retour imprimer © Lettre du pS-Eau 76 de Dec 2014

Haïti, à Verrettes: Optimiser la gestion communautaire des réseaux gravitaires


[© Hamap]

Un projet, quel qu'il soit, n'obtiendra l'adhésion totale des populations bénéficiaires que s'il s'inscrit dans un plan de développement communautaire mûrement réfléchi. La mise en œuvre de cette approche nécessite plus de temps mais, à l'exemple du projet conduit par l'Hamap et le Geder dans la commune de Verrettes, elle seule engendrera une dynamique sociale durable et des retombées multisectorielles. Un pays ne peut pas se développer sans la participation de ses fils.

A la suite du tremblement de terre de 2010, on estime à plus d'un demi million les personnes ayant fui Port-au-Prince pour se réfugier, parfois temporairement, dans les villages loin de la capitale. Le département de l'Artibonite, qui comptait déjà près d'un million et demi d'habitants, a vu sa population augmenter de près de 10 % en quelques semaines. Cette affluence a fait émerger de façon plus criante encore la nécessité d'infrastructures d'accès à l'eau pour les populations, notamment dans les zones rurales. La commune des Verrettes ne fait pas exception car les 7 sections communales qui la composent ont accueilli des déplacés. Soucieuse de répondre aux besoins grandissants et à la demande des villages de la section de Desarmes (qui ne disposait d'aucun accès à l'eau), la commune des Verrettes a sollicité un appui pour l'installation d'une infrastructure dans dix villages.

Le Groupe d'experts pour le développement rural (Gerder), ONG locale travaillant depuis près de 10 ans avec ces populations, a tout naturellement répondu à l'appel. Un plan de développement des dix villages de la section de Desarmes a été élaboré en 2005 et mis en œuvre autour de 8 axes : l'accès à l'eau, à l'éducation, à la santé, la lutte contre l'analphabétisme, le renforcement des organisations locales, la sensibilisation à l'environnement, le développement de l'agriculture (dont l'irrigation des parcelles de cultures vivrières) et l'accès à l'énergie. Chacun de ces objectifs, qui a fait l'objet d'une réflexion approfondie, a été intégré dans des projets mis en œuvre en fonction des priorités et des financements disponibles.

A la demande de la commune, le Geder et l'Ong française Hamap ont conçu et réalisé en commun le projet d'approvisionnement en eau potable de Verrettes, en développant en parallèle des actions dans d'autres axes sectoriels. Il s'agit de capter une source située en montagne, de construire un bassin de sédimentation, de conduire l'eau sur 3,8 km à travers les collines et trois rivières pour alimenter un réservoir de 100 m3 puis desservir un réseau de 14 km alimentant 10 kiosques-fontaines et près de 200 branchements privés en pleine exploitation. Sont également prévues 100 latrines familiales et 2 latrines scolaires. Hamap coordonne et rassemble les soutiens financiers (au total 280 000€) et techniques de l'agence de l'eau Rhin-Meuse, du syndicat des eaux d'Île-de-France, de la région Île-de-France et de l'entreprise Siemens. Le Geder mobilise les services de l'Etat (la Dinepa) et assure les mesures d'accompagnement social.

La participation des populations à l'élaboration de ces infrastructures est très importante, notamment en ce qui concerne la pose des canalisations. Des sessions de sensibilisation à l'utilisation de l'eau et au paiement du service sont assurées par le Geder qui accompagne la mise en place des caepa (Comité d'approvisionnement en eau potable et assainissement), un par village. Le caepa central, le caepamad (caepa Mahotière-Désarmes) est composé de 10 élus, un représentant par comité.
Lors de l'inauguration du réseau en décembre 2012, en présence des autorités locales et de l'ambassadeur de France, des clés ont été symboliquement remises aux membres du caepamad. 


Le réseau est désormais mixte, il dessert les kiosques-fontaines et une centaine de branchements privés. A ce jour, grâce à une eau saine et à des latrines, aucun cas de choléra n'a été déclaré dans les 10 villages desservis par le réseau. Sur la première année d'exploitation (2013), les frais de raccordement aux branchements privés ont permis d'entretenir le réseau, d'investir sur des équipements nouveaux pour de futurs branchements privés et de subvenir aux coûts de fonctionnement (salaire du fontainier et du secrétaire général).

L'épineuse question du paiement de l'eau 
En revanche, à l'instar d'une pratique observée sur d'autres réseaux gravitaires en Haïti (cf. encadré page suivante), les abonnements aux kiosques ne sont pas honorés.

Le Geder a dépêché auprès du caepamad un ingénieur en service civique haïtien pendant presque une année, avec pour mission d'accompagner le comité à trouver des pistes de solution. L'ingénieur a réalisé un travail technique, avec la surveillance du réseau en commun avec le fontainier, et social en rencontrant tous les abonnés. Cet accompagnement participe à la structuration du caepamad ; il aide également les organismes locaux à se renforcer et à fonctionner ensemble.

Au bout de plusieurs mois de travail, deux solutions complémentaires ont été préconisées et appliquées. Le réseau de distribution a été étendu de presque deux kilomètres vers le village de Désarmes, où l'infrastructure préexistante était défaillante et où les abonnés étaient demandeurs et prêts à honorer le paiement des redevances. Un fontainier est désormais spécialement dédié à cette partie du réseau. L'investissement s'est avéré rapidement positif : les abonnés paient régulièrement leur facture, l'expert du Geder aide le CAEPAMAD à développer son animation interne, les formations à la gestion de la caisse sont appréciées. De plus, grâce à l'intégration d'un officier local de sécurité, les conflits ont vite été identifiés et apaisés.

