retour imprimer © Lettre du pS-Eau 82 de Dec 2016

Tchad: À Moundou, chacun ses moyens, chacun sa latrine !


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Seconde ville du Tchad avec 160 000 habitants, Moundou est confrontée à la problématique majeure de l'assainissement des eaux pluviales comme des eaux usées. Pour y faire face, l'association ID développe depuis une dizaine d'années l'offre de latrines proposée aux ménages et une gestion plus efficiente des boues d'assainissement.

À Moundou le manque d'assainissement des eaux pluviales et des eaux usées est une problématique majeure qui se traduit par un taux de maladies hydriques important ainsi qu'un fort taux d'impaludation, freins au développement de la ville (inaccessibilité de quartiers en saison des pluies, flux commerciaux ralentis, absentéisme et faible productivité au travail…).

Au-delà du problème de l'accès aux équipements, la gestion des boues d'assainissement est aussi un enjeu sanitaire important puisqu'il n'existe pas de site de dépotage sécurisé. La pratique consiste principalement à enterrer les boues des latrines dans la concession. D'après les estimations récentes, 55% de la population n'a pas accès à un assainissement amélioré et 20% n'a pas de latrine et pratique la défécation à l'air libre ou utilise les latrines des voisins.
L'accès le plus répandu consiste en des fosses non maçonnées recouvertes d'une dalle en terre et fibres naturelles. Ces équipements ont l'inconvénient d'être peu résistants dans le temps. Il est fréquent que les fosses s'écroulent sur elles-mêmes (notamment en saison des pluies) ce qui peut présenter un danger corporel et nécessite d'en recreuser de nouvelles. Les ménages plus aisés font construire des fosses maçonnées qui sont plus robustes.
Ces latrines, maçonnées ou non, dites « traditionnelles » ne sont pas étanches et laissent les effluents s'infiltrer dans le sol. Par conséquent, la nappe superficielle est fortement polluée et la nappe peu profonde, utilisée pour l'alimentation en eau, commence aussi à être contaminée.

Moundou est par ailleurs partiellement située dans une zone inondable. Les quartiers les plus peuplés se trouvent dans une cuvette où l'eau ne peut s'évacuer, ce qui augmente le risque de contamination car les effluents sont alors en contact direct avec l'eau souterraine.

La seule manière de protéger la nappe consiste à construire des latrines à fosses étanches, qu'il est nécessaire de protéger contre les inondations et de vidanger régulièrement.
On estime que seulement 2% de la population utilisent des toilettes modernes présentant un fond étanche ou semi-étanche. Il s'agit majoritairement des établissements publics (hôtels, palais de justice, écoles, centres de santé…)

Trois facteurs principaux expliquent le faible taux d'équipement des ménages :
• un manque d'offres adaptées au faible pouvoir d'achat des ménages. Les toilettes modernes VIP représentent un montant d'environ 500 000 FCFA soit 25% des dépenses annuelles moyennes d'un ménage. Les revenus sont souvent variables et l'épargne est faible. Les ménages sont plus aptes à payer la construction d'une latrine traditionnelle à 50 000 FCFA même si cette dernière ne durera qu'une année ;
• un manque de sensibilisation. Une partie de la population ignore les liens entre défécation à l'air libre et les maladies hydriques. L'habitude de déféquer à l'air libre entrave le changement des pratiques ;
• L'incapacité des pouvoirs publics à définir et à faire appliquer une réglementation relative à l'assainissement des eaux usées. Il n'existe pas de directives claires sur les modèles de latrines compatibles avec la préservation de l'environnement et de la santé de la population. Aucune mesure coercitive n'est prise pour empêcher ou sanctionner la défécation à l'air libre ou la construction de fosses perméables.

