retour imprimer © Lettre du pS-Eau 73 de Dec 2013

L'eau, l'assainissement et les nouvelles technologies

Téléphonie et Internet, une révolution à venir ?


Borne-fontaine Sofoco avec carte magnétique prépayée en RDC.[©Gwenael Prié]

Avec 650 millions de cartes SIM en circulation et un taux de croissance de 30 % par an, le développement de la téléphonie mobile en Afrique montre que le continent adopte les Technologies de l'Information et des Communications (TIC) à grande vitesse. Ces technologies, loin de se limiter à la sphère privée, pénètrent de nombreux secteurs, y compris celui de l'eau et de l'assainissement.

Le recours aux TIC pour soutenir le développement des services d'eau et d'assainissement est source d'innovations et de démarches pilotes dans de nombreux pays, qui partagent des motivations communes : collecter plus de données pour améliorer le suivi des services et alimenter les prises de décisions, contourner les défis logistiques et profiter d'un canal de communication directe avec la population.

Une relation facilitée entre usagers et opérateurs
La première opportunité liée aux TIC est de permettre aux usagers de communiquer, via leur téléphone portable, avec l'opérateur en charge du service, lequel peut ainsi être informé des défaillances (fuite, pompe manuelle hors service, rupture d'approvisionnement…) dès qu'elles se produisent.

Sans augurer de la capacité des usagers à établir des “rapports“ à chaque dysfonctionnement avéré, plusieurs initiatives sont actuellement à l'œuvre. En Afrique du Sud, Lungisa est un projet de surveillance communautaire qui permet aux habitants des zones défavorisées du Cap d'informer les responsables concernés (via SMS, réseaux sociaux, etc.) des difficultés liées à la prestation des services de base que sont l'eau, l'assainissement, l'éducation et la santé.
• www.lungisa.org

Au Maroc, la société Lydec a développé une application spécifique aux smartphones pour signaler les problèmes, mais également pour payer sa facture.
• blog.lydec.ma
Le règlement de factures à distance, une facilité cruciale pour améliorer le recouvrement des factures d'eau, a également été développé au Kenya.

Géolocalisation et cartographie
Utilisée de manière presque systématique pour identifier les zones d'intervention prioritaires et planifier les investissements, la cartographie est une autre valorisation prometteuse des TIC. A partir de données géolocalisées, elle permet de visualiser et analyser un territoire : localisation d'infrastructures, sites de rejet d'eaux usées, zones de défécation à ciel ouvert, etc. L'intégration du GPS dans les smartphones et la démocratisation des logiciels facilitent le recours à la cartographie.

En collaboration avec le Kenya, la Tanzanie a ainsi mis en place un projet de surveillance citoyenne et de cartographie d'infrastructures. L'échange a donné lieu à la collecte de données à partir de 2600 points d'information et à la publication d'une carte détaillée du quartier de Tandale à Dar es Salaam. La carte comprend les coordonnées géospatiales de routes, de points d'eau, de collectes des déchets solides, d'écoles, de dispensaires, de commerces et de maisons dans la région.
• tandale.ramanitanzania.org

Des bornes-fontaines et des relevés de compteurs numériques
L'exploitation des services n'est pas en reste : de nombreuses applications permettent aux exploitants d'optimiser certaines de leurs activités. Au Maroc (avec l'entreprise Veolia) et à Kinshasa (avec l'entreprise Sofoco), des bornes-fontaines distribuent l'eau automatiquement après l'insertion d'une carte magnétique par l'usager.
• blog.lydec.ma

A Madagascar, SeeSaw fournit une application permettant aux petits opérateurs privés de saisir les relevés de compteur d'eau via un smartphone, avec un gain de temps appréciable.
Cette application présente l'intérêt supplémentaire de conserver des enregistrements numériques et de rendre possible l'analyse des performances au fil du temps, ainsi qu'une meilleure transparence des activités et des résultats qui influenceront les prises de décisions à venir concernant les investissements.
• greenseesaw.com

Des études sont en cours auprès des opérateurs dans les grandes villes. L'Association internationale de l'eau a ainsi lancé une étude sur les besoins de ces opérateurs et les plus-values que peuvent apporter les TIC, comme le recouvrement des factures et l'enregistrement des compteurs volumétriques.

