retour imprimer © Lettre du pS-Eau 76 de Dec 2014

Palestine: Cinq ans de coopération entre les villes de Paris et Jéricho


La municipalité assure l’exploitation et la maintenance du réseau d’irrigation (sur une surface d’environ 450 hectares) ainsi que celles du réseau d’eau potable. [© Mairie de Paris]

A travers son dispositif « Solidarité Eau », la ville de Paris est engagée aux côtés des collectivités palestiniennes pour améliorer les services d'eau et d'assainissement. Depuis 2009, la coopération entre Paris et Jéricho repose sur la définition et la mise en œuvre d'une stratégie de gestion durable de la ressource à travers un appui multiforme réparti entre études, travaux, assistance technique et formation.

En décembre 2006, un premier déplacement du maire de Paris en Palestine aboutit, en juin 2009, à la signature d'un pacte de coopération et d'amitié entre Paris et la ville de Jéricho. Le secteur de l'eau est ciblé comme domaine d'intervention prioritaire. Depuis, cette coopération se construit autour d'un double dialogue, à l'échelle politique et technique, qui témoigne de la volonté commune d'amélioration des conditions de distribution et gestion de l'eau, et de renforcement des compétences locales.


Située au cœur de la vallée du Jourdain, Jéricho est une oasis alimentée depuis l'Antiquité par la source d'Ain El Sultan, située en hauteur à la périphérie nord-ouest de la ville. Avec une production régulière d'environ 650 m3/h, l'eau, d'excellente qualité, ne nécessite qu'un traitement minimum au chlore. 

Totalement indépendante d'Israël, la souveraineté relative à cette ressource fait cependant l'objet de tension entre la municipalité et l'Association des irrigants, qui regroupe une grande partie des agriculteurs de la ville et qui détient des « droits d'eau », (hérités de l'empire ottoman) comptabilisés en heure/semaine. Un système de quotas, amendé à plusieurs reprises par les autorités locales, établit une répartition, régulièrement contestée, entre usage domestique et agricole.
En charge de la gestion du service de l'eau et sous la tutelle de l'Autorité palestinienne de l'eau (PWA 1) la municipalité assure à la fois l'exploitation et la maintenance du réseau d'irrigation qui alimente une surface d'environ 450 hectares, ainsi que du réseau d'eau potable qui dessert la population et une partie des camps de réfugiés d'Ain El Sultan et d'Aqbat Jabert (environ 20 000 usagers). 

Avec son statut d'oasis millénaire (la ville a célébré son 10 000e anniversaire en 2011) qui regroupe de nombreux sites patrimoniaux d'intérêt majeur (monastère de la Tentation, Palais Hisham, Arbre de Zachari), Jéricho est une ville de villégiature et de tourisme. Son climat attractif attire de nombreux Palestiniens, notamment de Jérusalem. En raison de sa localisation stratégique et de son classement en zone A1, la ville accueille également plusieurs casernes militaires et académies de police. Elle connaît de ce fait un fort dynamisme immobilier et industriel, grâce notamment au projet de zone agro-industrielle financé par la coopération japonaise et le mégaprojet urbain privé du « Jéricho Gate ». Cette diversification des usages accentue la pression sur la ressource liée en parallèle à un accroissement de la demande dû à une croissance démographique estimée à 2,9 % l'an.
L'alimentation en eau potable de la ville est ainsi soumise à des coupures régulières, aggravées par de fortes chutes de pression dans le réseau, surtout en période estivale.
Face à un système de gouvernance complexe et parfois conflictuel, il était essentiel de disposer dans un premier temps d'un diagnostic fiable identifiant les points d'appui prioritaires de la coopération et leurs modalités les plus adaptées. Pour conduire cette expertise, la ville de Paris a sollicité sa régie municipale Eau de Paris et mobilisé les fonds de son dispositif « Solidarité Eau », issu de l'application du 1 % de la loi Oudin-Santini.

