retour imprimer © Lettre du pS-Eau 74 de Jan 2014

Maintenance des ouvrages hydrauliques en zone rurale: Créer des services et stimuler les initiatives de prévention


Support de promotion d'un commerce de pièces détachées au Malawi. [© Inter Aide]

Inter Aide agit en zones rurales isolées où il existe peu d'acteurs, publics ou privés. De ce fait, la gestion et la maintenance des ouvrages incombent presque exclusivement aux usagers. L'association a lancé depuis quelques années des initiatives adaptées aux contextes dans lesquels elle opère, visant à garantir une meilleure couverture des services de maintenance, mais également à systématiser les contrôles techniques pour anticiper les pannes. Cet article illustre ces expériences menées dans différents pays.

Au Malawi, des contrats de maintenance préventifs
En 2002 au Malawi, Inter Aide et son partenaire local Baseda ont lancé des programmes de maintenance des pompes manuelles sur 10 des 27 districts que compte le pays (une grande partie de la région Centre et trois districts dans le Sud-Est). D'une intervention initialement centrée sur la réalisation de programmes eau, hygiène et assainissement, Inter Aide répond également à l'absence de démarches d'entretien des équipements, tant de la part des acteurs institutionnels que des usagers.

Cette approche s'est progressivement étendue à d'autres systèmes que ceux construits par Inter Aide et à des zones de plus en plus étendues. La forte densité de pompes installées sur des puits ou des forages dans des régions très peuplées, et l'homogénéité des modèles de pompes en service, ont été favorables à la constitution d'un maillage de commerçants qui se sont spécialisés dans la revente de pièces détachées. Ces revendeurs, des épiciers déjà connus pour la plupart, trouvent un intérêt commercial suffisant pour inclure ce produit dans leur commerce.

En parallèle, lors de la création ou de la réhabilitation de points d'eau, les villageois ont été sensibilisés à l'importance de prévenir plutôt que de guérir et à ne pas attendre que la pompe tombe en panne. Les comités d'usagers, gestionnaires des ouvrages, ont été formés à transmettre le message sur la nécessité de changer les pièces d'usure avant que leur défaillance n'entraîne plus de dégâts, plus coûteux. Au sein de ces comités, des membres sont formés aux opérations de démontage et remontage des pompes. Le modèle, en l'occurrence Afridev, a été pensé pour un assemblage simple des pièces, nécessitant peu de compétences techniques et gérable par les villageois (Village Level Operation Maintenance – VLOM). Néanmoins, le fait que ces comités n'interviennent pas fréquemment les conduit à oublier peu à peu les compétences acquises ou à perdre confiance en eux. C'est la raison pour laquelle le projet a aussi mis en place un réseau de mécaniciens qui gèrent chacun un parc d'une cinquantaine de pompes. Ils proposent deux sortes de contrats : un contrat de réparation en cas de problèmes ponctuels dépassant les capacités villageoises, ou un contrat de maintenance qui consiste, trois à quatre fois par an, à démonter l'ensemble de la pompe et à changer les pièces qui présentent une usure trop importante. Le nombre de pompes affectées à chaque artisan (Area Mechanics) a été déterminé de façon à ce qu'ils puissent se rendre sur les sites à vélo et dégagent une marge suffisante en complément de leurs revenus habituels.

Un cercle vertueux gagnant/gagnant se profile : les artisans réparateurs ont intérêt à ce que les villageois signent avec eux des contrats de maintenance préventive dont ils font la promotion active ; les revendeurs de pièces détachées dégagent des marges suffisantes sur la vente de ces pièces pour avoir intérêt à maintenir un stock minimal en toutes circonstances. Les usagers sont davantage assurés que leur point d'eau fonctionnera toute l'année.
Les autorités de l'eau (Water Department) sont de plus en plus impliquées dans le processus. Des réunions entre artisans réparateurs sont organisées tous les trimestres au sein de ces institutions ; c'est l'occasion de dresser des bilans et l'heure des rapports d'activités. D'ores et déjà, ce réseau comprend environ 250 artisans, 120 boutiques, couvre près de 12 000 pompes Afridev et compte un million de bénéficiaires.

