retour imprimer © Lettre du pS-Eau 79 de Dec 2015

Inde: Dans un contexte d'urgence, penser l'avenir


Bien avant le tsunami, les canaux longeant les habitations étaient déjà très obstrués et pollués par les rejets domestiques. Leur réhabilitation (plus de 20 km de canaux nettoyés par les populations) a fait partie du projet. [© Areed]

Fin 2004, un tsunami a frappé le sud de l'Asie, notamment le sud de l'Inde. Au Kerala, dans le district d'Alappuzha, cette catastrophe a aggravé une situation déjà marquée par la difficulté des populations à accéder à l'eau potable ou à de bonnes conditions d'hygiène.
En 2007, l'association Areed et le conseil départemental de Meurthe-et-Moselle ont engagé une coopération avec les communautés les plus touchées.

Le tsunami qui a frappé en 2004 le panchayat1 Arattupuzha Grama (37 000 habitants) a évidemment aggravé une situation déjà précaire de cette région au plan environnemental. Les activités économiques de la zone, l'industrie de fibre de coco et de la pêche ainsi que les métiers s'y rapportant, ont été durement touchées. La principale ressource en eau, alimentée par des pluies de la mousson du sud-ouest de juin à août et de la mousson du nord-est d'octobre à novembre, se situent dans des canaux et des nappes côtières qui se sont retrouvés encore davantage pollués et salés.

En mai 2005, l'Association réseau des experts pour l'environnement et le développement (Areed) a été sollicité par le conseil départemental de Meurthe-et-Moselle pour engager une action de coopération au bénéfice des populations de la zone affectée par le tsunami. Un volontaire français et un expert local de l'Areed ont rencontré les autorités du panchayat d'Arattupuzha, situé dans le district d'Alappuzha. Sur 15 circonscriptions, 3 étaient considérées comme entièrement affectées, 10 comme partiellement touchées. Dans ces 3 circonscriptions principales, 31 personnes avaient perdu la vie, 800 maisons avaient été entièrement détruites, 200 partiellement endommagées. Plus de 10 000 habitants avaient été transférés dans des camps provisoires.

L'engagement du conseil départemental de Meurthe-et-Moselle se matérialise dès 2007 par une convention de coopération décentralisée avec le panchayat d'Arrattupuzha et un soutien financier de 60 000 €. Grâce au travail de sensibilisation de l'Areed auprès des collectivités du département de Meurthe-et-Moselle, 11 communes ou collectivités ont contribué financièrement au projet, principalement les communautés de communes Moselle et Madon (8 000 €) et des Pays de l'Orne (5 000 €), la ville de Jœuf (3 000 €), et la ville de Laneuville a financé la mission d'évaluation initiale en Inde pour 10 000 €. La dynamique territoriale ainsi enclenchée a permis d'inscrire ce projet de coopération décentralisée sur le long terme. A ces financements régionaux s'ajoutent ceux du ministère français des Affaires étrangères (à hauteur de 120 000 €) et de l'agence de l'eau Rhin-Meuse (250 000 €).
Ainsi constitué, le montant global du budget a atteint 461 000 €. Le projet s'est déroulé en deux temps, de 2006 à 2011, puis de 2011 à 2013. L'Areed a mobilisé un expert permanent qui assure sur place la conduite du projet, en partenariat avec les autorités et la Socio Economic Unit Fondation (SEUF).

Le panchayat d'Arattupuzha est une région très irriguée en bordure de mer. Bien avant le tsunami de 2004, cette région était sujette à de nombreux raz de marées provoquant l'érosion prématurée des côtes. Les systèmes d'approvisionnement en eau ne fonctionnaient pas, les puits traditionnels, les étangs et les canaux étaient pollués en raison des rejets domestiques (eaux usées de lessive, vaisselles, toilettes…). La plupart des maisons à proximité du canal utilisaient des toilettes avec un réservoir de stockage. Des tuyaux de canalisations rejetaient directement les eaux usées du réservoir dans le canal. Lors des fortes pluies, les problèmes d'évacuation aggravaient la pollution des canaux.

L'intervention de l'Areed s'est inscrite dans une situation post catastrophe. Sa particularité est d'avoir immédiatement développé, dans un contexte d'urgence, une vision à long terme avec un projet porteur de développement. Ce projet a été nommé Punarjani, ce qui signifie "régénération". Il s'articule autour de deux composantes : bâtir un capital social et construire des aménagements et des structures durables pour préserver la ressource en eau. Le choix de technologies traditionnelles résulte d'une concertation avec les membres de la communauté après des négociations successives et des démonstrations des différentes options.

Pour la réalisation des installations d'eau potable sur l'ensemble du panchayat, l'usage public et l'usage privé ont été différenciés. Le projet ne pouvant pas proposer des systèmes privatifs à tous les ménages, l'équipement des lieux publics a été priorisé pour toucher un maximum de bénéficiaires. Au plan individuel, 58 réservoirs de 5 000 litres chacun (regroupant 4 à 5 familles) récupèrent l'eau de pluie à l'aide de gouttières. S'ajoutent à cela six réservoirs de 25 m3 destinés aux bâtiments publics (écoles, hôpitaux, centres d'accueil…) dont la maintenance est assurée directement par la communauté.

