retour imprimer © Lettre du pS-Eau 77 de Apr 2015

Exemple de Water Operators' Partnerships (WOPs): Un partenariat dynamique entre deux opérateurs, français et marocain


Rencontre sur le terrain entre techniciens du Siaap et de l'Onee. [© Siaap]

Les partenariats entre opérateurs de l'eau (Water Operators' Partnerships) revisite un concept connu : le renfort des capacités et le transfert de connaissances entre pairs. Après plus de 12 ans, la coopération entre le Siaap(1) et l'Onee(2) est riche d'enseignements. A son tour, l'Onee joue le rôle de tuteur en multipliant les partenariats dans d'autres pays, notamment au Burkina Faso. Ce partenariat sera présenté lors du 3e Congrès mondial des WOPs à Barcelone, du 16 au 18 septembre 2015.

Le concept de jumelage entre opérateurs des services d'eau et d'assainissement n'est pas nouveau. Basé sur une coopération solidaire entre services techniques de collectivités locales (ou de délégataires), ces partenariats visent à renforcer les capacités techniques et organisationnelles d'opérateurs "peu performants". En 2006, le concept fut réexaminé par l'Organisation des Nations unies. Partant d'un constat d'échec partiel des Objectifs du millénaire(3) et sous l'impulsion de l'ancien Premier ministre japonais M. Hashimoto, le conseil consultatif du Secrétariat général sur l'eau et l'assainissement a établi une feuille de route formalisant ce concept.

Les WOPs regroupent tous les partenariats entre opérateurs publics (et parfois privés) dont l'objectif premier est de renforcer les capacités de chacun au travers d'échanges d'expériences entre pairs et de formations ciblées, dans un but non lucratif et solidaire.

Avec la création de Gwopa (l'Alliance globale des partenariats entre opérateurs de l'eau), en 2009 sous l'égide de l'Onu-Habitat, le mouvement mondial des WOPs a connu un accroissement certain et continu. Aujourd'hui, le concept attire de nombreux opérateurs soucieux de transmettre leur savoir ou de recevoir une assistance spécifique à moindre coût(4). En outre, cet instrument reçoit un support grandissant des bailleurs de fonds. Par exemple, l'Agence Française de Développement (AFD) a initié en 2012 une collaboration avec Gwopa afin de mobiliser l'expertise technique des services municipaux français.

Le projet Bewop, initié en 2013, est un autre exemple. Cette collaboration entre l'Unesco-IHE, Institut de recherche et d'éducation dans le secteur de l'eau basé au Pays-Bas, et Gwopa, financé par le ministère des Affaires étrangères hollandais, est un programme de recherche d'une durée de 5 ans ; il a pour objectif de stimuler l'efficacité des WOPs en renforçant les processus de transfert de connaissances et de mise en œuvre des changements pour l'opérateur bénéficiaire.
Ce programme s'intéresse autant aux processus qu'aux résultats. Parmi les activités menées, l'équipe du projet a élaboré un cadre analytique afin de documenter des études de cas à travers le monde. Ce large éventail d'études a permis d'identifier des facteurs de succès et des défis communs à ce type de partenariats. La standardisation de l'analyse a aussi permis d'établir une étude comparée portant sur des thématiques prioritaires (tels que le financement, la facilitation, ou encore les processus de renforts des capacités), ainsi qu'une matrice pour capturer les multiples identités et fonctions des WOPs selon une série de caractéristiques.
Cet article expose brièvement le cas entre l'Onee et le Siaap, étudié en 2014. Le double rôle de l'Onee, à la fois opérateur bénéficiaire et tuteur, et la distinction entre les deux WOPs, ont retenu l'attention de l'équipe de recherche.