En 2015, la commune de Moundou s'est dotée d'un schéma directeur pour l'eau et l'assainissement (SDEA) préconisant l'accès à des latrines améliorées étanches sur l'ensemble du territoire.
Initiative Développement est présent au Tchad depuis plus de 10 ans à travers des projets d'accès à la santé, à l'eau potable, à l'éducation, de développement local et d'appui à la décentralisation. ID a commencé à travailler sur l'accès à l'assainissement à partir de 2010 en appuyant la mise en place de relais communautaires en milieu rural. Ces relais, financés par le service de l'eau, ont pour mission de sensibiliser la population aux bonnes pratiques d'hygiène et d'assainissement. La mise en place de ces relais a eu un certain impact en encourageant l'équipement des ménages en latrines. L'approche par la sensibilisation via des relais développée jusqu'alors s'est cependant révélée insuffisante pour répondre aux contraintes de la ville de Moundou.

En 2012, une étude de faisabilité pour la mise en place d'une filière de construction de latrines a été réalisée. Cette étude a permis de préciser les pratiques d'assainissement, les acteurs de l'assainissement (institutions, OSC, opérateurs privés – constructeurs et vidangeurs notamment), les liens entre eux et la demande pour des latrines améliorées.

L'étude a mis en évidence les points suivants :
1– Un secteur de la construction peu structuré. Aucun professionnel n'est spécialiste du secteur, les modèles, les prix et la qualité des latrines sont très variables. La qualité est globalement faible ;
2– Un coût d'investissement élevé en raison des coûts des matériaux et de la faible rationalisation du travail ;
3– Une volonté à payer jusqu'à 300 000 FCFA soit 60% du prix de revient des latrines améliorées ;
4– Un potentiel de revalorisation des boues pour les besoins agricoles.

Définition d'une stratégie d'équipement accessible aux ménages
Sur la base de cet état des lieux, une stratégie de développement d'une offre de latrines adaptées aux besoins des ménages et aux remontées d'eaux souterraines a pu être définie.
Au préalable, ID a sélectionné un entrepreneur susceptible de gérer une activité de sanimarché. Un modèle test de latrine a ensuite été conçu en collaboration avec lui. Les modèles retenus ont été l'Ecosan et la VIP à double fosses étanches. L'Ecosan présente l'avantage de faciliter la revalorisation ultérieure des produits d'assainissement.

Sur une période de 6 mois, 6 latrines test ont été construites chez des ménages volontaires (4 VIP et 2 Ecosan). Cette étape a permis de préciser les procédés et coûts de fabrication ainsi que l'appréciation par les ménages. Il est ressorti des coûts de construction relativement élevés, de l'ordre de 800 000 FCFA et un usage non adéquat des latrines Ecosan (utilisation de la fosse comme d'une poubelle). Durant l'année suivante, la gamme de latrines a été étendue et les procédés de fabrication ont été optimisés pour réduire les coûts globaux et proposer des produits d'entrée de gamme plus accessibles. Le client avait ainsi le choix entre chaque composant de la latrine (fosse, dalle et superstructure) et pouvait ainsi composer une latrine « sur mesure ».

Pour faciliter la démarche, un catalogue commercial a été élaboré, présentant les produits, options et facilités de paiement à destination des rapporteurs d'affaires qui informent et conseillent le client. Les latrines « Romlelem » sont nées et offraient tout d'abord le choix entre 5 types de fosses, 4 dalles, 6 abris et une dizaine d'options (par ex : douche, chainage ou lave main). Le paiement peut être fait à la commande on en paiement en 3 fois sans frais. Un slogan : « chacun ses moyens, chacun sa latrine ».

Après expérimentation de ce dispositif, il est apparu que la gestion des commandes et de la réalisation des latrines étaient compliquées en raison du grand nombre de combinaisons possibles. Par ailleurs, la complexité de l'offre augmente le travail des rapporteurs d'affaires qui doivent expliquer les différentes possibilités aux clients. La multiplicité des produits et options ne répond finalement pas à une attente des ménages et ne leur permet pas un choix éclairé (même si cela permettait de proposer des acquisitions par étape pour répondre à la faible capacité d'investissement des ménages). Le nombre de produits a été réduit à 6 latrines et les options supprimées. Le catalogue commercial a donc été revu en conséquence.

