retour imprimer © Lettre du pS-Eau 75 de Sep 2014

Le projet Aicha en Mauritanie: L'innovation au service de la maîtrise d'ouvrage communale


[© Gret]

En dépit des efforts réalisés ces dernières années, la majorité de la population mauritanienne est dépourvue d'assainissement hygiénique et presque la moitié n'a pas accès à un point d'eau amélioré. Face à cette situation, les autorités nationales ont engagé une réforme du secteur de l'eau potable, ainsi qu'une politique ambitieuse pour l'assainissement rural. Plusieurs programmes sont actuellement à l'œuvre, qui s'efforcent de décliner de manière opérationnelle ces nouvelles orientations. C'est dans ce contexte qu'a débuté en 2009 le projet Aicha(1) dans les régions du Brakna et du Trarza.
(1): Appui aux initiatives communales pour l'hydraulique et l'assainissement

Durant les années 1990, face à des États en crise et fortement affaiblis par les politiques d'ajustement structurel, la décentralisation est apparue comme un moyen de rapprocher les sociétés locales des pouvoirs publics et comme une opportunité d'insuffler de nouvelles dynamiques de développement. En matière d'eau potable et d'assainissement, ces politiques se sont traduites par le transfert des compétences de maîtrise d'ouvrage aux collectivités territoriales issues de ces réformes.
En Mauritanie, le processus de décentralisation s'amorce dès la fin des années 1980 avec l'organisation des premières élections communales. Relancée à plusieurs reprises, la décentralisation demeure inachevée. Certes, les responsabilités confiées aux communes mauritaniennes recouvrent un large spectre de services publics – l'assainissement et la gestion des déchets sont des prérogatives communales depuis 1987, tandis que l'eau potable l'est redevenue, sous certaines conditions, en 2005 – mais les difficultés auxquelles ces dernières se heurtent sont nombreuses.
Tout d'abord, les investissements requis dans les domaines de l'eau potable et de l'assainissement excèdent de beaucoup les capacités de financement des communes. La faiblesse des transferts budgétaires, conjuguée au caractère embryonnaire de la fiscalité locale, prive les communes de précieuses ressources pour réaliser les infrastructures. De plus, faute de personnel communal compétent et d'outils adaptés, la maîtrise d'ouvrage reste une fonction mal assurée. Outre le manque d'expériences et de moyens, une autre difficulté tient à la défaillance des services territoriaux. Pour faciliter l'exercice de leur responsabilité, les communes devraient pouvoir solliciter les services déconcentrés du ministère de l'Hydraulique et de l'Assainissement (MHA). Or, les directions régionales, complètement exsangues, ne parviennent pas à apporter les appuis demandés.
Les indicateurs de couverture témoignent de ces dysfonctionnements. En dépit des efforts réalisés ces dernières années, 60 % de la population mauritanienne est dépourvue d'assainissement hygiénique et 45 % n'a pas accès à un point d'eau amélioré. Face à cette situation, le ministère a engagé une réforme du secteur de l'eau potable, tout en formulant une politique ambitieuse pour l'assainissement rural. Plusieurs programmes sont actuellement à l'œuvre, qui s'efforcent de décliner de manière opérationnelle ces nouvelles orientations