Une intervention phasée et évolutive
La première étape en 2009 a d'abord consisté en la réalisation d'un schéma directeur de l'eau (cofinancé par l'AFD) confié à l'ONG palestinienne Palestinian Hydrology Group (PHG) selon une approche participative, dans un souci de médiation et de concertation. Eau de Paris a joué le rôle d'assistance à maitrise d'ouvrage auprès de la municipalité dans le pilotage de l'étude et a veillé à son appropriation progressive par les services techniques. Présentée en février 2011 aux autorités locales et à un panel élargi de partenaires et bailleurs de fonds, cette étude constitue un diagnostic détaillé des ressources en eau et de leur répartition par types d'usages. Elle fournit un recensement de données fiables (auparavant inexistant) et une synthèse des modes opératoires et des dysfonctionnements. 

Bien que les tensions avec les agriculteurs n'aient été que partiellement apaisées, une dynamique de concertation sur la gestion durable de la ressource a été enclenchée auprès de tous les partenaires. La poursuite des actions de coopération a dès lors été construite autour des résultats du schéma directeur, en élaborant un nouveau projet échelonné sur 2011-2014 doté de deux enveloppes budgétaires mixant financement d'infrastructures et assistance technique.
Outre la très forte consommation par habitant, le schéma directeur a démontré que les coupures d'eau et les chutes de pression étaient liées à la configuration initiale du réseau et à son extension anarchique sans lien avec la disponibilité de la ressource et la croissance urbaine. 

L'enveloppe “travaux“ a ainsi été consacrée à la reconfiguration du réseau de distribution par la mise en place de conduites dédiées uniquement au transport. Après élaboration conjointe du cahier des charges et des plans projets avec le service de l'eau de la municipalité, la ville de Paris a cofinancé avec le Pnud1 la pose d'une conduite de 12 pouces sur 4 km entre les réservoirs principaux et le réservoir du sud afin de favoriser l'écoulement vers le quartier de Keft-el-Wad, zone prioritaire où se concentre l'extension urbaine. Achevés avec succès en juin 2012, les travaux ont été accompagnés par une assistance technique de supervision doublée d'un volet de suivi des modes d'exploitation du réseau, qui se poursuit jusqu'à aujourd'hui. 

L'enveloppe destinée aux actions de renforcement des capacités a également été mobilisée pour deux autres axes structurants. Le premier concerne la modélisation hydraulique du réseau d'eau potable par les équipes d'Eau de Paris et la formation de leurs homologues palestiniens à sa manipulation et à sa mise à jour ; une délégation technique a été accueillie dans ce but à Paris. Ce modèle, aujourd'hui finalisé, constitue l'élément clé d'une planification durable de l'évolution du réseau, tant en termes de réhabilitation que d'extension.
Le deuxième axe a été dédié au renforcement de la gestion administrative et financière du service de l'eau. Le schéma directeur a mis en lumière une forte consommation domestique de 190 l/j/h2, très éloignée de la moyenne cisjordanienne de 70 l/j/h. Cette différence s'explique en partie par des périodes de fortes chaleurs la moitié de l'année et par les pratiques locales, telles qu'une agriculture vivrière à l'échelle domestique mais également par une absence de sensibilisation à un usage raisonné de la ressource, considérée comme sacrée et par nature inépuisable.

Rationaliser tarification et fonctionnement du service
L'analyse de la consommation a démontré que 35 % sont destinés à l'arrosage et 20 % à l'utilisation de climatiseurs à eau perdue(5), ce qui ramène à une consommation réelle plus cohérente de 90 l/h/j pour les usages domestiques.
La tarification du service au m3 d'eau est ici la plus faible de Cisjordanie, avec un premier seuil de facturation entre 0 et 100 m3 pour seulement 1 NIS(6) (0,20 €), auquel se rajoute un tarif préférentiel de 0,50 NIS par m3 accordé aux employés de la municipalité, l'un des premiers employeurs de la ville. Pour une eau de qualité, un tarif très abordable et un service quasi journalier, l'alimentation en eau des usagers semble satisfaisante en comparaison des conditions d'approvisionnement du reste de la Cisjordanie. Néanmoins, en l'absence de suivi et de stratégie de relance, le taux de recouvrement des factures éditées est inférieur à 60 %. L'ensemble du processus de facturation et de recouvrement s'avère insuffisamment planifié et encadré. Le système manuel de relève des compteurs en vigueur est peu fiable, chronophage et surdimensionné en termes de ressources humaines.