Un partenariat inscrit dans le temps
Avec près de 7 600 employés pour sa division Eau et 624 centres opérationnels, l'Onee fournit l'eau potable à plus de 13 millions d'habitants et une couverture en assainissement à plus de 3 millions de personnes5. Aujourd'hui, l'Onee est en charge de la production d'eau potable, de la distribution et de l'assainissement des eaux usées, en coordination avec les grandes villes du royaume, souvent déléguées à des opérateurs privés, et les zones rurales. L'Onee est confronté à de nombreux problèmes quantitatifs et qualitatifs. La surexploitation et la pollution des sources, l'intrusion d'eaux salées et la variation de précipitations ont causé une détérioration significative des ressources d'eau brutes au cours des trente dernières années.

C'est dans ce contexte que, en 2001, l'Onee a étendu ses champs de compétences à l'assainissement liquide afin d'améliorer la gestion intégrée de la ressource en eau sur le territoire marocain. Peu expérimenté dans le domaine de l'assainissement, l'Onee a engagé un partenariat de longue durée avec le Siaap. Cette collaboration est née d'une relation professionnelle et personnelle entre un cadre directeur de l'Onee (anciennement ingénieur en région parisienne) et un haut responsable du Siaap. Suite à une demande d'assistance de l'Onee, le Siaap a accepté de s'engager sur le long terme. Treize ans après la signature de la première convention de partenariat, la collaboration demeure active aujourd'hui.

Ce WOP a évolué en deux phases distinctes, avec un financement direct des partenaires impliqués. La première phase, qui débuta officiellement en 2002 avec la signature de la première convention, a duré près de six années. Basée sur des objectifs très généraux et ne répondant pas à un diagnostic précis, la demande explicite de l'Onee était d'être accompagné dans sa nouvelle prise de compétence. Les activités principales de cette première période se résument à quatre ou cinq visites par an de délégations marocaines d'une quinzaine de personnes dans les sites d'exploitation du Siaap. Des visites d'experts parisiens au Maroc furent également organisées. Le Siaap prenait en charge la totalité des dépenses liées à ses visites, d'abord par un mécanisme interne puis grâce aux fonds mobilisés par la loi 1 % (loi Oudin-Santini). Le budget global de ce WOP n'a pu être évalué avec précision.

Au terme de cette première période, plutôt spontanée, approximativement 70 techniciens, ingénieurs et cadres ont été formés en travaux et exploitation de systèmes d'assainissement (plus spécifiquement sur les processus de traitement des eaux usées, gestion de flux, microbiologie, usines de traitement et désagréments, et protection environnementale).
De plus, de nombreux documents ont été échangés afin de permettre à l'Onee de développer ses propres procédures en matière d'assainissement. Cela lui a permis de renforcer la motivation de ses employés et de redéployer ses capacités humaines vers cette nouvelle compétence. Enfin, des employés du Siaap ont également reçu une formation en lagunage.

Une collaboration évolutive, adaptée aux besoins
À la suite des six premières années de coopération, les partenaires ont senti le besoin de restructurer leur action autour d'objectifs thématiques plus ciblés. La flexibilité de la gouvernance a permis une réorientation informelle et spontanée dès 2008 avec une interaction directe entre pairs des laboratoires du Siaap et de l'Onee autour du contrôle de la qualité de l'eau. La signature de la deuxième convention de partenariat a eu lieu en 2009. Toujours en vigueur aujourd'hui, le nouvel accord s'articule autour de sept thématiques : contrôle de la qualité des eaux, hygiène et sécurité, traitement par lagunage, traitement des rejets industriels, réutilisation des eaux usées traitées, extension d'une station d'épuration pilote, et mise en œuvre d'outils de communication.

L'approche de cette phase de consolidation a évolué, déléguant la responsabilité et la gestion du partenariat aux responsables de départements en lien avec chaque thème (contrairement à un référent central pour chaque opérateur au cours de la première phase). Toujours financé par les partenaires, avec un apport plus important de l'Onee, la lente progression du partenariat reflète les besoins prioritaires et la disponibilité des employés. Ainsi, seulement deux objectifs ciblés ont à ce jour obtenu des résultats tangibles : contrôle qualité, et hygiène et sécurité. L'exécution des activités pour les autres thématiques définies devrait s'accélérer au cours de l'année 2015.

