retour imprimer © Lettre du pS-Eau 79 de Dec 2015

Palestine: Gestion locale de l'eau: Un enjeu primordial


[© Ville de Montreuil]

Avec sa ville partenaire de Beit Sira, la ville de Montreuil a conduit un projet multiacteurs associant coopération décentralisée et coopération bilatérale, pour réhabiliter le réseau d'eau de plusieurs localités et accompagner la création d'un service intercommunal de l'eau. Une mise en œuvre complexe mais prometteuse.

Beit Sira est une localité rurale palestinienne de 3 500 habitants située à une quinzaine de kilomètres à l'ouest de Ramallah, le long du Mur de séparation avec Israël. En 2005, les villes de Beit Sira et de Montreuil ont engagé un partenariat, institutionnalisé en coopération décentralisée en 2009. Dès le début, il s'agissait de réhabiliter le réseau d'eau de Beit Sira, lequel souffrait alors de défaillances profondes. Le taux de déperdition pouvait atteindre 40 %, entrainant un gaspillage important de la ressource dans une région où l'eau est une denrée rare.

La corrosion des tuyaux à l'origine de ces fuites entraînait une dégradation de la qualité de l'eau (infiltration des eaux usées) et générait, durant la saison estivale, d'importante pertes de pression et de fréquentes coupures de l'alimentation. Ces pertes augmentaient aussi considérablement les frais, car la mairie de Beit Sira devait régler au distributeur l'intégralité des volumes comptabilisés à l'entrée du village, que l'eau ait été distribuée aux foyers ou qu'elle se soit infiltrée dans les sols.

La question de l'eau en Palestine s'inscrit dans un contexte complexe, tant du point de vue de la rareté de la ressource dans cette région aride, que de son contrôle par l'Etat israélien. L'eau est en effet distribuée par l'agence de l'eau israélienne Mekorot, qui la vend aux agences régionales de l'eau palestiniennes. Une mauvaise gestion locale des services de l'eau génère des effets en cascade pour l'Autorité palestinienne  : lorsqu'une municipalité ne paie pas ses factures auprès du distributeur régional, ce dernier se trouve endetté vis-à-vis de Mekorot. Et l'Etat israélien impose à l'Autorité palestinienne de payer cette dette en retenant une partie des transferts de taxes douanières. Améliorer la gestion locale de l'eau est donc un enjeu important en Palestine.

En 2009, la ville de Montreuil, accompagnée d'ingénieurs volontaires de l'association Aquassistance, a établi un diagnostic du fonctionnement du réseau d'eau à Beit Sira, complété par une expertise du service de distribution réalisée par l'association ACAD (cf. La Lettre n° 56). Ce diagnostic a confirmé les déficiences du système existant, autant du point de vue technique (principalement du fait de la détérioration du réseau) que du point de vue organisationnel (avec notamment un problème de recouvrement des factures). Face à l'étendue des actions nécessaires, la ville de Montreuil a dès lors entrepris une recherche de cofinancements. Le ministère des Affaires étrangères a soutenu en premier ce projet, suivi en 2010 par l'agence de l'eau Seine-Normandie.

Mais l'ampleur des travaux de réhabilitation (le budget prévisionnel atteignait 1,2 million €), a conduit la ville de Montreuil à solliciter d'autres bailleurs internationaux, notamment les agences de coopération agissant en Palestine, comme l'Agence fran-çaise de développement (AFD). Malheureusement, en raison du périmètre restreint de l'action (le projet ne concernait qu'une commune rurale de 3 500 habitants) et de sa taille inférieure au seuil des actions que les agences de coopération bilatérale financent habituellement, l'AFD a d'abord décliné l'offre.

Depuis 2011, grâce à deux réformes engagées par l'Autorité palestinienne, le contexte a changé. La seconde vise à rationaliser les moyens humains, financiers et techniques existants, en promouvant la création de syndicats intercommunaux de l'eau. La deuxième, menée par le ministère du Gouvernement local palestinien (MOLG), porte sur le renforcement des structures de gouvernement local. Elle est soutenue par l'Agence de coopération belge (BTC), qui appuie plusieurs projets de rapprochement intercommunal visant à améliorer la gestion des services publics locaux en Palestine.