Les enjeux à terme résident dans la capacité des boutiquiers à se réapprovisionner de manière autonome et à éviter les ruptures de stocks. Il s'agit aussi pour les mécaniciens de fidéliser leurs clientèles par les contrats de maintenance préventive et d'asseoir leur notoriété. Cela passe par l'amélioration de leurs capacités à suivre et planifier leurs interventions.

En Ethiopie, des techniciens gouvernementaux formés à l'anticipation
En Ethiopie, la forte déclivité des régions d'intervention a permis à Inter Aide de réaliser depuis une vingtaine d'années des réseaux gravitaires qui desservent des populations très importantes (environ 1 000 points d'eau). L'avantage de ces systèmes est que l'eau s'écoulant naturellement, les ouvrages subissent moins de contraintes et nécessitent donc moins d'entretien (les bornes-fontaines et la source qui les alimente peuvent très bien fonctionner pendant dix ans sans intervention). Paradoxalement, ce moindre besoin en maintenance les premières années constitue un risque pour la pérennité des ouvrages à plus long terme : personne ne s'inquiète de l'état de l'ouvrage ni ne vérifie s'il se dégrade.

Conjointement à ses programmes classiques liés à l'eau, l'hygiène et l'assainissement menés dans une douzaine de districts de la région Sud du pays, Inter Aide et son partenaire local RCBDIA s'efforcent d'accompagner la décentralisation des services publics de l'eau. Depuis 2012, une démarche systématique de prévention a été mise en place avec les bureaux de l'eau du woreda (ou district) de l'Ofa.
Les experts des bureaux de l'eau sont des techniciens gouvernementaux formés à organiser avec les villageois des diagnostics annuels sur chaque ouvrage. Lors du rendez- vous fixé avec les associations d'usagers des points d'eau, les experts interviewent les responsables de l'association, inspectent les infrastructures et poussent les usagers à énoncer les problèmes qu'ils ont constatés.

Dans la plupart des cas, les villageois ont conscience des défauts de l'entretien mais ne s'organisent pas pour y remédier. Les experts ont un rôle de conseil, ils aident les comités à budgéter les interventions et les conduisent à planifier les actions pour appliquer leurs recommandations. Ils mettent également en relation les usagers avec des artisans villageois (que le projet a formés au niveau du district) ou avec des entrepreneurs locaux lorsque les interventions sont importantes.
Cette approche et ce travail de collaboration avec les bureaux de l'eau a par exemple permis dans le woreda de l'Ofa, que sur les 146 systèmes diagnostiqués, les recommandations des experts soient suivies pour 116 d'entre eux (il est vrai que la majeure partie des ouvrages avaient été réalisés par Inter Aide, mais la démarche de maintenance vise l'ensemble des infrastructures des zones).
L'enjeu est que les experts acquièrent une juste vision d'ensemble des systèmes et qu'ils soient organisés de manière à suivre année après année la mise en place des réparations pour chaque ouvrage. La réglementation éthiopienne prévoit que la gestion des équipements revienne à des associations d'usagers, et que leurs membres s'organisent pour financer les frais d'intervention et de maintenance. En tant qu'agents du gouvernement, les experts intègrent cette mission dans leurs activités quotidiennes, mais les cotisations des usagers doivent également contribuer à terme au financement du service d'accès à l'eau.

