retour imprimer © Lettre du pS-Eau 74 de Jan 2014

Un programme défini et mis en œuvre avec les populations

Hygiène et santé à Bujumbura, au Burundi


Campagne de promotion de l'hygiène. [© PAD/OPDE]

Les indicateurs de développement humain reflètent la grande misère dans laquelle vit la majorité de la population burundaise. Les chiffres sont alarmants :
• selon la Banque mondiale, la mortalité d'enfants de moins de cinq ans atteint 108 pour mille en 2011, dont 84 % sont dus à de mauvaises conditions d'accès à l'eau, à l'hygiène et à l'assainissement ;
• cinq millions de Burundais vivent sans installations sanitaires adéquates ;
• les maladies diarrhéiques (diarrhées, dysenteries et choléra) font partie des trois causes de consultation les plus fréquentes dans les centres de santé du pays en raison essentiellement de l'insalubrité de l'eau et de l'environnement.

Devant cette situation, Pro-action développement (PAD), association belge de solidarité internationale, et l'association burundaise Œuvre humanitaire pour la protection et le développement de l'enfant en difficulté (OPDE), se sont alliées en 2008 à l'occasion de deux missions d'identification de projets dans le domaine de l'eau, de l'assainissement et de l'hygiène.
La zone d'intervention pilote s'est portée sur la commune de Mutimbuzi. Située à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Bujumbura, cette commune compte plus de 70 000 habitants avec une densité moyenne de 350 habitants/km². Situé en bordure de l'aéroport national, c'est un territoire en pleine expansion démographique, qui connaît les problèmes récurrents des zones périurbaines : enjeux fonciers sensibles, croissance démographique élevée, voies d'accès peu praticables (notamment pour les camions de vidange).

De surcroît, la nappe phréatique affleurante de cette zone de plaine bordant le lac Tanganyka est très sensible à la pollution si les ouvrages sanitaires ne sont pas adaptés, et un sol sablonneux complexifie la construction des ouvrages. OPDE et PAD ont débuté leur programme dans cette zone en raison de sa grande vulnérabilité :
– vulnérabilité de la population, qui compte de nombreux camps de réfugiés composés d'une majorité de femmes, veuves le plus souvent ;
– vulnérabilité en termes d'accès à l'eau potable, en raison de l'éloignement des sources et de la défaillance du réseau urbain ;
– vulnérabilité en termes d'aides, en raison du manque d'acteurs intervenant dans cette zone en matière d'accès à l'eau, à l'assainissement et à l'hygiène.

Amazi, Amagara Kuri Twese
Le premier programme mis en place, ”l'eau et la santé pour tous” (Amazi, Amagara Kuri Twese en kirundi) est entré dans sa phase d'exécution dans la commune de Mutimbuzi en avril 2010, grâce à des financements d'une fondation privée et de la loterie nationale belge, pour respectivement 153 000 € et 40 000 € sur quatre et deux ans. Des enquêtes systématiques en début d'intervention ont permis de cibler les besoins et les solutions envisagées, mais ce sont avant tout les communautés elles-mêmes qui priorisent les actions et les techniques à adopter. Rien n'est prévu dans ce programme qui ne soit adapté aux contextes, aux populations, aux besoins et aux mœurs de la zone d'intervention.

La méthodologie participative est au cœur de l'action . Pour une pleine appropriation de l'action menée, les bénéficiaires sont impliqués dans tout le processus de réflexion et de décision :
– ils identifient eux-mêmes leurs besoins et analysent les solutions les plus viables aux plans technique et économique ;
– ils participent aux réalisations des infrastructures sanitaires en fournissant les matériaux locaux et la main-d'œuvre ;
– ils s'organisent pour gérer et entretenir les infrastructures et autres acquis.
Depuis le début du projet en 2010, la méthode “participatory hygiene and sanitation transformation “ (PHAST) consiste, à travers une série d'animations ludiques et dynamiques, à identifier avec la communauté ses besoins en termes d'accès à l'eau, à l'hygiène et à l'assainissement, et à trouver des solutions techniques et financières viables et abordables. Les ménages sont les premiers concernés dans ces choix puisqu'ils participent aux frais de construction et d'entretien des infrastructures. Cette approche responsabilise tous les membres de la communauté, qui se reconnaissent comme acteurs du projet.