Sur l'axe de coopération en contrôle qualité des eaux, les partenaires ont établi dès 2007 un diagnostic conjoint qui a abouti à un plan de travail consécutif à une visite de quatre jours d'un responsable du Siaap dans les laboratoires marocains. Avec 54 laboratoires décentralisés dont 9 régionaux, il a été décidé de lancer l'accréditation des laboratoires régionaux et de les charger en plus du suivi de l'eau potable, déjà en place, et de la réalisation des analyses liées à l'assainissement. Le WOP a servi d'outil de renforcement à la décentralisation. Suite à cette visite, plusieurs sous-thèmes ont été identifiés, tels que l'épuration des eaux usées, la collecte et le dimensionnement des réseaux, les eaux usées non domestiques, la valorisation des boues, le suivi des performances des stations d'épuration (STEP), la caractérisation des gaz et odeurs de STEP, les méthodes d'analyses ou encore la certification ISO14001 au niveau des STEP urbaines.
Les activités autour de ces thèmes ont principalement consisté en des formations techniques (courtes ou longues, en classe ou in situ) et en des missions d'information, alternativement au Maroc et en France.

En outre, les partenaires ont échangé un grand nombre de documents techniques, contractuels, commerciaux et organisationnels. Ils ont aussi maintenu une relation de travail à distance grâce aux outils modernes de communication. Les laboratoires évoluant dans le même cadre normatif international, les partenaires ont pu aisément comparer leurs méthodes et procédures de travail, et apprendre l'un de l'autre. L'Onee a renforcé ses capacités analytiques et techniques dans le contrôle de la qualité des eaux usées. Par exemple, les employés ont acquis plus d'assurance dans les activités d'échantillonnages et d'analyse.

Enfin cette coopération a permis à l'Onee de diffuser l'expertise et de nouvelles compétences vers les laboratoires régionaux. Cette délégation de responsabilité aux régions a également entraîné une plus grande satisfaction et motivation des employés. L'objectif ciblé sur l'amélioration des pratiques professionnelles liées à l'hygiène et la sécurité a suivi un schéma similaire de diagnostic initial conjoint réalisé par des visites de terrain, suivi de l'élaboration d'un plan de travail indicatif. Lors de leurs visites au Maroc, les experts du Siaap ont réalisé un important travail d'analyse par l'examen approfondi des procédures théoriques de sécurité et par l'observation sur le terrain des pratiques en place. De nombreuses recommandations ont émergé de ce travail et les partenaires ont décidé d'intervenir en priorité sur les risques d'accidents graves. Cet axe d'intervention est en cours d'exécution.

Un potentiel fédérateur autour de défis communs
L'Onee est engagé dans des projets de coopération internationale depuis plus de dix ans, autant avec des partenaires du Nord que du Sud. à travers de leur division de coopération et de l'Institut International de l'Eau et de l'Assainissement (IEA), l'Onee s'engage dans près de 30 WOPs par an. Récemment, l'Onee a renforcé sa collaboration avec l'Onea, au Burkina Faso, sous l'impulsion de la Banque islamique de développement. L'approche novatrice de la banque multilatérale est à noter.

Le bailleur s'est lancé dans une stratégie d'identification de centres d'excellence par-mi ses Etats membres autour des secteurs essentiels au développement (santé, éducation, transport, eau...), avec pour objectifs d'initier des partenariats thématiques Sud-Sud. Son rôle de catalyseur s'est matérialisé dans le WOP Onee-Onea, conditionné à un déboursement des fonds de financement tripartite égal entre les partenaires. Avec un budget total de près de 900 000 US$, l'Onea a assuré le financement d'un tiers sur ses fonds propres ; l'Onee a reçu le soutien de l'Agence marocaine de coopération internationale (AMCI).

Le WOP a débuté en 2013 par une visite de diagnostic conjointe entre l'Onee marocaine et l'Onea burkinabè. Il s'articule autour de quatre axes complémentaires : la protection des ressources en eaux brutes, l'optimisation des unités de traitement en eau potable, l'amélioration du laboratoire central et l'amélioration de la surveillance de la qualité des eaux au niveau du réseau de distribution.

