retour imprimer © Lettre du pS-Eau 80 de Mar 2016

Niger: Optimisation du service public de l'eau


Formation des usagers réunis en séance plénière. [© Cabinet Thec]

Avec l'appui du Sedif, l'Ong SEVES et le cabinet Thec renforcent depuis 2011 la gestion locale du service de l'eau des communes nigériennes de la région de Maradi, au sud du pays. La démarche vise à organiser et responsabiliser les acteurs, à promouvoir l'émergence d'exploitants investisseurs et à développer un service d'appui-conseil et de contrôle.

Avec l'appui du Sedif, l'Ong SEVES et le cabinet Thec renforcent depuis 2011 la gestion locale du service de l'eau des communes nigériennes de la région de Maradi, au sud du pays. La démarche vise à organiser et responsabiliser les acteurs, à promouvoir l'émergence d'exploitants investisseurs et à développer un service d'appui-conseil et de contrôle.

En 2015, en milieu rural au Niger, l'accès à l'eau potable est estimé[1] à 49 %, un niveau sans évolution depuis 2009. Ce chiffre recouvre des réalités variées : des centres et des communes rurales ne disposent d'aucune infrastructure, dans d'autres les équipements sont à l'arrêt.
Dans le cadre du processus de décentralisation nigérien, l'Etat a transféré la maîtrise d'ouvrage des services d'eau aux commu-nes, transfert de compétences qui n'a pas été accompagné des moyens leur permettant d'assumer pleinement ces nouvelles prérogatives. En milieu rural, les communes délèguent l'exploitation de leurs services d'eau à des opérateurs privés ou à des associations communautaires.

Afin d'accompagner les communes et ces délégataires privés, des structures d'appui conseil au service public de l'eau (SAC/SPE), également privées, sont désormais dotées d'un agrément pour assurer le suivi technique et financier des AEP. Sous contrat de prestation de service avec la commune, ces structures (une par région) sont rémunérées par les recettes de la vente d'eau.

En 2010, l'ONG Seves et son partenaire nigérien le bureau d'études Thec ont confirmé que dans de nombreuses communes de la région, les services d'AEP étaient à l'arrêt et/ou dans l'attente de nouveaux projets internationaux pour renouveler leurs équipements et leurs infrastructures. Après analyse, il s'est avéré que les problèmes rencontrés relevaient majoritairement non pas de problèmes techniques mais de difficultés de gestion : contrats de délégation du service public mal compris, méconnaissance et dilution des responsabilités, absence de professionnalisation de l'exploitant, confusion entre les fonctions bénévoles et salariées au sein des associations d'usagers, adductions d'eau souvent financées intégralement par les projets sans aucune contribution locale. Cette réalité est commune à une grande majorité des autres AEP de la région encore en fonction mais à la pérennité plus qu'incertaine.

Les premières expériences de suivi de la SAC/SPE dans la région de Maradi ont relevé ces difficultés récurrentes dans les relations fonctionnelles, entre les acteurs notamment : non-respect des obligations contractuelles par les délégataires, mauvaise tenue des documents de gestion, persistance des détournements des fonds issus de la vente de l'eau, faibles compétences techniques des exploitants, faute des moyens, manque de suivi régulier par les associations d'usagers.

Du fait de ces difficultés, et malgré l'intervention des projets de développement pour la mise en place de mécanismes de gestion, la pérennité des systèmes ne peut être assurée. Ce constat démontre les limites de la logique projet, dont les délais d'intervention sont souvent trop courts pour permettre aux acteurs locaux d'atteindre une véritable maîtrise des services.

Financé par le syndicat des eaux d'Île-de-France (le Sedif), le projet Appui à l'optimisation du service public de l'eau dans la région de Maradi (Posem), vise d'une part, à restructurer et optimiser le service public de l'eau et, d'autre part, à intégrer les AEP au dispositif du suivi de la SAC/SPE.

De 2011 à 2012, avant de déployer son intervention sur la région, une première expérience pilote de soutient à des délégataires/investisseurs a d'abord porté sur 10 localités. Entre 2013 et 2016, le Posem s'est élargi à 156 centres de la région. Il comprend :

1. Des actions d'intermédiation sociale, de formation et de professionnalisation des acteurs (communes, associations d'usagers, exploitants) : appropriation du schéma institutionnel local et des rôles respectifs de chacun, appui aux associations d'usagers pour exercer leur mission de représentation, soutien aux communes pour assurer leur rôle de maître d'ouvrage, et professionnalisation des exploitants.