La méthode PHAST évolue actuellement en WAST “waste and sanitation transformation“ en complétant le dispositif initial par des modules sur l'écosanitation et la gestion des déchets solides.
Au terme des animations PHAST/WAST, des comités de gestion sont systématiquement mis en place et formés. Relais clés du projet, ils assurent le suivi de la promotion à l'hygiène, la pérennisation et l'utilisation correcte des infrastructures construites. Pa-rallèlement, des cellules de concertation sont organisées avec les autorités et autres acteurs intervenant sur la zone.

Un des objectifs est que l'ensemble de ces acteurs parviennent à s'impliquer dans une réflexion plus large concernant l'accès à l'eau, à l'hygiène et à l'assainissement dans leur zone, mais aussi à s'investir dans l'appui à d'autres communautés.

A propos de défense des droits à l'eau, à l'hygiène et à l'assainissement, l'action vise trois axes :
– le renforcement des capacités des comités et pouvoirs communaux ;
– la sensibilisation des populations aux pratiques d'hygiène ;
– le plaidoyer pour l'inscription dans les politiques locales du respect des droits à l'eau, à l'hygiène et l'assainissement.

Trois types d'acteurs sont activement impliqués dans le programme :
– les ménages, lors des animations PHAST/WAST et des formations techniques sur la construction, l'utilisation et la gestion des ouvrages réalisés ;
– les communautés, en mettant en place et en formant des comités de gestion, comités de points d'eau (CPE) et des comités hygiène et assainissement (CHA) pour assurer un encadrement villageois autonome et responsable. Le programme intervient également dans les écoles primaires et les centres de santé où sont créés des comités de gestion spécifiques ;
– les autorités communales, avec l'organisation régulière de cellules de réflexions et le renforcement de leurs compétences pour intégrer les notions de droit à l'eau, à l'hygiène et à l'assainissement dans les plans de développement communaux.

Promouvoir et pérenniser le dialogue
Ce souci de concertation conduit à rassembler autour d'une même table des acteurs très hétérogènes et surtout qui n'ont pas (ou peu) l'habitude de communiquer : les services techniques de la commune, la Regideso (organisme de distribution de l'eau au Burundi) et la régie communale de l'eau, organisme indépendant de gestion de l'eau qui représente les comités de points d'eau de la commune. C'est également par le biais de ces cellules de réflexions multiacteurs que le programme tente actuellement d'insuffler la notion de droit à l'eau, à l'hygiène et à l'assainissement au Burundi.

L'adaptation systématique du partenariat OPDE/PAD à son contexte d'intervention a conduit à développer des techniques innovantes dans le contexte burundais :
– la réalisation de forages manuels de faible profondeur. Cette technique peu connue au Burundi s'avère tout particulièrement adaptée aux milieux de plaines où la nappe phréatique est très haute. Tout le matériel (tarières) a été construit localement sur la base de plans élaborés par l'équipe technique de PAD ;
– la mise en place de l'écosanitation, très faiblement implantée au Burundi (en particulier le développement dans les ménages et les écoles de latrines à déshydratation avec séparation des urines et des excrétas) s'est avérée adaptée à la nappe phréatique peu profonde, à une zone dans laquelle les camions de vidange ne peuvent passer et où la grande majorité de la population est composée d'agriculteurs (une opportunité d'utilisation des intrants des latrines ecosan comme fertilisants organiques pour les cultures).