En parallèle, l'activité s'est structurée. Sur le volet commercial, des vendeurs et des rapporteurs d'affaires ont été recrutés sur la base de leurs compétences commerciales et de leur motivation. Leur rémunération fait l'objet d'une part variable liée à la quantité de latrines vendues, à l'atteinte d'objectifs quantitatifs ou sous forme de challenge à celui ou celle qui vendra en premier un certain modèle par exemple. Le prix de vente de la latrine intègre une marge de négociation qui constitue un levier supplémentaire pour les vendeurs pour augmenter leurs revenus mais aussi déclencher des ventes. Un système de rapporteurs d'affaires (au nombre de 15 au démarrage pour terminer à deux personnes réellement actives) a également été instauré car un certain nombre d'acteurs (entrepreneurs, maçons, associations de promotion de l'hygiène-assainissement…) sont sollicités par de potentiels acheteurs. Ce système permet d'encourager la vente sans pour autant contractualiser des vendeurs car ces acteurs n'ont pas forcément de disponibilité pour assurer un véritable travail commercial. Une association tchadienne bien implantée est aussi intégrée au réseau de rapporteurs d'affaires agréés afin de soutenir l'activité voire de vendre d'autres latrines. La communication est principalement réalisée par porte à porte, à l'échelle de la ville : les vendeurs sont répartis pour commencer, par quartiers prioritaires (des quartiers proches de l'atelier Romlelem pour faciliter la livraison) puis étendent leurs activités au fur et à mesure. De leur coté, les rapporteurs d'affaires sont répartis dans toute la ville. À ces actions de proximité s'ajoutent des actions de communication de masse : spots et émissions radio, événements sportifs ou culturels, diffusions de t-shirts et casquettes... La gestion administrative et comptable fait l'objet d'un manuel de procédures et d'un ensemble d'outils associés.

En parallèle à la mise en place de la stratégie commerciale, les acteurs de la construction ont été formés après l'installation d'un atelier de construction (juin et octobre 2015). L'activité technique est améliorée par la réalisation d'un guide technique de construction comprenant l'ensemble des spécifications et quantités de matériaux ainsi que les étapes de construction et les points de contrôle de la qualité. Les maçons, qui ont été formés à l'occasion de la réalisation du site de démonstration de l'entrepreneur bénéficient ainsi d'un référentiel commun assurant l'homogénéité et la qualité des constructions.

Le magasin de l'entrepreneur est organisé avec la mise en place de gestion des stocks et d'un atelier pour les matériels (dont les buses et moules). Le stock tampon (pour le sable, et le gravier notamment) permet de répondre sans délai aux besoins de construction alors que le prix de ces matériaux peuvent varier au cours de l'année. En constituant ce stock de matériaux, il est alors possible à la fois de garantir la disponibilité et le prix des matériaux sans devoir ajuster le prix de vente aux usagers.
Face au manque de compétences managériales de l'entrepreneur sélectionné, ID a choisi d'internaliser la direction de l'activité. Une gestionnaire de filière est en charge de la comptabilité de la filière (suivi crédit fournisseurs, paiement de tous les acteurs, facturation aux clients…) et un responsable technique assure le suivi de chantier ; et de la satisfaction du client. En dehors de ces deux postes, la filière comporte 1 entrepreneur (en charge du transport des matériaux, de l'approvisionnement en eau des chantiers, du contrôle qualité), 5 maçons, 5 rapporteurs d'affaires. Le renforcement de capacités, basé sur un diagnostic initial fait l'objet de formations ponctuelles (compte d'exploitation, informatique, force de vente…) et d'un accompagnement régulier (suivi budgétaire, suivi des stocks, porte à porte…).

Environ 1 an après le lancement des ventes, 80 latrines Romlelem ont été vendues. Une enquête de satisfaction a été conduite auprès de 37 usagers « expérimentés », pour identifier les atouts et les faiblesses de l'offre. Les données collectées ont mis en évidence les points suivants :
• Les produits sont très appréciés des clients : la qualité de construction, l'ergonomie ainsi que la qualité de la relation avec les clients sont mis en avant ;
• Le prix d'achat est considéré comme attractif mais on observe que les facilités de paiement sont insuffisantes pour permettre aux ménages les plus pauvres de s'équiper. Des solutions de microcrédit ou tontine doivent être étudiées ;
• Le volume des fosses (2m3) est considéré comme insuffisant en raison de l'habitude de construire des fosses de 4 à 5m3 due à l'absence de service de vidange organisé.
Sur ce dernier point, ID a accompagné la mise en place d'un service de vidange pour les clients des latrines Romlelem. Ainsi, la vidange est proposée à un tarif préférentiel et effectuée par un professionnel qui garantit le transport et le compostage des boues.