2. Des travaux de réhabilitation des équipements patrimoniaux ainsi que l'extension des réseaux entrepris dans 100 centres parmi les 156 concernés au final. Les études, la maîtrise d'œuvre et les équipements patrimoniaux sont financés par le Sedif et les équipements renouvelables (pompe, groupe électrogènes et moyens d'exhaure) par les délégataires.
En 2013, les équipements patrimoniaux (châteaux d'eau, réseaux, forages et têtes de forages) de 16 mini-AEP en panne ont bénéficié de travaux de réhabilitation. Les exploitants ont fourni les pompes immergées et les groupes électrogènes, nécessaires au démarrage des services.
De 2014 à 2016, 84 centres supplémentaires connaissant aussi de nombreuses pannes de leurs équipements d'AEP ont à leur tour bénéficié de travaux (réhaussement de châteaux d'eau, remplacement de compteurs, de vannes d'arrêt et de canalisations), également avec prise en charge par les délégataires des équipements renouvelables.

3. Le renforcement des capacités de la SAC/SPE et des services techniques de l'administration par la formation des personnels aux outils de suivi. Un atelier régional regroupant tous les acteurs (administration, services techniques, communes, exploitants et associations d'usagers) a été organisé sur ce sujet.

Responsabiliser les acteurs
Conformément à la stratégie nationale du Niger, la démarche initiée par Seves vise à favoriser l'émergence d'entrepreneurs locaux dans le secteur de l'eau. Ainsi, en cas de réhabilitation, le maître d'ouvrage (la commune) peut recourir à un exploitant qui a la capacité d'investir dans le cadre d'un contrat d'affermage avec îlot concessif. Cet "investisseur-exploitant" finance et met en place les équipements renouvelables (groupe électrogène, armoire électrique, pompe, tuyau d'exhaure, etc.). Il assure l'exploitation du système et recouvre son investissement initial sur la vente de l'eau.

Cet investisseur apporte des moyens financiers dont ne dispose pas la commune pour alimenter le fond de roulement nécessaire au fonctionnement du service : remplacement du matériel vétuste ou réhabilitation de certaines installations, extension ou densification du réseau (en multipliant les branchements particuliers par exemple).

Ce mode de gestion responsabilise l'exploitant (propriétaire des équipements renouvelables) en lui transférant l'intégralité des « soucis » techniques. Le recours à un opérateur privé conduit notamment:
– au transfert des risques commerciaux vers l'opérateur ;
– à la mobilisation d'un savoir-faire en matière d'exploitation ;
– à une gestion plus professionnelle des systèmes, produisant généralement un gain de productivité et donc une baisse possible du prix de l'eau pour les usagers ;
– à une meilleure continuité dans la fourniture du service, l'exploitant étant motivé à amortir son investissement initial  ;
– à une augmentation du taux de desserte des réseaux car l'exploitant comprend son intérêt à investir dans leur extension.

L'exploitation technique et financière des installations connaît des difficultés récurrentes, comme le non-respect des engagements contractuels ou des données de production incomplètes. Ces difficultés, résultant parfois de contournements par l'exploitant lui-même, témoignent d'une mauvaise compréhension des enjeux techniques et financiers de la gestion d'un service d'eau...

Peu d'exploitants ont aujourd'hui les moyens d'investir pour proposer leurs services. Le secteur des entreprises d'exploitation des services d'eau reste à consolider dans la région, de même que la confiance des banques, qui limitent leur accès au crédit ou proposent des taux d'intérêt trop élevés. Par ailleurs, le cadre réglementaire de la délégation ne prévoyant pas l'investissement en équipements renouvelables de l'exploitant, les communes éprouvent des difficultés à convaincre les éventuels intéressés. Les subtilités du contrat de délégation, qui mêle l'affermage (sur les équipements patrimoniaux), la concession (sur les équipements renouvelables) et la rémunération de l'exploitant dans le même document, ne sont pas simples à appréhender.