De réelles perspectives
L'impact fort de ce programme est sans conteste la mobilisation à grande échelle des populations ciblées dans une dynamique de réciprocité. Les animations, échanges entre acteurs, formations à la construction, à l'utilisation et à la gestion des dispositifs sanitaires mis en place (latrines ecosan, forages, récupération d'eau de pluie, etc.) permettent par ailleurs une réelle appropriation, autonomisation et responsabilisation. L'approche participative, la démarche innovante de recherche-action adoptée par OPDE et PAD ont séduit les partenaires techniques et financiers. Ainsi, depuis 2011, le programme a bénéficié chaque année de nouveaux financements privés.

La seconde étape importante du programme est survenue en 2013 avec l'appui financier de l'Agence française de développement (AFD) et de l'Agence wallonne de l'air et du climat (AWAC) sur un projet concernant l'écosanitation et la gestion des déchets solides, pour respectivement 222 755 € et 214 000 € sur trois ans. Au total, ont été réalisés et mis en service 1 300 latrines arboloo familiales, 100 latrines ecosan familiales et 2 blocs latrines scolaires ecosan. Deux forages ont également été construits, deux autres ont été réhabilités.
Tout n'a pour autant pas été simple. L'ouverture d'un programme de ce type dans une nouvelle zone et la participation communautaire systématique à si grande échelle ont en effet demandé beaucoup de temps, ce qui avait été sous-estimé. Il en a résulté un retard par rapport au calendrier prévisionnel. Une meilleure connaissance du terrain, la consolidation des équipes et l'expérience acquise ont conduit progressivement à une plus grande efficacité dans la conduite de l'opération.

Malgré les résultats encourageants, la pérennisation de l'action à moyen et long termes reste au cœur des préoccupations de l'équipe, particulièrement attentive aux points suivants :
• les comités de gestion fonctionnent sur la base du bénévolat, principalement grâce à la dynamique lancée et au suivi de proximité mené par l'équipe d'animation du programme. Mais un mouvement de désengagement est déjà observé ; mieux vaut donc être réaliste quant à l'implication à long terme des membres de ces comités après le retrait de l'équipe du projet ;
• la disponibilité en pièces détachées pour les forages non encore assurée au niveau local doit être optimisée par le choix d'équipements homogènes dans la zone ;
• la notion de droit et de responsabilité en matière d'accès à l'eau et à l'assainissement n'est pas toujours claire aux yeux des acteurs concernés à l'échelle des communes.

Face à ces constats, plusieurs pistes d'actions sont actuellement en réflexion :
• le développement d'activités génératrices de revenus pour les ménages et les comités eux-mêmes (une savonnerie a été mise en place dans un village). D'autres actions sont envisagées avec les intrants ecosan, notamment dans les écoles ;
• la concertation avec d'autres acteurs pour un choix homogène de pompes a déjà eu lieu, avec en ligne de mire le développement d'un réseau local de pièces détachées ;
• la reconnaissance des comités devrait être une étape primordiale ;
• enfin, l'élaboration de règlements et plans de gestion communaux sur les questions de l'accès à l'eau, de l'assainissement et la création de comités de surveillance ayant pour mission d'assurer le respect des cadres établis.

Les activités du volet eau se prolongeront en 2014 et celles du volet gestion des déchets jusqu'en 2016. Forts des enseignements du programme sur la commune de Mutimbuzi, l'OPDE et PAD s'apprêtent à engager un programme d'interventions similaires dans la commune de Gihanga (province de Bubanza, au nord de Bujumbura) qui présente les mêmes particularités hydrogéographiques et sociales. Il devrait débuter au premier trimestre 2014.
Myriam Launay - Pro-action développement (Pad)


Diomède Ntakananirimana
OPDE
Email:
diojade2003@yahoo.fr

Mélanie Cuvelier
Pro-action développement (Pad)
Email: melanie@proactiondev.org

OPDE - Bujumbura - Burundi
PAD - Bujumbura - Burundi
PAD - Gembloux - Belgique
 

Latrines scolaires écosan à Mutimbuzi, proche de Bujumbura. [© PAD/OPDE]

[© PAD/OPDE]
 

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