Au terme de cette première phase de 3 ans d'activités, le sanimarché Romlelem s'avère une réponse efficace pour améliorer l'accès à l'assainissement de Moundou tout en assurant une gestion sécurisée des boues de vidange grâce au service associé. Deux principaux défis se présentent :
1– Externaliser les 2 postes de salariés ID, de gestionnaires de filière et de responsable technique pour répercuter leurs charges sur les coûts des latrines (soit une augmentation des charges de 11% sur la base de 100 latrines/an). Cet aspect nécessite d'identifier un nouvel entrepreneur suffisamment compétent et volontaire pour gérer et développer l'activité ;
2– Dégager une marge hors subventionnement pour permettre une pérennité financière de l'activité. Il est nécessaire pour y parvenir, d'optimiser la conception technique des latrines et le procédé de fabrication pour réduire les coûts de fabrication. Il pourrait également être envisagé de diversifier l'offre vers des latrines collectives (écoles, marché…) qui peuvent être vendues avec une marge importante.

Il est nécessaire de rappeler que l'activité s'inscrit dans un contexte socio-économique caractérisé par un pouvoir d'achat très faible. Le taux de subvention actuel, de 38% en moyenne, est difficile à réduire si l'on souhaite que l'offre ne se destine pas uniquement aux ménages aisés. Par ailleurs, les contraintes hydrogéologiques imposent la réalisation de fosses étanches qui entraînent un coût de construction non compressible. L'implication de la municipalité dans le contrôle de conformité des latrines domestiques vis-à-vis du nouveau schéma directeur est indispensable pour envisager un renouvellement complet du parc de latrines domestiques, condition indispensable à la protection de la nappe phréatique et de la santé de la population, et pour permettre l'application d'un prix de vente qui couvre les charges.

Dans ce contexte, la nouvelle phase du projet, d'une durée de 3 ans, se fixe comme objectifs d'augmenter les volumes de vente, d'optimiser la production et de renforcer les capacités des acteurs du sanimarché. En parallèle, le programme va agir sur deux volets complémentaires :
• la sensibilisation de masse pour réduire la défécation à l'air libre et encourager la demande en latrines ;
• favoriser la concertation entre les acteurs concernés par l'assainissement des eaux usées (autorités, services déconcentrés, acteurs privé) pour assurer un cadre institutionnel propice à l'amélioration du secteur (mise à disposition d'un site de vidange, régulation de l'activité de construction de latrines et de la vidange).

En 2015, la municipalité de Moundou s'est fixée comme objectif de passer à un taux de 70% de latrines améliorées à l'horizon 2030. Cet objectif est cohérent avec le premier axe stratégique défini par l'État tchadien pour l'assainissement qui stipule la : "mise en œuvre progressive de l'assainissement autonome en milieu urbain et semi-urbain". Pour atteindre cet objectif le DSDEA de Moundou comptabilise un besoin d'environ 20 000 latrines soit 1 360 latrines par an sans subvention de l'État. Avec un objectif annuel de vente de 100 latrines, le sanimarché Romlelem contribue à son niveau, à couvrir un besoin qui représente 10% de l'ensemble des latrines à renouveler ou équiper.
Partenaires financiers volets eau et assainissement) : AELB (185 000€), Grand Poitiers (160 811€), Fondation Lord Michelham of Hellingly (75 000€), SEDIF (409 750€)


Nicolas Cadot
Initiative Développement
Email:
n.cadot@id-ong.org

Commune de Moundou - Moundou - Tchad
ID - Moundou - Tchad
ID - Poitiers - France
 

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