retour imprimer © Lettre du pS-Eau 76 de Dec 2014

Nicaragua: Approche transversale et dynamique participative


Modèle de filtre familial [© blueEnergy]

Particulièrement exposé aux catastrophes naturelles (ouragans, séïsmes, éruptions volcaniques, inondations) et encore marqué par des guerres civiles récentes, le Nicaragua est le deuxième pays le plus pauvre d'Amérique latine après Haïti. L'association BlueEnergy, a lancé en 2008 un programme d'accès à l'eau et à l'assainissement, deux secteurs particulièrement déficients. Trois concepts clés : partenariats locaux sur le long terme, prise en compte de la diversité culturelle, approche participative.

Enclave inaccessible par voie terrestre et coupée du reste du pays par deux cents kilomètres de forêts tropicales denses, la ville de Bluefields est située sur la côte caraïbe sud du Nicaragua. Sa localisation géographique et le faible développement de voies de transit alternatives rendent les déplacements difficiles dans cette région où le transport fluvial, lent et cher, est le seul moyen de connexion entre les villages.

A la différence de la côte Pacifique, plus riche et plus développée, la côte caraïbe du Nicaragua est organisée en deux régions autonomes. Ce découpage administratif du Nicaragua est révélateur d'un clivage historique enraciné dans la colonisation : tandis que les autres régions sont sous domination espagnole, la côte caraïbe est sous protectorat britannique jusqu'à la fin du XIXe siècle, accentuant au sein d'un même territoire le développement de deux cultures très différentes. De fait, marginalisée à l'échelle du pays, la côte caraïbe a longtemps été oubliée des politiques publiques nationales. Si la coopération internationale, présente au Nicaragua depuis 1983 à travers divers organismes, a fortement contribué au développement du secteur de l'eau et de l'assainissement dans les zones rurales, elle s'est concentrée sur la côte pacifique et les zones centrales du pays.

Au cours des cinquante dernières années, sous l'impulsion de politiques internes d'une part, et de modèles économiques externes d'autre part, les secteurs de l'eau et de l'assainissement au Nicaragua ont connu de nombreuses évolutions : avant 1955, la prestation de services au niveau municipal puis, entre 1955 et 1979, la centralisation de toutes les fonctions, et enfin une décentralisation entamée à partir de 1979.

Au niveau national, les organismes responsables du secteur sont en charge du transfert de compétences et d'assistance technique aux Comités sur l'eau potable et l'assainissement (CAPS), qui forment le maillon d'exécution des projets à l'échelle locale. Mais depuis 1979, les décisions sont de fait prises au niveau régional, lequel dispose de moyens insuffisants pour des travaux de grande envergure.

Une situation précaire malgré des avancées
Le Programme de gouvernance économique du secteur de l'eau et de l'assainissement, mis en place entre 2009 et 2012 par les Nations unies (et notamment le Fonds espagnol pour les Objectifs du Millénaire pour le développement), a permis des avancées majeures grâce à la création de différents outils :
• un Fonds d'investissement pour l'eau et l'assainissement (FIAS) pour financer les infrastructures;
• des départements régionaux d'eau, d'assainissement et d'hygiène (DRASH) pour l'assistance technique et le soutien aux municipalités ;
• un groupe de travail régional et municipal pour coordonner les acteurs impliqués et promouvoir l'assistance technique spécialisée ;
• la mise en place d'un système d'information sur l'eau et l'assainissement (SINAS) au niveau municipal et régional. L'application de cette stratégie régionale se met progressivement en place.

Malgré ces avancées, 48 % des Nicaraguayens (2,8 millions de personnes) ne disposent toujours pas d'un accès à un assainissement amélioré et 600 000 personnes sont encore contraints de pratiquer la défécation à l'air libre(1). Bluefields, capitale de la région autonome de la côte Caraïbe sud (45 000 habitants) ne dispose d'aucun réseau d'égouts. Son réseau de distribution d'eau n'alimente que 30 % de la ville, avec une eau non potable suite à des défaillances de l'usine de dessalement. Les habitants consomment l'eau de puits rustiques dont la quasi totalité, selon une récente étude de l'université régionale, seraient contaminés par des coliformes fécaux.

