retour imprimer © Lettre du pS-Eau 74 de Jan 2014

Aux Philippines et au Bangladesh: L'entreprenariat social : une option pour les bidonvilles


Tuyaux d'arrivée d'eau à Bhashantek, au Bangladesh. [© Eau et Vie]

Dans les bidonvilles des pays en développement, les habitants se démènent pour accéder à une eau de qualité douteuse à des prix exorbitants. L'Ong Eau et Vie initie en Asie depuis 2008 des opérations pilotes en milieu urbain défavorisé, aux Philippines et au Bangladesh. Au-delà de l'approvisionnement en eau potable, ces actions structurent les opérateurs locaux sur tous les aspects qui touchent aux conditions de vie des populations.

Les projets d'Eau et Vie s'inscrivent dans une démarche qui englobe l'amélioration de l'ensemble des conditions de vie dans les bidonvilles, de l'accès à l'eau à l'évacuation des eaux usées et à la gestion des déchets, sans oublier la formation et la sensibilisation à l'hygiène et l'environnement.
La particularité de son approche est d'accompagner la création de petites entreprises de distribution d'eau qui interviennent dans les quartiers urbains défavorisés pour connecter chaque maison à l'eau courante, tout en renforçant la cohésion et l'engagement des communautés. Deux entreprises sociales ont été créées avec l'appui d'Eau et Vie : Tubig Pag Asa (TPA), « Eau de l'Espoir » aux Philippines et Shobar Jonno Pani (SJP), « Eau pour Tous » au Bangladesh.
Une autre particularité de l'approche de l'association est d'installer des bornes incendie, former la population à la prévention incendie et constituer des brigades de pompiers volontaires bénévoles dans les bidonvilles où l'accès est difficile en cas d'incendies, qui sont pourtant fréquents et ravageurs.

Parallèlement à la structuration des opérateurs locaux d'eau potable, les programmes participent au renforcement des communautés. Des associations locales Water and Life Philippines et Water and Life Bangladesh (W&L), ont ainsi été créées. L' accès à l'eau pour tous offre un point d'ancrage très fort pour promouvoir l'hygiène, par des sessions par exemple de promotion du projet d'accès à l'eau, l'organisation d'une journée mondiale du lavage des mains, des interventions dans les écoles du quartier... Des réunions de suivi sont organisées régulièrement avec les responsables de la communauté, qui participent à la définition et à la mise en œuvre des activités, relaient l'information auprès des habitants et proposent des solutions aux problèmes rencontrés.

Travailler main dans la main avec les communautés
L'explosion démographique de grandes villes telles que Dhaka ou Manille ne s'est pas accompagnée d'infrastructures adaptées. Dans les bidonvilles, les familles souffrent du manque de sanitaires décents. L'utilisation de latrines collectives mal ou non entretenues ou, à défaut, la défécation en plein air, génèrent de nombreux problèmes sanitaires et environnementaux. Les systèmes d'évacuation des eaux usées sont quasi inexistants, les eaux noires stagnent donc à l'air libre et propagent de nombreuses bactéries. Eau et Vie dresse un diagnostic des services d'assainissement (état des lieux, acteurs présents, stratégies existantes…) par zone d'intervention, puis met en place un système durable d'évacuation des eaux usées et complète les équipements de latrines. L'absence de gestion des déchets accentue la dégradation des conditions sanitaires des quartiers : jetés dans les rivières, les caniveaux ou souvent entassés à proximité des maisons, les déchets sont rarement ramassés… Ils bouchent les quelques systèmes de drainage existants. Eau et Vie, en lien avec la mairie locale, travaille sur l'organisation d'un système de collecte des déchets dans ses quartiers d'intervention.