Afin de s'inscrire dans le cadre de ces deux réformes, les villes de Montreuil et de Beit Sira ont proposé d'étendre leur projet initial de Beit Sira à trois communes voisines (Beit Liqya, Kharbatha Al Misbah et Beit Nuba), qui avaient préalablement manifesté le souhait d'améliorer aussi leurs services d'eau. L'élargissement du périmètre du projet (un critère de l'AFD) et son inscription dans le cadre de la réforme territoriale (un axe d'intervention de la BTC) ont permis d'obtenir le soutien de ces deux agences de coopération bilatérale et, dès lors, de rendre possible la réalisation du projet.

Un montage complexe

En changeant d'échelle, le projet a aussi changé de nature. D'un projet de coopération décentralisée classique (partenariat entre deux collectivités locales mobilisant l'expertise d'associations partenaires), ce projet s'est transformé en projet "hybride", autour duquel ont gravité plus d'une douzaine d'acteurs étatiques et locaux, publics et associatifs. D'un projet d'accompagnement d'un seul village (Beit Sira), le projet s'est transformé en programme d'appui à la création d'une intercommunalité.

La multiplicité des acteurs investis s'est inévitablement traduite par un montage institutionnel complexe, manquant parfois de lisibilité pour les acteurs locaux. Bien que le rôle de chaque partenaire ait été clarifié dès 2013 par une convention, rédigée en anglais, cette répartition des rôles n'a pas toujours été claire. Des difficultés de transmission de l'information se sont poursuivies tout au long du projet. Durant les cinq ans de sa réalisation, le turn over des personnes chargées de le suivre au sein de chacune des organisations partenaires a été continu. Chaque nouvelle arrivée impliquait de s'assurer que le montage institutionnel et la répartition des rôles étaient bien compris.

Autre difficulté, courante dans les projets de coopération : la rivalité entre l'échelon local (les maires des quatre communes) et l'échelon national (l'agence palestinienne – MDLF – désignée maître d'ouvrage délégué du projet). Certes, en l'absence de structure intercommunale préexistante au Service commun de l'eau (né durant les travaux), il n'y avait d'autres choix que de déléguer la maîtrise d'ouvrage à la MDLF, dont la mission était d'appuyer les gouvernements locaux. Ce montage a généré des tensions entre les acteurs locaux et ceux qu'ils perçoivent comme des « bureaucrates ». En une sorte de cercle vicieux, les différends ont généré des retards dans la mise en œuvre des travaux, qui ont à leur tour renforcé les tensions.

Les travaux sur le réseau d'eau de Beit Sira se sont terminés en juin 2015. La rénovation de l'intégralité du réseau a réduit significativement les fuites, ce qui permet une maîtrise accrue de la ressource, d'en préserver la qualité et d'offrir aux habitants un meilleur débit, notamment durant les périodes d'été où les coupures d'eau étaient nombreuses. Parallèlement, l'intercommunalité d'Aleqaa, qui rassemble Beit Sira et ses trois villages voisins, a vu le jour fin 2014. Les quatre villages se sont alors organisés (non sans difficultés), pour définir le cadre du transfert de leurs services respectifs à un Service commun de l'eau, dont le démarrage officiel devrait avoir lieu fin 2015.

Accompagné à la fois par le programme d'appui à la décentralisation de l'Agence de coopération Belge (coopération bilatérale) et par le binôme Montreuil-Aquassistance (coopération décentralisée), le nouveau Service commun de l'eau a élaboré un compte prévisionnel d'exploitation rigoureux qui devrait assurer l'équilibre financier et donc la pérennité de ses activités. Cette recherche d'équilibre budgétaire a certes dû passer par une légère hausse de la tarification de l'eau et par l'installation de compteurs à prépaiement, mais ces mesures assureront à terme la viabilité du service et son autonomie à l'égard de l'aide internationale.