Des enquêtes sur tablettes électroniques
Les opérateurs de projets sont de plus en plus nombreux à recourir aux applications sur tablettes électroniques et smartphones pour réaliser leurs enquêtes. L'abandon des formulaires papier au profit des supports numériques présente de nombreux avantages : meilleure qualité de saisie par le “typage“ des réponses et obligation de répondre à certaines questions, transfert automatique et en temps réel des données pour réduire les risques de pertes et accélérer l'analyse, suppression du risque d'erreur lors d'un transfert des données du papier à l'ordinateur. En République démocratique du Congo, le GRET et Seesaw déploient actuellement des questionnaires sur smartphones pour une enquête nationale sur les petits réseaux d'eau du pays.

Encourager la promotion de l'hygiène
Enfin, l'éducation et la promotion des comportements peuvent être facilitées par ces nouveaux outils. Par exemple, SunClean est un jeu sur téléphone mobile qui enseigne l'assainissement et quelques règles d'hygiène. L'application fait partie des vainqueurs de l'édition 2012 du Hackathon (cf. encadré p. 12) sur le thème de l'assainissement à Jakarta, en Indonésie.
• www.sanitationhackathon.org/applications/sunclean-sanitation-games

Du bon usage des TIC
Les experts sont unanimes pour reconnaître que nous vivons aujour-d'hui les premiers pas des TIC au sein du secteur de l'eau et de l'assainissement. La plupart des initiatives sont des actions pilotes ; elles nécessitent d'être confirmées pour d'éventuels déploiements à plus grande échelle. Nombreux sont ceux qui appellent à une meilleure circulation de l'information sur ces projets, ainsi qu'à la montée en compétences des acteurs du secteur. Oser l'expérimentation (par l'organisation de hackatons, ou par l'inclusion de volets TIC, même modestes, dans les projets…) est un des vecteurs pour stimuler l'innovation sur ce sujet.

Néanmoins, au-delà de l'engouement suscité par les TIC dans le secteur de l'eau et de l'assainissement, il convient de garder à l'esprit que, aussi révolutionnaires qu'ils paraissent, ils ne sont que des outils. Il semble en effet qu'il y ait trop souvent plus d'énergie déployée en leur direction que d'attention sur les améliorations qu'ils sont sensés susciter. La mise en œuvre des TIC dans le secteur de l'eau et de l'assainissement soulève des questions fonctionnelles, organisationnelles et humaines qu'il convient de ne surtout pas négliger.
Contacts:
• Laura Szczuczak : laura@greenseesaw.com
• Gwenael Prié, GWP Conseil : gwenael.prie@gmail.com
• David Schaub-Jones, See Saw : david@greenseesaw.com
• Denis Désille, pS-Eau : desille@pseau.org



Les hackathons pour l'eau et l'assainissement
Un hackhathon (contraction de hack – terme anglais issu de la culture informatique qu'on peut traduire par “bidouiller“ – et de marathon) est un évènement où des développeurs informatiques se réunissent sur une courte durée (un ou deux jours souvent), pour développer ensemble des solutions informatiques qui répondent à des enjeux spécifiques.
Cette démarche originale d'innovation numérique permet de faire émerger des approches et des outils sur mesure, mais aussi radicalement originaux, et de faire travailler ensemble des utilisateurs et des informaticiens qui
ne se croiseraient peut-être pas ailleurs ! Pour le secteur de l'eau et de l'assainissement, plusieurs hackathons ont régulièrement lieu à travers le monde.
• www.sanitationhackathon.org

pS-Eau - Paris - France
SeeSaw - Cape Town - Afrique du Sud
 

Sanitation Hackathon à Dar Es Salaam (Tanzanie) en décembre 2012.[© Helena Goldon, World Bank-Water and Sanitation Program]

Collecte de données par smartphone,
en RDC.[© Gwenael Prié]
 

©Lettre du pS-Eau 73 de Dec 2013

   © pS-Eau 2024