Vers une planification participative
Avec le soutien de plusieurs partenaires techniques et financiers, et la volonté de s'inscrire dans le processus de réforme du secteur, le projet Aicha vise d'une part à apporter des réponses aux difficultés de maîtrise d'ouvrage rencontrées par les communes, d'autre part à approfondir la gestion des services d'eau potable, et enfin à développer une approche de l'assainissement qui s'intéresse à la demande des habitants sans négliger les besoins de renforcement de l'offre (cf. encadré ci-contre).
Aicha intervient depuis 2009 dans 5 communes rurales des régions du Brakna et du Trarza au bénéfice de 75 000 habitants.
Si la planification est indispensable pour renforcer les collectivités locales, notamment dans la perspective de faire émerger une vision du développement de leur territoire, force est de constater que toutes les démarches ne se valent pas. En Mauritanie, la majorité des communes disposent déjà d'un Plan de développement communal. Souvent mal appropriés, ces documents très généraux sont d'une utilité limitée pour des communes rurales dont les attentes portent davantage sur des outils pratiques.
Devant ce constat, le projet a accompagné l'élaboration de Plans de développement communaux pour l'hydraulique et l'assainissement (PCHA). Cette démarche pilote vise non seulement à dresser un état des lieux de l'accès à l'eau potable et à l'assainissement à l'échelon communal, mais surtout à réfléchir collectivement à la manière de faire progresser chaque commune vers une desserte proche de 100 %. Structurée autour de quelques grandes étapes, la méthodologie repose sur diverses techniques de concertation (focus groups, cartographie participative, etc.).
Une fois les inventaires réalisés et les conclusions du diagnostic partagées, un bilan en termes d'accès est établi à partir de normes nationales (exemple : point d'eau potable moderne pour 300 habitants). Déterminés dans chaque localité, les taux d'accès et de desserte sont représentés de manière cartographique. Dans le même temps, les données sont utilisées pour formuler des solutions techniques et organisationnelles, avec leurs coûts respectifs. Enfin, le conseil municipal délibère sur les actions prioritaires, en tenant compte des taux d'accès dans ses localités et des financements requis pour chaque solution. Dans chaque commune, les acteurs souhaitent fréquemment que tous les besoins identifiés soient immédiatement pris en charge, ce qui, bien entendu, est impossible... On comprend alors toute l'importance de l'étape de priorisation, qui consiste à construire des compromis réalistes à partir des multiples intérêts en présence.

Responsabiliser davantage le délégataire
Au final, cet exercice de planification concertée débouche sur des programmes d'investissement comprenant des interventions précises et chiffrées, avec une répartition sur plusieurs années. Les communes disposent de documents actualisables qu'elles peuvent présenter à leurs partenaires. Un facteur de réussite tient à la possibilité de mobiliser de solides compétences d'intermédiation afin de garantir une concertation effective. Mais l'élément le plus déterminant est de nature politique : l'issue du processus dépend fortement de l'engagement des élus locaux, en particulier du maire, à fédérer leurs administrés et à dépasser les intérêts personnels.
Un autre volet d'intervention concerne la gestion et le suivi des services d'eau potable. La révision du cadre réglementaire engagée en 2005, suite à l'adoption du nouveau code de l'eau, a induit de profonds changements institutionnels. Outre le désengagement des administrations publiques des fonctions d'exécution, elle a mis en avant le rôle des entrepreneurs locaux au travers des délégations de service public.
Cette nouvelle politique entend ainsi privilégier les partenariats entre l'Etat, les collectivités locales et les opérateurs privés, comme cadre de financement et de gestion des infrastructures d'eau potable. Désormais, l'obligation est faite de déléguer la gestion des services d'eau desservant les localités de plus de 500 habitants.
En cohérence avec ces priorités sectorielles, le projet Aicha expérimente un dispositif consistant à introduire un îlot concessif au sein du contrat d'affermage. Concrètement, la commune/maître d'ouvrage confie pour une période de cinq ans la gestion technique et commerciale de son service d'eau potable à un entrepreneur local sélectionné par appel d'offres ; ceci correspond au schéma classique de l'affermage.
L'originalité du montage réside dans le fait de demander au délégataire de financer les équipements électromécaniques (les pompes d'exhaure, le groupe électrogène, etc.).
Ce type de contrat a été élaboré par l'Autorité de régulation mauritanienne avec l'appui du Gret et de Tenmyia. Son intérêt est de responsabiliser le délégataire sur un équipement fragile dont le mauvais entretien provoque des arrêts prématurés du service, sans pour autant exiger un important apport en capital que seules quelques grosses entreprises seraient capables d'assumer.
Dans les centres où « l'affermage avec îlot concessif » a été expérimenté, le service est délivré en continu dans de bonnes conditions. Après une phase de démarrage qui a nécessité un effort important de communication et de pédagogie, le principe de la délégation a été accepté par les ménages, qui se déclarent globalement satisfaits du niveau et de la qualité du service fourni. En témoignent, les volumes d'eau consommés et les demandes de branchements domestiques qui augmentent constamment.
En ce qui concerne le suivi des services, l'Autorité de régulation joue un rôle clé. Elle intervient en appui aux communes dans la détermination des tarifs et dans l'analyse de la performance des services délégués. Pour faciliter cette seconde tâche, l'Autorité de régulation s'est dotée d'un observatoire des délégations comprenant deux outils : un logiciel d'aide aux délégataires pour assurer la gestion commerciale, technique et financière des services, et un logiciel de suivi pour centraliser les informations relatives aux délégations.
Conçu comme un outil d'aide à la décision, l'observatoire des délégations s'adresse à la fois à l'autorité de régulation, aux maîtres d'ouvrage et aux délégataires. Il a vocation à faciliter la préparation des rapports annuels de délégation et à renforcer les capacités des maîtres d'ouvrage à piloter leurs services, tout en améliorant l'information des usagers quant au fonctionnement des délégations. A terme, il permettra d'évaluer sur une base objective la qualité technique, économique et sociale des services.