A chaque étape, le projet a fait l'objet d'un suivi étroit par des ingénieurs locaux accompagnés de deux ingénieurs de l'association Aquassistance. Cet accompagnement régulier a permis à plusieurs reprises de dépasser les tensions nées, au plan technique, entre le maître d'œuvre (une entreprise locale) et le maître d'ouvrage délégué (l'Agence nationale palestinienne).
Enfin, ce projet a inclus deux autres actions complémentaires : la réalisation d'un diagnostic détaillé de la situation de l'assainissement et l'organisation d'une campagne de sensibilisation des habitants à la maîtrise de l'eau. Cet accent mis sur la préservation des eaux souterraines témoigne de l'attachement des différents partenaires à la prise en compte des questions environnementales.

Deux coopérations complémentaires

Que ce soit sous l'angle technique (transfert de la compétence "eau" au Service commun intercommunal), ou sous l'angle institutionnel (organisation d'échanges de pratiques entre élus locaux autour de l'intercommunalité), ce projet illustre la complémentarité entre la coopération décentralisée (ville de Montreuil) et les programmes de coopération bilatérale (AFD et BTC).
En travaillant dès 2009 avec le Conseil local de Beit Sira, la ville de Montreuil et son partenaire Aquassistance ont acquis une connaissance du terrain et une compréhension des jeux d'acteurs plus précise que les agences, qui ont rejoint le projet en 2013. Mais la complémentarité va dans les deux sens, car la présence sur le terrain en Palestine de l'AFD et de la BTC leur a permis de suivre de façon plus régulière et plus approfondie la mise en œuvre du projet, alors que la ville de Montreuil ne pouvait la suivre qu'à distance.

La coopération décentralisée a complété d'une autre façon la coopération bilatérale : en partageant son expérience de participation à une intercommunalité en France, la ville de Montreuil a contribué à l'évolution de la réforme territoriale en Palestine, ralentie par la crainte des villages de disparaître au sein d'une plus grande municipalité. Grâce à la coopération décentralisée, le ministère des Collectivités locales palestinien a assoupli sa réforme en offrant la possibilité aux villages de choisir entre fusion et rapprochement intercommunal.

En dépit de sa complexité géopolitique, technique et institutionnelle, ce projet de coopération "hybride" est parvenu à sa fin après 5 années d'engagement de la ville de Montreuil et de son partenaire Aquassistance. Du diagnostic sur le fonctionnement du service de l'eau aux études techniques détaillées, en passant par la recherche de partenaires, l'accompagnement institutionnel de l'extension du projet aux villages voisins, le suivi technique des travaux et l'organisation de la sensibilisation des habitants à la maîtrise de l'eau, ce projet a été possible grâce à la mobilisation de multiples partenaires, en France comme en Palestine. Il aura demandé patience et persévérance. Mais aujourd'hui, les 18 000 habitants de cette intercommunalité palestinienne bénéficie d'un service de l'eau de qualité.

Enfin, l'intercommunalité de Beit Sira est à présent outillée pour mobiliser les bailleurs internationaux afin que la question de l'assainissement soit mieux prise en compte dans les zones rurales palestiniennes.


Répartition des financements
Budget total : 2 220 000 €
• Collectivités locales
- Ville de Montreuil 220 000 €
- Conseil local de Beit Sira 20 000 €
• Partenaire associatif
- Aquassistance 130 000 €
• Agences de coopération bilatérale
- Agence Française de Développement 1 000 000 €
- Coopération technique belge 600 000 €
• Partenaires institutionnels
- Agence de l'eau Seine-Normandie 200 000 €
- Ministère des Affaires étrangères (MAEDI) 50 000 €


Bénédicte Récappé
• Ville de Montreuil
Email:
benedicte.recappe@montreuil.fr ou international@montreuil.fr

Jad Sayegh
• Aquassistance
Email: jad.sayegh@aquassistance.org

Majida Abu Khalil
• Conseil local de Beit Sira : (anglophone)
Email: local.coordinator_majida@yahoo.com

Aquassistance - Nanterre - France
Ville de Beit Sira - Beit Sira - Palestine
Ville de Montreuil - Montreuil - France
 

La ville de Beit Sira [© Ville de Montreuil]
 

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