En Sierra Léone, susciter l'offre et la demande
En Sierra Léone, Inter Aide réalise la construction ou la remise en état d'une vingtaine de points d'eau par an depuis 2005 sur le district de Bombali. Lancé en 2009, le programme de maintenance représente environ 700 puits ou forages équipés de pompes manuelles.
Après la guerre civile, des organisations humanitaires ont creusé de nouveaux ouvrages mais, faute de maintenance, seulement 30 % demeurent fonctionnels et le parc n'est pas homogène : il y a toutes sortes de pompes, de type India Mark, Kardia, Afridev, etc. Cela complexifie la mise en place d'une filière de revendeurs de pièces détachées.

Huit réparateurs de pompes ont été formés. Ils font la promotion de leurs services en proposant un diagnostic préventif une fois par an. Inter Aide suit les interventions des mécaniciens et enregistre quelles sont les communautés qui ont procédé à cette maintenance. Il est ainsi possible de mesurer le degré d'adhésion à cette démarche et d'en suivre l'évolution dans le temps. Le travail consiste aussi à sensibiliser les villageois sur l'intérêt de la maintenance préventive. Lors d'intervention dans les villages, les équipes illustrent leur propos par des exemples de la vie quotidienne (le toit de chaume qu'il faut entretenir régulièrement, le trou dans le vêtement qu'il faut recoudre avant qu'il ne s'agrandisse, etc.).

Un travail plus approfondi est réalisé avec les comités de gestion concernant l'organisation et la gestion de la caisse commune servant à financer la maintenance : reconnaître les pièces détachées et leurs coûts, définir les montants nécessaires et dresser un budget moyen pour l'année, établir une règle de cotisation, recenser le nombre de cotisants, suivre et enregistrer les mouvements d'argent… Environ 200 comités de points d'eau ont jusqu'ici renouvelé régulièrement des diagnostics annuels par les réparateurs.

Pour une dynamique autonome, il faut encore du temps et du travail pour que les communautés soient convaincues de l'importance de la prévention, et bien organisées pour la collecte et le suivi des fonds nécessaires. Les réparateurs ont à terme un rôle de promoteur et de conseiller.
En définitive, la maintenance repose sur une action menée à la fois sur la demande et sur l'offre. En sensibilisant les usagers et en créant un évènement qui les incite à vérifier régulièrement les équipements de manière préventive, on crée et stimule la demande. C'est à cette condition qu'il deviendra intéressant pour les fournisseurs de développer leurs offres de services (vente de pièces, réparations, diagnostics). L'offre doit pour cela être correctement dimensionnée pour couvrir les besoins et être rentable, et de qualité pour assurer l'adhésion.

Les garanties de sa pérennité reposent également sur la possibilité de s'appuyer sur des relais locaux pour poursuivre la sensibilisation et fiabiliser la solvabilité des usagers. Il est primordial de travailler sur les capacités de gestion des groupements communautaires et sur la transparence des démarches (règles de cotisation connues de tous, communication régulière sur l'argent disponible en caisse et les prévisions de dépenses…). Enfin, la mise en concurrence peut stimuler l'offre mais il est avant tout nécessaire qu'un mécanisme de contrôle suive et valide la qualité des interventions et des produits, et apporte des corrections si nécessaire.
Des projets similaires sont menés par Inter Aide dans trois autres pays (Haïti, Madagascar, Mozambique). Ils sont également financés par l'Agence Française de Développement, l'Union européenne, l'Unicef, certaines agences de l'eau et des communes partenaires, le Sedif, le Fonds Solidarité Eau du Grand Lyon et la ville de Paris.


Mathieu Métois
Inter Aide, coordonnateur capitalisation EHA
Email:
mathieu.metois@interaide.org

Inter Aide - Addis Ababa - Ethiopie
Inter Aide - Lilongwe - Malawi
Inter Aide - Makeni - Sierra Leone
Inter Aide - Versailles - France
 

Experts des bureaux de l'eau en action lors d'un diagnostic annuel en Ethiopie. [© Inter Aide]

Trésorier calculant les coûts de maintenance, en Sierra Leone. [© Inter Aide]
 

©Lettre du pS-Eau 74 de Jan 2014

   © pS-Eau 2024