Malgré un retard dans le lancement des activités, l'Onea a initié un certain nombre de changements sur la base du diagnostic initial, notamment dans la réduction de l'eutrophisation des principaux réservoirs d'approvisionnement de Ouagadougou par la mise en place de zones tampons et de nurseries piscicoles, destinées à accueillir les alevins de perches argentées de Chine (largement utilisés au Maroc pour réduire l'eutrophisation). Lors de la visite d'étude, le partenariat était en phase de lancement. Selon les dernières informations, il est en cours d'exécution.

L'étude des WOPs décrits ici révèle certains facteurs de succès, tels que la nécessité de prendre le temps pour établir une relation de confiance, les prédispositions du bénéficiaire aux changements, l'assurance d'une flexibilité d'exécution dans un cadre structuré, ou encore un recrutement interne et un suivi des experts envoyés sur le terrain par le tuteur.
Mais ces partenariats connaissent également de nombreux défis à surmonter, comme l'évaluation d'impacts non quantifiables, la disponibilité des experts, les différences culturelles, l'entrave politique à l'exécution, l'attribution des améliorations au partenariat, ou la réplicabilité de tel projet.
Certains opérateurs font face à des obstacles grandissants sans posséder les capacités suffisantes pour les surmonter, alors que d'autres opérateurs ont mis en œuvre des solutions durables, innovantes et économiques qui assurent un meilleur service aux usagers finaux. Les WOPs sont simplement un instrument mettant en relation les expertises des uns avec les besoins des autres sur une base non lucrative et solidaire. Cet outil peut s'appliquer à un large éventail de situations (par exemple, en complément d'un financement infrastructurel, pour répondre à un besoin ponctuel, ou pour l'établissement d'un plan de travail).

Il serait trop long d'expliquer en détails tous les aspects de ce partenariat, mais ce résumé donne un aperçu de la formation, du mode de gouvernance et de gestion de tels WOPs, de l'identification des problèmes à la formulation d'objectifs.
Ce type de partenariat s'inscrit précisément dans la politique de coopération décentralisée de la France, visant à établir des liens entre territoires sur la base d'échanges et de transferts de compétences.

En ce sens, l'expertise locale, transmissible par la mobilisation de fonds décentralisés, peut venir en appui à de larges projets bilatéraux. La multitude de retours d'expériences que nous obtenons dans le cadre du projet Bewop ne fait que confirmer le potentiel multiplicateur et fédérateur des WOPs autour d'un défi commun.
Adapté à certains contextes, cet instrument de coopération entre pairs peut renforcer l'effort global vers un accès universel à des services d'eau et d'assainissement de qualité.


1. Syndicat interdépartemental pour l'assainissement de l'agglomération parisienne
2. L'Office national de l'eau potable et de l'électricité (Maroc)
3. En lien avec l'objectif 7c pour l'accès à l'eau et l'assainissement.
4. Au delà de ces motivations premières, les intérêts pour les partenaires sont multiples. Pour le bénéficiaire, cela peut aussi servir de tremplin vers une plus grande autonomie, de levier financier ou encore de support pour mettre en place une réforme. Pour le tuteur, la WOP peut être un instrument pour appliquer sa responsabilité sociale ou pour renforcer ses ressources humaines, entre autres.
5. Par comparaison, le Siaap, avec près de 1700 employés, traite quotidiennement les eaux usées de plus de 9 millions de franciliens.


Vincent Merme
consultant Gwopa dans le cadre du projet Bewop
Email:
vincent.merme@gmail.com
Site internet: http://gwopa.org/

GWOPA - Bonn - Allemagne
ONEE - Rabat - Maroc
SIAAP - Paris - France
 

L'interaction entre pairs des laboratoires du Siaap et de l’Onee autour du contrôle de la qualité de l'eau s'est renforcée. [© Vincent Merme]

Le Gwopa a accompagné l'Onee dans son processus de décentralisation des responsabilités et renforcé ainsi la motivation de ses employés. [© Vincent Merme]
 

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