Ces services s'appuient sur la réponse aux besoins de la population, en partenariat avec les communautés et autorités locales, ainsi qu'avec les acteurs locaux et internationaux du développement. L'ensemble des activités mises en place contribuent à la diminution des violences dans les quartiers, à l'amélioration du cadre de vie et à la création d'emplois. Elles ont pour objectif la diminution des maladies liées à l'eau et à un environnement insalubre, ainsi qu'une économie dans le budget des familles.
La durée de l'intervention (5 à 10 ans dans chaque quartier), le travail en étroite collaboration avec les communautés, les collectivités locales et les autres acteurs du développement visent à pérenniser l'ensemble des actions qui s'inscrivent dans la politique de la ville en matière d'accès à l'eau et à l'assainissement.
S'appuyant sur les enseignements d'une première expérience réalisée aux Philippines en 2008 dans un quartier de Manille, Eau et Vie a développé des opérations similaires dans d'autres bidonvilles.

De l'eau courante dans le bidonville de Bhashante
Bhashantek, bidonville de 3 500 familles (15 000 personnes) à Dhaka, a été retenu pour démarrer un projet pilote au Bangladesh. Ce bidonville est en cours de viabilisation par la ville de Dhaka, avec l'aide du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) dans le cadre d'un projet de réduction de la pauvreté (UPPRP). Un partenariat a été signé en 2012 entre SJP (Shobar Jonno Pani), le concessionnaire d'eau Dwasa (Dhaka Water and Sewerage Authority), le Pnud et la communauté de Bhashantek. Dwasa vend l'eau à SJP, elle-même responsable de construire le réseau d'eau (1), de la distribuer et de collecter les paiements. SJP a ouvert une agence dans Bhashantek et constitué une équipe, composée de personnel local : plombiers, collecteurs et opérateur de saisie. La communauté a été associée pour le plan du réseau et la localisation des équipements.

Les travaux de construction du réseau ont commencé en mai 2012 pour couvrir une première partie du quartier, comprenant 1 500 familles. Mais malgré les résultats positifs des tests menés en 2011, la pression dans le réseau s'est avérée trop faible lors de l'ouverture des vannes du fait d'une forte augmentation du nombre de familles et d'une diminution des capacités de forage de la ville.

Après des études techniques et grâce au soutien de la fondation Trafigura, partenaire des projets aux Philippines et au Bangladesh, un réservoir souterrain et un
château d'eau ont été construits. En parallèle, SJP, appuyé par l'association locale W&L, a organisé des rencontres régulières avec la population, afin de promouvoir le projet et de sensibiliser la population à l'hygiène. Un opérateur a été formé à l'utilisation du logiciel de gestion des ventes d'eau développé par Eau et Vie grâce au soutien du Fonds Suez Environnement Initiatives, également partenaire de l'accès à l'eau et à l'assainissement des projets Philippines et Bangladesh. La construction du château d'eau achevée et le réseau décontaminé, les premières familles ont été connectées fin novembre 2013.

Une cérémonie d'ouverture avec les autorités locales et l'ensemble des partenaires a eu lieu le 30 novembre 2013. La communauté, au même titre que les partenaires d'Eau et Vie, attendait cet évènement avec impatience. Les premiers, pour enfin avoir accès à l'eau potable courante ; les seconds, pour vérifier que cette approche fonctionnait et pouvait être dupliquée dans d'autres zones urbaines. « J'ai beaucoup de fierté de ne plus devoir aller pomper l'eau et d'avoir comme les autres un robinet. Je n'ai plus mal ni à la poitrine, ni au dos. A la maison, mon mari et mes enfants doivent me demander l'autorisation pour ouvrir le robinet ! » affirme avec beaucoup de dignité Kanta, bénéficiaire du projet.