La première assemblée générale du caepamad a eu lieu en juillet 2014. Elle a permis à tous les usagers de se réunir et de s'exprimer. La présence des récents abonnés du village de Désarmes, « bons pailleurs », a contribué au débat sur le paiement et la pérennisation du service. Plusieurs enseignements ressortent de cette assemblée.

L'importance de la participation financière au service de l'eau a été rappelée. Plusieurs abonnés aux kiosques, et certains abonnés privés, ont évoqué le fait qu'ils ont participé à la construction du réseau, qu'ils ont donné du temps et de l'énergie. Ils comprennent l'importance de la participation financière des abonnés au service, mais considèrent que leur participation à la construction constitue un paiement suffisant pour bénéficier de l'accès à l'eau. Pour les impayés, un délai de quatre jours a été retenu, au moins pour les abonnés privés, au delà duquel l'abonnement serait suspendu. Mais à l'échéance, les abonnements n'ont pas été coupés, car plus de 75 % des abonnés avaient acquitté leur facture.
Il a été souligné que le plombier agissait relativement rapidement et correctement quand les réparations s'imposaient. 

Ces remarques fournissent des éléments nouveaux de réflexion à intégrer dans les sessions de sensibilisation pour les prochains projets comme celui du réseau d'AEP sur lequel l'Hamap et le Geder prolongent leur partenariat dans la section communale de Pilate.
Au-delà du domaine de l'eau potable et de l'assainissement, la complémentarité du Geder et de l'Hamap s'est traduite par la conduite d'activités structurantes variées  : étude pour la construction d'une école, organisation de consultations médicales, etc. Fort de cet ancrage, le Geder a ainsi pu mobiliser des financements pour les autres volets du programme, comme la mise en place de pépinières communautaires et de sensibilisation au reboisement (sur financement canadien). 

Depuis trois ans, de nombreuses parcelles irriguées ont vu le jour autour de la source, ainsi que des parcelles familiales autour des maisons dans les villages. Grâce à une ressource abondante, la création d'un second réseau est envisagé, qui pourrait être géré par le caepamad, bien que dédié à l'irrigation de parcelles vivrières. L'eau serait prise à la même source, avec quasiment le même réseau de distribution, mais à des quantités et conditions différentes ; le trop-plein serait déversé dans des lacs de retenues construits par la Dinepa il y a cinq ans. Plusieurs solutions techniques intéressantes ont été proposées : le choix est entre les mains du caepamad.
Dans les systèmes existants dans la région, un comité de gestion spécifique est créé. Cependant, l'irrigation dépend du ministère de l'Agriculture et non de la Dinepa. Il est donc délicat, mais pas impossible, de confier la gestion d'une telle infrastructure à un caepa, sur un modèle qui reste à définir. 

Identifier un programme de développement communautaire et le mettre en œuvre avec les populations semble « couler de source ». Ce n'est pourtant pas si simple ni si courant. Pour les opérateurs expérimentés comme l'Hamap et le Geder, les activités d'appui (notamment post projet) demeurent paradoxalement difficiles à financer. 
Cependant, dix ans après le lancement de ce processus, avec comme orientation principale l'accès à l'eau, la vie des habitants de la 4e section communale de Verrettes a connu une amélioration dont ils sont les principaux acteurs.

Débat sur la gestion des infrastructures gravitaires en Haïti
Le 27 février 2014, le Sedif (Syndicat des eaux d'Île-de-France) et l'Hamap ont organisé à Paris une journée d'échanges durant laquelle, sur la base de six projets mis en œuvre, ont éyé évoqués les moteurs et les freins en termes de gestion d'infrastructures gravitaires en Haïti. Il a été communément admis que :
• la gestion communautaire des infrastructures gravitaires est peu efficiente : elle connaît des taux de recouvrement dépassant rarement les 30 %. Une expérience de délégation à un prestataire privé a donné de meilleurs résultats, mais le recul est nécessaire pour en analyser les raisons et en tirer éventuellement un modèle ;
• reconnue comme essentielle, la formation à la gestion des communautés et des CAEPA doit être prise en compte bien avant la mise en œuvre d'un projet et maintenue après la fin des travaux ;
• le recours à un partenaire local, stable et impliqué, connaissant les populations et légitime auprès d'elles, est primordial.
• la collaboration avec les services techniques de l'Etat est indispensable.


Claire Tramond
Hamap
Email:
claire.tramond@hamap.org
Site internet: www.hamap.org

Eno Hérard
Geder
Email: Enoherard@hotmail.com
Site internet: www.gederhaiti.comlu.com

GEDER - Delmas - Haïti
HAMAP Humanitaire - Alfortville - France
HAMAP Humanitaire - Port-au-Prince - Haïti
Mairie de Fonds Verrettes - Fonds Verrettes - Haïti
 

[© Hamap]

à partir d'une source sitée en zone montagneuse, le système d'approvisionnement en eau potable de Verrettes comprend un réservoir de 100 m3 qui dessert un réseau de 14 km alimentant 10 kiosques-fontaines et près de 200 branchements privés.
Grâce à cela, aucun cas de choléra n’a été récemment déclaré dans les 10 villages concernés. [© Hamap]

Un Comité d’approvisionnement en eau potable et assainissement (caepa) a été créé dans chaque village. [© Hamap]
 

©Lettre du pS-Eau 76 de Dec 2014

   © pS-Eau 2024