Parfois présentée comme la solution miracle à la bonne gestion des AEP rurales, la délégation de l'exploitation du service à un opérateur privé requiert des garde-fous garantissant transparence et gestion rigoureuse du service. Les deux garants du respect du contrat de délégation passé entre la commune et l'exploitant sont l'association des usagers d'une part et la SAC/SPE. Celle-ci, qui audite la gestion technique et financière des AEP, doit conseiller les acteurs, contrôler les délégataires, alerter et émettre des recommandations.

Dans la composition du prix de l'eau des AEP rurales, la réglementation nigérienne actuelle n'intègre aucune redevance aux associations des usagers. Or, dans un contexte où les moyens humains et financiers des communes sont le plus souvent insuffisants pour gérer un territoire étendu et un nombre important d'AEP (jusqu'à 25 mini-AEP pour la commune de Kornaka par exemple), ces associations sont un acteur essentiel. Elles défendent les droits des consommateurs, contrôlent et interpellent l'exploitant, informent la commune des dysfonctionnements qu'elles constatent. Ces activités génèrent des coûts (transport, téléphone, etc.) que les villageois n'ont guère les moyens d'assumer.

Le suivi du service, gage de pérennité
Pour suivre dans le temps les évolutions du service public, la SAC/SPE collecte, traite et analyse les données techniques et financières transmises par les exploitants. Chaque trimestre, un rapport détaillé présentant ces indicateurs de suivi est remis à la commune. Ces indicateurs permettent de mieux comprendre et de remédier aux dysfonctionnements.

L'identification des besoins, l'établissement des contributions dues par le service, la restitution aux parties prenantes d'un diagnostic objectif de l'activité dépendent tous de la performance de la collecte et du traitement des données.

Pour pallier les insuffisances constatées dans la transmission des données d'exploitation et dans leur traitement (certaines données ne sont pas toujours transmises, ou bien les documents papier transmis sont incomplets...), le Posem a appuyé la mise au point de deux outils numériques.

Au vu de la forte pénétration du Smartphone au Niger, le projet a mis en place un outil de collecte de données via l'application ODK Collect sur téléphone mobile. L'outil permet aux délégataires de saisir les données mensuelles hors connexion internet puis de les transmettre ultérieurement sur un serveur en ligne opensource. Cela améliore la qualité de l'information, évite les erreurs de saisie, accélère la remontée de l'information et diminue les coûts de collecte tant pour la SAC/SPE que pour le délégataire.

Compte tenu de leur volume, le suivi des données collectées nécessite aussi un support fiable et sécurisé. Un second outil informatique, sous Microsoft Access, permet de gérer les bases de données collectées sur la plateforme ODK.

Fin 2015, la région de Maradi dispose d'un parc de 384 mini réseaux d'adductions d'eau potable. Avec l'appui du Posem, 265 systèmes ont été intégrés au dispositif de suivi de la SAC/SPE, officiellement démarré en mai 2015 suite à la signature des contrats d'appui-conseil au 43 communes de la région. Ce dispositif renforcé est pleinement opérationnel. Le cabinet Thec et le groupement Iseau-cabinet THEC ont été sélectionnés pour en assurer le suivi dans la région.

Les missions de la SAC/SPE vont permettre d'orienter le travail des contractants pour un meilleur fonctionnement du service public de l'eau, c'est-à-dire maîtriser les dépenses et éviter les malversations, réduire les fuites et le temps des pannes, optimiser les capacités de production et réaliser des économies d'échelle.


1. Selon Who, Unicef, JMP, 2015
Plan de financement du Posem
Syndicat des eaux
d'Île-de-France : 700 000 € (72 %)
Communes : 37 000 € (4 %)
Délégataires : 240 000 € (25 %)
Montant total : 977 000 € (100 %)


Maïna Rabiou
Bureau d’études Thec, Niger
Email:
cabthec@yahoo.fr

Romain Desvalois
SEVES, France
Email: romaindesvalois@asso-seves.org
Site internet: www.asso-seves.org

SEDIF - Paris - France
SEVES - Paris - France
THEC - Maradi - Niger
 

Groupe électrogène et château d'eau de Maïguizawa. Avec une consommation de 20 à 28 litres/jour/habitant, la viabilité des services est améliorée et l’épargne dédiée au renouvellement des équipements et aux extensions de réseau augmente. [© Cabinet Thec]

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