Par ailleurs, la disponibilité de la ressource connaît des variations saisonnières importantes : alors que l'eau, abondante pendant la saison des pluies, engendre le débordement des latrines traditionnelles (un risque sanitaire majeur), pendant la saison sèche, dans certaines zones hautes de la ville, les puits n'ont fréquemment plus d'eau.

C'est dans ce contexte que l'association BlueEnergy a lancé en 2008 son programme « Eau Assainissement et Hygiène, pour les habitants de Bluefields et des communautés alentours. Les projets comportent toujours trois composantes : la réalisation de puits type « baptistes » (creusés à la main) ou à perforation motorisée, qui permettent aux familles d'accéder à la ressource en eau ; la construction de filtres à eau de type « bio-sable CAWST(2) » qui rendent l'eau potable en combinant une action purificatrice biologique et physique ; enfin la construction d'infrastructures sanitaires améliorées pour limiter la contamination des nappes phréatiques.
Depuis 2008, 875 filtres, 72 latrines sèches à double fosse, 106 puits et un prototype de toilette à chasse d'eau manuelle ont été installés. Des agences de l'eau, fondations et entreprises françaises (Fondation Artelia, Fondation Ensemble), des bailleurs de fonds internationaux (USAID, FHI, Fondation Lord Michelham of Hellingly) et des donateurs particuliers soutiennent ces réalisations.Ces projets sont réalisés en étroite collaboration avec la mairie de Bluefields et l'unité municipale “Eau et Assainissement”, pour assurer la cohérence avec les actions locales. 


Cette collaboration prend diverses formes :
• une concertation en amont des projets avec la mairie et le ministère de la Santé pour l'identification des sites les plus adéquats selon les nécessités des familles et les contraintes du terrain ;
• une mise à disposition de certaines ressources de la mairie (personnel, foreuse, camion de transports…) ;
• une participation régulière au groupe de travail régional et municipal, afin de mutualiser les savoirs des différents acteurs et identifier les prochaines priorités ;
• le renforcement de capacité des équipes municipales par des experts invités dans le cadre des projets.

Par ailleurs, BlueEnergy collabore étroitement avec les universités régionales (URACCAN et BICU). Elle propose un accompagnement méthodologique et financier pour certains projets de fin d'étude, cohérents avec ses axes stratégiques. Ce type de collaboration renforce la prise en compte des thématiques de l'accès à l'eau et à l'énergie par le monde académique local, tout en formant les futurs professionnels du secteur.
Enfin, de nombreux projets sont réalisés avec la Fédération pour l'autonomie et le développement de la côte atlantique du Nicaragua (FADCANIC), association locale agissant depuis 1990 sur l'éducation, la santé et l'agriculture, et un des principaux acteurs du développement local reconnus dans la région de Bluefields.

Tenir compte de la diversité culturelle
Contrairement à l'ensemble du pays, relativement homogène de ce point de vue, 6 ethnies différentes peuplent la côte caraïbe du Nicaragua, dont deux originaires d'Afrique (Créole et Garifuna) et trois de la culture métisse indienne (Rama, Miskito et Sumu-Mayangna). C'est pourquoi les formations et visites de suivi sont réalisées en créole ou en espagnol.
Une attention particulière est portée à cette spécificité de la côte caraïbe : réalisée en 2012-2013 en partenariat avec des sociologues, une étude socioculturelle portant sur les solutions sanitaires adaptées au contexte local, a mesuré l'influence de la culture sur la perception des excrétas. 