C'est pourquoi la ville de Paris accompagne depuis 2013 la refonte du système de facturation et de recouvrement du service municipal. Cinq équipements portatifs ont été financés afin d'optimiser la saisie et le traitement des données(7) de facturation. Parallèlement, l'expertise du service clients d'Eau de Paris a été mobilisée pour définir un nouvel organigramme et une nouvelle répartition des tâches. 

Une formation a été conduite pour appuyer la construction d'une politique de relance et de nouvelles modalités de paiement, la mise en place d'indicateurs de suivi ainsi que la mise à jour du fichier clients. L'objectif général est d'améliorer l'équilibre financier du service, à travers une hausse du taux de recouvrement, qui serait également un signal positif de bonne gouvernance vis-à-vis des bailleurs de fonds souhaitant intervenir dans le domaine de l'eau à Jéricho. 

Après 5 années de coopération, l'implication de 8 experts d'Eau de Paris et la mobilisation de 500 000 €, les activités menées affichent un bilan très positif en termes de réalisations. L'alimentation en eau est désormais continue à l'échelle de la ville, 11 agents ont été formés et accompagnés dans l'exercice de leurs fonctions et l'organisation du service de l'eau a été renforcée tant en matière d'outils, de procédures que de modes de pilotage.

Dans une région au contexte politique fragile, qui génère une multiplication d'intervenants et de sources de financements, ces réussites ont été avant tout possibles grâce à une intervention structurée de la ville de Paris, du diagnostic à l'opérationnel, en faisant évoluer les modalités de coopération en fonction du degré de connaissance du terrain et de la relation de confiance établie avec les autorités locales. Néanmoins, pérenniser ces acquis oblige à une amélioration de la structure institutionnelle et technique locale.

Un environnement complexe à appréhender
Dans l'optique d'aboutir à terme à un système de partage, de distribution et de gestion de l'eau satisfaisant pour tous, la coordination des acteurs locaux demeure insuffisante. Les tensions avec les agriculteurs, qui se sont maintes fois immiscées dans le déroulement des projets, ont conduit la ville de Paris à cibler ses actions bien sûr en application du schéma directeur, mais uniquement sur le réseau d'eau potable, en ignorant les besoins agricoles. Le portage politique des deux partenaires semble à Jéricho comme un prérequis incontournable pour impulser une dynamique favorable à la réussite des projets. Force est de constater que le schéma directeur n'a pas toujours eu l'effet escompté en tant qu'outil de gouvernance et d'aide à la décision. La relative situation privilégiée de Jéricho en termes d'accès aux ressources en eau ne facilite pas paradoxalement la mise en œuvre de réformes structurelles d'envergure. 

L'élection d'un nouveau maire en octobre 2013 a suscité un regain d'implication avec notamment la validation d'une grille tarifaire revue à la hausse. Son absence d'application compromet néanmoins toute avancée significative de réduction de la consommation et du gaspillage. Le financement réservé par la ville de Paris pour la conduite d'une campagne de sensibilisation à l'économie d'eau est également en attente de validation locale.
A la différence d'autres municipalités de Cisjordanie, Jéricho souffre par ailleurs d'un déficit en ressources humaines techniques, qui conduit à une certaine forme d'inertie au sein du service de l'eau. Le départ du référent de la coopération parisienne à l'été 2014 ralentit aujourd'hui le rythme des échanges et le degré d'avancement des actions engagées. 

Le succès du volet d'assistance technique sur la facturation et le recouvrement est avant tout basé sur une implication adéquate de l'encadrement, tant sur le pilotage des activités que sur le contrôle et le suivi régulier des indicateurs mis en place, et sur les mesures correctives qui s'imposeront. Le déploiement des nouveaux équipements ne constitue qu'un outil pour améliorer le service aux usagers et sécuriser la chaîne de facturation. 

