permet une intervention rapide dès la déclaration de la panne.
La recherche de solutions pour l'amélioration de la qualité de l'eau fait également partie des priorités d'action. En échange d'un service de qualité, il est attendu des usagers d'entretenir les points d'eau et de payer l'eau au volume, comme le veut la stratégie nationale. Le gestionnaire et l'hygiéniste formant le comité point d'eau (CPE), présent sur chaque infrastructure, sont en charge de faire appliquer cela. L'eau est ainsi vendue au bidon de 20 litres pour 100 francs guinéens (GNF).

Des objectifs de recettes de la vente de l'eau sont fixés mensuellement selon la fréquentation du point d'eau et la période de l'année, dont 20% sont rétrocédées au gestionnaire du point d'eau. Lors des réunions de sensibilisation et des assemblées générales, les meilleurs CPE sont récompensés pour leur bon travail. L'impact est positif et cela est visible au niveau de l'entretien des points d'eau et lors des recouvrements de la vente de l'eau. Le fonctionnement du service doit rapidement être assimilé par l'ensemble des usagers pour que les dépenses engendrées par le service proposé puissent être couvertes par les recettes, les communes n'ayant la capacité de financer qu'une infime partie du fonctionnement d'un service de l'eau. Les principales sources de ces recettes restent la vente de l'eau et les intérêts bancaires encore assez conséquents au Crédit Rural de Guinée. Par ailleurs, une cotisation d'adhésion au service communal d'un montant de 300'000GNF pour chaque point d'eau est exigée.
Les dépenses quant à elles augmentent de façon significative et ne peuvent pas encore être imputées en totalité aux agences communales de l'eau. Grâce à l'épargne faite sur plusieurs années, le service de l'eau de la commune de Boffa est en mesure de payer la main d'œuvre des artisans-réparateurs, les primes aux gestionnaires ayant atteint leurs objectifs de vente de l'eau, et 70% des coûts d'achat des pièces détachées utilisées pour réparer les infrastructures.
Les dépenses en pièces détachées représentent la plus importante ligne de dépense du service. Le suivi effectué depuis le lancement du service en 2007 permet de voir l'évolution de ces coûts. Un outil de suivi est rempli à chaque intervention, ce qui permet de connaître la fréquence de changement des pièces par point d'eau, d'établir un plan de renouvellement des pièces et enfin de pouvoir évaluer les dépenses à venir du service. CMC a entrepris depuis plus de 5 ans une analyse technique et financière sur la durabilité du service public de l'eau. Le retour d'expérience permet aujourd'hui de disposer d'une méthode d'évaluation (durée de vie des équipements, amortissement, gestion de la maintenance) qui fait référence auprès des autorités guinéennes. Ce travail doit être poursuivi afin de capitaliser sur la durabilité des équipements et du service.


Il est primordial que le transfert de compétence vers les autorités locales soit appuyé et que le renforcement de capacité du service soit priorisé. Le manque de personnel technique au niveau des communes rend la tâche complexe ; la décentralisation donnant un grand nombre de missions aux communes sans les pourvoir financièrement et techniquement pour les réaliser. Dans une logique de renforcement des capacités, les trois responsables hydrauliques de CMC détachés auprès des communes ont pu effectuer un stage en juillet 2016 au Syndicat des eaux de la Charente-Maritime. Une réflexion est actuellement portée quant au développement des compétences de jeunes techniciens guinéens, le pays ne disposant pas de formation adaptée.


Sébastien Rodts
CMC - Charente Maritime Coopération
Email:
sebastien.rodts@charente-maritime.fr
Site internet: charentemaritimecooperation.org

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