Les ministères de la Santé, de l'Education et de l'Environnement promeuvent une méthodologie participative particulière pour les projets en eau et assainissement intitulée « Familles, Ecoles et Communautés saines » (FECSA), dans laquelle s'inscrit BlueEnergy. Cette méthodologie vise le changement des comportements vers une bonne hygiène, une meilleure santé et une plus grande protection de l'environnement. Plutôt que de cibler un seul type de bénéficiaires au cours d'un même projet, la méthodologie FECSA préconise la mise en place d'une chaîne de connaissances et de bonnes pratiques transmise de manière horizontale entre tous les acteurs : promoteurs institutionnels, promoteurs locaux, étudiants, parents, enseignants et dirigeants communautaires..

L'approche participative est également au cœur de l'action de BlueEnergy. Pour une pleine appropriation des solutions proposées, les bénéficiaires, particuliers ou structures organisées (écoles, centre de santé…) sont considérés comme des acteurs impliqués en tant que tels à part entière dans le processus de réflexion et de décision :
• ils identifient eux-mêmes leurs besoins et analysent les solutions les plus viables au plan technique et économique ;
• ils participent aux réalisations des forages, des filtres et des latrines en fournissant les matériaux locaux et la main-d'œuvre ;
• ils suivent des séances de formation, des rencontres, des visites de contrôle sur l'hygiène, sous forme de jeux ludiques et de dialogues ;
• ils sont les promoteurs des mesures d'hygiènes adéquates et des bonnes pratiques auprès d'autres bénéficiaires;
• organisés en CAPS (comités d'eau potable et assainissement), ils assurent le suivi des infrastructures.

Les CAPS sont des associations structurées certifiées par l'Etat. Elles regroupent des citoyens qui s'unissent volontairement pour organiser un service d'eau potable dans un quartier ou une communauté rurale. Ils disposent d'un conseil d'administration, dont les membres sont élus par une assemblée générale des habitants, qui se porte garant de la distribution d'une eau potable à tous les usagers. Il a sous sa responsabilité l'exploitation, la maintenance, la conservation, l'extension, l'amélioration du service et l'administration des fonds provenant de la collecte relative à la distribution de l'eau.
BlueEnergy accompagne au travers de ses projets la création et la montée en compétences (organisationnelles et techniques) de ces comités, qui constituent un relais incontournable dans le secteur de l'eau et l'assainissement.

De nouveaux partenaires pour prolonger l'action
BlueEnergy poursuit son action dans la région : une nouvelle phase prévoie la réalisation de 130 filtres, 15 systèmes d'assainissement améliorés et 8 puits grâce aux soutiens de l'association CDC Développement Solidaire, la région Ile-de-France et l'agence de l'eau Seine-Normandie. Cette seconde phase sera également l'occasion d'évaluer les acquis des bénéficiaires des projets précédents.
Par ailleurs, afin d'augmenter l'impact et l'efficacité de son accompagnement, BlueEnergy développe un partenariat avec l'association WaterAid(3), implantée sur la côte caraïbe nord. 

Enfin, pour répondre à de nouveaux besoins émergents, BlueEnergy provoque des synergies entre ses programmes sectoriels, Eau Assainissement et Hygiène – et Energie et Changement climatique. Des projets de pompage solaire de l'eau pour l'irrigation des cultures ou le stockage de l'eau potable sont ainsi développés. Des solutions sanitaires intégrales sont apportées aux familles à travers la dotation combinée d'un système d'eau potable (filtre + puits), d'un système d'assainissement adapté, d'une cuisinière améliorée émettant moins de particules nocives et de potagers écogérés. 

C'est cette approche globale que prône BlueEnergy, qui lie simultanément des actions sur l'eau, l'énergie, l'environnement et la culture, avec une bonne dose de formation, pour un impact maximal sur le développement sanitaire et économique de la côte caraïbe du Nicaragua.

(1). “Cuál es el valor real de un inodoro en Nicaragua?” à voir sur : www.bancomundial.org/es/news/feature/2013/11/18/infografia-inodoro
(2). www.cawst.com 
(3). www.wateraid.org


Melisa Cran – Claire Winé
blueEnergy
Email:
contact@blueenergy.fr
Site internet: www.blueenergy.fr

BlueEnergy - Paris - France
 

Forage mécanisé d'un puits. [© blueEnergy]
 

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