Sur le plan institutionnel, la PWA affiche une volonté de créer à moyen terme des regional utilities vers qui seraient transférées la compétence de gestion de l'eau et de l'assainissement et la propriété des infrastructures. Dans un contexte où le temps nécessaire aux réformes est très long, la priorité doit porter à Jéricho sur la poursuite des efforts de réorganisation du service municipal de l'eau, à la fois pour renforcer la coordination entre équipes techniques et administratives et pour pallier le manque de personnel pour l'exploitation du réseau et l'inspection des piquages illégaux. Rendu à ce jour impossible par la situation politique locale, l'envoi d'un stagiaire de l'Ecole des ingénieurs de la ville de Paris pourrait prochainement intervenir en ce sens. A l'échéance de la convention de financement mi-2015, une évaluation globale de la coopération engagée depuis 2009 permettra de définir les perspectives futures, en fonction de la volonté de chacune des deux villes.

Une coopération tripartite : Paris- Grenoble- Bethléem
La ville de Paris a financé à Bethléem en 2011 des travaux prioritaires de réhabilitation du réseau d'eau à hauteur de 100 000 €, en lien avec un programme de restructuration de l'AFD.
Depuis 2012, l'instruction d'un projet structurant pour la réalisation d'un schéma directeur assainissement est en cours avec Grenoble Alpes Métropole. Son lancement en 2015 sera l'opportunité d'avancer sur le diagnostic et la cartographie du réseau, aujourd'hui inexistants. Une approche participative est retenue afin de diffuser à tous les partenaires les résultats, dont la réalisation d'un plan d'actions et d'une liste d'investissements prioritaires à destination des bailleurs de fonds.
(1): Palestinian Water Authority, équivalent du ministère palestinien de l'eau
(2): Dans le cadre des accords d'Oslo (1995), des zones A, B et C se différencient par le partage de leur contrôle entre l'Autorité palestinienne et Israël. La zone A (soit environ 20 % de la superficie et 55 % de la population en Cisjordanie) est administrée et contrôlée par l'Autorité palestinienne.
(3): Programme des Nations unies pour le développement, qui a financé sous contribution japonaise à hauteur de 800 000 $ la pose de la conduite sur 2,2 km en amont des travaux de la ville de Paris.
(4): En comparaison elle n'est que de 80 l/j /h à Hébron et de 120 l/j /h à Paris.
(5): Les climatiseurs à eau perdue consomment environ autant d'eau qu'un robinet domestique à demi-ouvert en permanence (0,1 à 0,2 l/s). Leur principal avantage réside dans leur robustesse et leur faible cout. La Municipalité encourage progressivement (au cas par cas et sans plan d'action global pour l'instant) le passage à des appareils plus économiques mais dont le prix d'achat apparaît prohibitif pour une grande partie des ménages.
(6): NIS, Nouveau Shekel Israélien.
(7): Bien qu'elle soit plus adaptée, l'option de financer des compteurs prépayés n'a pas été retenue à ce stade par les autorités locales.
Financement du projet

PHASE 1 : 2009-2011
Schéma directeur de l'eau
• Ville de Paris : 118 000 €
• AFD : 65 000 €

PHASE 2 : 2011-2015
Renforcement de l'alimentation en
eau des quartiers sud et assistance
technique
• Ville de Paris : 400 000 €
• PNUD : 800 000 $
L'ensemble des travaux et des équipements a fait l'objet d'appels d'offres et a été facilité par un transit des fonds sur un compte spécial ouvert par la municipalité de Jéricho, dans un souci de responsabilisation.


Elodie Cuenca
ville de Paris
Email:
elodie.cuenca@paris.fr

Municipalité de Jéricho - Jéricho - Palestine
Ville de Paris - Paris - France
 

Réunion de travail à Paris en novembre 2012. [© Mairie de Paris]

Inauguration des travaux en présence du maire de Jéricho et du maire de Paris en novembre 2011. [© Mairie de Paris]
 

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