Avec le tsunami, beaucoup de puits ont vu leur eau polluée par l'entrée de vase fine et la décomposition anaérobique de matières organiques. Un simple filtre de charbon de bois et de sable a été testé par la communauté dans divers endroits de la région. Même si l'eau doit toujours être bouillie avant consommation, 120 ménages bénéficient actuellement de cette technologie.

Un développement local multisectoriel

A l'origine, le projet ne devait comporter qu'une seule phase. Le premier bilan, établi en 2011, considérait que les objectifs étaient en grande partie atteints, en matière de changement de comportements, de reconquêtes des canaux et d'amélioration de l'accès à l'eau potable. Mais ce succès a poussé les bénéficiaires eux-mêmes à proposer de nouvelles actions de développement axées sur la préservation de l'environnement et de la ressource en eau. Les partenaires financiers de la première phase, remobilisés, ont pour la plupart poursuivi leur soutien.

C'est ainsi qu'une seconde mission d'expertise, réalisée en Inde en 2011, a eu pour but d'évaluer, avec les populations, les orientations d'un second projet : comment poursuivre la reconquête des canaux, comment développer le tourisme communautaire et comment créer de nouvelles activités économiques écologiquement compatibles. A l'issue de la concertation, l'Areed lançait la seconde phase du projet avec son partenaire local.

Dès 2012, les communautés se sont d'abord consacrées à la construction, terminée au second semestre, d'un premier bungalow visant l'accueil de touristes. Dans cette optique, des femmes ont reçu des formations à la gestion hôtelière. Le bungalow, construit en matériaux locaux, est équipé en système de récupération des eaux de pluie. Autre objectif de cette seconde phase du projet : le développement de l'artisanat à partir de la filière de fibre coco.
Un traitement écologique des fibres a été introduit et un accord a été signé avec le CoirFed pour la formation de 15 femmes pendant 45 jours sur la confection de bijoux et d'objets artisanaux à base de corde de coco.

Le volet environnemental a aussi connu de nouvelles étapes avec la mise en place du tri généralisé des déchets et leur valorisation, qui génère des revenus complémentaires pour la communauté. La fabrication de compost à partir de déchets organiques, via le processus de vermi-composting auquel les bénéficiaires ont été formés, a vu la création de 60 unités de compostage à travers le panchayat. Synonyme de développement économique, le compost est ensuite revendu aux agriculteurs de la région. Grâce au tri (la suppression des plastiques a été au cœur des campagnes de sensibilisation auprès des populations), le papier récupéré a permis de développer une filière de sacs en papier biodégradable.

L'Etat du Kérala, dès la première phase, avait constaté les bénéfices apportés à la population : plus de 3 km de canaux nettoyés grâce à la mobilisation des habitants. En 2012, il s'est associé à la communauté pour le nettoyage de près de 20 km de canaux. Ce qui a relancé la pisciculture, une des principales sources traditionnelles de revenus des populations. En parallèle, des systèmes d'assainissement (tels que toilettes avec fosses étanches, systèmes de transformation de boues par biogaz…) ont été mis en place.

L'implication communautaire : un gage de réussite
Le projet répondait dès le départ à une demande des populations locales. C'est pourquoi, afin d'assurer une juste sélection des bénéficiaires, le travail de groupe a été privilégié. De nombreuses séances de formations et des ateliers ont été organisées directement par les populations locales, en particulier par des femmes et des enfants, ce qui explique en grande partie la réussite du projet. A chaque étape, les populations ont été consultées pour évaluer leurs besoins, leurs attentes, monter des comités capables de préserver la ressource en eau et poursuivre le développement de la ville. Durant les six années de mise en place du projet, plusieurs séminaires ont rassemblé tous les comités de gestion, des campagnes de sensibilisation et des concours de dessins ont été organisés dans les écoles sur la problématique de la ressource en eau.

Des associations d'usagers gèrent désormais techniquement et financièrement chaque équipement. L'autorité du panchayat, partenaire institutionnel, a été intégrée au projet via le comité de sélection. Celui-ci a conduit le processus de sélection des sites et des bénéficiaires en fonction de la faisabilité des réalisations et en fonction des besoins et de la demande d'un point de vue économique, technique et social, le tout sur la base des critères définis au préa-lable : priorité aux zones touchées par le tsunami, régénération de l'environnement dans les zones sinistrées, des communautés prêtent à s'investir et à se constituer en groupements, privilégier les groupes de femmes.
Primé lors des Trophées de l'eau 2015 (catégorie "projet humanitaire") organisés par l'agence de l'eau Rhin-Meuse, le succès de cette coopération tient à l'implication et à l'appropriation du projet par les communautés locales.

L'implication du gouvernement du Kérala a permis la reproduction de ce modèle à d'autres panchayats de l'Etat. Mettre en place un cadre normatif qui limiterait les rejets issus de l'assainissement liquide devrait être la prochaine étape. C'est dans ce domaine que les activités de l'Areed se poursuivent avec l'envoi de deux volontaires en service civique, pour travailler avec les autorités kéralaises à la mise en place d'un cadre réglementaire sur l'assainissement et pour équiper les ménages en installations adéquates.


Gérard Bolognini
Email:
areedeau@aol.com
Site internet: www.areed-nancy.org

AREED - Nancy - France
CD 54 - Nancy - France
 

[© Areed]

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Le succès de la première phase du projet a poussé les bénéficiaires à proposer eux-mêmes de nouvelles actions de développement axées sur la préservation de l’environnement et de la ressource en eau. [© Areed]
 

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