2 000 familles concernées aux Philippines
Les activités d'Eau et Vie aux Philippines s'inscrivent dans les objectifs du gouvernement qui vise, d'ici 2015, à donner accès à l'eau potable à 86,6 % de la population et des toilettes à 83,8 %. Elles répondent au besoin émis par l'Agence de l'eau du gouvernement philippin (National Water Resources Board) de faciliter l'accès à l'eau dans les quartiers défavorisés non desservis par les opérateurs officiels. L'entreprise sociale TPA (Tubig Pag Asa), créée par Eau et Vie en 2009, a aujourd'hui deux agences : une à Cavite, au sud de Manille, et l'autre à Cebu, la seconde ville du pays. TPA a signé un contrat de partenariat avec les concessionnaires d'eau locaux : Maynilad Water Services Inc. à Cavite et Metropolitan Cebu Water District (MCWD) à Cebu. Fin 2013, grâce à TPA, 1 100 familles réparties dans quatre bidonvilles (environ 5 500 personnes) auront de l'eau potable à domicile. Fin 2014, l'objectif atteindra 2 000 familles. Chacun des quartiers d'intervention est équipé de bornes incendie et 110 personnes composent les quatre brigades de pompiers volontaires, qui ont d'ores et déjà prouvé leur capacité à éteindre des incendies dès leur apparition. En matière de renforcement communautaire, des formations et des manifestations sur l'hygiène et l'environnement sont organisées par W&L, telles que la journée mondiale du lavage des mains et la journée du nettoyage du quartier. Ces évènements sont organisés en lien avec les autorités et les organisations locales ; elles réunissent à chaque fois plusieurs centaines de participants. Enfin, W&L dresse un état des lieux de l'assainissement et de la gestion des déchets dans chaque quartier. En fonction des besoins, des partenariats sont noués avec des professionnels pour mettre en œuvre des solutions.

Des fondations privées (Fondation Lord Michelham of Hellingly, Fondation Brageac Solidarités, Institut Robin des Bois, Rotary Club), des entreprises (21 Central Partners, CapsLuxe) et de nombreux particuliers s'associent à ces partenaires pour soutenir les projets de l'association.
L'accès à l'eau courante a été un grand pas pour les habitants des bidonvilles, mais les projets ne s'arrêtent pas là. Dès 2014, la mise en place de systèmes d'évacuation des eaux usées et de gestion des déchets dans les quartiers desservis en eau (Bhashantek, Cavite, Cebu) sera engagée, tout en poursuivant le travail de formation et les actions de sensibilisation à l'hygiène et à la lutte contre l'incendie.

Eau et Vie envisage de dupliquer son approche d'accès à l'eau dans d'autres quartiers des Philippines et du Bangladesh et mènera prochainement un projet pilote en Côte d'Ivoire en s'appuyant sur ses partenaires habituels, qui ont déjà renouvelé leur soutien, mais aussi sur des financements publics qu'elle souhaite solliciter.


Note (1). Le réseau d'eau de Bhashantek a été pris en charge par le PNUD/UPPRP, car le très faible prix de vente de l'eau n'assurait pas le retour sur investissement de la construction.


Comment fonctionne une entreprise sociale ?
Une entreprise sociale peut intervenir dans les quartiers où le distributeur officiel ne parvient pas à travailler selon ses normes de rentabilité. L'entreprise sociale créée localement signe un contrat de partenariat avec le concessionnaire d'eau, la ville et la communauté. Elle achète l'eau au distributeur officiel, construit le réseau d'eau et assure la distribution d'eau dans le bidonville. Le personnel (plombiers, collecteurs…), recruté à 80 % dans le quartier, est chargé de la facturation, de la collecte, de l'entretien du réseau et des tests de qualité de l'eau. La méthode de travail est adaptée au fonctionnement de la communauté (par exemple la collecte journalière, ou hebdomadaire, des paiements). Chaque agence vise une viabilité financière et organisationnelle dans un délai d'environ cinq ans. Les bénéfices des entreprises sont réinvestis pour poursuivre et étendre les activités d'adduction en eau et permettre ainsi la pérennité de l'action. 

Sur le même sujet, voir un article de Emmanuel Chaponnière intitulé "Les POP de Maputo : des opérateurs indépendants, partenaires durables du service public de l'eau" paru dans la lettre du
pS-Eau n° 57 de septembre 2008.


Valérie Dumans
Email:
vdumans@ong-eauetvie.org
Site internet: www.ong-eauetvie.org

better with water - Dacca - Bangladesh
better with water - Manilla - Philippines
Better with water - Nantes - France
Eau et Vie - Abidjan - Côte d'Ivoire
 

Fillette près d'un robinet à Bhashantek, au Bangladesh. [© Arnaud Gastaut]
 

©Lettre du pS-Eau 74 de Jan 2014

   © pS-Eau 2024