Poursuivre les efforts engagés
Il est indéniable que le renforcement des capacités des communes constitue un enjeu déterminant pour la durabilité des services. En inscrivant ces acteurs au cœur du processus de planification des investissements, et en leur faisant jouer un rôle majeur dans l'organisation des services, le projet Aicha s'inscrit dans une logique d'affirmation de la légitimité de la maîtrise d'ouvrage communale.
A ce jour, plusieurs réussites méthodologiques sont à mettre à l'actif de ce projet. L'approche concertée d'élaboration des PCHA est plébiscitée par toutes les communes qui en ont bénéficié ; elle est considérée par le ministère comme une opportunité de consolider ses capacités de planification aux niveaux régional et central. De même, l'innovation contractuelle (l'affermage avec îlot concessif) est examinée avec beaucoup d'intérêt par la direction de l'Hydraulique qui souhaiterait approfondir les conditions d'application de ce modèle, dans la perspective de son élargissement.

Cependant, plusieurs approfondissements devront être apportés dans les prochaines années afin de :
(i) coordonner les différents niveaux et instruments de planification (locale, régionale et centrale) ;
(ii) affiner la définition des périmètres de délégation ;
(iii) renforcer les compétences d'appui-conseil des directions régionales de l'hydraulique et de l'assainissement ;
(iv) stabiliser les mécanismes de collecte des données de suivi techniques et financières.
Par ailleurs, aussi nécessaires et effectives soient-elles, ces avancées n'apporteront aucune réponse au problème du financement communal (faiblesse de la fiscalité, inexistence d'emprunts communaux, etc.). Elles ne sauraient pas davantage se substituer à des politiques ambitieuses de formation professionnelle du personnel des communes et des régions, idéalement initiées par l'administration centrale dans une vision de long terme.
Enfin, malgré une mobilisation accrue du ministère, les relations entre les communes et les services déconcentrés demeurent précaires. Les collaborations avec les communes sont d'autant moins évidentes que le personnel des directions régionales, voyant s'échapper ce qui était hier ses prérogatives, n'adhère pas spontanément au transfert de compétences aux collectivités locales. Habitués à prendre les décisions, ils assument mal leur nouveau statut de conseiller, moins valorisant et pour lequel ils ne sont pas formés. Sans doute faut-il se donner du temps pour que les habitudes de travail changent...


Frédéric Naulet
T. 33(0) 1 70 91 92 21
Email:
naulet@gret.org

Moulaye Ould Bleilla
T. (222) 4525 84 96
Email: bleilla.mr@gret.org

GRET - Nogent sur Marne - France
GRET - Nouakchott - Mauritanie
 

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Schéma de maîtrise d’ouvrage et financements
 

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